Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 13-04-2015 09:11
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La Justice congolaise dans la perspective de la décentralisation – Jean-Bosco Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La Justice congolaise dans la perspective de la décentralisation

Par Jean-Bosco Kongolo

Un peu partout, dans le pays comme à l’extérieur, le découpage territorial est sur toutes les lèvres des Congolais, acteurs politiques et tous ceux qui suivent de près l’actualité nationale. A suivre les politiciens assoiffés du pouvoir, on croirait qu’il suffirait que le découpage soit fait ou qu’ils soient élus gouverneurs et députés provinciaux pour que la décentralisation soit consommée. Au-delà de ces considérations politiciennes, les seules mises en exergue lorsqu’on parle du découpage territorial, nous voulons examiner, à l’aide des dispositions constitutionnelles et des lois organiques relatives à l’appareil judiciaire, l’impact de ce découpage sur le quatrième pouvoir institutionnel.

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La décentralisation au sens de la Constitution

Au sujet de la décentralisation, il est écrit dans l’exposé des motifs ce qui suit: « Dans le but d’une part, de consolider l’unité nationale mise en mal par des guerres successives et, d’autre part, de créer des centres d’impulsion et de développement à la base, le constituant a structuré administrativement l’État congolais en 25 provinces plus la ville de Kinshasa dotées de la personnalité juridique et exerçant des compétences de proximité énumérées dans la présente constitution. »

Dans l’attente des dividendes politiques, souvent personnelles, de ce découpage, beaucoup d’acteurs politiques font une lecture paresseuse et restrictive de la Constitution en s’imaginant que les Cours et Tribunaux, en tant qu’institution comme le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement (art.68) ne sont pas du tout concernés par la décentralisation et surtout par le découpage. Ce qui n’est pas le cas, car au sein du pouvoir judiciaire, le constituant distingue les Cours dont le ressort s’étend à tout le territoire national des autres Cours les tribunaux qu’on doit retrouver dans les provinces, les villes, les territoires et les communes. C’est de ces cours et tribunaux qu’il va être question tout au long de notre analyse. Mais avant d’y arriver, il convient de signaler qu’en raison de leurs ressorts et de leurs compétences, seuls la Cour constitutionnelle, le Conseil d’État, la Cour de cassation et la Haute Cour Militaire sont des juridictions non concernées par la décentralisation et, donc par le découpage. En attendant que la Cour Constitutionnelle, dont les membres viennent de prêter serment depuis ce samedi 4 avril 2015, se mette au travail, il n’y a que la Haute Cour Militaire qui fonctionne conformément à la Constitution tandis que l’ « ancienne » Cour suprême de justice, qui aurait dû se muer en Cour de cassation depuis 2006, va encore continuer de combiner ses prérogatives de la Cour de cassation avec celles du Conseil d’État pour toutes les matières qui relèvent du contentieux administratif. Les autres juridictions, civiles et militaires, de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif ainsi que les juridictions spécialisées, devront être déployées sur tout le territoire national dans le cadre du découpage territorial. Ce sont : la Cour d’appel, la Cour militaire, le Tribunal de grande instance, le Tribunal militaire de garnison, le Tribunal administratif, le Tribunal de paix, le Tribunal militaire de police, Tribunal du commerce, le Tribunal du travail et le Tribunal pour enfants.

Découpage territorial et déploiement des juridictions civiles et militaires

De toutes ces juridictions énumérées ci-dessus, certaines sont plus anciennes et mieux connues des justiciables congolais tandis que d’autres n’ont été introduites que plus récemment (notamment le Tribunal de commerce, le Tribunal de travail et le Tribunal pour enfants) du fait de leur spécialisation dans les secteurs de leurs compétences. Quant aux juridictions administratives, il faudra encore attendre qu’une loi organique leur permette de voir juridiquement le jour. Il est important de préciser que sur les 25 provinces, plus la ville de Kinshasa, seuls le Bas-Congo, le Sud Kivu, le Nord Kivu et le Maniema échappent au découpage. Selon les documents émanant du Ministère de l’Intérieur et mis à la disposition des participants à l’atelier sur l’évolution juridico-administratif de la RDC, tenu à Lubumbashi du 14 au 26 mars 2015, l’installation des nouvelles provinces portera le nombre total des entités territoriales décentralisés(ETD) à 1041 et des villes à 20.(Source : Journal Le Potentiel du 18 mars 2015, http://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=12157:irdh-le-travail-de-demembrement-des-provinces-et-d-installation-des-nouvelles-institutions-comporte-des-hauts-risques-politiques-et-securitaires&catid=90:online-depeches)

C’est sur base de ces chiffres officiels que nous allons élaborer, ci-dessous, nos prévisions des défis à relever dans le secteur de la justice, en lien avec le découpage territorial.

Le tribunal de paix et le tribunal militaire de police                                                            

Le but de toute décentralisation étant de rapprocher l’administration de l’administré, en ce compris l’administration de la justice, il serait inutile de multiplier les entités territoriales décentralisées si un maillon important de cette décentralisation n’y est pas déployé. C’est le cas du tribunal de paix et du tribunal militaire de police, les plus bas échelons des juridictions répressives civiles et militaires, ayant notamment pour compétence de juger au pénal et au premier degré, des infractions punissables de 5 ans de prison au maximum et au civil(le tribunal de paix uniquement) toutes les matières relatives à la famille, à l’état civil, aux successions et libéralités. Selon l’article 9 de la Loi organique no 13/011-B du 11 avril 2013, «  Le Tribunal de paix est composé d’un Président et des juges. En cas d’absence ou d’empêchement, le président est remplacé par le juge le plus ancien d’après la date et l’ordre des nominations. »

Pour cette catégorie de juridiction, à déployer dans toutes les ETD, il faudrait au minimum 4 x 1041=4164 magistrats (uniquement pour les tribunaux de paix), en raison de 4 magistrats(le président + 3 juges) par tribunal, sans compter le personnel administratif composé des greffiers, huissiers et secrétaires (au moins 4 greffiers, 2 huissiers et deux secrétaires par tribunal). Autant il y aura des tribunaux de paix et des tribunaux militaires de polices, autant il faudra d’infrastructures immobilières pour abriter leurs services.

Les Tribunaux de grande instance et les Tribunaux militaires de garnison.

Dans la hiérarchie des juridictions répressives, ces deux catégories de tribunaux ont un même rang, à la seule différence que les juridictions militaires ne connaissent pas des matières civiles. Au-delà de leurs compétences propres en matière pénales, ils sont des juridictions d’appel respectivement pour le Tribunal de paix et le Tribunal militaire de police. Plus spécifiquement, « Les tribunaux de grande instance connaissent des infractions punissables de la peine de mort et de celles punissables d’une peine excédant cinq ans de servitude pénale principale.

Ils connaissent en premier ressort des infractions commises par les Conseillers urbains, les Bourgmestres, les Chefs de secteur, les Chefs de chefferie et leurs adjoints ainsi que les conseillers communaux, les Conseillers de secteur et les Conseillers de chefferie. Sans préjudice des dispositions de l’article 86 de la présente loi, ils connaissent également de l’appel des jugements rendus par les tribunaux de paix. » D’où leur importance dans la perspective de la décentralisation et du découpage territorial. Le district étant supprimé en tant qu’échelon de l’administration, le tribunal de grande instance n’est désormais institué qu’au niveau des villes.                                                                                                                          

Autant il y a de villes, autant il faudra de tribunaux de grandes instances à installer à l’échelon national, avec en moyenne 4 juges par tribunal et autant pour les tribunaux militaires de garnison. Comme pour les tribunaux de paix, le personnel judiciaire autre que les magistrats devra être recruté, formé et affecté pour compléter les effectifs là où il en fera défaut. « Aucune audience ne s’est tenue au Tribunal de grande instance (TGI) de Buta (Province Orientale) depuis un an faute de juges. Le président de cette juridiction affirme pourtant que trois cents dossiers sont en attente de jugement dans ce tribunal. Le parquet de grande instance de Buta ainsi que les tribunaux de paix de Bondo et Aketi continuent à envoyer des dossiers à ce tribunal qui ne compte qu’un seul juge. Le président de ce tribunal a expliqué que les deux juges affectés depuis l’année dernière ne se sont jamais présentés »(Source : Radio Okapi, 9avril 2014, http://radiookapi.net/regions/2014/04/09/buta-aucune-audience-au-tribunal-de-grande-instance-depuis/)

Les Tribunaux pour enfants                                                                                                     

La protection de l’enfant est la suite logique de la ratification par notre pays de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 par l’Assemblée générale des Nations Unies, suivie de la Charte africaine des droits de l’enfant, adoptée en juillet 1990. Dans la Loi no09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, le tribunal pour enfant est institué en tant que mesure de protection judiciaire, pour notamment (voir exposé des motifs) :  

  • «  garantir à l’enfant le droit de bénéficier des différentes mesures à caractère administratif, sanitaire et autres visant à le protéger de toutes formes d’abandon, de négligence, d’exploitation et d’atteinte physique, morale, psychique et sexuelle,
  • diffuser et promouvoir la culture des droits et devoirs de l’enfant et en faire connaître à celui-ci les particularités intrinsèques en vue de garantir l’épanouissement intégral de sa personnalité et de le préparer à ses responsabilités citoyennes,
  • faire participer l’enfant à tout ce qui le concerne par des moyens appropriés susceptibles de l’aider à acquérir les vertus du travail, de l’initiative et de l’effort personnel… »                                                                                                                            

Un programme aussi ambitieux ne peut se concrétiser que s’il y a essaimage des tribunaux pour enfants à travers toute la République. C’est pourquoi le législateur a prévu d’en installer en principe un dans chaque territoire et dans chaque ville (art.84), soit au total 1041+20, ce qui fait 1062 tribunaux, pour lesquels il est impérieux de prévoir les infrastructures, le personnel à former et/ou à recruter (juges, greffiers, secrétaires, assistants sociaux, psychologues, brigade spéciale de protection de l’enfant,..) ainsi que des établissements de garde, d’éducation ou de rééducation.   A ce jour, un seul tribunal pour enfants est opérationnel dans chacune des 10 anciennes provinces et 4 dans la ville de Kinshasa. « En effet, deux ans après l’installation des premiers tribunaux pour enfants en RDC, le Président de la République, Joseph Kabila, par ordonnance no 13/037 et 038 du 1er juin 2013 et sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, a affecté 54 juges dans 11 sièges ordinaires et 4 sièges secondaires des tribunaux pour enfants de la RDC.

Dans l’optique d’assurer une couverture nationale, les provinces du Kasaï Occidental, du Kasaï Oriental, de la province Orientale, et du Sud Kivu vont accueillir leurs premiers juges après celles du Bas-Congo, Bandundu, Nord Kivu, de l’Équateur, de Kinshasa et du district de l’Ituri. Compte tenu de la densité du volume des dossiers traités par le siège ordinaire du tribunal pour enfants, de nouveaux juges ont été affectés dans la province de Kinshasa pour rendre opérationnels les quatre sièges secondaires. » (Source : UNICEF : http://www.unicef.org/wcaro/french/4501_7412.html). Comme on peut bien s’en rendre compte, à ce rythme et à cause des difficultés liées aussi bien aux structures, au financement qu’aux ressources humaines, il faudra plusieurs générations pour que l’installation de ces tribunaux s’achève sur l’ensemble du territoire national. Voici quelques difficultés rencontrées, parmi tant d’autres qui témoignent du dysfonctionnement de la justice à ce niveau: « Si le tribunal pour enfants du chef-lieu du Katanga est actuellement doté d’un bâtiment spacieux, le président de ce tribunal siège encore seul alors que les dossiers en appel nécessitent la présence de trois juges. Le tribunal pour enfants de Mbandaka connaît des difficultés de fonctionnement. Selon son président, André Flory Kiamba, cette juridiction n’a jamais reçu des frais de fonctionnement depuis son installation en avril 2011. André Flory Kiamba indique que ce tribunal manque de locaux pour placer les enfants en conflit avec la loi, notamment ceux poursuivis pour vol et viol. Ces enfants sont pour la plupart gardés dans des familles d’accueil d’où ils s’échapperaient pour récidiver. » (Source : Le Congolais, 15 fév.2012, http://www.lecongolais.cd/tribunal-pour-enfants-de-lubumbashi-des-juges-en-nombre-insuffisant/)

Les tribunaux de commerce                                                                                                          

Ils ont été institués par la Loi no 002/2001 du 03 juillet 2001 portant organisation et fonctionnement du tribunal de commerce en tant que « juridiction de droit commun siégeant au premier degré et composé des juges permanents qui sont des magistrats de carrière et des juges consulaires. ». Le juges consulaires ne sont pas des magistrats de carrière mais des représentants élus par leurs pairs et provenant des organisations professionnelles de l’industrie et du commerce. Depuis 2001, tous ceux qui exercent une activité commerciale doivent retenir qu’il existe une juridiction spécialisée pour connaître de toutes les affaires concernant entre autres le chèque bancaire, les faillites, les contrats de société, la concurrence déloyale(art.3), les engagements et les contestations entre commerçants, les fonds de commerce, les actes de commerce, les contestations entre associés pour raisons de société de commerce, les litiges relatifs au contrat de société, etc.(17).                                                                                                                                        

Le siège ordinaire du Tribunal de commerce et son ressort sont ceux du Tribunal de Grande Instance, ce qui signifie autant de tribunaux de commerce qu’il doit y avoir des tribunaux de grande instance dans le pays, avec tout ce que cela comporte comme défis à relever en ce qui concerne le personnel à recruter, à former et à affecter ainsi que les infrastructures immobilières. A ce sujet, il est utile de signaler que c’est grâce au financement de l’Union européenne que les premiers juges et greffiers du tribunal de commerce de Kinshasa avaient bénéficié d’une formation spécialisée en Occident. Bien installé au départ, dans un immeuble luxueux en location, ce tribunal a été déguerpi pour cause d’insolvabilité de l’État et obligé d’errer comme une personne sans domicile fixe. « Par manque de salles pour conserver les archives, des dossiers judiciaires importants ne se retrouvent plus et en cas d’une procédure de réouverture des débats, les juges n’auront plus accès aux éléments pertinents pour répondre aux avocats qui eux conservent les leurs dans leurs cabinets respectifs.

Il arrive que les juges recourent aux avocats pour certains dossiers dont les traces ne se retrouvent plus car égarées lors du déguerpissement ou détruites par moisissure à cause de l’humidité ou déchiquetées par les rongeurs. La conséquence la plus immédiate est que le rendement a fortement baissé, ce qui énerve les justiciables alors qu’avant le déguerpissement, les affaires étaient traitées avec une rapidité qui était saluée par tous. Si rien n’est fait pour remédier cette situation, que l’on ne soit pas étonné que les justiciables retournent vers le Tribunal de grande Instance de la Gombe et cela en violation de nouvelles dispositions réglementaires ayant créé les juridictions de commerce, a indiqué au Phare un auxiliaire de justice inconsolable. » (Publié par Digitalcongo du 12/02/2011, http://www.digitalcongo.net/article/73694) A ce jour, ce tribunal n’est installé que dans les villes de Kinshasa(2), Lubumbashi, Kolwezi, Mbuji-Mayi, Bukavu, Goma, Matadi et Boma.

Les tribunaux de travail

Comme le Tribunal de commerce, le Tribunal de travail est l’œuvre du parlement de transition sous le régime 1+4, par la Loi no 016-2002 portant organisation et fonctionnement des tribunaux de travail. Le siège ainsi que le ressort du Tribunal du travail sont aussi ceux du tribunal de grande instance, avec les mêmes défis que ci-dessus. Globalement, le Tribunal du travail est compétent pour connaître des conflits individuels et collectifs du travail et de la sécurité sociale. Au 1er mai 2014, juste deux tribunaux du travail, un à Kinshasa et un autre à Lubumbashi, étaient rendus opérationnels sur l’ensemble du pays alors qu’on annonce l’effectivité du découpage pour 2016 déjà.              

Les Cours et tribunaux de l’ordre administratif                                                                            

Au moment où l’on s’apprête à démarrer «  la décentralisation », en passant par le découpage, pour rapprocher l’administration de l’administré, aucune loi n’a encore été adoptée par le législateur pour concrétiser l’existence juridique des cours et tribunaux de l’ordre administratif que sont le Conseil d’État(niveau central), les tribunaux administratifs et les Cours d’appel administratives (dans les provinces et les villes). On n‘en est encore qu’au stade de l’énonciation dans la Constitution. Article 154 : « Il est institué un ordre de juridictions administratives composé du Conseil d’État et des Cours et tribunaux administratifs. » Article 155 : « Sans préjudice des autres compétences que lui reconnaît la Constitution ou la loi, le Conseil d’État connaît, en premier et dernier ressort, des recours pour violation de la loi, formés contre les actes, règlements et décisions des autorités administratives centrales. Il connaît en appel des recours contres les décisions des Cours administratives d’appel. Il connaît, dans le cas où il n’existe pas d’autres juridictions compétentes, de demandes d’indemnités relatives à la réparation d’un dommage exceptionnel, matériel ou moral résultant d’une mesure prise ou ordonnée par les autorités de la République. Il se prononce en équité en tenant compte de toutes les circonstances d’intérêt public ou privé. L’organisation, la compétence et le fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif sont fixés par une loi organique. » Comme on peut le remarquer, il devra y avoir 26 Cours d’appel administratives pour les 26 futures provinces et presqu’autant, sinon un peu plus de tribunaux administratifs à essaimer dans plusieurs villes.                      

Les Cours d’appel                                                                                                                      

Il s’agit des Cours d’appel de l’ordre judiciaire, mieux connues de presque tous les justiciables, présentes dans chaque chef-lieu des anciennes provinces et bientôt dans les chefs-lieux de chacune des nouvelles provinces (Boende, Buta, Bunia, Gbado, Gemena, Inongo, Isiro, Kabinda, Kalemie, Kamina, Kenge, Kikwit, Kolwezi, Lisala, Lusambo et Tshikapa), conformément aux dispositions des articles 1 et 2 de la Loi organique no 13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire:                                                                                         

Article 19 : « Il existe une ou plusieurs Cours d’appel dans chaque province et dans la ville de Kinshasa.   Le siège ordinaire et le ressort de la Cour d’appel sont fixés par le décret du Premier ministre. »

Article 20(al.1) : « La Cour d’appel est composée d’un Premier président, d’un ou de plusieurs Présidents et de Conseillers. »

Pour que fonctionnent harmonieusement tous ces Cours et tribunaux, le législateur a institué également des parquets au nombre équivalent, conformément aux dispositions de l’article 65 de la loi précitée : « Il est institué un Parquet près chaque juridiction. Le Parquet est ainsi constitué :

  • près le tribunal de paix, d’un Premier Substitut du Procureur de la République auquel sont attachés un ou plusieurs Substituts du Procureur de la République;
  • près le Tribunal de grande instance, d’un Procureur de la République assisté d’un ou de plusieurs Premiers substituts et d’un ou de plusieurs Substituts du Procureur de la République,
  • près la Cour d’appel, d’un Procureur général assisté d’un ou de plusieurs Avocats généraux et d’un ou de plusieurs Substituts du Procureur général; ». C’est pareil pour les Cours Tribunaux de l’ordre administratif et des cours et tribunaux militaires près desquels l’auditorat est l’équivalent du parquet. Arithmétiquement, nous nous retrouverons avec des effectifs avoisinant ou dépassant12.000, chiffre minimum, rien que pour les magistrats à affecter à travers toute la République et auxquels il faudra impérativement joindre les autres catégories de personnel : greffiers, huissiers, inspecteurs de police judiciaire et secrétaires, à recruter, à former, à affecter et à payer régulièrement.

En 2001, quel ne fut pas notre choc, lorsque nous acceptâmes de répondre à notre affectation à la Cour d’appel de Mbandaka, de trouver un président de cette Cour(par respect pour son âme qui repose en paix, nous préférons taire son nom), couchant sur une natte à même le sol chez un jeune président du Tribunal de paix qui l’hébergeait, les résidences des Hauts magistrats que nous étions ayant été attribuées aux officiers de la SADC, venus prêter main forte à l’armée congolaise contre les troupes de JP Bemba? Dans ces conditions, comment peut-on sereinement et humainement rendre de bonnes décisions judiciaires? Que dire donc des infrastructures immobilières et des équipements et fournitures de bureau (ordinateurs, imprimantes, armoires, étagères, papiers, tables chaises…) le plus souvent acquis grâce à l’aumône extérieure? D’où notre question pertinente et responsable de savoir comment réussir la décentralisation en ce qui concerne le secteur judiciaire.                                                                                                            

Échec prévisible de la décentralisation en matière judiciaire                                          

Sans aucune spéculation ni exagération de notre part, plusieurs éléments objectifs tendent à démontrer que la décentralisation, telle que prévue dans la Constitution en vigueur, a déjà échoué avant même d’avoir démarré. En ce qui concerne le secteur de la justice, les raisons principales de cet échec ont été, sciemment ou de manière irresponsable, prévues et annoncées sous-couvert de dispositions transitoires dans la Loi organique no13/011-B du 11 avril 2013 précitée. Or, personne au Congo n’ignore comment le provisoire s’étale sur plusieurs générations (années).

Article 151 : « Là où ne sont pas encore installés les tribunaux de paix, les tribunaux de commerce et les tribunaux du travail, les tribunaux de grande instance sont compétents pour connaître en premier ressort des matières qui relèvent normalement de la compétence de ces juridictions ».

Article 152 : « En attendant l’installation des tribunaux pour enfants institués par l’article 84 de la loi no 9/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, les chambres spécialisées des tribunaux de paix connaissent des matières dans lesquelles se trouvent impliqué l’enfant en conflit avec la loi et appliquent toutes les règles de procédure prévues par cette loi. »                      

Article 154 : « En attendant l’installations des juridictions de l’ordre administratif, la Cour suprême de justice et la Cour d’appel exercent les attributions dévolues respectivement au Conseil d’État et à la Cour Administrative d’appel prévus par la Constitution et appliquent, chacune, les règles de compétences définies par les articles 146 à 149 de l’’ordonnance n°82-020 du 31 mars 1982 portant code de l’organisation et de la compétence judiciaires. »

A observer le rythme particulièrement lent d’installation des institutions de la Troisième République, il y a de quoi parier que la décentralisation en matière judiciaire ne pourra être achevée que par nos arrières petits-enfants. L’exemple nous vient de la Cour constitutionnelle, dont l’installation qui a pris inutilement du temps, prouve à suffisance l’absence manifeste de volonté politique dans le chef du Parlement et du Président de la République.

Article 124.3 de la Constitution : « Les lois organiques ne peuvent être promulguées qu’après déclaration par la Cour constitutionnelle obligatoirement saisie par le Président de la République, de leur conformité à la Constitution dans un délai de quinze jours. »

Instituée par la Constitution de 2006, la loi qui l’organise n’a été adoptée qu’en 2010, promulguée par le Président de la République le 15 octobre 2013 malgré le délai constitutionnel évoqué ci-dessus, ses membres n’ont été nommés que le 7 juillet 2014, ceux du Parquet général le 19 novembre de la même année. C’est seulement ce samedi 4 avril 2015 qu’ils viennent enfin de prêter tous serment.                                                              

Le nouveau Palais de justice, qui va abriter aussi bien la Cour constitutionnelle, la Cour de Cassation, le Conseil d’État (non encore organisée par une loi) et la Haute Cour militaire n’a été inauguré que le 15 février 2015, sa construction ayant d’ailleurs été entièrement financée non pas par l’État congolais mais par l’Union Européenne. En quelle année alors et avec quel financement commencera-t-on et achèvera-t-on de construire les Palais de justice pour toutes les juridictions de l’ordre judiciaire (militaires et civiles) et de l’ordre administratif, prévues par le Constituant et le législateur et que nous avons énumérées ci-dessus?                                                                                                          

S’agissant du personnel magistrat, selon les prévisions de l’ancien Président du Conseil judiciaire et Procureur général de la République, Kengo wa Dondo (dont nous fûmes étudiant dans son cours de Processus judiciaire), les besoins du pays(qui comptait environ 25 millions d’habitants) en personnel magistrat en 1977 étaient évalués à 5000(Source : l’auteur de ces lignes).Trente huit ans après, avec une population actuellement estimée à 70 millions d’habitants, les sources du Conseil supérieur de la magistrature nous renseignent que le pays ne compte à ce jour que moins 3.500 magistrats, du reste mal payés, soit un magistrat pour 20.000 habitants! Ce qui est une tâche énorme! A l’exception de la ville de Kinshasa, presqu’un peu partout le problème des effectifs se pose avec acuité. « Le Bâtonnier de Kananga, Ambroise Kamukunyi, a été aussi écœuré par la carence des magistrats à Lwebo, Ilebo et Mweka lors de sa récente tournée dans le district du Kasaï. A Mweka, les jugements sont rendus par les autorités traditionnelles, qui président les des tribunaux coutumiers. Le Bâtonnier de Kananga a recommandé aux autorités du pays d’augmenter le nombre des magistrats et de réhabiliter les infrastructures des services de la justice. La même situation est décriée dans la province du Bandundu, notamment à Kikwit, et Bandundu ville. L’année passée, le procureur de la République près le tribunal de grande instance du Kwilu à Bulungu, Laby Rabi Mboyo, se plaignait du fait que 10 magistrats au total prestaient au parquet et au tribunal de grande instance dans le district du Kwilu et à Bulungu. Un nombre jugé insuffisant pour une population évaluée à près de 2 millions d’habitants. Le Maniema est aussi confronté à cette insuffisance des magistrats, qui entraîne le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. Au Sud-Kivu, la situation déplorée par le représentant du Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme en RDC, Todd Howland, à l’issue d’une visite de travail en novembre 2009 à Uvira, n’a pas évolué. Il avait fait état, au tribunal d’Uvira, d’un seul juge pour 8 territoires. » (Source; Radio okapi, 21 mars 2012, http://radiookapi.net/actualite/2010/03/21/carence-des-magistrats-en-rdc-que-faire/).

Il y a plus ou moins trente ans que, faute de moyens financiers, l’école de formation des inspecteurs de Police judiciaire et des greffiers, qui fonctionnait autrefois sous la tutelle du Ministère de la Justice, avait fermé ses portes. La plupart des meilleurs agents de ces catégories du personnel judiciaire sont fin carrière tandis que le rendement de ceux recrutés sur le tas laisse à désirer. (Nous pesons et assumons nos propos, sans crainte d’être contredit par un responsable judiciaire sérieux). Que dire des infrastructures pénitentiaires devant abriter tous les prisonniers qui seront condamnés par les juridictions répressives?

Conclusion                                                                                                                

Considérant que la décentralisation, en tant qu’objectif national à atteindre pour rapprocher l’administration de l’administré, est une chaîne composée de plusieurs maillons, chacun aussi important que les autres, nous nous sommes donné le devoir d’analyser le Pouvoir Judiciaire dans la perspective du découpage territorial. Objectivement et au vu de quelques éléments exposés dans ces lignes, n’importe quel Congolais conscient peut se rendre à l’évidence qu’en cette matière, la décentralisation a déjà échoué avant d’avoir démarré. Ça serait une erreur criminelle de l’envisager uniquement en termes d’élection des gouverneurs des provinces, des députés provinciaux et des autres animateurs des entités territoriales décentralisées(ETD). Tous ces défis qui attendent le secteur la justice concernent pareillement tous les domaines clés de la vie nationale, à décentraliser (Police, ANR, Direction des impôts, DGRAD, OCC, INSS, Office des routes, Office de voirie, Régie des voies fluviales, Environnement, Santé, bref tous les services de l’État). N’est-il pas ridicule et symptomatique que l’Assemblée provinciale de la ville de Kinshasa, la capitale de la République démocratique soit encore locataire dans les installations du collège Boboto? A moins d’avoir un agenda caché derrière une telle décentralisation, nous interpellons la classe politique et conseillons patriotiquement aux passionnés du découpage territorial d’avoir l’humilité de reconnaître que ce projet doit être approfondi et minutieusement étudié dans toutes ses facettes. S’il est jugé opportun, il devra ensuite être budgétisé et planifié en tenant compte des avis des experts de tous les domaines.

En attendant, il vaut mieux fonctionner avec les 10 provinces existantes + la ville de Kinshasa. Un proverbe de chez nous dit : « Avant de mettre l’eau sur le feu pour préparer le foufou, il est conseillé de vérifier au préalable la quantité de farine dont on dispose. ».

Jean-Bosco Kongolo M.

Juriste&Criminologue, C A N A D A

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