Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 29-08-2022 08:05
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La Haute Cour Militaire congolaise est-elle politisée – Quelle réforme de la justice militaire congolaise ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Cette année, les juridictions militaires sont au centre de l’actualité politico-judiciaire en RDC. En mai 2022, la Haute Cour militaire a, dans le procès  d’assassinat des défenseurs des droits de l’homme Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, condamné en appel le colonel de la police Kenga Kenga à la peine capitale. L’un de ses co-accusés, le sous commissaire Jacques Mugabo, a écopé de douze ans de prison ferme. Le major Paul Mwilambwe Londa a quant à lui été acquitté.

Actuellement, la Haute cour milliaire juge François Beya Kasonga, l’ancien Conseiller spécial en matière de sécurité du Président Tshisekedi, ainsi que ses anciens collaborateurs pour participation criminelle à un complot contre la vie ou contre la personne du Président.  La Haute cour militaire a accordé la liberté provisoire à François Beya pour des raisons de santé. Depuis son arrestation par l’ANR jusqu’au début de son procès par une juridiction militaire, l’affaire Beya suscite des réactions diverses les compétences des juridictions militaires dans les dossiers qui impliques des justiciables civils.

Que savoir sur la Haute Cour Militaire ?

L’organisation va de la plus haute juridiction des Forcées Armées qu’est la Haute Cour Militaire et passe par les juridictions intermédiaires, que sont les Cours Militaires, les Cours Militaires

Opérationnelles, les Tribunaux Militaires de Garnison et se termine par les Tribunaux Militaires de Police. Les compétences d’attribution reconnues aux juridictions militaires concernent les matières et le territoire sur lesquels elles s’exercent ainsi que les personnes qui leur sont justiciables.

La Haute Cour Militaire est une des juridictions judiciaires militaires congolaises[1] instituée par  la loi n°023/2002 du 18 novembre 2002 portant code judiciaire militaire.

Selon l’article 6 du Code judiciaire militaire, le siège de la Haute Cour Militaire est établi dans la Capitale[2]. Son ressort ou sa compétence territoriale s’étend sur tout le territoire de la République.

La Haute Cour Militaire est composée d’un Premier Président, d’un ou de plusieurs Présidents et des Conseillers.

Ils sont nommés et, le cas échéant, relevés de leurs fonctions par le

Président de la République, conformément au Statut des Magistrats.

Le Premier Président est nommé par le Président de la République parmi  les membres de la Haute Cour Militaire ou du Parquet militaire près celle-ci.

Selon l’article 82 du code judiciaire militaire congolais : La Haute Cour Militaire connaît, en premier et dernier ressort, des infractions de toute nature commises par les personnes énumérées à l’article 120 du présent Code.

Article 83 : La Haute Cour Militaire connaît également de l’appel des arrêts rendus au premier degré par les Cours Militaires. Les arrêts de la Haute Cour Militaire ne sont susceptibles que d’opposition, conformément à la procédure du droit commun. Toutefois, les recours pour violation des dispositions constitutionnelles par la Haute Cour Militaire sont portés devant la Cour Suprême de Justice siégeant comme Cour Constitutionnelle.

La Haute Cour Militaire peut, à la requête de l’Auditeur Général des Forces Armées ou des parties, rectifier les erreurs matérielles de ses arrêts ou en donner interprétation, les parties entendues.

Selon l’article 120 du code judiciaire militaire congolais : Sont justiciables de la Haute Cour Militaire :

  1. a) les officiers généraux des Forces Armées Congolaises et les membres de la Police Nationale et du Service National de même rang ;
  2. b) les personnes justiciables, par état, de la Cour Suprême de Justice, pour des faits qui relèvent de la compétence des juridictions militaires ;
  3. c) les magistrats militaires membres de la Haute Cour Militaire, de l’Auditorat Général, des Cours Militaires, des Cours Militaires Opérationnelles, des Auditorats Militaires près ces Cours ;
  4. d) les membres militaires desdites juridictions, poursuivis pour des faits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions de juge.

On peut donc admettre que le cas de François Beya rentre dans la catégorie des justiciables mentionnés dans le point b) ci-dessus en raison de la nature des faits  infractionnels auxquels il est poursuivi, à savoir la participation à un complot avec les militaires qui sont d’office justiciables devant les juridictions militaires.

Selon l’article 10, la Haute Cour Militaire est présidée par un officier général, magistrat de carrière.

Pour ou contre la suppression de la justice militaire ?

Plusieurs juristes congolais plaident pour une réforme de la justice militaire et d’autres proposent de les supprimer carrément. C’est le cas de Guy Mbula ea Loondo[3]. Pour lui, les juridictions militaires font depuis un certain temps l’objet de nombreuses critiques. Elles se distinguent des juridictions de droit commun en ce qu’elles doivent préserver une valeur essentielle à l’armée, à savoir la discipline. Ces critiques font partie d’un mouvement d’idées qui considère que l’armée ne constitue pas un corps particulier méritant une justice en marge de la justice civile. Ce faisant, les juridictions militaires devraient être supprimées.

Ainsi, nombreux sont les Etats qui ont opté pour la suppression des juridictions militaires. C’est le cas de la Belgique où, depuis le 1er janvier 2004, les juridictions militaires ont été supprimées en temps de paix et elles ne peuvent être restaurées qu’à titre exceptionnel, c’est-à-dire en temps de guerre pour juger les infractions commises par les militaires et des personnes qualifiées de combattants armés dans les opérations militaires. Les militaires, pour les infractions d’ordre public, sont poursuivis par des juridictions civiles de droit commun[4].

En France, la loi 82-261 du 21 juillet 1982 relative à l’instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l’Etat a supprimé, en temps de paix, les tribunaux permanents des forces armées ainsi que le Haut tribunal permanent des forces armées. En revanche, elle a maintenu, pour le temps de guerre, des juridictions militaires. Tout comme en Belgique, les infractions au code de justice militaire ainsi que les crimes et délits de droit commun commis par les militaires dans l’exécution du service ne relèvent donc plus de la compétence des juridictions militaires, mais de celles des juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire. Celles-ci sont compétentes pour juger des crimes et des délits commis en temps de paix sur le territoire français par des militaires[5].

Les partisans de la suppression des juridictions militaires

Plusieurs juristes et experts judiciaires plaident pour la suppression de la justice militaire en RDC. C’est le cas de Guy Mbula qui relève les violations graves des droits fondamentaux de la personne du fait de la politisation de la justice militaire, de l’absence des voies de recours devant les juridictions militaires et des dérives de la cour d’ordre militaire. La politisation des juridictions militaires est tributaire du faible degré de démocratisation du pays. Les juridictions militaires servent aux autorités de contourner le respect des droits fondamentaux de la personne par le biais d’une justice expéditive. Cette parodie de justice s’est instituée en mécanisme de terreur. Les personnes justiciables de ces juridictions, mêmes civiles, ne peuvent exercer des voies de recours. La réforme de la justice militaire avec la loi n°023-2002 portant code judiciaire militaire qui a tenté de sauvegarder la discipline militaire tout en respectant les droits fondamentaux de l’homme ne semble pas suffisante. Les voies de recours, la règle du juge naturel et le respect des délais de procédure ne suffisent pas à notre point de vue pour garantir une justice indépendante et respectueuse des droits fondamentaux de l’homme. Aussi, proposons-nous la suppression des juridictions militaires, sauf en temps de guerre, conclut Guy Landu[6].

Les défenseurs du maintien d’une justice militaire mieux réformée

D’autres juristes, dont le colonel-magistrat américain (d’origine congolaise) en retraite Amisi bin Mubangu, plaident pour le maintien des juridictions militaires tout en exigeant une réforme fondamentale de la justice militaire, tant dans sa conception que dans  son organisation et son fonctionnement. « Elle doit être démantelée en faveur d’une justice militaire véritablement distincte, efficace et responsable ». Une telle justice militaire moderne garantira le bon ordre et la discipline au sein de l’armée tout en fournissant les garanties judiciaires et les droits  fondamentaux accordés aux  soldats au cours des  poursuites  judiciaires et des procès proprement dits tenus devant les tribunaux militaires dans les sociétés démocratiques[7].

Pour le colonel Amisi bin Mubangu, s’agissant de la RDC, par exemple, une justice militaire distincte de la justice civile s’impose en RDC à cause de la déliquescence du système judicaire civil non fiable. Un autre élément qui, selon Mubangu, plaide en faveur d’une justice militaire indépendante est le fait que « les soldats ne sont pas des civils. Leur conduite individuelle est soumise à un plus large éventail de sanctions pénales et disciplinaires ». La différence entre la communauté militaire et la communauté civile d’une part et entre le droit applicable aux civils et le droit militaire d’autre part exige l’adoption d’un code de justice militaire totalement séparé et distinct du code pénal général. Un code pénal militaire réglemente certains aspects de la conduite des militaires, qui, dans la vie civile, ne sont pas pénalement réglementés. Si un code pénal général incrimine un segment relativement petit du potentiel humain, un code pénal militaire interdit une gamme beaucoup plus large de la conduite du personnel militaire.  Le champ d’application très large d’un code pénal militaire réprime clairement non seulement le comportement criminel, mais il favorise également une organisation militaire ordonnée et dévouée[8].

Démilitariser la justice militaire congolaise pour les infractions de droit commun

En ce qui me (Jean-Jacques Wondo) concerne, j’abonde en partie dans le même sens que M. Mbula. Il est temps de démilitariser la justice militaire congolaise pour les infractions de droit commun commises par les militaires et ne garder la justice militaire que pour les infractions commises par les hommes en armes lors de l’exercice de leurs activités (pendant les opérations militaires ou lors des missions de police).

Il faudrait restreindre drastiquement les compétences des juridictions militaires, particulièrement à l’égard des justiciables civils poursuivis par les juridictions militaires. L’objectif est de contrer des dérives politiciennes des gouvernants, attentatoires aux droits politiques de leurs adversaires politiques. Dans le cours de l’histoire congolaise, les hommes au pouvoir ont instrumentalisé la justice militaire pour neutraliser des militaires patriotes, en fomentant de vrais faux coups d’état comme nous l’avons connu sous Mobutu et Laurent-Désiré Kabila.

Avant l’avènement de ce dernier au pouvoir, les militaires étaient justiciables des juridictions répressives civiles lorsqu’ils étaient poursuivis en corréité avec les civils. Depuis lors, c’est l’inverse, avec pour conséquence qu’un seul militaire entraîne désormais plusieurs coauteurs civils devant les juridictions militaires. Les professionnels de la justice se souviennent de la justice expéditive et aux ordres, administrée sous l’AFDL à l’époque où les feux Général Mukuntu et Colonel Charles Alamba, respectivement Président de la Haute Cour militaire et Auditeur général de l’armée. Sous leur règne, en effet, des justiciables privés de voies de recours furent condamnés à mort et exécutés le soir de leur sentence tandis que d’autres, comme Eddy Kapend et les autres ont vieilli injustement en prison ou y sont décédés.

Pas de réforme efficiente de l’armée sans la réforme de la justice militaire

La réforme du secteur de la sécurité est une condition nécessaire pour la démocratisation et le développement des pays en quête de stabilité[9]. Le contrôle civil adéquat de l’armée reste essentiel à la formation d’une armée réellement républicaine au  service – et soumis à – du pouvoir politique civil dont il reste l’instrument et qui lui assigne la mission en fonction des objectifs stratégiques de l’Etat.

L’enjeu ici est la nécessité de limiter le pouvoir politique de l’armée ou l’immixtion de l’armée dans la sphère politique. Un second enjeu est la nécessité d’avoir des forces armées disciplinées, où règnent l’ordre, le droit et l’éthique en faisant de sorte que l’appareil de justice militaire soit compatible avec les normes des droits de l’Homme de l’Etat de droit.

En Europe, la plupart des lois militaires européennes sont conformes à la Convention européenne des droits de l’homme. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples offre un point de référence analogue pour assurer la conformité des systèmes de justice militaire africains au droit national et international[10]. Les autorités politiques africaines – congolaises –doivent s’efforcer de réformer la justice militaire et police militaire afin d’en renforcer les capacités et les compétences. Elles doivent également mettre en place une législation adéquate visant à dépolitiser la justice militaire et à promouvoir le respect des Droits de l’Homme et le genre, et à lutter contre l’impunité dans les rangs des forces armées et de sécurité.


Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Criminologue pratiquant et expert des questions militaires et de sécurité
Texte relu par Jean-Bosco Kongolo, Juriste, Criminologue et Ancien magistrat en RDC ayant délibérément démissionné

Références

[1] Les juridictions militaires congolaises sont : les Tribunaux Militaires de Police ; les Tribunaux Militaires de Garnison ;  les Cours Militaires et les Cours Militaires Opérationnelles et la Haute Cour Militaire.

[2] Selon l’article 7 :

Dans le cas de circonstances exceptionnelles, le siège de la Haute Cour Militaire peut être fixé en un autre lieu, par le Président de la République.

En temps de guerre, la Haute Cour Militaire tient des chambres foraines en zones opérationnelles.

[3] Guy MBULA ea LOONDO, Problématique de la suppression des juridictions militaires en droit congolais, Kinshasa, 2005.

[4] https://www.lalibre.be/belgique/2009/12/03/la-justice-militaire-en-panne-I54AY73R4REGPGYPSXKGQC4RCM/.

[5] Sénat (France) – Service Des Affaires Européennes, La justice militaire, décembre 2000.

[6] Guy Mbula ea Loondo, Problématique de la suppression des juridictions militaires en droit congolais, Kinshasa, 2005.

[7] Amisi Bin Mubangu, République démocratique du Congo, 1960-2010, De l’ANC aux FARDC, Editions du Pangolin, Huy (Belgique), 2010,p.70.

[8] Amisi Bin Mubangu, ibid., p.72.

[9] Herbert, Wulf, Réforme du secteur de la sécurité dans les pays en développement et les pays en transition », p.10, http: // www.berghof − handbook.net/documents/publications/frenchwulfdialogue2.pdf.

[10] Emile Ouédraogo, op. cit., p.51.

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2 Comments on “La Haute Cour Militaire congolaise est-elle politisée – Quelle réforme de la justice militaire congolaise ? – JJ Wondo”

  • cosmos

    says:

    salut monsieur jean jacques wondo,
    après lecture de votre article sur la question de l’abolition ou non de la justice militaire en rdc, pensez vous qu’en abolissant ou en passant par des reformes sérieuses comme en Belgique et la France, le respect de droits de l’homme sera-t-il d’observation par la justice militaire en rd
    MERCI
    MUKUTU MUTINDO COSMOS JURISTE CONGOLAIS DEPUIS KINSHASA

    • La réforme de la justice militaire doit tenir compte des infractions à caractère militaire en cas de conflit armé et les infractions de droit commun commises par les hommes en armes.
      Pour les premières, des tribunaux spéciaux peuvent être mis en place. Pour les secondes infractions, ce sont des juridictions civiles devraient en être compétentes. Quant au respect des droits humains, c’est une question de révolution dans la mentalité collective es Congolais et de ce que les Congolais veulent comme justice. Aujourd’hui la Justice congolaise est le siège par excellence de toutes les antivaleurs qui ne permettent pas de promouvoir les principes fondamentaux desdroits humains et de l’État de droit.

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