La Guerre Contre l’Homme Noir : De Charleston à Beni-Butembo
Germain Nzinga Makitu
Les funérailles des dernières victimes de l’attentat de Charleston ont été célébrées le week-end dernier et c’est l’heure propice de faire le bilan d’une tuerie qui a choqué le monde en entier. Dans cette étude, nous nous emploierons à considérer la barbarie de Dylan Roof moins comme un acte isolé que comme la partie visible d’un immense iceberg. Ces tueries sont donc à mettre en corrélation avec les nombreux autres assassinats des noirs qui se déroulent dans différentes villes étasuniennes et ailleurs dans le monde, plus particulièrement à Beni-Butembo dans l’Est de la République Démocratique du Congo où la chasse à l’homme est devenue le sport favori des puissants de la terre.
Les concordances fort troublantes entre les violences aux Etats-Unis et celles au Congo-Kinshasa
Le lecteur sera d’emblée choqué de comparer la barbarie innommable qui se déroule au Congo-Kinshasa à celle qui se déroule aux USA, comme dirait entre une république bananière et la première démocratie du monde. Cependant, il suffit d’ouvrir les yeux pour s’apercevoir des liaisons dangereuses qui se cristallisent dans la Main invisible qui actionne la barbarie au Congo.
Dans ses premiers contacts avec l’Occident, le Royaume Kongo sera mis au défi du commerce triangulaire. Les européens quand ils eurent accès aux immensités du continent américain, entreprirent de cultiver les produits tropicaux tels le café, le cacao, le tabac, le sucre des cannes fort prisés par l’aristocratie européenne. A défaut des travailleurs indiens pour œuvrer dans ces cultures, ils eurent recours aux prisonniers européens et aux engagés volontaires, avant de faire recourir aux esclaves noirs africains[1], une main-d’œuvre gratuite à souhait.
La chasse aux nègres avait commencé dans ce commerce transatlantique. Une chasse impitoyable sur laquelle le roi Mvemba Nzinga, écrivant le 6 juillet 1526 une lettre de protestation à son « frère » et homologue portugais, le prince Dom Joao, dénonçait les agissements des esclavagistes portugais sur son sol : « Les marchands enlèvent chaque jour nos sujets, enfants de ce pays, fils de nos nobles vassaux, même des gens de notre parenté. Les voleurs et hommes sans conscience les enlèvent dans le but de faire trafic de cette marchandise du pays qui est un objet de convoitise. Ils les enlèvent et les vendent. Cette corruption et cette dépravation sont si répugnantes que notre terre en est entièrement dépeuplée»[2].
Cette plainte fut complètement ignorée de l’autre coté et les esclaves noirs continuaient à remplir des soutes de bateaux en direction des Amériques. Quelque part s’est établie la première complicité dans les alliances militaires qui furent conclues entre occidentaux et africains, « alliances où l’on échangeait armes contre captifs. Ces accords ponctuels prirent bientôt des partenariats commerciaux codifiés »[3].
Pour mieux relever les concordances mortelles entre l’Amérique et le Congo, entre les liaisons dangereuses qui s’établissent entre ces deux entités, il sied de relever combien les Kongo et d’autres peuples africains se firent les complices d’un système qui dépeuplait et portait leurs propres peuples à la mort.
En effet, aux premières razzias des explorateurs, aux rapts sporadiques succéda peu à peu un système organisé d’approvisionnement. En jouant de la force et de l’intérêt, les puissances européennes parvinrent à s’assurer la collaboration des pouvoirs africains[4]. Ce sera désormais des complices autochtones qui se chargeront d’attaquer les villages sans défense ou des familles isolées pour les porter comme des marchandises aux occidentaux.
Comparaison n’est pas raison, mais il vaut la peine de souligner le parallélisme de cette traite des noirs orchestrée par des occidentaux via des complicités locales et le climat de terreur que vit le peuple congolais, un climat d’assassinats ciblés et assassinats de masse, orchestré par un régime politique guidé par des fils du pays mais servant de cheval de Troie aux puissances occidentales dont les Etats-Unis.
S’il faut aller en détail de la violence qui sévit à l’Est du Congo, celle-ci comprise à la lumière de la barbarie qui s’exerce contre les noirs vivant sur le sol américain, nous pouvons relever de part et d’autre le même dessein de les éliminer de la surface de la terre. Conformément aux mobiles supraracistes qui ont guidé l’action de Roof Dylan et les autres mouvements racistes américains dont le geste de ce jeune homme n’est qu’une simple émanation, les tueries en masse en cours sur le territoire congolais obéit à cette même logique de supprimer les différences, de rayer les indigènes de la carte pour prendre possession de leurs terres.
Rappelons-nous que les tueries de Charleston font suite à une triste série noire. Le samedi 4 avril 2014, au Nord Charleston, en Californie du Sud, Michael Slager, un policier de 33 ans, arrête un automobiliste noir de 50 ans, Walter Scott. Ce dernier tente de s’enfuir et le policier lui tire huit balles dans le dos à bout portant. Début juin de la même année, à McKinney, dans l’état du Texas, un policier texan a démissionné après avoir plaqué au sol et menotté une adolescente de 14 ans qui ne représentait aucun danger. Pire, il ne s’est acharné que sur les adolescents noirs qui participaient à une « Pool Party » sans inquiéter les blancs.
Rien qu’en ces derniers mois, Washington Post recense à 385 le nombre de personnes tuées par la police aux Etats-Unis. Et selon l’enquête, les deux de tiers des victimes non armées sont noires ou hispaniques. A Beni, cette hécatombe va crescendo depuis deux décennies, rendant cette ville prospère en commerce et en bonheur de vivre, une cité-fantôme, désormais couverte par la peur de mourir et la soif de survivre.
Aux Etats-Unis comme au Congo, la tension sociale est à son comble parce que l’homme noir se sent traqué. Puisque c’est contre lui que s’est déclenchée une véritable guerre qui ne dit pas son nom. Quand ce n’est pas la police ou les forces de l’ordre qui assassinent les Noirs, c’est la classe sociale s’estimant supérieure aux autres compatriotes qui se charge d’élaguer la société de tous ses éléments perturbateurs.
Toute chasse à l’homme noir suppose une théorie de sa proie
Cinq jours après le massacre de Charleston et dans un contexte national marqué par la multiplication des bavures policières contre les jeunes de la communauté noire, le président Barack Obama a crevé l’abcès le 23 juin 2015 en posant, 239 ans après l’indépendance américaine, un diagnostic cinglant : « la vérité, affirme-t-il sans ambages, est que la discrimination existe toujours dans chaque domaine de notre vie, cela fait partie de notre ADN ( …). Nous ne sommes pas encore guéris de cela. »
La déclaration d’Obama insinue que ce mal est plus profond que l’on ne veut le croire et que finalement Dylan Roof est loin d’être un simple malade mental comme ont voulu le faire excuser les médias dominants, mais plutôt « le produit de toute une mouvance suprémaciste aussi habile que les jihadistes de Daesc à infecter l’internet. »[5]
Sur la photo de sa page facebook, Dylan Roof porte un blouson arborant l’ancien drapeau de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid où le racisme était institutionnalisé. Ce jeune homme de 21 ans clamant son admiration pour la suprématie blanche sur les réseaux sociaux est le produit de toute une culture qui a pris racine dans la société américaine. Sur le sillage de ses aïeux, Dylan croit fermement que les Blancs sont supérieurs à tous les autres êtres humains dont les Noirs, les Hispaniques, les Asiatiques, les Arabes ou les Juifs. L’idéologie suprémaciste qui guide ses tueries se veut indissociable du racisme et de l’antisémitisme.
Ils sont nombreux aux USA à penser comme ce jeune tueur. Washington Post rapporte que The Southern Poverty Center qui fait le suivi des groupes vivant de haine raciale sur le territoire américain, évaluait le 30 décembre 2014 à l’existence de pas moins de 930 groupes dans ce pays de droit[6]. Le groupe emblématique de cette idéologie étant le Ku Klux Klan (K.K.K.), une organisation fondée en 1865 après la guerre de Sécession qui a vu la défaite des Etats du Sud face aux Etats antiesclavagistes du Nord. Le K.K.K. comptant actuellement environ 30.000 membres actifs, continue à intimider les noirs et à les prendre en filature et à leur livrer des attentats.
En analysant ce qui se passe présentement à Beni-Butembo où les hommes prédateurs, des congolais vêtus en treillis des armées étrangères, se livrent à des parties de chasse de leurs propres conationaux, j’en viens à me persuader que la chasse à l’homme n’appartient point au passé. Aux USA comme au Congo, l’homme noir est encore traqué, poursuivi, pourchassé, capturé ou tué sous les formes classiques de la chasse. Les affirmations pathétiques d’Ottabah Cugoano se font d’une grande actualité : « La vie d’un africain n’est d’aucun prix, dit-il. Nous sommes les proies que les chasseurs prennent dans les déserts et des bêtes que l’on tue à volonté »[7]
Mais chasser les hommes noirs, les traquer, suppose de les avoir au préalable chassés, expulsés ou exclus d’un ordre commun. Toute chasse s’accompagne d’une théorie de sa proie, qui dit pourquoi, en vertu de quelle différence, de quelle distinction, certains peuvent êtres humains chassés et d’autres pas. Elle établit des frontières invisibles entre classes sociales et intime à chacune de ne pas outrepasser la ligne crête.
L’idéologie raciste fournit une base pseudo-scientifique à l’ancienne catégorie aristotélicienne de l’esclave par nature pour admettre la servitude naturelle des noirs. La grande invention théorique du racisme impérialiste, c’est la zoologisation des rapports sociaux. Les relations entre espèces deviennent le modèle privilégié pour penser les rapports entre les peuples. Tout est pensé et planifié pour faire des noirs des créatures à acquérir, à soumettre et à proscrire comme hors-la-loi. Cette violence se veut la manifestation d’un mouvement brutal d’expropriation et d’appropriation économiques, accusant sa soif ardente d’or et de coltan, qui ne s’altère qu’en tuant jusqu’à leur extermination les ayant-droit pour occuper leur sol et exploiter leur sous-sol.
C’est en ces termes que l’on peut expliquer et justifier la prédation esclavagiste. Les Noirs eux-mêmes sont condamnés à rester inférieurs. Comme un chien de caniche ne peut changer en chien de chasse, ainsi, à leur dire, d’un nègre, on ne fera jamais un Platon ou un Aristote.[8] Selon les nations esclavagistes, les noirs demeurent intrinsèquement responsables de leur asservissement et personne n’y peut rien. Pourtant Cette théorisation raciale de l’esclavage s’avère du pur sophisme. Les Blancs en sont complètement responsables. En perpétrant leurs crimes, ils ne font que se conformer à leur élan prédateur que leur imprime la présupposée supériorité de leur race.
La violence raciste avec l’élan de destruction-éradication
Revenant sur les circonstances de l’assassinat de Bob Kennedy, l’historien André Kaspi nous révèle le projet de société de ce politicien démocrate. Ce dernier prévoyait une fois élu président américain, faire de gros efforts pour venir en aide aux plus démunis et supprimer ce qui subsiste de ségrégation entre Noirs et Blancs. Or la situation raciale était très tendue. Les membres du Black Power mènaient la vie dure aux institutions, tandis que la police n’hésitait pas à tirer à balles réelles pour mater les manifestants (…) L’état de violence aux Etats-Unis en cette année 1968 attegnit des sommets : des dizaines des noirs sont tués, des milliers de leurs maisons incendiées…[9]
L’assassinat de Bob Kennedy dans ces conditions pouvait avoir été l’œuvre des extrémistes et racistes blancs, tels ceux de la John Birch Society, qui luttaient contre la possibilité que Bob Kennedy prenne le pouvoir parce que « jugé comme un allié objectif de ces dirigeants noirs »[10].
Toujours cherchant plus de lumière sur l’assassinat de ce jeune politicien américain, Arthur Schlesinger, au terme d’une étude très pertinente, arrive à cette conclusion servant d’avertissement à la postérité : « les Américains sont le peuple le plus effrayant de la planète. Leurs actes de violence ne sont pas des accidents. Ils ont leur origine dans notre passé national. Ces actes ont commencé lorsque l’homme blanc s’est mis à assassiner les Indiens et à faire des esclaves de ceux qu’il considérait des inférieurs à cause de la couleur de leur peau. Nous sommes marqués par notre société d’un droit inné, la violence qui apparait dans le zèle que nous mettons à poursuivre une guerre irrationnelle au Vietnam. »[11]
De ces indiens et de ces esclaves noirs, les américains pratiquaient une double espèce de chasse. La première était une chasse-capture ou une chasse-acquisition. Ici le gibier ne devait pas être tué mais devait rester la proie vivante à utiliser dans des travaux d’agriculture de la ferme. Dans la deuxième chasse appelée chasse-abattage, en revanche, le but principal était l’éradication de la population pour la conquête de son territoire. Les maladies ne furent pas les seules causes de la décimation des populations indigènes indiennes mais surtout la politique d’extrême violence visant leur destruction et leur extermination totale.
Les Blancs traitaient ces indigènes comme des êtres imparfaitement humains pour les dominer, parfaitement inhumains pour les proscrire ou essentiellement humains pour les convertir. Ces qualificatifs variaient selon ce qu’ils comptaient obtenir d’eux. Mais ces variations ontologiques ne faisaient que traduire philosophiquement le triple rapport du pouvoir qu’il s’agissait d’appliquer sur eux comme sur les esclaves noirs: le pouvoir du maitre à esclave, celui du souverain ou celui du pasteur. Au fond des choses, l’humanisme occidental revêtait les habits d’une déshumanisation théorique et pratique de l’ennemi pour mieux le bestialiser et trouver justification à sa soumission ou son éradication.
Quelle similitude ici avec la violence en exercice au Congo ! En analysant le qualificatif de bmw attribué d’une façon indistincte à tout congolais, j’ai fini par comprendre l’astuce de cette injure qui n’est au fond qu’une communication politique pour justifier auprès de l’opinion internationale l’avantage qu’il y a à éliminer ce peuple bon à rien sinon à boire, à danser et à forniquer. Derrière cette injure, il y a la volonté à peine voilée des puissants d’éliminer les congolais de la surface de la terre en vue de mieux les déposséder de leurs terres et en donner « la gestion à un peuple voisin plus organisé. »[12]
Dès le départ, les Etats-Unis et le Congo sont deux pays socialement inégalitaires et divisés entre riches et pauvres/ entre maitres et esclaves
Derrière les beaux textes législatifs qui distillent un langage englobant faisant des américains comme des congolais les membres heureux d’une même grande famille nationale en termes de sécurité nationale, d’intérêt national et de défense nationale, il sied de voir plus loin et relever les non-dits d’une certaine phraséologie juridique.
Howard Zinn attire notre attention sur le préambule de la Constitution américaine : « Nous, le peuple des Etats-Unis… ». Cette formule « nous, le peuple », ayant fondé ce pays et nous le peuple ayant adopté cette constitution est dans les faits ces 55 hommes riches et blancs qui, réunis à Philadelphie en 1787, ont adopté la Constitution, document qu’ils avaient rédigé dans le but de servir leurs propres intérêts, en d’autres mots ceux de leur propre classe sociale »[13].
Bien que cette constitution soit présentée dans ses beaux habits d’un instrument pour le bien commun, les Noirs et les Autochtones indiens savaient qu’elle n’était pas faite pour eux. Ce qui revient à dire que dès les premières heures de son existence, les Etats-Unis étaient un pays des riches et des pauvres, des propriétaires terriens et des fermiers, des maitres et des esclaves.
Sinon comment comprendrions-nous que cette constitution proclamée depuis des lustres, ce n’est qu’en 1954 que sera officiellement mise en pratique l’égalité de races dans les écoles et qu’il fallait attendre l’année 1964 pour abolir la discrimination raciale dans les lieux publics, les établissements d’embauche etc. Tandis que la loi étendant aux minorités raciales et aux femmes le droit d’accéder aux urnes ne surviendra quant à elle qu’en 1965 et celle qui interdit toute discrimination raciale pour l’accès au logement en 1968.
Cette logique dominatrice teintée d’un Apartheid social sera la toile de fond de l’Acte de Berlin qui marquera les premières heures de l’existence du Congo comme pays. La rédaction de cet acte à laquelle participera la puissance américaine via ses deux délégués le Sieur John A. Kasson et le Sieur Henry S. Sanford, gardera cette logique souterraine de domination des uns sur les autres qui fera du rapport des nouveaux occupants aux indigènes celui de maitres à leurs esclaves.
Quand en février 2006, sera proclamée la Loi fondamentale Congolaise, élaborée à Liège et qui fera entrer le peuple congolais dans sa troisième république, l’on s’apercevra très vite qu’elle aura été taillée sur la mesure des ambitions politiques d’un individu : Joseph Kabila[14] et de la classe de riches dont il est le fidèle laquais.
Tout comme une ligne de crête se tracera entre les Gardes républicaines et les Forces Armées congolaises, la même dichotomie se lira entre des américains enrôlés dans l’armée selon qu’ils étaient des jeunes fermiers ou des officiers qui conduira à la révolution des Shays. Ici encore l’on voit plus clair en prenant connaissance de la lettre d’un général, compagnon d’armes de Georges Washington : « Les soldats qui ont participé à la guerre d’indépendance croient mériter, pour cette seule raison, une part égale de la richesse du pays. Pas question ! On a défini la constitution en vue de mettre en place un Etat fort, apte à réprimer la rébellion des pauvres ou des esclaves et à protéger les colons contre les Autochtones qui semblaient croire que le territoire sur lequel ceux-ci s’installaient était le leur. »[15]
L’idéologie de suprématie raciale de Dylan Roof et de ses réseaux s’inscrit ni plus ni moins dans une lutte des classes qui a été tracée par le texte fondateur de ce pays. Tout comme aux Etats-Unis, la Constitution défend les intérêts d’une classe, celle des détenteurs d’obligations, des propriétaires d’esclaves, des marchands et des spéculateurs des terres de l’Ouest, au Congo-Kinshasa, elle défend les intérêts partisans du groupe de Binza et des dinosaures des lobbies maffieux, de tous ces nouveaux riches qui en complicité avec les fossoyeurs du peuple congolais, prennent la vilaine habitude de se nourrir du sang des cadavres congolais qui meurent de misères et d’abandon. Ils ont remplacé valablement les colons et appliquent sur leurs propres frères le double du calvaire d’asservissement et de cruautés.
Dans la nation américaine considérée comme le pays le plus riche de la planète, l’on se demande pourquoi la pauvreté frappe les noirs plus que d’autres communautés. En dépit du décret 10925 dit Executive Order de John Kennedy[16] et du Décret 11242 sur la discrimination positive de Lyndon Johnson[17], la majorité de noirs restent entassés dans les ghettos, « pataugeant dans la pauvreté, la criminalité, l’usage de drogues (…) au milieu des gangs qui imposent leurs loi dans les rues et dans les immeubles. »[18]
Ici et là, les constitutions ont scellé une fois pour toutes la domination d’une classe sur les autres à telle enseigne que la plupart de temps, le gouvernement en place ne défend plus qu’un intérêt plutôt que le Bien Commun. Durant ces dernières décennies, cette idéologie atteindra son paroxysme sous l’administration de Bush. Sous l’impulsion des théoriciens néoconservateurs, elle deviendra ce patriotisme de pacotille qui, sous couvert de célébrer l’unité du pays, masquera les fractures sociales et les violences qui en marquent la vie quotidienne.
Ce n’est pas le président noir Barack Obama qui viendra changer la donne. Investissant dans une stratégie de guerre avec zéro mort, via des drones et des puissances alliées interposées, l’actuel président américain partage quelque chose en commun avec le président congolais : persister pour Obama à mener une politique militariste contre les étrangers et pour Kabila, diriger les chars de combat contre son propre peuple. Les deux chefs d’état se sont si bien lancés dans une politique militariste que l’on ne pourra jamais compter sur eux pour mettre fin à la guerre et pour remédier aux injustices socio-économiques dont souffrent leurs populations respectives.
La justification impériale d’une guerre totale pour la conquête des territoires
Dylan Roof posant devant une statue d’esclaves avant les massacres de Charleston, écrit une explication qui en dit long au geste qu’il se prépare de commettre : « Je n’ai pas de choix, écrit-il. Je ne suis pas capable d’aller tout seul dans le ghetto pour combattre. J’ai choisi Charleston, parce que c’est la cité la plus historique de mon Etat et où en même temps le pourcentage des noirs est le plus élevé par rapport aux blancs dans le pays. »[19] Dylan Roof fait là un constat amer de déséquilibres démographiques et des menaces qui pèsent sur sa communauté blanche dans le cas où les autres minorités continuent de gagner du terrain. Il constate aussi l’inertie des siens et que finalement seul lui se sent investi de la mission de nettoyer le terrain des cafards pour rétablir l’ordre social tel que voulu par ses maitres à penser.
C’est dans ce sens qu’il va continuer la rédaction de son testament en ces termes : « Ici nous n’avons ni skinheads, ni un vrai KKK, personne ne fait rien sinon parler sur internet. Eh bien quelqu’un devait avoir le courage de faire quelque chose de réel et je crois que cette tache revient à moi ».
Tandis que la pensée de Dylan Roof traduit l’état d’esprit à l’intérieur de la société américaine, il faut chercher le lien qu’elle tisse avec l’idéologie américaine régnante lorsqu’elle trouve justification d’attaquer n’importe quel pays de la terre au nom d’une mission dont elle se trouve investie. A l’état actuel des choses, l’Empire américain est dans l’option d’une guerretotale, tantôt hard power, tantôt soft power et tantôt smart power partout dans les cinq continents pour étendre son champ d’action et son hégémonie territoriale.
C’est donc avec raison que dans son discours de campagne électorale en 2007, Barack Obama encore lucide et moral, déclarera : « nous devons nous retirer de l’Irak, mais, chose plus importante, nous devons nous défaire de l’état d’esprit qui nous y amenés ». Et de cet état d’esprit, l’on peut déduire cette fausse croyance, à l’intérieur de la société américaine, en la suprématie des Blancs sur les autres minorités sociales et, vis-à-vis d’autres pays du monde, une autre fausse croyance américaine dans son droit de dominer les autres peuples grâce à la soi-disant mission exceptionnelle qu’elle a reçue de porter la culture démocratique et la civilisation dans le monde.
Jean-Pierre Mbelu a vu juste lorsque, dans les tueries de Charleston, il a essayé de circonscrire le geste de Dylan Roof tout comme cet état d’esprit américain dans « une dimension structurelle et structurante qui n’est rien d’autre que la matrice organisationnelle de la politique étrangère US qui est celle des projets d’extermination de plusieurs peuples autochtones du monde pour s’emparer de leurs terres, de leurs matières premières stratégiques et les dominer »[20].
Cet état d’esprit envoûte le peuple américain et l’accable, il le flatte en le persuadant de la mission « civilisatrice » et de la supériorité des Etats-Unis, l’entraînant avec enthousiasme dans une suite ininterrompue des guerres.
La seule préoccupation essentielle des administrations américaines qui se succèdent, c’est de consolider et d’étendre dans un rayon toujours indéfini la puissance et l’autorité américaines. Déjà vers les années 2000, Samuel Huntington en appelait à un « nationalisme robuste » qui unirait tous les américains derrière un credo trinitaire : Dieu, la nation et l’armée en vue de faire en sorte que la puissance américaine demeure pour toujours à son apogée.[21] Et cette armée, avouons-le, est devenue l’instrument d’expansion des intérêts économiques et géostratégiques américains.
A l’instar de l’empire romain, l’empire américain se trouve au centre des réseaux de contrôle et de communication qui couvrent le monde entier et se donne via sa puissance militaire les moyens de modeler la politique internationale[22]. Ce n’est donc pas un hasard que Thomas Paine en arrive à cette conclusion que « la cause des Etats-Unis est aujourd’hui à maints égards celle de l’humanité. »[23].
Le Congo-Kinshasa plongé dans une guerre longue et impopulaire, comptabilisant déjà six millions de morts est en train de payer au prix très fort cette idéologie mortifère américaine. Tant il est vrai que les hordes barbares qui viennent égorger les congolais à Beni reçoivent indirectement les ordres de ceux-là qui ont choisi d’appliquer la stratégie du chaos dans ce pays qui, depuis ses premières heures d’existence, a toujours servi fidèlement les intérêts de la première puissance yankee.
Rêver d’une autre Amérique et d’un Congo nouveau…
Les élites américaines ont considéré leur pays depuis 1945 comme un Etat impérial investi de la grande responsabilité d’organiser et de maintenir un minimum de l’ordre mondial. D’après elles, donc, leur pays constitue le nombril du monde autour duquel orbitent d’autres nations. Cette conception a des conséquences lourdes sur la marche du monde. En effet, « cette position cosmologique émane d’une longue expérience de domination qui a conduit Européens et Américains à s’imaginer comme sujet pensant de l’histoire des autres et se prendre pour le telos de l’Histoire[24].
C’est dans la suite de cette idéologie suprématiste qu’il faut inscrire le geste de Dylan Roof en particulier et la tendance de la race blanche de se croire autorisée de régner sur les autres peuples de la terre. C’est la même idéologie qui, par le Rwanda interposé, sème chaos et désolations à l’Est du Congo. C’est la même idéologie qui se croyant tout permis génère morts d’hommes à longueur de journées dans la cité de Beni-Butembo dont les images macabres publiées avant-hier par le siteweb desc-wondo révulsent les bonnes consciences. Des populations entières sont massacrées à l’arme blanche. Elles vivent dans une espèce des camps de concentration et d’extermination où se réveiller encore vivant le lendemain devient une véritable gageure.
Le risque dans ce contexte est énorme en termes de l’illusion pour les occidentaux de croire que leur mode de vie est préférable à celui de tant d’autres gens qui vivent ailleurs. Cette illusion les rend aveugles, plonge les élites occidentales dans un dangereux narcissisme et les empêche de voir l’ennemi intime qui est tapi au plus profond de chaque américain. Un ennemi redoutable nommé suprématie raciales et capitalisme sauvage n’ayant plus besoin de la démocratie et désirant ardemment les catastrophes[25]. Cet ennemi intime constitue plus qu’une aberration épisodique de la pensée européenne ou des moments isolés de folie humaine. Il se veut au contraire comme une partie intégrante de l’expérience européenne[26].
Cet ennemi consubstantiel à la culture occidentale de domination du monde infléchit la politique intérieure et extérieure dans le sens opposé à la solidarité. Il a généré une globalisation économique privant les peuples de leur pouvoir politique. Il a donné suite à la logique du management qui aboutit au formatage des esprits, au populisme et à la xénophobie, bref une démocratie malade de sa démesure où la liberté devient elle-même une tyrannie[27] et le pouvoir du peuple par le peuple bien vidé de sa substance. Il a conçu cette stratégie de chaos qui à Beni comme dans d’autres régions du monde crée sciemment le désordre politique et sécuritaire pour faire un business plus rentable.
Le drame de Charleston est peut-être l’occasion en or pour le peuple américain et pour les nostalgiques occidentaux de l’ère révolue de l’esclavage de se regarder au miroir et de prendre en mains le courage de voir en eux-mêmes cette folie terroriste qu’ils condamnent chez des tiers. Ils doivent accepter la vérité selon laquelle ils ressemblent à bien des égards à ceux qu’ils exècrent dans leurs discours officiels.
Dans son ouvrage L’audace d’espérer, Barack Obama avait dit juste lorsqu’il qualifiait la politique américaine comme « cette zone mortelle où les intérêts étroits se disputent des privilèges, où des minorités idéologiques cherchent à imposer leur version de la vérité absolue[28]. Et la politique congolaise est bien pire qu’une zone mortelle, elle est un conglomérat d’aventuriers et un ramassis des kulunas en cravate, prêts à tuer leur propre peuple pour leurs intérêts partisans.
Tout comme pour l’élite américaine, c’est une entreprise titanesque de redonner un visage humain à leur politique impériale pour aider les gens, fussent-ils noirs ou indiens, hispaniques ou juifs, congolais ou irakiens, de vivre en paix et avec une certaine dignité, de même pour l’élite congolaise ou ce qui en reste de poignée d’hommes sensés, c’est un travail d’Hercule qui requiert courage et sagesse pour redonner à la politique congolaise la signification du service désintéressé pour la promotion du Bien Commun.
Il s’agit d’un grand défi tant au Congo qu’aux Etats-Unis de réveiller l’ardeur du rêve de Patrice-Emery Lumumba, d’Abraham Lincoln et de Matin Luther King, ce rêve qui consiste à porter haut le noble idéal de donner visage et dignité à tous les hommes et femmes sans visage et sans nom, aux esclaves et aux soldats, aux tailleurs et aux bouchers, aux agriculteurs et aux pêcheurs, aux cireurs de souliers et aux vendeurs de pains, bref à toutes catégories sociales ignorées par la machine écrasante de la mondialisation sans visage.
Nous devons cultiver au plus profond de nous-mêmes l’audace d’un vivre-ensemble possible entre citoyens d’un peuple, entre différents peuples et nations au-delà de nos diversités de races, de religions et d’opinions. Ni les Etats-Unis ni le Congo-Kinshasa n’ont besoin d’être une puissance militaire. Ils doivent plutôt chercher à se transformer en des puissances humanitaires où chaque orientation politique œuvre au plus grand bien de la famille humaine. L’idéologie globale n’a-t-elle pas uni les sorts des hommes et des peuples comme jamais auparavant ? Nous périrons ensemble tout comme nous pou
Germain Nzinga makitu
[1] A. DIGNAT, La traite atlantique et le commerce triangulaire dans http://www.herodote.net
[2] L. JADIN & M. DICORATO (éd.), Correspondance de Dom Afonso, roi du Congo, 1506 – 1543, Académie Royales des Sciences d’Outre-mer, Bruxelles, 1974, p. 156.
[3] G. CHAMAYOU, Les chasses à l’homme. Histoire et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, Ed. La Fabrique, 2010, p. 67. Faut-il ajouter à propos de cette codification que le commerce des esclaves eut ses tarifs, ses entrepôts, ses rites et ses cérémonies. La demande crut inlassablement et la chasse à l’homme atteignit son paroxysme.
[4] Ibid.
[5] F. SOUDAN, Le nègre de la Maison Blanche du 29 juin 2015 dans http://www.jeuneafrique.com
[6] M. BERMAN, The current state of white supremacist groups in the U.S. du 30 décembre 2014 dans http://www.washingtonpost.com
[7] O. CUGOANO, Réflexions sur la traite et l’esclavage des nègres, Paris, Zones, 2009, p. 89.
[8] C. LEVASSEUR, Esclavage de la race noire aux les colonies françaises, Paris, Bajat, 1840, p. 82.
[9] A. KASPI, La vie politique aux Etats-Unis dans Historia n°444, 1993.
[10] P. PESNOT, La face cachée des États-Unis. Les dossiers secrets de monsieur X, Paris, Ed. Nouveau Monde, 2014
[11] A. SCHLESINGER, Robert Kennedy and his time, Paperback, 2002.
[12] N. SARKOZY, Discours de présentation de vœux au Corps Diplomatique le 16 janvier 2009 dans http://ww.elysee.fr
[13] H. ZINN, La mentalité américaine au-delà de Barack Obama, Québec, Lux Editeur, 2009,
[14] Lorsque l’article 72 alinéa 2 de la même Constitution Congolaise de février 2006 réduit à 30 ans l’âge requis pour être élu président de la République Démocratique du Congo, il ne faut pas beaucoup d’intelligence pour s’apercevoir quel est le candidat les constituants de Liège s’emploient coûte que coûte à promouvoir.
[15] H: ZINN, La mentalité américaine au-delà de Barack Obama, p.18
[16] Signé le 6 mars 1961, ce décret exigeait des entreprises d’engager les demandeurs d’emploi sans référence à leur race, à leurs croyances, à la couleur de leur peau ou à leurs origines nationales. Cfr A. KASPI, Comprendre les Etats-Unis d’aujourd’hui, p. 136.
[17] Signé en septembre 1965, ce décret prône l’idée de la discrimination positive poussant les entreprises à embaucher au sein de minorités pour assurer las promotion des opprimés et favoriser leur intégration. Cfr. A : KASPI, op.cit., p. 137.
[18] A. KASPI, Comprendre les Etats-Unis d’aujourd’hui, Paris, Ed. Perrin, 2008, p. 138.
[19] “Massacro di Charleston, il manifesto razzista di Roof : Qualcuno doveva farlo, non avevo scelta” dans http://www.repubblica.it
[20] J.-P. MBELU BABANYA KABUDI, Quand Obama dit : “Nous ne sommes pas guéris du racisme”… Il dit la vérité dans http://www.ingeta.com
[21]S. P. HUNTINGTON, « Robust Nationalism » dans The Nationalism Interest n° 58, Washington D.C., 1999-2000
[22] P. GOLLUP, Une autre histoire de la puissance américaine, Paris, Seuil, 2011, pp. 188-189.
[23] H. ZINN, La mentalité américaine au-delà de Barack Obama, p. 8
[24] P: GOLLUP, op.cit., p. 263.
[25] H. KEMPF, Comment les riches détruisent la planète, Paris, Seuil, 2007, pp. 11-113.
[26] T. TODOROV, Les ennemis de la démocratie, Paris, Robert Laffont, 2012, p. 262.
[27] Ibid., p. 260.
[28] B. OBAMA, L’audace d’espérer. Une nouvelle conception de la politique américaine, Paris, Presse de la Cité, 2006, p. 17.