Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 14-01-2021 09:20
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La France, en perte de vitesse en Afrique, et sa nouvelle École de guerre à Kinshasa – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le Président de la République, Félix Tshisekedi, Commandant suprême des FARDC, a présidé mardi 5 janvier, la cérémonie d’ouverture solennelle de l’École de Guerre de Kinshasa (EGK), sur le site du Centre supérieur militaire situé dans la Commune de Ngaliema. Cette école sera dirigée par le Général de Brigade Muland Nawej God.

L’école de Guerre de Kinshasa  a pour vocation  de former des officiers supérieurs de l’armée et de la police appelés à travailler à des hautes fonctions dans les états-majors de l’armée et  partout où sont  traitées  des questions de  stratégie, sécurité et défense. L’EGK est une  école dite de troisième cycle  dans la catégorie des écoles de l’enseignement supérieur militaire suivant les standards internationaux, le premier niveau étant celui de  l’Académie militaire de Kananga  et  le second étant celui de l’Ecole de commandement et d’état-major de Kinshasa faisant partie du Groupement des Ecoles Supérieurs Militaires ( GESM).

Ce projet remonte depuis l’époque de Joseph Kabila. Il s’est concrétisé dans un premier temps avec la création du Collège des Hautes Études de Stratégie et de Défense (CHESD) grâce à un contrat signé avec l’institut français THEMIIS, en collaboration avec la coopération française. Le projet de la création de l’Ecole de guerre a pris forme dans  la « déclaration  conjointe » adoptée en mai 2019 à  l’occasion de  la visite en RDC de Jean-Yves Le Drian, Ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, puis   lors de la visite du président congolais, Felix Tshisekedi, avec son homologue  français, Emmanuel Macron, à  l’Élysée  en novembre 2019.

Pour rappel, l’institut de sécurité privée THEMIIS (« The management institute for international security ») a signé un contrat avec la RDC avec pour objectif d’assurer la formation, à partir du 29 février 2016, de 150 généraux de l’armée congolaise, les FARDC dont le niveau moyen était jugé médiocre et loin en deçà des standards internationaux. Themiis est co-fondé par Gilles Rouby, ancien général de corps d’armée français, en charge pendant une vingtaine d’années des dossiers de l’OTAN et de l’Union européenne au ministère français de la Défense, et Camille Roux, consultant en management du risque. Depuis sa création et à la suite de nombreux conflits armés qui sévissent en Afrique, cet institut y a trouvé un terreau fertile pour fructifier son « business », en outsourcing ou sous-traitance des activités de l’armée française. C’est ce qu’a d’ailleurs affirmé Camille Roux, le cofondateur du THEMIIS : « Nous avons un partenariat avec la DCSD du Ministère des Affaires étrangères, car nos cursus permettent à la France de rester active dans une zone stratégique[1] ».

C’est quoi une école de guerre ?

Une école de guerre est une institution d’enseignement militaire qui forme des officiers supérieurs à partir du grade de major répondant à certains critères pour l’obtention du titre de breveté d’état-major (BEM). Il s’agit des officiers censés travailler dans la conceptualisation, la planification et la conduite des batailles militaires ainsi que des stratégies de défense d’un Etat (doctrine militaire, cahier blanc, plans de bataille, etc.). Ces officiers doivent en principe avoir suivi une formation de base d’officier de 3 ans à l’Académie militaire de Kananga (ex-EFO) qui forme les jeunes civils ayant réussi à des tests de sélection pour devenir officiers subalternes (sous-lieutenants). Une fois que la formation de base terminée à Kananga, ces officiers vont se spécialiser soit en infanterie (Kitona), en cavalerie (blindé à Mbanza-Ngungu), au sein de la force aérienne, de la force navale ou dans des unités commando (Kindu, Mura, etc.). Ils peuvent aussi évoluer au sein des autres unités opérationnelles ou dans l’état-major général des FARDC. Ils doivent ensuite avoir exercé un parcours professionnel militaire exemplaire.

En France, l’Ecole de guerre est, pour les officiers des trois armées (terre – marine – air) et de la gendarmerie, une étape à mi- carrière qui s’inscrit dans un système complet. Le cursus de ces officiers, de leur recrutement initial à l’exercice de leurs plus hautes responsabilités, est conçu pour sans cesse les former et les sélectionner. L’« l’Ecole de guerre – Terre forme les futurs chefs en tant qu’experts de la conception et de la conduite des opérations aéroterrestres et spécialistes de l’organisation et du fonctionnement de l’armée de Terre. Elle s’appuie sur un enseignement d’excellence, centré sur l’approfondissement des connaissances interarmes, interculturelles, interministérielles et interprofessionnelles. »

Et c’est ce modèle français, tropicalisé à l’africaine, que la France implémente en RDC après son Ecole de guerre  de Yaoundé au Cameroun.

Quelle plus-value militaire en RDC de l’expertise militaire française en perte de vitesse en Afrique ?

Alors que la France s’embourbe dans ses anciens bastions africains, notamment au Sahel avec l’opération Barkhane et surtout en RCA où après le fiasco de l’opération Sangaris, il est curieux de la revoir réinvestir le terrain congolais qu’elle a abandonné 30 ans plus tôt.

En effet, l’expertise militaire française en Afrique suscite des questionnements sur son efficacité lorsqu’on constate l’état dans lequel se trouvent les forces de défense des pays concernés.

Depuis les indépendances des Etats africains, la France est intervenue militairement à près de trente occasions sur le continent africain. La France déploie environ 11 000 militaires en Afrique sub-saharienne, soit le tiers des effectifs français déployés hors du territoire métropolitain. Outre les interventions militaires, la France maintient un dispositif militaire pré positionné d’un peu plus de 6000 militaires déployés sur cinq pays (Djibouti, Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon, Tchad)[2]. Cette présence militaire française n’a cependant pas permis à la France de stabiliser de manière pérenne ces pays ni de les aider à faire face aux menaces sécuritaires djihadistes qui les rendent déliquescents. Face à l’extension de la menace islamiste au Sahel, la France mène depuis le 1er Août 2014 la plus importante opération extérieure des troupes françaises dans 5 pays (G5 : Tchad, Niger, Mali, Mauritanie, Burkina Faso) de la bande sahélo-saharienne. L’opération est baptisée « Barhkane » et déploie 4000 militaires. Le but de l’opération est d’aider « l’appropriation par les 5 pays partenaires de la lutte contre les groupes armés terroristes. Dans le cadre de « G5 Sahel », la France soutient également une nouvelle force conjointe antijihadiste créée le 2 juillet 2017 pour lutter contre le terrorisme, le crime organisé transfrontalier et le trafic d’êtres humains dans l’espace des 5 pays du G5 Sahel. A ce jour, la guerre est loin d’être gagnée au sahel alors que la France envisage de réduire le nombre de ses troupes présentes au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane[3].

Le cas de la République centrafricaine (RCA) est le plus éloquent. Fin décembre 2013, la Centrafrique est plongée dans une guerre civile. Un conflit entre rebelles musulmans de la Séléka et les milices chrétiennes dites antibalakas entraîne des exactions sur les populations civiles autour de la capitale Bangui. La France intervient le 5 décembre dans le cadre de l’opération « Sangaris ». Elle quittera le pays le 31 octobre 2016, incapable d’avoir aidé les autorités à restaurer l’autorité de l’Etat. Sur le plan politique, Laurent Touchard qualifie l’opération française en RCA d’un fiasco militaire[4]. C’est la MINUSCA et la Russie qui tentent aujourd’hui de recoller les morceaux en RCA. Les Russes ont relevé le défi en gagnant notamment la bataille électorale de Bangui tout en continuant de pacifier la RCA face à l’impuissance des éléments français de l’opération Sangaris avec leur Quartier Général à l’aéroport de Bangui, malgré les menaces des rebelles acquis à Bozizé autrefois soutenu par la France. Avec l’appui de leurs troupes au sol, l’aviation russe à qui les drones avaient fourni avec précision les différentes positions des rebelles avait mis en action les SUKHOI SU-34 Fullback Skyhammer[5]. Depuis, les Russes, en collaboration avec les militaires rwandais, assurent une certaine sécurité relative dans ce pays abandonné par l’armée française. En effet, Kremlin veut faire de la Centrafrique un pays pilote de son influence régionale où Moscou a ouvert un bureau de représentation régionale[6] et a renforcé sa présence militaire en décembre 2020. En effet, au-delà de sa volonté de renforcer ses intérêts économiques et sa coopération sécuritaire, la Russie est bien consciente que la RCA est située sur un carrefour en plein cœur de l’Afrique subsaharienne. Elle offre ainsi une position stratégique indéniable, notamment en complément du Soudan. Le chercheur de l’IRIS Arnaud Dubien explique que cette implantation en RCA n’est pas un cas isolé puisqu’elle s’inscrit dans une large stratégie à l’échelle continentale lancée par Moscou depuis quelques années[7].

C’est dans ce contexte  de perte de terrain progressif dans ses anciens bastions coloniaux que la France tente de conquérir progressivement le terrain militaire en voulant se réinvestir en RDC dans la formation stratégique des hauts cadres de l’armée après avoir formé en 2016 des unités de la garde prétorienne de Kabila, la GR aux techniques de guérillas urbaines.

Pour quels résultats concrets en termes de performance et de capacités opérationnelles des FARDC ? L’avenir nous en dira plus.

Pourtant la France et la RDC avaient déjà expérimenté un modèle de coopération technique militaire fructueux

La coopération technique militaire entre la France et la RDC était la plus dynamique sous la deuxième République. Les deux pays avaient signé à Kinshasa, le 22 mai 1974, un accord général de coopération technique militaire. Cet accord comportait trois volets : l’assistance au personnel par l’envoi de conseillers militaires, la formation en France de stagiaires militaires, ingénieurs et techniciens d’aviation, et l’aide logistique[8].

Cette coopération militaire entre la France et le Zaïre a produit quelques résultats substantiels, notamment en termes de fourniture au Zaïre des avions Mirage-5[9] et des escadrons d’automitrailleuses. La France assure également la formation et l’encadrement de la 31ème brigade parachutiste du Centre d’entrainement des troupes aéroportées (CETA) casernée à Kinshasa et de la division blindée de l’Ecole de formation et d’application des troupes blindées (EFATBL) de Mbanza-Ngungu dans le Bas-Congo[0]. Notons par ailleurs que la France reste à ce jour la puissance militaire qui est le plus intervenue en RDC[11].

Toujours dans le cadre de cette coopération bilatérale, dans une perspective de projection militaire internationale, la France a assuré le soutien logistique et financier à la participation des 2000 éléments des Forces armées zaïroises (FAZ), en décembre 1981 à la mission d’une force d’interposition de l’OUA au Tchad lors du conflit de la bande d’Aouzou aux côtés des 2 000 Nigérians et 800 Sénégalais en vue de soutenir le président Hissène Habré, renversé par Goukkouni Weddeye appuyé par l’armée libyenne. D’entrée, en décembre 1981, l’offensive des FAZ, composées principalement de paras de la 31ème brigade formés par les Français, est un succès. La ville de Faya Largeau est récupérée en janvier 1982.

La coopération militaire française avec la RDC, suspendue en novembre 1992, a été réactivée en janvier 2003 lors de la visite en France du ministre congolais de la Défense nationale. La coopération militaire et de défense s’est depuis fortement développée, la France conduisant en RDC une coopération de sortie de crise et d’appui à la réforme du secteur de sécurité (RSS). En effet, l’Union européenne a (la) lancé une opération dénommée Artémis le 5 juin 2003, conformément à la résolution 1484 du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant la mise en place d’une force multinationale intérimaire d’urgence à Bunia, dans le district d’Ituri. Cette mission a été principalement assurée par les militaires français.

Depuis 2003, les principaux axes de la coopération avec la RDC portent sur la formation du personnel et la restructuration des FARDC et de la police, notamment dans les cadres de l’EUPOL-RDC et de l’EUSEC-RDC[12]. La France est ainsi intervenue dans la formation et l’équipement de la police d’intervention rapide (PIR) et des éléments de la Garde républicaine. Aux côtés de la Belgique, la France a participé à la formation de la première brigade intégrée de l’armée congolaise. La France formait des stagiaires congolais (une soixantaine par an) dans les écoles militaires françaises, les ENVR (Ecoles nationales à vocation régionale) africaines, mais aussi en RDC. La France apporte aussi un soutien à la restructuration des FARDC, par la réhabilitation d’infrastructures de formation et de commandement ainsi que par la présence de quatre coopérants auprès de l’État-major intégré des FARDC, du groupement supérieur des écoles militaires  pour la formation au sein de l’école d’état-major, d’une école de sous-officiers et d’une école d’infanterie ; et de la PIR. C’est au niveau de la formation des cadres du haut commandement des FARDC que la France développe avec l’institut militaire privé THEMIIS, les projets du Collège des hautes études de stratégie et de défense et de l’Ecole de guerre.

Du 18 au 29 juillet 2016, la France dépêche des instructeurs d’infanterie et du génie à Kitona. Ils y instruisent les soldats de la garde républicaine de Kabila au combat en milieu urbain[13]. Durant la même période, d’autres instructeurs français formaient des soldats de la GR à Kamina[14].

Cette école de guerre est-elle prioritaire face aux enjeux sécuritaires de la RDC ou juste une formation de prestige ?

Etant donné que la RDC ne disposait pas de ressources humaines ni de capacités logistiques et techniques suffisantes de former les brevetés d’état-major, la Belgique a créé en 1969 le Centre supérieur militaire à Binza Ozone pour former des techniciens d’état-major et d’administration militaire. Il s’agit d’une formation des officiers chargés de s’occuper des tâches administratives et techniques au sein de l’Etat-major ou dans les unités que les tâches de planification ou de conduite de guerre.

Le problème est que depuis la fin de la mission d’assistance militaire de l’Union Européenne en RDC, mission qui a notamment remis sur rail l’Académie militaire de Kananga, après 20 ans de fermeture, la formation de base des officiers est au rabais. Entre-temps, les FARDC comprennent dans leurs rangs plus de 80 % des officiers qui ne dépassent pas le niveau du diplômé d’Etat. Or, une école de guerre en Europe est équivalente en termes académiques à des études doctorales. On y enseigne les cours de stratégies et tactiques de guerre poussées, la géopolitique, la géostratégie, les relations internationales, la gestion des crises, le droit international humanitaire, l’économie de guerre… Bref, toute une série de cours académiques qui exigent un prérequis solide de la part des candidats à cette formation. Ce qui n’est pas le cas pour la plupart des officiers militaires congolais majoritairement semi-lettrés.

Malgré l’objectif de développement de la réflexion stratégique, quelle est la valeur ajoutée concrète de cette école pour la RDC au regard de ses contraintes sécuritaires actuelles lorsque les officiers  censés suivre cette formation font preuve dans la grande majorité d’un background scolaire insuffisant ?

Conclusion : un projet unilatéral français isolé et en pyramide inversée ne tenant pas compte des évaluations des réformes des FARDC

Les évaluations faites sur les réformes des FARDC pointent généralement le manque de volonté politique des autorités congolaises à mener des réformes crédibles. L’EUSEC RDC a indexé « une armée avec des militaires sous-équipés, pas très instruits en majorité́ et ne disposant pas d’armement approprié et moderne[15] » (Wondo 2015 : 58). Les critiques portent aussi sur l’action de la communauté internationale, jugée peu efficace, incohérente, fragmentée, non coordonnée ; et une répartition peu claire des rôles entre les différents intervenants. Par ailleurs, plutôt que de présenter une vision de la sécurité congolaise et de mobiliser les ressources nécessaires pour la concrétiser, les autorités congolaises encouragent l’établissement de divisions au sein de la communauté internationale. Elles (ils) optent pour des coopérations bilatérales cloisonnées qui empêchent une réforme dans un cadre multilatéral global »[16].

Depuis la fin de la mission de l’EUSEC RDC, le peu d’engagement politique des autorités congolaises dans la réforme de l’armée et l’absence d’une politique nationale d’appropriation (local ownership) des réformes ruinent quelques réalisations positives qu’elle a entreprises. Il s’agit notamment de la dégradation progressive des infrastructures ainsi que la détérioration des conditions de travail au sein de l’Académie militaire de Kananga (Wondo 2014). L’Académie militaire de Kananga est la base de formation des officiers congolais censée relever le niveau et la qualité de commandement militaire sur le plan national. Elle constitue selon moi, et vraisemblablement selon tout expert militaire sérieux, la priorité de l’investissement technique militaire étranger en RDC, et non dans une formation de prestige qui n’impacterait pas à moyen terme les performances militaires des FARDC.

D’une manière générale, les réformes initiées au sein de l’armée congolaise ont été globalement inefficaces et non pérennes par manque de décisions politiques claires, de vision stratégique globale[17] et de déficit de leadership militaire. Hormis la formation des trois bataillons commandos de la 31ème brigade de réaction rapide au Maniema par la Belgique, actuellement sabotée et déstructurée pour des motifs politico-diplomatiques, les résultats de l’apport étranger en RDC restent plutôt négatifs, y compris la présence passive de la MONUSCO. Le projet français de l’Ecole de guerre de Kinshasa risque de s’inscrire dans la longue liste des éléphants blancs de la coopération Nord – Sud mal conceptualisée au départ des salons climatisés occidentaux sans tenir compte des retours d’expérience (RETEX) des actions passées.

Sous équipés, mal entraînés et sous-payés, les FARDC sont loin de répondre correctement aux missions régaliennes que leur confèrent la législation congolaise, du fait de manque d’une vision stratégique de la Défense dans les échelons politiques et militaires les plus élevés de l’Etat. Cet état de fait a pour corollaire qu’il sera quasi impossible de mettre fin à l’insécurité armée qui s’incruste dans la partie orientale du pays ni de réformer convenablement les FARDC. Et, je ne cesserai de le rappeler, que tous ces efforts isolés n’apporteront pas de changement substantiel sur les performances des FARDC dès lors que l’armée congolaise reste clochardisée et continuera de fonctionner sans disposer d’une loi de programmation militaire votée en fonctions des défis sécuritaires majeurs auxquels est confrontée la RDC depuis trois décennies. Il s’agit d’une loi financière pluriannuelle qui fixe les échéances des crédits de paiement relatifs aux dépenses d’équipement, de modernisation et de développement des Forces Armées. Cette loi est essentielle à la réforme des FARDC car elle est censée encadrer la gestion du personnel et du matériel ainsi que la montée en puissance de l’armée congolaise[18].

La France, une ancienne puissance tutélaire d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne occidentale et centrale, voit son influence géopolitique progressivement s’évaporer dans son ancien domaine de chasse gardée, depuis l’avènement du nouvel ordre mondial américain (anglo-saxon) et récemment depuis l’offensive géostratégique russe en Afrique subsaharienne. Ainsi, pour réinvestir le terrain perdu, la France n’hésite pas à monter de nouveaux projets ambigus notamment au nombre desquels l’Ecole de guerre de Kinshasa auprès d’un public militaire qui ne répond pas en grande majorité à ce profil de formation.

En dépit du soutien étranger à la formation, note Laurent Touchard, « le niveau d’instruction scolaire de beaucoup d’officiers subalternes est mauvais. Il en est encore qui savent à peine lire, d’autres pour qui l’utilisation d’une boussole relève de l’exploit[19] ». C’est à ces mêmes officiers, catapultés officiers supérieurs, que la France veut en faire des brevetés d’état-major de son Ecole de guerre tropicalisée.

Je recommanderais à la France et aux autorités congolaises de mettre plutôt le paquet sur la formation de base à grande échelle des officiers et des sous-officiers, ainsi que des unités opérationnelles spécialisées et monter graduellement en formation vers l’école de guerre en fonction de la masse disposant déjà des prérequis indispensables pour ce type de formation très exigeant. L’idée est de résorber le retard accumulé pendant 20 ans de fermeture de l’Ecole de formation des officiers (EFO) Kananga au début des années 1990 et l’arrêt d’instruction des troupes spécialisées (commandos, parachutistes) durant la même période. L’Académie militaire de Kananga est complètement à l’abandon après le départ de l’EUSEC RDC, la mission européenne d’assistance à la réforme des FARDC, du fait du manque de volonté politique des autorités congolaises d’assurer et de prendre en charge une formation de base de qualité des officiers congolais. Or la sécurité n’a pas de prix.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste politique, Consultant freelance et Expert des questions de défense et de sécurité

Références

[1] DESC Diplomatique : La Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ? –  Dossier spécial élaboré par Jean-Jacques Wondo Omanyundu. DESC, 6 septembre 2017. https://afridesk.org/diplomatie_francafrique_newlook_de_macron_au_chevet_de_j_kabila_doc_special/. Notons aussi que THEMIIS sous-traite ses activités de formation via un partenariat avec une société basée à Bruxelles, Antigone Associates. Depuis un certain temps, de nombreux officiers militaires belges en retraite créent des entreprises de sécurité privée qui agissent particulièrement en Afrique, principalement dans les zones en conflit où la France est très active comme au Mali, au Burkina Faso ou en Centrafrique.

[2] Sephora Wondo, La France, le super gendarme d’Afrique francophone ? – DESC, 20 octobre 2020. https://afridesk.org/la-france-le-super-gendarme-dafrique-francophone-sephora-wondo/.

[3] https://www.france24.com/fr/afrique/20210104-opération-barkhane-vers-une-réduction-des-troupes-françaises-au-sahel.

[4] Laurent Touchard, Les forces armées africaines : 2016-2017. Organisation, Equipements, Etats des lieux et Capacités, Editions LT, Paris, 2017, p.345.

[5] Comment les Russes ont gagné la bataille de Bangui et continuent de pacifier la république centrafricaine,  AFRIQUE MOYEN-ORIENT MAGAZINE, N° 559, 25 décembre 2020.

[6] Arnaud Dubien, La Russie en Afrique, un retour en trompe-l’œil ? in Le Monde diplomatique, janvier 2021, p.11.

[7]  Clément Lobez, Retour de la Russie en RCA : entre multiples intérêts et lutte d’influence – GRIP, 9 août 2018. https://grip.org/retour-de-la-russie-en-rca-entre-multiples-interets-et-lutte-dinfluence/.

[8] Kamerhe, Vital, Les Fondements de la Politique Transatlantique de la République Démocratique du Congo, Larcier, Bruxelles, 2011, p. 171.

[9] Lire Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Vevey, Monde nouveau/Afrique nouvelle, 2013 : Dans le cadre de la coopération technique militaire franco-zaïroise, plusieurs stagiaires militaires, ingénieurs et techniciens, ont été envoyés en France, à l’Ecole militaire française de pilotage et de perfectionnement du programme Mirage pour développer un nouveau programme aéronautique militaire « Mirage II» chez l’aviateur Dassault. Des pilotes militaires ont également été envoyés pour obtenir une licence de pilotage de l’avion de chasse Mirage 5M.

[10] Pierre Brassart, Kolwezi 1978 : Au cœur des opérations française et belge au Zaïre, Mardaga, Bruxelles, 2018, p.25.

[11] Lire Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, Vevey, Monde nouveau/Afrique nouvelle, 2013 491 p. : 1977 : Shaba I (soutien logistique et participation à l’Opération Verveine montée par le Maroc, avec le concours de la France, qui repoussa les Tigres Katangais) ; 1978 : Shaba II (Le 19 mai 1978, la France, avec l’appui technique de la Belgique, mettent au point en faveur du régime de Mobutu une Opération militaire baptisée « Léopard » ou « Bonite ». Cette opération vit les para-commandos du 2ème Régiment étranger de parachutistes (2ème REP) de la Légion étrangère française sauter sur Kolwezi. Les bérets verts du 2ème REP et un bataillon du régiment de commandos belges parvinrent à libérer des expatriés pris en otages par des rebelles katangais du FLNC qui assiégeaient la ville minière de Kolwezi) ; 1991 / 92 : Opération Baumier : En septembre 1991, des pillages généralisés agitent Kinshasa et l’intérieur du pays. A la base, ce sont les parachutistes du camp CETA, situé près de l’aéroport international de Ndjili et entraînés par les Français, qui protestent violemment contre les bas salaires et les arriérés de paiement de leurs soldes. Le régime de Mobutu vacille. La situation revient au calme grâce à une intervention militaire conjointe franco-belge. Les éléments des 1ère et 3ème compagnies de la 2ème Légion Etrangère Interarmes française montent l’« Opération Baumier » en collaboration avec le 1er bataillon Para-commando belge qui met en place l’opération « Blue Beam » (Wondo 2013 : 133) afin d’évacuer  quelques 4366 ressortissants étrangers par la voie des airs à Kinshasa et un millier par la route vers la Zambie depuis la province du Shaba. Un groupement d’intervention est formé à partir des unités du dispositif Epervier au Tchad et des Eléments Français d’Assistance Opérationnelle (EFAO) en RCA. Les 1ère et 3ème compagnie de la 2ème Légion Etrangère Interarmes (REI) ont pour mission de contrôler le centre administratif de Kinshasa, d’assurer la sécurité de l’ambassade de France et de regrouper les ressortissants français belges, américains, pakistanais, libanais et indiens. La 3ème compagnie sera chargée de récupérer quelques coopérants et missionnaires de l’ordre de Malte qui durent quitter leur mission de Bangabula. Ils parviendront à l’évacuation de 8000 expatriés. L’opération prendra fin en novembre 1991 avec le retrait des troupes du Zaïre] ; 1994 : Opération Turquoise (Rwanda-Zaïre : couloir humanitaire et appui logistique au Zaïre) ; 2003 : Opération Artémis dans le district d’Ituri.

[12] Ces deux missions se sont clôturées respectivement en 2014 et 2015.

[13] Laurent Touchard, op. cit., p.357.

[14] JJ Wondo, Françafrique newlook de Macron au chevet de Joseph Kabila ?- DESC-WONDO – 6 septembre 2017. Un militaire de la force navale nous a également rapporté que la firme pétrolière franco-britannique PERENCO a équipé des unités navales grâce à un programme de modernisation de la marine militaire congolaise. PERENCO a financé la réparation et la remise à niveau, par l’entreprise MW AFRITEC SPRL, de 8 escorteurs de fabrication chinoise du type 062 Shanghaï 2 stationnés à Boma et à Banana et a également financé l’acquisition de deux vedettes rapides RPB-20 par la marine militaire congolaise. Les forces navales françaises ont également construit et équipé en 2016 une station de surveillance maritime ultra moderne avec une variété de radars de surveillance maritime à Yema, dans la périphérie de Moanda.

[15] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RDC : Une armée irréformable ? 2è Ed, p.58.

[16] DRC-SSR-Report, « R.D. Congo. Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité », Mai 2012.

[17] Laurent Touchard, op. cit., p.357.

[18] Elle définit dans le cadre des lois budgétaires la tranche du budget réservée au développement et à l’équipement des Forces Armées. Elle détermine les séquences et le rythme des opérations ou des achats à effectuer pour atteindre les objectifs précis de développement des Forces Armées.

[19] Laurent Touchard, op. cit., p.358.

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