Une libre réflexion de Jean- Jacques Wondo Omanyundu
Lorsqu’on parle d’une culture politique, il faut distinguer l’établissement d’institutions politiques et la création d’une mentalité collective d’appartenance et de participation au système politique qui constituent les deux aspects de la construction nationale. Ce second aspect est mal compris et réalisé dans la plupart des États africains.
Au moment de l’indépendance, les dirigeants africains ont cru naïvement que la construction nationale serait la conséquence de la création d’institutions politiques et administratives clonées des modèles institutionnels occidentaux. Des modèles fondés sur les référents sociétaux étrangers aux cultures et aux modes de fonctionnement traditionnel des sociétés africaines. Cela a créé un problème d’intégration et de participation politique collective des citoyens africains et a altéré en même temps leur conception de l’Etat et le rapport qu’ils entretiennent avec les institutions nationales et leurs représentants.
L’erreur est que trop souvent on pense, on limite et on conçoit la démocratie sous sa seule forme institutionnelle (multipartisme, élections, corps constitués, institutions étatiques). On met de côté les aspects/obstacles d’ordre social, anthropologique culturel et éthique endogènes propres aux sociétés africaines, pour son appropriation. Les localismes (ethniques, communautaristes, tribaux et claniques) triomphent souvent sur le sentiment d’appartenance nationale. On a souvent tendance à oublier que la démocratisation est un processus endogène, domestiqué, fait de luttes et de conquêtes et qui ne peut être imposé de l’extérieur.
Les facteurs sociaux ont une influence amplificatrice sur l’acculturation démocratique en Afrique. L’acculturation est processus par lequel une personne ou un groupe assimile une culture étrangère à la sienne. Les codes culturels et sociétaux africains ainsi que les normes coutumières souvent peu compatibles, sinon réfractaires, aux normes institutionnelles démocratiques occidentales, constituent tout autant d’obstacles que l’Afrique doit franchir. L’exemple le plus éloquent est la conception qu’ont les sociétés africaines de la notion de « chef », peu importe qu’il soit un simple président protocolaire ne disposant pas de majorité parlementaire.
Les sociétés africaines tombent facilement dans le culte de la personnification de la loi et du droit au lieu de ce que les anglo-saxons qualifient de « rule of law » : la loi n’est plus liée au public (la population) ni aux institutions de l’Etat mais bien à la personne qui incarne l’Etat. C’est ce que la politologue Céline Thirion qualifie de « big man democracy ».
Cette situation a généré le patrimonialisme caractérisé par la corruption à grande échelle et qui s’est transformée en pratiques néopatrimoniales du pouvoir comme mode de gestion prédatrice de l’État et régulatrice politique, basé sur la redistribution clientéliste, népotisme et tribaliste des ressources étatiques. Le patrimonialisme est un concept décrit par le sociologue allemand Max Weber. Il désigne un idéal-type de domination traditionnelle fondé sur l’absence de séparation ou de différenciation entre le public et le privé. Dans un tel système politique, le chef accorde des emplois publics attractifs à ses affidés en échange de leur capacité à lui rendre service. L’élite et le chef sont unis par le lien de clientèle, à dominance ethnique. Le chef puise dans le réservoir des postes d’Etat pour les distribuer à ses potes, frères et partisans, devenus les privilégiés intouchables de l’Etat, afin d’obtenir leur loyauté. Ce réseau d’allégeances offre au chef un instrument efficace de contrôle politique sur l’ensemble du personnel dirigeant.
La récente actualité politique en RDC est une illustration parfaite des pratiques néopatrimoniales dont je viens de décrire le fonctionnement.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Analyste politique