Jean-Jacques Wondo Omanyundu
ÉCONOMIE & DÉVELOPPEMENT | 21-06-2017 07:05
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La crise du dollar, l’effondrement monétaire en RDC et son activisme citoyen – Entretien avec Jean-Jacques Lumumba

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La crise du dollar, l’effondrement monétaire en RDC et son activisme – Jean-Jacques Lumumba sous les feux de DESC

 Une interview exclusive de DESC

Il a fait la une des médias nationaux et internationaux, ainsi que des réseaux sociaux en octobre 2016 lorsqu’il a fait des révélations fracassantes sur les transactions financières mafieuses de la famille Kabila opérées par la BGFI Bank RDC. Jean-Jacques Lumumba, jeune cadre trentenaire dans le secteur bancaire, petit-fils du héros de l’Indépendance congolaise Patrice Emery Lumumba et arrière-petit fils du prophète Simon Kimbangu, se prête aux tirs de DESC. Il aborde avec nous les questions relatives à l’actualité socioéconomique congolaise et les raisons de son engagement citoyen qui sort de l’ordinaire.

 

M. Jean-Jacques Lumumba, vous vous êtes rendus célèbre depuis les révélations des malversations financières opérées par la CENI via la BGFI, comment pouvez-vous vous présenter brièvement aux lecteurs de DESC ?

Jean Jacques Lumumba est un financier de formation, diplômé en Économie et Développement de l’Université Catholique du Congo et titulaire de deux Masters européens en Gestion des Risques et Assurance de l’Entreprise avec près de dix années d’expérience professionnelle dans le secteur bancaire et financier au Congo et en Europe.

Brièvement, qu’avez-vous révélé ?

Les révélations ont porté :

  • sur le siphonage des comptes de la Commission Électorale indépendante avec la bénédiction du Directeur Général en lui octroyant un crédit alors que le client était frappé d’interdiction bancaire et en effectuant des débits sans soubassement léga
  • sur les détournements des fonds orchestrés entre la société EGAL, la Banque Centrale du Congo et la direction générale de la banque (pure opération de blanchiment d’argent référence faite aux différents tweets du directeur de cabinet adjoint de Monsieur Joseph KABILA en la personne de Jean Pierre KAMBILA qui parle très clairement des opérations d’achat d’armes ce que nous n’avons pas révélé à la presse belge) et,
  • sur les malversations de prélèvements frauduleux sur les comptes de la GECAMINES.
Que faites-vous actuellement depuis votre fuite précipitée de Kinshasa où votre vie était menacée par la l’entourage de Kabila ?

Jean Jacques Lumumba continue à évoluer dans le secteur bancaire (Banque d’investissement) européen dans la gestion des risques de crédit. En même temps je continue à me battre pour le Congo et espère que les choses vont évoluer positivement dans un futur proche.

Vous sentez-vous en sécurité ?

Ma sécurité ou ma vie ne représente rien. Ma grande préoccupation c’est la paix au Congo et la libération du pays de la prédation financière d’une poignée d’individus actuellement au pouvoir soutenus par les réseaux mafieux internationaux.

Vous étiez chef des Engagements au sein de la BGFI, dites-nous en quelques mots en quoi consistaient vos activités professionnelles ?

Mon travail consistait à gérer les risques de crédit et à analyser avec orthodoxie financière toutes les demandes de crédit qui étaient soumis à mon département.

C’est donc là que vous avez découvert des transactions financières douteuses. Peut-on parler d’une sorte de criminalité organisée ? A qui appartenait cette banque ? Quels sont ses liens avec le président Kabila ?

C’est une criminalité financière organisée parce que l’ampleur des mauvaises pratiques dépasse de loin mes révélations. La famille Kabila est actionnaire à 40% à travers sa sœur Gloria MTEYU et elle est dirigée par Francis SELEMANI, un autre membre de la famille. Bien qu’à 60% appartenant à BGFI Holding, il n’y a rien de surprenant dans l’influence du clan Kabila dans cette institution financière

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à faire ces révélations ?

Les vraies raisons qui m’ont poussé à faire ces révélations sont les menaces que j’ai reçu de ma direction générale suite à mon obstination à me soumettre à leur pratique mafieuse. Je reste un homme de principe très attaché à des valeurs morales auxquelles je ne saurai déroger. Aucun homme, qui que ce soit, malgré son influence politique ne pourra me faire fléchir face à mes convictions nobles pour le Congo.

Est-ce votre filiation à Patrice Emery Lumumba explique en partie cette prise de risque ?

J’ai grandi dans une famille très influencée par les idéaux de Patrice Lumumba certes mais aussi très chrétienne. Malgré mes liens de parenté avec le Prophète Simon Kimbangu, je reste très influencé par mon parcours scolaire où j’ai été formé par les pères jésuites et une mère qui a façonné mon comportement. L’injustice, les intrigues et les coups bas ne font pas partie de mon quotidien. Le climat espiègle, terrorisant et terrifiant entretenu par mon directeur général, frère de Joseph Kabila n’a fait qu’accroitre mes convictions de la recherche de la justice et du bien-être pour tous.

La Banque centrale de la RDC vient de déclarer qu’elle s’attend à une croissance de la croissance du produit intérieur brut (PIB) de 3,1% cette année, par rapport à une prévision antérieure du gouvernement de 3,5%, mais une amélioration par rapport à la croissance de 2,4% de l’année dernière. Comment interprétez-vous cela ?

Ce sont des prévisions erronées et irréalistes compte tenu du fait que la RD Congo est une économie extravertie dépendant essentiellement des biens de première nécessité provenant de l’extérieur. Avec le climat politique malsain, le taux d’inflation galopant (ce qui conduit à la rareté des devises étrangères sur le marché du fait de l’insuffisance d’importation), la croissance ne peut être positive. C’est de la poudre aux yeux afin de présenter un rapport attractif. Les marchés économiques à savoir les marchés des biens et services, le marché du travail et celui des capitaux sont interdépendants. Je ne vois pas comment quand le marché monétaire (avec une réserve légale aux bords du gouffre) est à la traine, cela pourrait booster les investissements et les importations dans celui des biens et services toute en sachant que dans celui du travail le chômage bat son plein. Donc ces chiffres relèvent de la pure imagination trompeuse.

Selon le journal Les Afriques – siège en Suisse, filiales au Maroc et en France – repris par la Libre Belgique, à la suite d’un rappel à l’ordre de la Réserve fédérale américaine, les banques européennes ont procédé à l’arrêt des transactions en dollars à destination des banques congolaises qui ne se conformeraient pas à la législation américaine en matière de transparence des capitaux. Pourriez-vous oui ou nous confirmer cette information ?

Cette informations serait plausible selon certaines de nos sources sur place à Kinshasa mais nous attendons la réaction officielle de la Banque Centrale du Congo. Mais ce qui est vrai est qu’il y a des directives claires relatives aux normes et aux exigences se rapportant à la détention et à l’utilisation du dollar américain pour les banques frappées par des sanctions américaines ou opérant avec des personnes ou des entreprises sanctionnées par le de Département du Trésor américain.

Est-ce une décision due à la pression et à la crainte des sanctions américaines ?

Le Congo est une zone à haut risque avec une économie fortement dollarisée et le fait de l’absence de maitrise du cadre monétaire et macro-économique de la Banque Centrale du Congo qui a failli à sa mission de conseiller de l’État et de gestionnaire des réserves officielles et des devises en se mettant à la solde des politiques, le pays selon les institutions de notation internationale présente des risques très élevés de cessation de paiement donc d’insolvabilité avérée.

Cela explique de façon très logique cette prise de position.

Cette mesure restrictive constitue-t-elle une pression suffisante sur le régime de Kabila ? Pourrait-elle entamer l’économie congolaise dont l’essentiel des transactions commerciales se fait en dollar américain ?

Les conséquences néfastes sur la population sont déjà ressenties et cela va certainement se répercuter sur les dirigeants politiques compte tenu de la montée prévisible de la grogne populaire.

Bien évidemment parce que les opérateurs économiques peuvent vendre en dollars ou en Franc congolais comme le recommande la nouvelle réglementation de change mais les importations se font essentiellement en devises étrangères et ce principalement en dollars américains et ils seront les premiers à être touchés par cette mesure. Ce qui est regrettable.

A propos de la corruption, des évasions fiscales et d’autres détournements de fonds en RDC qui indexent certains proches de Joseph Kabila, pensez-vous que ce dernier serait également impliqué ? Comment expliquez-vous que jusque-là, malgré l’ampleur des fraudes que vous avez révélées, l’entourage financier et économique ne semble pas être inquiété outre mesure par des sanctions internationales ? Est-ce par collusion d’intérêts financiers vu que ces fonds détournés sont bien logés dans des banques occidentales et qui permettent de les injecter dans une économie occidentale à croissance économique plutôt stagnante ?

C’est un grand étonnement pour moi aussi parce que ceux qui détournent directement des deniers publics avec l’implication et la bénédiction de Monsieur Kabila n’ont pas encore été inquiétés par les sanctions internationales. Cela soulève donc une interrogation sur la réelle volonté de la Communauté internationale à soutenir le Congo en ne punissant pas les vrais criminels financiers.

Au-delà des théories dites complotistes ou impérialistes, un éminent économiste me fait observer que si la RDC en arrive à ce point, d’un Etat faible économiquement et quasi à la faillite, c’est parce que ses dirigeants, depuis Mobutu jusqu’à Joseph Kabila n’ont pas compris qu’il faut bâtir une forte économie et non s’en servir. Qu’en dites-vous ?

Joseph Kabila comme Mobutu sont arrivés au pouvoir sans avoir eu un parcours élogieux et exemplaires pour une future gestion de la « Res Publica ». Ils ont ensuite été entourés par des éminents professeurs et conseillers remplis d’intérêts égoïstes, dépourvus de la vision patriotique d’un pays économiquement fort, seule garantie de stabilité à moyen et long terme. Ils ont en commun de n’avoir pas pu lutter contre la mauvaise gouvernance, l’impunité, la corruption et les détournements de fonds publics à grande échelle qu’ils ont eux-mêmes généralisés. Ils ne sont non plus arrivés à mettre en place une planification économique propre à notre cher et beau pays d’où la raison de leurs échecs car la vraie bataille est d’abord économique. Les complots existent certes mais il faut penser aux intérêts vitaux de nos futures générations.

Il donne l’exemple de la Chine, du Brésil de l’Afrique du Sud et d’autres pays du BRICS qui cherchent des solutions alternatives à la « dollarisation » de l’économie mondiale en voulant utiliser une autre unité monétaire contre la politique américaine appuyée par le FMI ? Quel est votre propos à ce sujet ?

Comme nous l’avons soulevé plus haut, il est impérieux d’inventer notre propre modèle économique sans lequel la sortie de ce marasme économique sera difficile. La bonne gouvernance et les autorités politiques épris de bon sens et de bonne moralité demeurent un passage clé pour la création de ces modèles et surtout leur mise en application.

Le problème du Congo n’est plus dans les textes mais aussi dans la volonté des hommes appelés à mettre en œuvre ces outils de développement. Le renouvellement de la classe politique et citoyenne (à travers une société civile apolitique) s’impose.

Nous connaissons des mouvements de jeunes activistes comme la Lucha, Quatrième voix, et bien d’autres. Mais vous avez instauré un activisme de type nouveau et qui fait mouche. Comment pourriez-vous définir cet engagement et les objectifs poursuivis ?

Comme la Lucha, Filimbi, et même la résistance populaire que je respecte beaucoup, je m’inscris dans une lutte citoyenne contre les mauvaises pratiques de gestion au Sommet de l’Etat, celle de l’indépendance économique et de la bonne gouvernance car sans un Congo économiquement fort et discipliné, le changement que nous espérons tous sera impossible.

Avez-vous un message particulier à adresser à la jeunesse congolaise en ce mois de commémoration de l’indépendance de la RDC ?

En ce mois de l’indépendance, j’en appelle à la prise de conscience généralisée du peuple à l’intérieur comme à l’extérieur en passant par un grand rassemblement national. Nous devons nous unir pour barrer la route à la nouvelle dictature de Joseph Kabila et de toute la classe politique corrompue (Majorité et Opposition à sa solde). Le Congo n’est pas un héritage du clan au pouvoir mais un bien commun pour lequel nos ancêtres ont payé de leur sang. Cette nation ne se développera qu’avec les nouvelles bonnes volontés congolaises et jeunes. Levons-nous sans crainte, résistons car nos ennemies sont ceux qui nous dirigent et ceux qui se laissent corrompre pour continuer à pérenniser la dictature et les atrocités au Congo. A la jeunesse kasaïenne, je demanderais de garder espoir car au-delà de la justice humaine, celle divine existe et elle s’appliquera bientôt sur les ennemis de notre mère patrie.

Y’a-t-il des gens qui vous ont inspiré dans votre engagement ?

Concernant des personnes qui ont inspiré mon combat je citerai le Docteur Denis Mukwege, un homme de paix et de grand cœur, pour son engagement à braver la peur et la mort afin d’aider les femmes violées et mutilées, la jeunesse citoyenne de Filimbi et Lucha (Fred Bauma, Rebecca Kavugho, Floribert Anzuluni, Franck Otete, Bienvenu Matumo, Yves Makwambala, David Mukeba et tant d’autres jeunes qui se battent au péril de leur vie pour la liberté du Congo), vous même Monsieur Wondo et votre équipe pour vos analyses très constructives sur le domaine sécuritaire au sens large parce qu’avec l’économie et la justice, la sécurité sera la priorité, à mon humble avis, du prochain président congolais compte tenu de la détérioration et du pourrissement entretenu par la régime actuel.

Propos recueillis par Jean-Jacques Wondo / Exclusivité DESC

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