Jean-Jacques Wondo Omanyundu
SOCIÉTÉ | 07-06-2016 18:00
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La Bataille de l’information dans la reconquête de la souveraineté nationale – Germain Nzinga M.

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La Bataille de l’information dans la reconquête

de la souveraineté nationale

Texte de présentation de Germain Nzinga Makitu lors du séminaire de formation organisée le samedi 28 mai 2016 dans le Nord d’Italie sur le thème général : « Rd Congo : entre l’impasse politique et le décollage

Préambule

photo-germain0001Je m’en voudrais de commencer cette communication sans au préalable faire une mise au point d’une grande importance. Au moment où nous sommes réunis ici pour discuter du devenir de notre nation tiraillée entre l’impasse et le décollage, nous commettrons une grave méprise d’ignorer que deux agendas inconciliables régissent présentement le Congo-Kinshasa.

Pendant que les forces politiques de changement et la société civile misent encore sur la tenue du scrutin présidentiel, le camp Kabila est déjà lancé depuis de nombreux mois dans une communication politique visant à asseoir illégalement son pouvoir. Pendant que le peuple, le souverain primaire, se demande si oui ou non les élections auront lieu et quand débuteront la formation des listes électorales et l’annonce du début de campagne électorale comme ce fut en temps de paix, Joseph Kabila et son camp ont déjà fait passer la situation sécuritaire du pays à l’alerte rouge, au point maximal qui ressemble au contexte d’une guerre. Une guerre non point contre les forces négatives qui tuent les congolais à Beni mais une guerre atypique contre le peuple qui réclame à cor et à cri le respect des délais constitutionnels.

Le peuple et le pouvoir qui le gouverne regardent l’avenir dans deux directions et avec deux visions diamétralement opposées. La non prise en compte de ce facteur empêche les analystes de la crise congolaise de comprendre la vraie nature de cette guerre qui se joue sur le terrain de l’information où le détenteur du pouvoir adopte une communication politique consistant à cacher ses intentions pour surprendre son adversaire à la dernière minute.

D’où l’ultime importance de porter plus d’éclairage sur ce qu’est la bataille de l’information, sur les armes qui y sont utilisées, sur le profil des antagonistes qui s’empoignent, sur les manœuvres et les faiblesses de chaque camp et enfin sur le rééquilibrage du mode opératoire du faible en vue de la reconquête finale de la souveraineté de la Rd Congo.

Qu’est-ce que la bataille de l’information ?

Selon les analyses futurologiques d’Alvin Toffler[1], tout au long des changements historiques majeurs des sociétés humaines, les guerres ont subi à leur tour une grande évolution. Pour l’illustrer, il suffit de voir combien l’âge agraire nous a valu le sabre ; comment l’âge industriel, la destruction massive et depuis l’entrée dans le XXIe siècle, de quelle manière nous sommes entrés dans la société postindustrielle où l’information constituant le noyau dur des économies avancées voit le logiciel triompher de l’acier. Les stratégies des savoirs deviennent désormais le centre névralgique des enjeux de rééquilibrage des rapports de force pour la division du pouvoir mondial.

Dans ce contexte, la bataille de l’information désigne un concept plus large reflétant l’émergence de l’ère de l’Information et le développement parallèle de nouveaux modes d’affrontements politiques (entre Etats-Nation) et sociaux (entre individus et groupes d’individus) convergeant tous à acquérir la supériorité informationnelle en altérant l’information de l’adversaire, ses possibilités d’action reposant sur l’information et ses systèmes d’information et ses réseaux d’ordinateurs, tout en défendant sa propre information et ses propres initiatives etc.

Dans ce cadre, l’infoguerre est à comprendre comme toutes ces méthodes et actions visant à acquérir le maximum d’informations en termes des données ou des connaissances stratégiques tout en infligeant des dommages à un adversaire pour se garantir une supériorité.

Quiconque se risque dans ce duel doit avant tout prendre connaissance des préalables nécessaires ci-après :

  • L’acquisition d’informations (données ou connaissances) stratégiques à propos dudit adversaire ;
  • La dégradation de ses systèmes d’acquisition d’information et de communication ;
  • La manipulation et l’influence de l’opinion de son ennemi via la désinformation et la subversion ;
  • La propagation soigneusement organisée et contrôlée, auprès de cet adversaire, de toute une diversité de messages destinés à servir la stratégie de son camp.

Chaque protagoniste de cette infodominance cherche à tout prix à dérober les connaissances intellectuelles ou les données informatiques de l’adversaire pour détruire et pervertir l’information et provoquer des dommages collatéraux de l’organisation de son adversaire jusqu’au point de l’handicaper de prendre l’hégémonie.

Selon les contextes de paix ou de crise et/ou selon que ces informations sont désirables, vulnérables ou redoutables, cette guerre typique se fait par l’information, pour l’information ou contre l’information.

Par l’information, cette bataille consiste à « produire des messages efficaces qu’il s’agisse de transmettre des instructions ou de rallier des partisans mais aussi en fabriquant des virus informatiques ou en gérant au mieux un savoir supérieur à celui de l’adversaire »[2]. A ce stade, l’information se transforme en véritables armes de guerre qui donne la supériorité à celui qui la détient.

Pour l’information, la guerre procède dans la recherche sans merci à acquérir l’information comme on cherche à s’approprier une richesse. Qu’est-ce donc cette richesse ? C’est se procurer certains renseignements pertinents sur les secrets de l’adversaire, sur ses intentions, sur son environnement ou sur ses brevets d’invention ou ses techniques. A ce stade, on utilise tous les moyens de recherche d’information telle que le moteur de recherche ou les métadonnées pour améliorer l’emprise sur lui.

Contre l’information, c’est le revers possible de la médaille. Pendant que tu cherches à percer le mystère de l’adversaire, il faut s’attendre fort logiquement à ce que lui aussi lutte pour acquérir l’information sur toi. Pour s’en protéger, il faut prévoir des boucliers qui te protègent d’une éventuelle cyberattaque, d’une rumeur propagée par la presse ou encore d’un stratagème hostile. L’important ici, c’est de protéger ses bases de données.

Pour me résumer, il faut prendre distance des théoriciens mécanistes de l’information qui se contentent de restituer celle-ci dans son contexte. Bien au contraire, l’information est devenue action et donne sens. Elle participe au contexte lui-même, elle le fait évoluer, elle le façonne même dans ce sens qu’elle vise le plan de représentations. Comme le reconnait si bien Loup Francart, « le contexte est devenu la cible même des actes de communication. Ceux-ci le précisent, l’évaluent, le façonnent et le transforment»[3]. L’information, c’est le pouvoir.

Dans le tableau général des événements qui nous amènent soit au dénouement ou soit à l’enlisement de la crise politique congolaise, l’information restera la clef de la guerre. Le combattant qui l’emportera est celui qui se serait accaparé le maximum d’informations sur le plan stratégique, opérationnel, tactique et technique.

Il va sans dire que cette information peut même rendre les soldats inutiles. Si, grâce à elle, nous pouvons amener un Etat ou un gouvernement à faire ce que nous voulons ou ne pas faire faire ce que nous ne voulons pas, nous n’avons plus besoin des forces armées[4]. Retenons-le bien une fois pour toutes : « l’information c’est la guerre »[5], « les computers sont devenus de véritables armes, éparpillant de partout la ligne de front»[6] et en fin de compte « le savoir est devenu la source centrale de la destructivité de même qu’il est la ressource centrale de la productivité »[7]. Ceux qui saisiront la multidimensionnalité de l’information, sa projection dans l’avenir et sa réalité virtuelle pourront espérer maîtriser leur devenir. Les autres, jusqu’à preuve du contraire, devront accepter de le subir.

Quelles sont les armes intelligentes de cette bataille inédite?

La plupart des conflits et des guerres qui en résultent naissent des faits de violence et de faits de communication. Ces derniers impliquent la puissance visible des mass-médias, de leurs mots, de leurs images ou de l’action invisible des bits informatiques. Nous avons affaire à des faits technologiques dont l’internet est le symbole de prédominance et le réceptacle des fantasmes. Les technologies de l’information sont devenues des véritables armes dans ce qu’elles font aux gens ou dans ce que les gens en font ou pourraient en faire.

Cette bataille de type inédit a pour armes : les symboles, les images, les électrons et les réseaux. Elle a comme enjeu : le contrôle de richesses intangibles, des croyances, des savoirs, des données, des ressources, des territoires virtuels pour une hégémonie réelle. Elle a pour résultats : parfois de nombreux morts, souvent de milliards volés ou envolés, des millions de citoyens menacés ou mobilisés. Sa finalité est bel et bien le contrôle ou le chaos. Bien entendu, le contrôle par les maîtres du monde de ce qui se sait, se pense ou s’échange. Le chaos comme sanction pour les concurrents ou les opposants en ce sens qu’ils sont réduits à l’incapacité de savoir, de s’exprimer ou de se coordonner.[8]

Dite médiarme, l’information se révèle donc une ressource disputée, un bien immatériel, mémorisable, inscriptible, reproductible, transmissible. Elle peut être aussi vendue, volée, détruite, altérée, falsifiée, monopolisée comme toute richesse. Dés lors que X sait quelque chose qu’ignore Y (comme la formule de la bombe atomique, le contenu de son casier judiciaire ou la date de la prochaine fusion qui fera remonter Nasdaq ou les combines de haut niveau qui pourront provoquer la banqueroute de la BIAC à Kinshasa), il détient à coup sûr un avantage. Lequel ? Celui justement de connaitre avant l’adversaire et corollairement à le priver par tous les moyens d’informations vraies, c’est-à-dire conformes au réel et susceptibles de produire l’effet attendu.

Grâce à sa capacité de propagation, l’information est une force qui agit plutôt qu’une chose qui s’acquiert. Plus elle trouve des repreneurs, mieux elle remplit des desseins de son initiateur. Elle ne se préoccupe plus d’être vraie ou fausse, son objectif principal se voulant d’être répétée avec la finalité de maîtriser le plus du monde possible, d’influer sur les esprits humains mais aussi de modifier le monde selon son plan ou son agenda.

L’arme de l’ère postindustrielle s’avère à juste titre l’information dans ce sens qu’elle est un savoir susceptible de donner la supériorité sur l’adversaire, qu’elle se veut une croyance prête à aider à la réalisation de ses desseins stratégiques. Des données comme une caméra, des rotatives de l’écran, des souris, des vecteurs, des capteurs, un satellite, un code, une clef qui donne le sens véritable d’un cryptogramme ou encore un mot de passe protégeant des zones du cybermonde, un virus capable de pervertir ou autres technologies constituent la panoplie des médiarmes rendant aujourd’hui capables de dégrader l’entière structure de défense de l’adversaire pour le contrôle de l’information. « L’information est devenue la cible du conflit, qu’il s’agisse de se l’approprier avant l’autre ou contre son gré, de falsifier ou de ruiner celle qu’il possède.[9]

Profil des antagonistes de la bataille de l’information au Congo-Kinshasa et les stratégies de communication de chaque camp

En analysant minutieusement le cours des événements dans la bataille impitoyable de l’information qui se déroule au Congo- Kinshasa entre les protagonistes du statu quo ou ceux appelant de tous leurs vœux l’alternance démocratique, nous avons pu distinguer l’existence de deux camps adverses.

Le premier est constitué du régime de Kabila auquel il faut ajouter les actions souterraines de ses stratèges Tutsi et katangais puis l’alliance des vautours (multinationales et puissances anglo-saxonnes) dont les médias mainstream sont une des composantes-clé. Tous leurs faits et gestes consistent principalement à conserver coûte que coûte le pouvoir quoique contre les dispositions constitutionnelles. Pour ce faire, ils se servent des médias d’Etat pour afficher une seule opinion, celle du pouvoir en place qui tient à contrôler l’espace politique en imposant une vision monolithique de gestion de la chose publique. Ils n’hésitent donc pas à bâillonner toute voix critique ou dissidente qui n’épouse pas la vision dominante.

Plus que les collaborateurs katangais davantage versés comme exécutants dans la répression violente des populations civiles, les stratèges non congolais, en l’occurrence les partenaires et alliés rwandais qui forment le gouvernement parallèle de Kabila et donc la véritable source de décisions stratégiques régissant l’avenir du Congo-Kinshasa, investissent eux aussi le champ de bataille de l’information en endossant le costume congolais, interagissant sous couvert de fausses identités congolaises dans le débat entre internautes des réseaux sociaux avec la nette intention de fausser le débat, de l’embrouiller ou de le détourner de ses objectifs fondamentaux.

A ces loups-garous de la région de Grands Lacs, il faille ajouter leurs commanditaires qui ne sont rien d’autres que les chiens de chasse des multinationales et des puissances occidentales dont les médias dominants constituent la voix officielle et qui, sur la crise congolaise, ont opté pour un black out, appliquant ainsi la loi de l’omerta sur tous les massacres qui se déroulent en Rd Congo[10] et sur toutes les parodies électorales qui s’y sont déroulées en 2006, en 2011 et bientôt en 2016.

En sus, ce sont eux qui en finançant quasi à 80% le budget du scrutin électoral congolais se donnent le privilège indiscutable (à leur point de vue) de décider qui doit être élu président et qui ne doit pas l’être, rendant ainsi le scrutin congolais exempt de toute légitimité démocratique et vidé de tout exercice de souveraineté du peuple. C’est suivant le choix dévolu sur untel candidat présidentiable que vous verrez ces « donateurs-décideurs » accorder une tribune de presse à tel plutôt qu’à un autre sur des plateaux de télévisions à grande audience internationale telles que France 24, CNN, BBC etc. Et même la presse écrite tel le quotidien Le Monde ou le Washington Post et The Guardian Post et/ou fort malheureusement l’hebdomadaire Jeune Afrique depuis quelque temps, est aux avant-postes pour décider, selon les intérêts qui sont les leurs, à quel candidat présidentiable accorder une page publicitaire suivant une approche communicationnelle qui laisse facilement deviner les intérêts géostratégiques et géoéconomiques cachés derrière la ligne éditoriale.

De l’autre coté, l’adversaire qui s’inscrit en faux contre ce plan anticonstitutionnel a un triple visage :

  • les forces intelligentes pro-changementparmi lesquelles il faudra énumérer les animateurs de blogosphères ou des websites qui réagissent coup sur coup à toute manœuvre du gouvernement pour se maintenir frauduleusement au pouvoir ; les auteurs de publications d’ouvrages de facture scientifique indiscutable qui remettent en cause toute l’architecture des manœuvres de l’ennemi. A
    ne pas négliger les images vidéo et les nombreux commentaires des internautes circulant sur des réseaux sociaux et qui contredisent le discours idéologique du pouvoir en place à Kinshasa. Ces forces intellectuelles pour l’alternance démocratique sont en train de façonner progressivement une nouvelle opinion nationale et internationale sur les véritables ressorts de la crise congolaise et constituent le véritable casse-tête du pouvoir de Kinshasa.
  • les forces de résistances communément appelées « les combattants » en majorité vivant en diaspora mais de plus en plus sur le théâtre des opérations dans les agglomérations urbaines congolaises sont le fer de lance de protestations sur les places publiques avec des actions d’éclat telles que la prise provisoire de l’ambassade congolaise dans une capitale occidentale; la séquestration de ses officiels ; le cabotage du cortège présidentiel etc. le tout avec le support médiatique des images prises sur le vif pour déstabiliser le puissant adversaire et proclamer la victoire du faible contre le fort.
  • la fougue imprévisible des masses populaires congolaises dont l’impatience et les frustrations deviennent une bombe à retardement donnant des insomnies au pouvoir en place.

Quelles sont les stratégies de combat dans chaque camp ?

1.     Les modes opératoires du camp au pouvoir

1.1 L’art de faire croire

Depuis son accession au pouvoir, Joseph Kabila utilise d’antiques stratagèmes consistant à développer des techniques censées convaincre, séduire ou changer les habitudes mentales par la seule force de signes tels que les mots, images, chants ou scénographies. C’est ainsi qu’en traversant les rues de Kinshasa, on voit poster partout des tableaux géants de la photo de Kabila avec un large sourire, regardant les réalisations du reste « fictives » de ses cinq chantiers. Sur le boulevard du 30 juin où en 2012, j’ai eu personnellement à marcher à pieds pour en faire la comptabilité investigatrice, j’en avais dénombré pas moins d’une centaine. On y voit des aéroports ultramodernes, des autoroutes, des plans de nouvelles cités ; un schéma architectural du nouveau quartier hyper moderne à la Foire Internationale de Kinshasa (FIKIN) ou tant d’autres réalisations annoncées pompeusement sauf que tout cela reste sur du papier voici depuis quinze ans.

Il s’agit ni plus ni moins de la désinformation dont la forme canonique est la fourniture indirecte d’informations truquées complétées par l’action de relai d’opinion. A ce stade, elle est dite positive parce que son instigateur cherche par des sources neutres de chiffres montrant l’excellence de son système ou de son régime. A l’instar de l’épisode des « villages Potemkines », ces décors de théâtre disposés par le ministre sur les routes de la Grande Catherine, pour lui faire croire que les campagnes russes étaient heureuses et prospères[11], Kabila inaugure des locomotives sans que celles-ci ne réussissent un seul jour à tracter les wagons de train ; il inaugure la fibre optique sans qu’aucune connexion ne soit jamais rétablie dans des foyers congolais  et tout récemment il a inauguré le bombardier 400 Anuarite Nengapeta cloué au sol dès son premier vol inaugural.

Pour soigner confortablement son image politique sans aucune volonté de changer son pays, Joseph Kabila se sert de ce leurre de la modernité qu’il ne faut point confondre avec la croissance visible et vécue par le petit peuple. Cela fait partie de la stratégie de ce même Kabila passé maître dans l’art du faire croire. Eclate-t-il le conflit à l’Est, il fait semblant de trouver une solution pendant qu’il sait pertinemment bien que c’est lui l’instigateur ou le co-instigateur. Il propage ainsi des images, des affiches et des icônes pour répandre des idées et des symboles qui confortent sa position de domination ou encore pour donner de lui l’image d’un président qu’il est loin d’être en réalité. Il joue à la falsification du réel pour faire activer le marketing de la croyance autant que la contagion du fanatisme tout en gagnant du temps sur son entreprise prédatrice sur la Rd Congo.

Très peu de congolais sont prêts à prendre un minimum de recul vis-à-vis de cette vaste fausseté et à échapper au bourrage de crânes. En seize ans de son mandat présidentiel, les cinq chantiers censés fournir infrastructures, création d’emploi, éducation, eau et électricité, santé ont produit tout le contraire jusqu’au point de voir la Rd Congo trouver son piteux honneur en étant classée dans l’initiative pour les Pays Pauvres Très Endettés de la Planète (PPTE) et au plus bas de l’indice du développement humain de PNUD, à savoir classé 176e sur 188[12]. Et si les congolais sont encore prêts à soutenir le Rais pour un énième mandat quoique contre les dispositions constitutionnelles, c’est justement parce qu’il a appliqué l’art de faire avaler des falsifications historiques à une bonne partie du peuple. Il leur a bourré les crânes et, par la récente opération marketing de « Kabila Désir », continue de leur faire croire faussement qu’il est le meilleur des présidents et que sans lui ce sera le chaos.

1.2 La stratégie du secret

Joseph Kabila sait mieux que tout congolais que le secret est la condition de toute stratégie de communication. C’est de lui que dépend l’imprévisibilité de l’action. Il est donc le seul atout que puisse offrir l’intelligence stratégique en vue de diminuer la liberté d’action de l’adversaire, d’épaissir le brouillard qui gêne sa décision et enfin de l’amener dans la direction où il veut.

Pour ce faire, le président congolais sortant utilise ledit secret dans son rôle à la fois défensif et offensif. Défensif dans la mesure où il lui permet d’empêcher l’autre de découvrir ses intentions, de les modifier ou de les contrôler. A l’instar de François Mitterrand, il veut savoir tout sur tout le monde et rien faire savoir sur soi-même. Offensif dans la mesure où il s’en sert pour surprendre ses adversaires. Personne de son entourage ne sait ce qu’il fera dans les heures qui suivent. Personne ne sait dire s’il renoncera au pouvoir ou non. Il se drape dans son silence légendaire et de là cet homme politique trop silencieux réussit à contrôler des millions de congolais qui ont pourtant fait mieux que lui des parcours universitaires brillants. Ses proches collaborateurs disent de lui qu’il est chaque jour collé de nombreuses heures à con ordinateur prenant connaissance de tout ce que disent ses ennemis sans qu’il exprime une syllabe de ce que lui pense et veut faire.

Lui seul a su avant quiconque que la victoire finale appartient à celui qui a clairement compris que « les rapports des forces opposent les détenteurs de secrets à ceux qui sont vulnérables. Les furtifs et les voyants sont des vainqueurs et ceux qui n’ont plus de secret, les perdants »[13].

Dans ce sens, détruire tout moyen de dissimulation du camp adverse devient une priorité. Garder ou découvrir un secret devient un problème de force de calcul de la même manière que gagner une guerre est une question de puissance de feu.

1.3 Infiltrer l’adversaire…

Pour avoir manqué la maîtrise de secret autour de ses propres desseins et pour avoir choisi la culture d’exhibition narcissique sur la toile, les forces intellectuelles comme celles combattantes sont infiltrées de haut en bas. Le régime au pouvoir les a étudiées une par une, analysant leur mode opératoire tout en identifiant leurs us et coutumes puis le profil exact de chacune de leurs têtes de proue.

Mettant à profit la modicité de leurs moyens financiers et les limites à fleur de peau de leurs convictions idéologiques, il les achète un à un et cette opération est en cours. La visée principale pour le pouvoir de Kinshasa est d’infiltrer les forces du changement pour jauger tout ce qui y est concocté contre le statu quo en vue de les prendre de court par des actions anticipant largement sur le projet ennemi. Nous avons vu combien le 16 février 2016 dernier, ils ont décidé eux aussi de faire une contre-marche pour les martyrs de la Conférence Nationale Souveraine, semant peur et panique dans le camp des ecclésiastiques en mal d’un plan B et qui ont fini par reculer, laissant tout le terrain à l’adversaire.

Ces infiltrations massives des forces de changement ne se font pas seulement au niveau du pouvoir de Kabila. Elles sont également orchestrées par ses alliés des Grands Lacs qui lèvent des rebellions apparemment congolo-congolaises mais dont les officiers supérieurs sont à la solde de Kigali ou d’Entebbe.

Il ne faut point négliger par ailleurs l’infiltration orchestrée par des puissances occidentales via des ONG ou autres stratagèmes telles des missions de médiation visant à contrôler l’adversaire. A ce propos, tout esprit averti doit s’intéresser à la manière avec laquelle les réseaux sociaux ont pris une place centrale dans la politique américaine et a fortiori dans sa stratégie d’influence internationale.[14]

1.4 La stratégie de la chauve-souris

Dès lors qu’il infiltre le camp adverse, Joseph Kabila a l’art de jouer à la chauve-souris. Selon les traditions africaines, la chauve-souris s’avère dangereuse parce que personne ne sait si elle est un oiseau ou un mammifère. Tout en ayant la forme d’une souris, elle se rend capable de voler. Face à cette énigme identitaire, les congolais se perdent en conjectures pour définir l’essence réelle de Joseph Kabila, sa vraie identité, sa vraie nationalité, le véritable camp pour lequel il travaille etc.

Se présentant comme citoyen et donc président du peuple congolais, le même sujet agit jour et nuit comme une souris (une des composantes de la chauve-souris) qui a réussi à bien s’infiltrer – non par la porte principale mais par les trous de la toiture- dans le secret d’Etat de la maison Congo et dans les cœurs et les esprits des congolais.

A l’instar de la chauve-souris qui s’accroche au plafond et fait semblant de présenter cette face indolente alors qu’elle a le regard sur tout ce qui y bouge ou respire, Kabila dans cet art de ruse voit tout le monde sans que personne ne le voie. Il connait tous sans que personne ne le connaisse au fond. Il surveille vos faits et gestes et, au moment où il juge opportun, il peut du haut de sa position stratégique lâcher sur vous une décharge vénéneuse et létale pour vous injecter la peste ou tout autre poison qui porte son adversaire à la mort certaine et définitive.

1.5 La stratégie de gestion de perception

Comme il a pu s’infiltrer dans le saint des saints de son adversaire, il est au courant de tout ce qui s’y pense ou s’y prépare. Pour assurer alors son contrôle absolu sur l’ennemi, Joseph Kabila met en pratique ce que les stratèges américains appellent « perception management » ou la gestion de la perception consistant à contrôler, réguler et influencer tous les processus d’interprétation, de conclusions et de décisions d’une personne ou d’un groupe. Tout le travail manipulatoire consiste ici à diriger et à orienter, la perception et la conscience d’un événement jusqu’au point de fausser toute la représentation du réel de son adversaire.

Pour Joseph Kabila, la victoire se gagne dans la tête de l’ennemi et non contre son corps. Il s’est employé pour ce faire à identifier des failles psychologiques dans les schèmes des congolais pour les induire massivement en erreur afin de limiter leur capacité décisionnelle. Sa stratégie a atteint son plus grand raffinement dès lors qu’il réussit à s’en prendre aux plans ennemis ou de se réclamer de la programmation neurolinguistique qui contraint invisiblement l’adversaire à parler comme lui le veut, à agir comme lui il a voulu le programmer.[15]

1.6 La stratégie de saturation électronique

En 1974, Elisabeth Noëlle-Neuman[16] avait lancé la théorie de la « spirale du silence » qui décrit l’influence répressive des médias d’état sur l’opinion publique. Selon elle, les mass-médias ne reflètent pas la totalité des opinions présentes dans le public, mais seulement une fraction « autorisée ». Ceux qui partagent ces opinions se sentent majoritaires et osent s’exprimer, alors que ceux qui ne les partagent pas se retirent du débat et taisent leurs convictions pour éviter d’être rejetés et isolés. Les médias sont ainsi accusés d’entretenir un consensus artificiel.

Dans le sillage de cette théorie, le régime de Kinshasa sait qu’une opération de désinformation isolée n’est rien si elle rencontre un courant déjà dominant. Toute tentative de mobilisation de l’opinion par des images vraies ou de purs trucages se heurte à la concurrence. C’est ce climat de grande compétitivité qui s’affiche sur les réseaux sociaux entre le discours du pouvoir et celui des forces intelligentes pro-changement.

L’arme redoutable de Kabila consiste dans ce contexte à saturer la toile pour s’emparer d’un capital de temps forcément limité. Il met ainsi en vedette une information pour saturer la toile et empêcher aux internautes de penser diversement à autre chose. Ainsi donc, le buzz provoqué fin février 2016 par la mort « présumée » de l’abbé Apollinaire Malu Malu, la surmédiatisation des funérailles en quasi une semaine de Jules Wembadio puis immédiatement après la saturation de la toile avec la filmologie du « prétendu » chemin de croix de Moïse Katumbi qui se soldera provisoirement par son évacuation en Afrique du Sud sont là des modèles-types des manœuvres de saturation de la toile en vue d’écraser toutes les autres informations pouvant suscitant la réflexion critique et que le pouvoir souhaite voir renvoyées aux oubliettes en les noyant dans le flot informationnel.

Tout en imposant la censure sur les actions du camp adverse, le régime en profite aussi pour masquer la publication de ses décisions tout autant illégales qu’impopulaires telles que le blanc seing octroyé par la Cour Constitutionnelle à son glissement postélectoral ou encore d’autres décrets présidentiels qui passeraient difficilement en temps normal.

A ce niveau de bataille de l’information, le pouvoir use de deux techniques pour contrôler le volume quantitatif de l’information. Il alimente le flux en même temps qu’il le dirige selon le principe d’autoallumage[17]. Il se donne ainsi le moyen de censurer, d’instaurer un consensus de fait sur ce qu’il trouve convenable ou intéressant de mettre en lumière et ce sur quoi il faut garder silence.

Lui seul détient le pouvoir de discriminer entre ce qui doit être rendu visible et ce qui doit être ignoré. Il en va de même concernant des informations qui passent à l’Agence Congo Presse (ACP) ou à la RTNC, la télévision publique. Elles subissent elles aussi cette censure dans la mesure où « l’émetteur organise l’information ou l’image télévisuelle à partir de ses propres codes qui coïncident avec ceux de l’idéologie dominante tandis que les récepteurs la remplissent de significations aberrantes selon les associations d’idées méthodiquement préparées d’avance par l’émetteur.»[18]

1.7 L’art d’asphyxier le camp adverse…

La nouvelle configuration actuelle d’Information et de Communication est celle d’un véritable champ de bataille où s’affrontent les géants de la politique contre des combattants qui n’y trouvent nul repos et nulle compassion. Cette situation a engendré des grandes inégalités entre inforiches et infopauvres, entre ceux qui détiennent le monopole de l’information et ceux qui en sont carrément privés. Les précautions des experts en la matière pour imposer un Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication(NOMIC) en vue de réclamer un meilleur rééquilibrage dans les systèmes de l’information et de communication du village planétaire n’a pas fait avancer la problématique[19].

A partir du moment où le pouvoir en situation d’inforiche contrôle la mine d’informations en face à un peuple « intellectuellement » clochardisé et traité d’infopauvre, le premier est en position de manipuler le second à sa guise et, dans ces conditions défavorables, ce dernier camp adverse dépouillé de mécanismes technologiques pour se protéger voit tomber toute l’architecture de son secret stratégique. Il n’est plus invisible. Au contraire, il est connu par son ennemi et il est désormais à sa merci. Ce dernier peut donner l’estocade finale quand il veut et comme il l’entend.

L’asphyxie du camp adverse peut aussi venir du blocage total des autoroutes de l’information. Ce plan a été mis en exécution dès lors que le gouvernement de Kinshasa a décidé de saboter via le ministère de postes et communications, l’installation des câbles sous-marins à fibre optique censés doter tous les foyers congolais des infrastructures modernes de télécommunication aux fins de faire bénéficier tout le pays des applications des technologies de l’information et de la communication (TIC), telles que la TNT, le e-learning, le e-banking, la télémédecine, l’e-commerce etc.[20]

A ce niveau, il démontre clairement son intention d’asphyxier le camp adverse en gardant le monopole de l’information tout en se donnant l’avantage de couper le signal chaque fois qu’est bousculée la ligne de défense de son pouvoir. L’exemple de janvier 2015 où toutes les lignes de communication jusqu’au SMS furent coupées puis le chaos engendré dans le camp des manifestants nous en dit long sur les nombreuses fragilités émaillant la bataille de l’information.

1.8 L’art de montrer ses muscles…

Au fur et à mesure que s’approchent les échéances électorales, le pouvoir de Kinshasa use de l’art d’exhiber les « muscles » non point à la manière du boxeur mais par la démonstration de forces via des parades militaires, des défilés suis generis et médiatisés des chars de combat dans les rues de la capitale, les déploiements le jeudi 26 mai 2016 dernier des forces de police et des forces militaires au moment de la marche de protestation pacifique, des campagnes d’intimidation du général Célestin Kanyama à travers les églises et les campus universitaires, là même d’où peut surgir tout danger d’insurrection populaire.

Mais dans cette bataille de l’information, il importe de savoir que ce n’est par sur les armes, fussent-elles des chars de combat ou des cameras vidéosurveillances parsemées dans les rues kinoises que veut s’appuyer le pouvoir de Kinshasa. Il s’en sert juste sous forme d’opérations psychologiques pour formater la peur dans l’esprit des foules et pousser celles-ci, dans leur instinct de survie, à l’ultime décision de rester chez soi le jour J.

La véritable victoire ne survient pas le jour où les canons vont cracher le feu ou encore au moment de la confrontation des forces de l’ordre (ou du désordre c’est selon) avec la population civile. Non, depuis les nombreuses campagnes de désinformation qui précédaient l’entrée de l’AFDL dans de la plupart des villes congolaises en 1996, nous savons que la véritable victoire est gagnée bien avant la confrontation militaire, dans les opérations psychologiques qui consistent à intimider l’adversaire, à le faire douter de lui-même et à le contraindre de capituler avant l’attaque frontale.

2.     Le mode opératoire du camp adverse

2.1 L’art des commandements polycentriques

Pendant que l’avènement des médias alternatifs est venu changer l’univers médiatique du monde, il a exercé au Congo un impact sans pareil pour arracher le monopole de la vérité au régime en place. Que ce soit à Kinshasa ou en diaspora, ces medias alternatifs reflétant un autre son de cloche que celui des médias alternatifs ont permis de fournir la parole aux faibles jusque là écrasés par le triomphe de la pensée unique. Ils leur ont donné les armes pour lutter contre la lobotomisation et le décervelage que les médias de l’Etat tenaient à voir fleurir dans les esprits des consommateurs de leurs informations et images traitées selon une ligne éditoriale partisane.

Ces medias alternatifs dans l’univers médiatique congolais fonctionnent sur un mode sui generis. Contrairement au camp du pouvoir qui diffuse les informations sous la férule de l’Autorité morale et sous le commandant de cette dernière, le camp adverse agit d’une manière centrifuge. Il pratique une guerre d’information polycentrique, avec de nombreux foyers autonomes et des multitudes de centres de commandement. Ces derniers sont séparés les uns des autres mais animés d’une même et seule visée et d’un même slogan: « Kabila dégage».

Cette guerre décentrée donne des sueurs froides au pouvoir parce qu’elle fait de l’ensemble de ses acteurs une hydre, un monstre à plusieurs têtes. Le pouvoir a beau soudoyer et corrompre pour couper la tête d’un tel en vue de soumettre la dynamique scélérate mais il surgit une autre tête dont il ignorait le profil.

L’existence de plusieurs centres de pouvoir permet à la dynamique de résistance de survivre aux nombreuses attaques et à se contrôler mutuellement au sein du système. Tous contre le pouvoir mais dans une grande méfiance les uns des autres et une grande réserve envers le « camarade résistant » qui aurait peut-être déjà toucher le pot de vin pour trahir le combat.

2.2 La stratégie de révéler au grand jour les points faibles du régime…

L’activité politique est profondément caractérisée par la culture du secret. L’art de simuler et de dissimuler (Nicolas Machiavel), l’art de se taire (Gracia) font les qualités d’un homme d’Etat d’exception se rendant par là prompt à surprendre l’adversaire par une décision inattendue. Tout au long des siècles, les populations civiles se sont rendues complices de cette schizophrénie totalitaire qui autorise l’élite au pouvoir d’être détentrice de grands secrets de la République.

L’actualité démocratique de ces derniers temps marquée bien souvent par la culture de la transparence laisse surgir de nouveaux comportements chez les administrés qui tiennent coûte que coûte à pénétrer les secrets des alcôves.

C’est ici où je salue le travail de fourmis de DESC qui a réussi à démystifier la notion des questions sécuritaires hautement sensibles et top-secrètes en Rd Congo. L’analyste Jean-Jacques Wondo qui en est le directeur s’est rendu maître dans l’art de mener des investigations du dedans, dans les arcanes mêmes des secrets d’Etat congolais, mettant à nu les actions obscures menées soit disant au nom de l’intérêt national mais en réalité œuvrant contre le Bien commun. Les exemples sont légion où ce site a été le fer de lance de révélations sur des manœuvres dilatoires ou illicites des mandataires de l’Etat, redonnant du coup au domaine sécuritaire et militaire, son caractère d’« institution publique » sur laquelle le souverain primaire entend désormais exercer son droit de contrôle.

Un autre regard sur milliers d’autres sitesweb, dont à titre exemplaire Ingeta.com ou reveil-fm.com va dans le même sens. Le premier en révélant la main invisible des puissances étrangères dominantes. Le second en relayant largement les faits et gestes de Matignon ou de l’Elysée à un public congolais qui sait désormais voir les connexions de l’Hexagone avec les prédateurs qui mettent à genoux le destin de la Rd Congo. Toutes ces forces intelligentes veulent par là lancer un message clair au régime de Kinshasa, message selon lequel c’est fini le temps de manipuler le peuple et de le traiter comme une bande d’enfants.

Comme je l’écrivais en 2006 dans mon ouvrage La manipulation des médias congolais en période électorale, quelques mois avant la tumultueuse élection présidentielle, le pouvoir manipulateur en complicité avec les médias officiels cherche à influencer l’opinion publique pour mieux la dominer en lui imposant une orientation qui l’arrange. Pour ce faire, « le message manipulatoire est construit et diffusé pour le rendre acceptable et désirable. On vise à persuader par séduction. Mais d’une séduction si dissimulée que le public finit par ne pas la voir malgré les effets pervers qu’elle exerce sur lui »[21].

Beaucoup de déclarations du pouvoir se veulent en réalité des messages mensongers construits pour vaincre la résistance et obtenir la subordination de ses interlocuteurs à son plan caché »[22]. La manipulation perd de toute sa force dès lors que sont révélées au grand jour les motivations belliqueuses ou politiques machiavéliques cachées derrière de beaux discours et d’autres gestes médiatisés du pouvoir. Dire à ce pouvoir que nous le comprenons le déstabilise dans l’exécution de ses plans et crée dans son propre camp la suspicion, la tendance généralisée de prendre son camarade militant comme un traître potentiel. Une petite victoire de la part du faible qui ne dispose pas de tous les gros moyens mais réussit à faire reculer le fort ou à lui faire changer d’avis.

2.3 La stratégie de coup sur coup…

La plupart des blogs et des websites tout comme les réseaux facebook ou tweeter ne restent pas indifférents aux événements qui se déroulent sur la terre natale. Tout est suivi, analysé, décortiqué sur tous les angles pour chercher le sens caché des actions politiques en cours au pays et dans le monde.

La blogosphère est richement desservie par les analyses de Baudouin Wetchi Amba dans www.congoindendant.com ou par la vidéo hebdomadaire de deux brillants analystes politiques, en l’occurrence Jean-Pierre Mbelu au micro d’Etienne Ngandu ou Kerwin Mayizo qui tous deux passent régulièrement au peigne fin tous les événements ayant trait à la République démocratique du Congo. Tout ce travail de titan en matière d’information et de communication commence à façonner une opinion congolaise plus mature, couplée au sentiment de mépris et de dégoût généralisé vis-à-vis d’un pouvoir dont elle commence à peine à mieux circonscrire les véritables mécanismes de son fonctionnement scélérat et criminel.

Ici mes recherches m’ont fait comprendre par ailleurs que tous les coups tordus sont permis et cela, non point seulement de la part des tenants du pouvoir. A ce sujet, il faut signaler l’existence de beaucoup de sitesweb ayant versé dans la désinformation ou la mésinformation pour diaboliser l’autre camp par tous les moyens.

Le danger demeure plutôt très grand parce que le pouvoir récupère souvent cette arme de diffamation pointée vers lui pour la retourner contre certaines figures de proue de la résistance combattante ou de celle des forces intelligentes en lâchant sur la toile des rumeurs dans l’intention de salir sciemment l’aura morale de certains leaders et les rendre non crédibles et non opérationnels. Beaucoup sont tombés dans ce piège et le résultat est bel et bien la division des forces de résistance voire la menace de leur implosion.

2.4 La stratégie de montrer les dents

Une petite enquête chez tous les fauves (lion, loups, ours etc.) tout comme chez le doux petit chien ou chat de notre environnement domestique m’a fait comprendre comment ces derniers s’emploient à menacer une proie ou à se défendre devant un adversaire plus fort qu’eux. Ils ouvrent grandement la bouche, faisant voir les longues dents pour effrayer l’autre. L’exhibition de ces dents a pour message subliminal de provoquer la peur chez l’autre et d’avoir une position de dominance sur lui.

Revenant sur les forces combattantes et sur la fougue du peuple congolais, ces dents sont justement sa capacité de casse, son intention réelle de capture de la proie (à savoir le président en exercice et ses proches collaborateurs) ou de la mise à mort.

Pour mieux effrayer son adversaire, non seulement il ouvre la bouche pour montrer de quoi il est capable, mais il lance un grand cri comme tous les fauves. Depuis les temps immémoriaux, la foule populaire a toujours fait peur aux dirigeants. En latin, il est nommé «turba», à entendre par là une affluence et une agitation qui finissent par devenir incontrôlables et donc menaçantes contre tout maintien du pouvoir en place. Et son cri relayé par des millions de personnes finit par abasourdir l’adversaire et le faire paniquer. Son impulsivité, sa mobilité et son irritabilité si bien circonscrites par Gustave le Bon[23] sont capables à elles seules de déstabiliser le Fort et de précipiter sa chute.

Les faiblesses stratégiques des forces du changement

1.     L’ignorance quasi-totale de l’adversaire

Dans une guerre de l’information, les décideurs sont souvent victimes de nombreux biais déformant leur capacité à percevoir le caractère critique d’un événement et en même temps à l’interpréter d’une manière correcte. On tombe alors dans le piège de prétendre comprendre la stratégie de l’autre alors que l’on est juste en présence de la projection de ses propres attentes conjecturelles. Le danger ici est d’appliquer des modèles obsolètes à des situations nouvelles.[24]

La résistance congolaise est plusieurs fois tombée dans ce piège dans son combat contre la kabilie. Depuis son accession au pouvoir en 2001, toute l’élite intellectuelle s’est habituée à traiter le Kabila avec mépris pour son manque de passé universitaire. Je vous épargne de la longue liste de qualificatifs de mépris dont il a été affublé.

En tant que chercheur, ce qui m’intéresse, c’est le fait que tous ces qualificatifs disent tout sauf l’essence secrète et mystérieuse de ce jeune homme de 32 ans qui a pris la commande de ce pays à la dimension d’un continent et qui résiste contre vents et marées pendant quinze ans ou peut-être un peu plus longtemps selon la tournure que prendront les événements relatifs aux élections prévues aux derniers mois de cette année en cours.

Prenons notre courage de nous dire à nous-mêmes que nous lui avons permis de nous subjuguer à ses desseins non point seulement parce qu’il pratique la stratégie du secret et de la dissimulation mais aussi parce que nous avons été et nous sommes encore myopes et naïfs vis-à-vis d’un danger imminent, d’un pion majeur placé au sommet de l’Etat et dont l’élite politique, sociale et religieuse de la province de Katanga a reconnu hier l’ascendance congolaise avant que les mêmes katangais se mettent ces derniers à nier piteusement son identité congolaise. Kabila a divisé les congolais, se mettant dans un camp contre les autres pour prendre des racines très profondes et de là aller dans le sens de remplir la mission pour laquelle il est à la tête de ce pays, à savoir le conduire à son implosion et à son collapse complet.

2.     L’ignorance quasi totale de soi-même

Durant les trente-deux ans de dictature de Joseph-Désiré Mobutu, l’essence de l’homme zaïrois/congolais a connu de grandes mutations somatiques et spirituelles. Dans ma dernière publication sur « Stratégies de domestication de d’un peuple. BMW comme armes de domestication massive », je suis revenu abondamment sur ce thème pour attirer l’attention de mes compatriotes sur l’image de jouisseur impénitent que nous projetons devant les autres nations et qui se vérifie dans l’incapacité de la classe dirigeante à pouvoir relever des défis et prendre des responsabilités pour redresser le front longtemps courbé de notre peuple.

Cette injure est pour moi comme la petite fenêtre par laquelle je suis entré dans le secret de l’essence congolaise pour voir avec horreur et stupéfaction ce que nous sommes devenus après un demi-siècle des danses et des chants. Selon la logique de jouissance massive, les congolais ferment les yeux comme une autriche devant les enjeux vitaux de l’avenir de leur pays pour se refugier dans les plaisirs aphrodisiaques de la bière et ceux du bas-ventre.

Le déficit de se connaître soi-même le rend hautement vulnérable devant n’importe quel manipulateur et ouvre la porte de son pays à n’importe quel aventurier qui se proposerait à les gouverner. Le premier gouverneur de la province des Falls (actuel Kisangani) n’est-il pas Tippo Tip, un sujet tanzanien et marchand des esclaves qui ne sont autres que des sujets congolais qu’il fut censé administrer? Tippo Tip venant de Zanzibar n’avait-il pas été adopté grâce à sa ruse comme héritier du trône du roi Kasongo dans le Sankuru ? Le jeune Mwanza Kasongo dénommé plus tard Ngongo Lutete ne s’est-il pas attribué la triste renommée de devenir le premier bourreau de ses propres frères de sang qu’il livra avec cruauté à ce trafiquant d’esclaves tanzanien ? [25]

Pour ne pas aller très loin et plus récemment, un autre sujet étranger débarque dans notre pays sous l’identité et le passeport rwandais. Pendant que durant toute la campagne militaire qui portera l’AFDL à Kinshasa il s’appelait Hippolyte Kanambe, Mzee lui colle le statut de fils biologique avant que les dignitaires katangais ne lui donnent une généalogie qu’ils commencent à lui dénier depuis quelques mois. Comme l’histoire de la bêtise, de la médiocratie et de l’insoutenable légèreté d’être continue son cycle chez les zaïrois/congolais.

Dans cette saga politique qui nous porte vers le scrutin de décembre 2016 où les forces dominantes ont réussi à changer le tableau électoral en positionnant « miraculeusement » les candidats présidentiels favorables au maintien de leur système, le peuple congolais a déjà oublié ce qui s’est passé en 1960 avec Lumumba et en 1996 avec Joseph-Désiré Mobutu. Il a déjà oublié que chaque fois que les puissances occidentales lui viennent en aide pour se choisir un dirigeant, cela n’a JAMAIS été pour défendre et promouvoir les intérêts vitaux du peuple et sa souveraineté. Tout le décor est planté pour voir tourner la roue de l’histoire, l’histoire de la Naïveté congénitale congolaise.

Ma conviction est claire à ce propos : sans une profonde connaissance de soi-même, il est impossible de prétendre gagner une quelconque bataille. La sagesse de Sun Tzu à ce propos est implacable : « Si vous êtes ignorant de l’ennemi et de vous-mêmes, vous pouvez être sûr de vous trouver en péril à chaque bataille »[26].

3.     Le vide stratégique des forces de résistance

Pour attirer à soi la victoire dans la guerre de l’information, il faut avant tout se doter d’une maîtrise de l’information. Et cette dernière se décline au niveau de la stratégie globale et de la stratégie générale comme outil de connaissance, de gouvernance, d’influence et d’action. Elle doit définir ses objectifs bien ajustés à la situation future recherchée. Elle doit être une véritable manœuvre menée en synergie avec la manœuvre des unités sur le terrain.

L’impasse même où se trouve plongée la RD Congo présentement s’explique par le vide béant d’une stratégie globale qui fixerait le cap à tout le peuple. Le bateau Congo tangue tout en naviguant à vue. Et les forces congolaises de changement qui devraient lui éviter de couler accusent le même déficit stratégique. Quand bien même tous veulent le départ de Joseph Kabila, très peu sont en mesure de définir les buts, les objectifs, les plans d’action et des modes d’action, organisations, équipements, formation et entraînements des personnels pour organiser une action d’une telle ampleur qui demanderait de faire pression accrue jusqu’à son éviction et d’imposer par après un autre régime plus propice à la bonne gouvernance immédiatement après sa chute. Et toute cette saga politique doit être animée dans ses fondations par une nouvelle doctrine politique dans chaque domaine d’action.

Sans une idéologie politique précise et une direction claire des opérations, chaque bataille est vouée à l’échec. Et le fait que la guerre de l’information est polycentrique pêche justement par une grande carence d’un centre de commandement unifié et d’un travail en réseau, tuant hélas dans l’œuf toute possibilité de coordination des actions pour rendre plus efficace l’action de déstabilisation du système adverse et pouvoir espérer aboutir à des résultats escomptés.

4.     Le manque d’anticipation…

Le vide stratégique entraîne bien évidemment une autre faille, celle de l’incapacité à prendre l’initiative sur l’offensive. Naviguant à vue et ignorant presque les intentions de l’adversaire, on se perd dans les actions de défoulement public et dans une débauche d’énergies devant être utilisées à bon escient.

Dans la guerre de l’information, la défaite signifie en d’autres mots obéir à l’agenda dicté par un plus fort. Vous obéissez à ses desseins et il vous amène là où vous n’avez pas prévu d’aller. Autrement dit, vous allez droit au mur.

Par contre quiconque veut vaincre dans la bataille de l’information doit prendre de l’avance sur son adversaire à propos des connaissances immatérielles et des informations stratégiques qui lui permettent de poser des actes qui contraignent l’ennemi à suivre ce que le plan d’action du fin stratège a prévu.

Il n’y a pas de guerre sans info-guerre ! Il s’agit en d’autres mots de jouir d’un meilleur éclairage que celui usé par l’adversaire sur la réalité de terrain, les forces et l’environnement, de deviner ses intentions, de dissimuler ses propres positions et intentions, de décoder les intentions de l’adversaire pour améliorer sa capacité de comprendre ses moyens de perception, commandement et coordination, de dégrader ceux de l’autre, d’exalter ses partisans, de démoraliser ceux de l’adversaire, de diviser ses alliés et son commandement.

5.     L’incapacité de pouvoir « semer » l’adversaire

Détenir l’avance sur le camp adverse te donne le double avantage de connaitre les points forts et les points faibles de l’autre et de savoir le moment juste pour pouvoir lui tordre le cou.

Sun Tzu appelle cela la stratégie de la ruse propre aux grands stratèges de guerre. Dit-il, « tout l’art de la guerre est basé sur la duperie. Ainsi conseille-t-il « lorsque vous êtes capable, de feindre l’incapacité. Lorsque vous êtes actifs, de feindre la passivité. Lorsque vous êtes proches, de faire croire que vous êtes loin et si vous êtes loin, de feindre que vous êtes proches. Pour mettre en application la 18e règle de l’art de guerre : «Appâtez l’ennemi pour le prendre au piège ; simulez le désordre et frappez-le »[27]. C’est dans cette perspective qu’il conseille de faire beaucoup de bruit à l’Est pour frapper à l’Ouest

6.     La position de la majorité des forces de résistance en dehors des zones d’opération…

Une des faiblesses majeures du combat contre l’ordre arbitraire au Congo-Kinshasa, c’est bien la position géographique des forces de changement par rapport aux zones d’opération sur le territoire congolais.

Nous sommes à mille lieues d’appliquer la formule du leader chinois Mao Zedong (1893-1976), le célèbre théoricien de la guerre populaire, pour qui justement le guérillero devait évoluer au sein de la population tel « un poisson dans l’eau » (a fish in the water). Ce principe de base veut exprimer l’importance pour le combattant d’être présent au milieu de la population dont il se fait guide. Il doit se dissoudre dans cette population. Il peut être un commerçant à Kitambo Magasin, un vendeur des journaux à Gombe, un chauffeur de taxi qui relie le centre ville à l’aéroport de Ndjili ou encore une simple vendeuse de légumes au marché Type K etc. Il ne porte pas de tenues militaires et de cette manière l’ennemi éprouve un mal fou à le repérer. « C’est donc du dedans qu’il connait les arcanes du terrain, les coins et les recoins, les tunnels et autres voies parallèles pour coordonner l’action. »[28]

Dans le cas de figure de la résistance, les choses fonctionnent dans le sens inverse. Beaucoup de congolais de la diaspora ont cru être plus malins que le pouvoir qui leur a réservé l’hospitalité en Occident. Celui-ci que nous avons qualifié d’être le fidèle allié des tous les régimes autocratiques qui ont défilé à Kinshasa depuis 1965, accorde aux combattants exilés congolais la résidence, leur octroie des nationalités, leur ouvre les portes du marché d’emploi etc. Mais bien souvent dans la droite manœuvre de les éloigner du centre de décision pour mieux les mettre sous surveillance.

Outre ce contrôle du Big Brother, les états-majors ennemis usent de la rhétorique de gagner les cœurs et les esprits pour préparer une riposte équivalente, efficace et retentissante en s’employant à « vider l’eau », à « siphonner le bocal », à assécher le marécage (draining the swamp) pour éloigner le résistant intelligent de sa population et pour faire en sorte que la population ne soit plus le biotope de l’insurrection[29].

C’est à ce stade qu’un travail de synergie et de coordination devrait être fait en profondeur pour créer le relai avec les masses populaires restées sur le terrain. Il faut préparer des éducateurs qui peuvent dispenser gratuitement dans des quartiers des formations des pans entiers du public congolais, rendant ce dernier acteur de l’information et son utilisateur pour la victoire finale. Il faut l’aider à créer l’information, à la diffuser, à organiser des groupes de discussion en vue de devenir ainsi son arme d’influence et de pression.[30]

Quoique l’internet et les réseaux sociaux réduisent la distance et les frontières du village global, l’éloignement géographique reste bel et bien un handicap dans la mesure où les forces de changement se contentent d’aboyer sans grande efficacité, bien loin du théâtre des opérations. Les chances de la victoire risquent d’être minimes sans que ne soit initiée une action de coordination planifiée qui branche les élites pensantes à la base restée sur place. Ce dont, sauf erreur de ma part, je n’ai pas connaissance jusqu’au jour d’aujourd’hui.

7.     Le discours plus indicatif que subjonctif de la résistance

En analysant le mode opératoire des résistants contre le statu quo, outre leur incapacité à anticiper, l’on est frappé de la manière avec laquelle ils se laissent mener par le bout du nez par l’adversaire qui leur dicte son agenda. Ils réagissent mais n’agissent pas, ils subissent mais n’imposent pas anticipativement leur plan.

Daniel Dayan nous enseigne que l’histoire de la communication humaine concerne trois types d’événements : ceux renvoyant au passé (célébrations traditionnelles) ; ceux concernant le présent (confrontations démocratiques) et ceux se tournant vers l’avenir (histoire en train de se faire). Les discours de la résistance se contentent bien souvent à établir un lien entre les figures contemporaines et les symboles qu’ils vont puiser dans la mémoire collective. La confrontation qui en sort dans le présent se frotte juste aux réalités présentes sans jamais résoudre entièrement le devenir problématique d’une nation en crise.

D’où l’importance d’un troisième type d’événement qui met en jeu une cérémonialité non plus contemporaine ou rétrospective mais prospective. Ici on célèbre l’histoire congolaise sur le point de se faire. La stratégie consiste ici à faire « comme si » tout résistant incarnait déjà un Congo nouveau dans son style de dire et d’agir. Cette stratégie du « comme si » a l’avantage de parvenir, dans une transformation spectaculaire de l’opinion publique, à faire advenir la réalité cérémoniellement mimée.[31]

Ainsi donc au mode indicatif qui caractérise les discours de la résistance misant plus sur la réalité quotidienne, il faudra opposer le mode subjonctif qui dynamise l’opinion publique sur ce qui pourrait être ou sur ce qui mériterait d’exister. C’est justement à ce stade que le public commence à réagir, suspendant ainsi son scepticisme habituel et mettant ses doutes entre parenthèses. C’est ce nouvel idéal puissant et attractif qui engendre l’engouement populaire. Et l’on sait bien que devant un idéal captivant, les compatriotes de la majorité au pouvoir comme ceux du camp adverse vont laisser agir l’enchantement et se laisser conquérir par la proposition de l’orientation historique qui leur est faite.

Voilà le secret de la véritable conquête de l’opinion publique. Voilà ce sur quoi il faudra travailler impérativement dans les jours à venir: les événements-conquêtes. Ils indiquent un horizon d’avenir clair au peuple et font surgir en son sein une autorité charismatique, un ou des personnages hors commun, décidés même au péril de leur vie de changer les orientations d’une société. Leur force de conviction leur permet de proposer de façon crédible ce qui, chez d’autres, semblerait inacceptable, transgressif ou désespérément utopique.

8.     L’incapacité à travailler sur la durée…

La crise politique que traverse notre pays n’est pas un fruit du hasard. Elle a été longtemps concoctée dans des officines de grands stratèges. Elle cache derrière elle un agenda bien défini avec des plans A, B et C au cas où le premier ne fonctionnait pas mais avec l’objectif d’atteindre le but fixé au départ.

A ce sujet, il importe de savoir que l’ennemi du Congo ne recule jamais sincèrement devant les obstacles. Il ne renonce jamais sincèrement à ses visées quand bien même des millions de morts sont comptabilisés ou devront encore l’être pour atteindre ce qu’il veut. Il peut parfois vous donner l’impression de vouloir capituler mais c’est un leurre pour mieux rebondir. Il ne se convertit jamais à la bonté ni à la compassion devant sa cruauté qu’il inflige à ses victimes. Sa capacité à travailler sur la durée avec des objectifs à moyen et à long termes place la résistance congolaise en position de grande fragilité face à cet ennemi coriace dans la mesure où ses stratégies du plus faible n’ont pas de grande longueur de vues.

C’est aussi cette carence qui empêche de maintenir une insurrection sur une semaine voire des mois comme ce fut le cas du printemps arabe (Tunisie et Egypte) ou de la révolution orange (Ukraine) en vue de faire douter le pouvoir de lui-même et de le pousser à capituler. Sans un cap de bonne espérance, sans une longue vision sur l’avenir de ce pays, il sera impossible de reconquérir la souveraineté confisquée du Congo et de léguer un pays plus prospère aux générations futures.

Les forces du changement doivent s’y faire avec cette dure vérité selon laquelle pour reverser une dictature, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, sur leur détermination, leur discipline et leur solidarité à toute épreuve. Chacun doit se sentir soutenu par tout le monde qui partage son idéal. Si les résistants restent organisés et soudés, ils attireront la victoire finale de leur côté. Car la lutte de libération est un temps d’épreuve, un temps d’affermissement de la confiance en soi et du renforcement de la cohérence interne des groupes combattants.

Et c’est en vue de réaliser un tel idéal que Gene Sharp[32] nous conseille de travailler aux quatre tâches suivantes :

  • Renforcer la détermination de la population opprimée et sa confiance en elle-même, et améliorer ses compétences pour résister ;
  • Fortifier les groupes sociaux indépendants et les institutions qui structurent la population opprimée ;
  • Créer une puissante force de résistance interne ;
  • Développer un plan stratégique global de libération judicieux et le mettre en œuvre avec compétence.

9.     La non-diversification de moyens de cyber dissidence

Lorsque le 25 janvier 2011, lors des manifestations qui ont entrainé la chute du régime Moubarak, les services de téléphonie et d’internet ont été interrompus pendant cinq jours en Egypte, les autorités égyptiennes ont ordonné aux quatre fournisseurs d’accès de supprimer la transmission des routes BGP (Border Gateway Protocol) isolant la quasi-totalité des groupes d’adresses IP égyptiennes puisqu’elles ne sont plus connues des routeurs dans l’ensemble du globe. En quelques heures, l’internet fut bloqué sur toute l’étendue du territoire égyptien.

Cette amère expérience nous rappelle la coupure totale de communication informatique et électronique dont les congolais ont été victimes lorsque le 17 janvier 2015, ils ont décidé de se soulever contre le pouvoir de Kabila qui voulait modifier les articles verrouillés de la constitution dans la claire intention de pérenniser son pouvoir.

Mais la seule différence d’avec les insurgés égyptiens consiste à la planification de ces derniers. Avant de commencer l’insurrection, ils ont eu à signer des alliances avec des plus forts qui voleront à leur secours au moment-clé de leur combat. La guerre n’est-elle pas aussi un jeu d’alliances utiles pour la victoire ? En tout cas, lors de la coupure générale de l’internet en Egypte, la solution viendra d’un groupe d’activistes suédois, Telecornix, défenseurs de libertés numériques, qui mettra à dispositions des cyberactivistes égyptiens des outils utiles pour contrer la censure gouvernementale sur le Net, en essayant malgré tout de créer un moyen de faire une passerelle via des radioamateurs en utilisant le protocole IRC (Internet Relay Channel) et le morse.

Propositions pour une victoire finale de la reconquête de la souveraineté nationale

En guise de conclusion de tous les points précédents, nous pourrons tirer trois leçons.

1.     Prendre conscience du changement d’ère

C’est depuis seize ans que nous sommes entrés dans le XXIe siècle dont les visions politiques, économiques, sociales, culturelles sont devenues bien différentes de celles qui prévalaient au XXe siècle dernier qui nous a vus naitre et acquérir une formation universitaire.

Dans ce nouveau siècle, la véritable richesse ne sera plus l’or ni le coltan mais bien l’intelligence immatérielle, la maitrise de nouvelles technologies de l’information et de communication (NTIC) et la capacité pour chaque congolais comme pour tout son peuple de pouvoir donner sens à sa vie quotidienne à partir de ces nouveaux outils.

A l’adresse de ceux qui succéderont à Joseph Kabila si ce dernier arrivait à tomber à la fin de cette année et qui souhaiteront voir le Congo-Kinshasa émerger et recouvrir l’effectivité de son indépendance, il importe de retenir le conseil de Loup Francart selon lequel « les nations qui survivront demain sont celles qui se distingueront par leur capacité à réfléchir, à prévoir à prendre en compte l’ensemble des données, à rechercher les solutions les plus ouvertes et à choisir la meilleure en fonction des critères qui ne seront pas forcement des critères économiques ou politiques[33]»

Comme nous l’avons souligné tout au long de cette étude, l’information est devenue une arme puissante. Elle ne se contente plus de décrire un contexte mais elle le façonne elle-même pour lui donner un visage qu’elle entend lui donner. Cette intelligence informationnelle est devenue un pouvoir et son arme pour s’imposer. Elle se transforme au jour le jour et elle transforme en même temps le monde. La révolution informatique introduit un nouveau mode de pensée, créant ainsi une synergie que l’espace ne limite plus. Les douaniers classiques aux frontières ne savent plus contrôler les entrées et les sorties de cette précieuse denrée qu’est cette richesse immatérielle.

Comme « cette information permet l’intelligence des situations et se fait elle-même à la fois une richesse et un facteur d’influence. »[34], la conception même du pouvoir en subit le coup. Des Etats-Nations, nous sommes passés à des sociétés qui ne sont plus hiérarchisées mais décloisonnées, fluctuantes, incertaines. Dès lors, le pouvoir et par conséquent la reconquête de la souveraineté nationale pour le cas de la Rd Congo se confondent plus avec la maîtrise des capacités nouvelles qu’avec l’autorité de la tradition ou celle de la possession des richesses matérielles.

Et le fait de détenir le monopole de l’infodominance, de la puissance de l’information qui te donne la latitude de casser préventivement la volonté de l’adversaire fait court-circuit par rapport à la représentation classique clausewitzienne de la guerre consistant dans un affrontement militaire physique où la volonté d’une des parties cède ou se soumet à l’autre.

Dans la guerre de l’information par contre, c’est l’annihilation pure et simple de la volonté adverse quasiment sans danger, sans bruit et sans frais. Ici dissuasion, bataille et victoire politiques se confondent via un simple clic du curseur dans une seule frappe paralysante qui fait disparaitre l’adversaire en tant qu’acteur. Des frontières classiques entre nations s’en trouvent rayées de la nouvelle carte géographique. De nouveaux modules de contrôle des attributs de souveraineté nationale s’amènent dans les jeux de rapport de force.

2.     Fourbir les armes immatérielles pour le pari de la souveraineté

Dan cette ère postindustrielle, quiconque veut la paix doit se préparer à cette guerre aux armes nouvelles et immatérielles. Ce, en se rendant à l’évidence que le stade ultime de la guerre de l’information obéit au principe du chaos. Toute campagne de désinformation ou d’agression informationnelle vise moins de troubler ou de dévaloriser symboliquement l’adversaire que de le rendre concrètement et complètement impuissant.

Chaque pays dit riche et organisé a compris la nécessité vitale et stratégique de se doter des brigades ou des bataillons de guerre de l’information qui sont précisément des organisations qui font des reconnaissances dans les réseaux du monde, les cartographient et y cherchent des failles. Ces brigades à elles seules détiennent l’immense pouvoir de paralyser un pays, de le rendre ingouvernable, d’annihiler la volonté adverse de riposte sans coup férir.

Reconquérir la souveraineté nationale exige de la part de ceux et de celles qui militent pour un Congo nouveau de maîtriser les capacités nouvelles des techniques de l’information et de la communication. Chaque dissident par rapport au pouvoir d’occupation est appelé à fourbir ses armes intelligentes et immatérielles dans le respect des règles ci-après : « de produire des images, de diriger l’attention publique, d’anticiper les courants porteurs, de maitriser les nœuds et commutateurs des réseaux et enfin d’occuper les positions stratégiques dans les flux d’informations»[35].

Quiconque détiendra la maîtrise dans ce champ d’application sera le vainqueur du duel politique et électoral du 19 décembre 2016 et pourra à juste titre se voir proclamé le détenteur du pouvoir au Palais de la Nation.

3.     Appliquer le Springfield Plan ou la contre-propagande

Lorsque par voie de l’internet ou des réseaux sociaux, l’information manipulatrice est dirigée contre les masses populaires, ces dernières courent le risque de subir les effets de transfusion et de contagion informationnelles[36] qui poussent tout un peuple à penser et à agir comme des moutons de Panurge.

Clyde Miller, déjà confronté à la propagande hitlérienne, conçut l’idée géniale d’organiser une action capable d’immuniser les masses populaires américaines contre les effets désastreux possibles d’une propagande de grande ampleur comme celle d’Adolf Hitler. Son plan dit plan Springfield consistait donc : à immuniser les adultes contre les effets de la propagande, surtout de type affectif ; à préparer les plus jeunes dès leur enfance, à reconnaitre les procédés de manipulateurs et à leur résister ; apprendre à toutes les classes sociales les techniques de décodage de toute information qui non seulement véhicule une idéologie mais est en soi-même idéologie.

Apprendre à décoder, c’est également se mettre dans une position de refus ouvert. C’est développer une attitude de vigilance permanente qui mette le public en position de dire NON, de ne pas se rendre influençable même s’il n’est pas exclu qu’il doit rester ouvert aux autres.[37] Le conseil de Philippe Breton à ce sujet vient en rajouter à la sauce de vigilance, à savoir le devoir pour tout citoyen devant une information de se poser des questions suivantes : « Que veut-on nous dire, comment nous le dit-on, à quelle part de nous s’adresse-t-on ? »[38]

Les masses populaires congolaises qui auraient appris à renforcer leurs capacités sélectives des médias et à maitriser les Nouvelles Technologies de l’Information et de communication (NTIC) pour engager une guerre par l’information, pour l’information et contre l’information pourront déjà espérer revêtir les attributs de souverain primaire et dicter mieux que dans le passé leur volonté inaliénable et imposable à tout mandataire de l’Etat, fût-il président de la République, de respecter chacun le délai imparti par la Loi fondamentale.

Germain Nzinga Makitu

Chercheur indépendant.

Références

[1] A. TOFFLER, Guerre et anti-guerre. Survivre à l’aube du XXIe siècle, Paris, Fayard, 1994, 430p.

[2] F.-B. HUYGHES, Comprendre le pouvoir stratégique des Médias, Eyrolles, 2005, p. 194.

[3] L. FRANCART, La maitrise de l’information dans http://www.infoguerre.fr

[4] B.-F. HUYGHE, L’ennemi à l’ère numérique, p. 15.

[5] L’information, c’est la guerre  Panoramiques n° 52, 2001.

[6] J. ADAMS, The Next World War: Computers are the Weapons and the Front Line Is Everywhere, Simons & Shuster, 2001, 368p.

[7] A. & H. TOFFLER, Guerre et anti-guerre. Survivre à l’aube du XXIe siècle, Paris, Fayard, 1994.

[8] F.-B. HUYGHE, L’ennemi à l’ère numérique, p. 4.

[9] Ibid., p. 62.

[10] Lire à ce sujet C. ONANA, Europe, crimes et censures. Les documents qui accusent, Paris, Duboiris, 2012, 320p.

[11] B.-F. HUYGHE, L’ennemi à l’ère numérique, pp. 24-25.

[12] Rapport National sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) 2015 dans http://www.cd.undp.org

[13] F.-B- HUGHES, L’ennemi à l’ère numérique. Chaos, information, domination, PUF, 2001, p. 52.

[14] A ce propos, lire avec profit H. EL PHIL & al, Le Nouvel Ordre du monde Arabe dans http://www.infoguerre.fr

[15] Cfr B.-F. HUGHE, op.cit., p. 31.

[16] E. NOELLE-NEUMAN, The spiral of silence. A theory of public opinion, 2nd edition, The University of Chicago, 1993, 277 p.

[17] B.-F. HUYGHE, L’ennemi à l’ère numérique, p. 16.

[18] U. ECO, Dalla periferia dell’impero dans Apocalypse posponed, Blomington, Indiana University Press, 1977.

[19] A ce sujet, lire A. CHAR, La guerre mondiale de l’information, Presse Universitaire de Québec, 1999, pp. 34-47

[20] Jusqu’au 31 janvier 2015 qui était la date butoir, le gouvernement congolais continuait à tergiverser pour construire la station d’atterrage de la fibre optique de Moanda. Et ce, après avoir raté la connexion dans sa partie Est par l’océan Indien. Cfr Congo-Kinshasa : Fibres optiques- Le pays à six jours d’exclusion dans http://www.reseautelecom.com

[21] G. NZINGA MAKITU, La manipulation des médias congolais en période électorale, Kinshasa, Médiaspaul, 2006, p. 14

[22] Ibid., p. 12.

[23] G. LE BON, Psychologie des foules, Paris, Ed. Félix Alcan, 9e édition, 1905, pp.25-31

[24] P. BAUDARD, Le vide stratégique, Paris, CNRS Editions, 2012, p. 151.

[25] G. NZINGA MAKITU, Stratégies de domestication d’un peuple. BMW comme arme de domestication massive, Paris, Edilivre, 2014, pp. 362-369.

[26] SUN TZU, op.cit., p. 116.

[27] SUN TZU, L’art de la guerre, Paris, Flammarion, p.95.

[28] G. NZINGA MAKITU, Stratégies de domestication d’un peuple, p. 396.

[29] Cfr J.-P. GAMBOTTI, « Contre-insurrection et stratégie oblique », Alliance géostratégique, 23 nov. 2009 et B. VALEYRE (dir.), « Gagner les cœurs et les esprits. Origine historique du concept. Application actuelle en Afghanistan » dans Cahiers de la Recherche doctrinale, 2010, pp. 11-13

[30] L. FRANCART, L a maitrise de l’information dans http://www.infoguerre.fr

[31] J. LECOMPTE, Le sens des cérémonies télévisées. Entretien avec Daniel Dayan dans P. CABIN & al., La communication. Etat des savoirs, Paris, Ed. Sciences humaines, 2008, pp. 291-292.

[32] G. SHARP, De la dictature à la démocratie. Un cadre conceptuel pour la libération, Boston, Massachussetts, 2002.

[33] L. FRANCART, La maîtrise de l’information dans http://www.infoguerre.fr p. 10

[34] Ibid.

[35] B.-F. HUYGHE, Maitres du faire croire. De la propagande à l’influence, Paris, Eyrolles, 2008.

[36] Pour approfondir cette théorie, lire G. NZINGA MAKITU, La manipulation des médias en période électorale, p. 139.

[37] G. NZINGA MAKITU, op.cit., p. 141.

[38] P: BRETON, La parole manipulée, Paris, La Découverte, 2004, p. 196.

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One Comment “La Bataille de l’information dans la reconquête de la souveraineté nationale – Germain Nzinga M.”

  • Rasmata

    says:

    très interesser par la presentation de Germain Nzinga Makitu

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