Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 16-02-2018 14:21
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Kinshasa 16 février 1992, la marche pacifique des chrétiens se termine dans le sang.

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
16 février 1992
publie initialement dans  Wakati Yetu

Le 16 février 1992, une marche est réprimée dans le sang à Kinshasa. Cet épisode dramatique de l’histoire de la démocratie congolaise(Zaïre à l’époque) restera dans la mémoire collective comme étant  » La marche pacifique des chrétiens. » C’était il y a vingt-trois ans. Mais comment en est-on arriver là?

La Conférence Nationale

Après avoir déclaré en avril 1990 non sans émotion, la fin du monopartisme entraînant la remise à plat des griefs contre la deuxième république, s’ouvre en mai 1991 à Kinshasa les premiers travaux de la Conférence Nationale(CN). Elle réunit 2650 personnes venant de toutes les couches de la population et représentant la totalité des forces vives du pays. Comme 40 ans plutôt lors de l’accession à l’indépendance, le peuple espère y trouver enfin les solutions qui amèneront le Zaïre à sortir de son marasme politique mais aussi et surtout social. Pourtant dès le départ, tout le monde ne voit pas les choses de la même façon. Là où Mobutu et son parti-Etat MPR(Mouvement Populaire de la Révolution) ne voit en la CN qu’une assemblée dont le but est de mettre en place une nouvelle constitution à soumettre au peuple avant d’organiser des élections générales, l’opposition et la société civile veulent elles, créer une rupture radicale avec l’ancien système et par la même occasion faire une relecture de l’histoire politique du pays et des faits marquants ayant jalonné les trois dernières décennies. En plus, elles attendent de la CN qu’elle mette en place un système démocratique et que ses résolutions s’appliquent à tous.

L’Union Sacrée de l’Opposition(USO)

Les débuts de la CN sont calamiteux et elle ressemble de plus en plus à la tour de Babel ou tout le monde veut parler et s’entendre en même temps. Celui qui en assure la présidence provisoire, feu Kalonji Mutambayi ne maîtrise manifestement pas les milliers de délégués présents qui s’estiment pour leur part lésés et privés de temps de parole. Jour après jour, des motions de censures sont sans cesse présentées par les dignitaires encore au pouvoir ou leur colistiers pour ne pas qu’éclate la vérité sur des faits politiques dont la publication leur serait néfaste. Las d’attendre une solution miracle et exacerbés par ce qui se passe à la CN(diffusée sur la chaîne TV nationale), des militaires mécontents d’être impayés depuis des mois vont descendre dans les rues de Kinshasa(entraînant la population avec eux) et se livrer à un pillage systématique des commerces, édifices publics, résidences et biens des dignitaires du régime ainsi que ceux d’expatriés. Après deux jours, le bilan est lourd. On compte une centaine de morts et des dégâts énormes. Trois mois à peine après son lancement la CN est suspendue. Mobutu en profite alors pour négocier directement avec une frange de l’opposition réunie sous le label de « l’Union Sacrée ». De ces négociations tenues au palais de marbre(résidence de Mobutu),

Tshisekedi & Mobutu
Tshisekedi & Mobutu

aboutira la nomination de Tshisekedi wa Mulumba comme premier ministre. A cette époque il est reconnu comme étant le seul dans l’opposition capable de rassurer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Mais les choses ne se passent pas comme prévues. Suite à une divergence juridique mais surtout idéologique portant sur le partage du pouvoir, sitôt nommé, Tshisekedi est démis de ses fonctions pour avoir barré lors de la prestation de serment les références désignant Mobutu comme garant de la Constitution et de la nation.

Il sera remplacé par Mungul Diaka, puis un mois plus tard par Nguz A Karl I Bond tous deux issus de l’USO. Nous sommes en décembre 1991 et le CN reprend du service. Elle est cette fois dirigée par Monseigneur Monsengwo Pasinya, archevêque de Kisangani et président de la Conférence Épiscopale Nationale.

Le cardinal Monsengwo
Le cardinal Monsengwo

La marche de l’espoir

Aussitôt réouverte, la CN est à nouveau suspendue par le gouvernement qui invoque comme raison son coût exorbitant. En réalité, elle veut mettre fin à un début de déballage politique mettant en cause les dignitaires du régime. Les Zaïrois qui avaient placé tous leur espoir dans la CN prennent la gifle en pleine figure. Ils demandent la reprise des travaux de la CN, mais exigent désormais que celle-ci soit souveraine. Aidée par une société civile organisée et structurée, des manifestations tantôt pacifiques, parfois violentes sont organisées ci et là.

Le 16 février 1992, à l’appel des mouvements laïcs de l’église catholique, des dizaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour réclamer la convocation immédiate d’une Conférence Nationale Souveraine(CNS). Pris de panique, le gouvernement fait intervenir l’armée et la police; elles ouvrent le feu sur les manifestants. Le bilan officiel fera état d’une vingtaine de morts, pendant que l’opposition en déclarera quasi une centaine. Cette répression dans le sang connue désormais comme « La marche pacifique des chrétiens » va soulever une indignation et un tollé général de protestations à travers le pays et même à l’extérieur. Mobutu sous pression et acculé de tout part cède. La Conférence Nationale devient Souveraine et ses travaux reprennent en avril 1992. Ils se poursuivront normalement jusqu’au 14 août 1992 lorsque Tshisekedi est élu Premier ministre du gouvernement de transition qui doit conduire le pays vers les
élections. S’en suivra l’élection de 453 membres à titre de conseillers de la république dont le mandat sera de nature législative. La CNS clôturera ses travaux en décembre 92 dans des circonstances quelque peu brouillonnes et bien qu’ayant élaboré un projet de constitution et un calendrier électoral, rien de tout cela ne sera réalisé.

Vingt-trois ans après, à quelques exceptions près, on retrouve les mêmes protagonistes. Les temps ont changé, les enjeux ne sont plus ceux de 1992 mais la cause est fondamentalement restée la même. Depuis, s’est répandu dans l’air un esprit de liberté au goût quelque peu inachevé. Là où les uns se battaient pour mettre en place les prémices d’un premier parlement, ceux d’aujourd’hui  essayent de garder les murs debout pour éviter que l’édifice fragile ne s’écroule. La traversée du désert a l’air d’être longue et on aimerait croire que tout cela n’a pas été fait pour rien.  La démocratie congolaise n’a peut-être pas encore pris sa vitesse de croisière mais en aucun cas, il ne faut arrêter « la marche »; la terre promise est sans doute au bout du chemin.

 

 

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