Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 22-07-2013 09:27
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Kikwete, le joker des américains : La Tanzanie au centre de gravité géopolitique des Grands Lacs? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le basculement du centre de gravité géopolitique des Grands Lacs vers la Tanzanie ?

President-Jakaya-Kikwete.portraitCe n’est pas un fait du hasard que Barack Obama ait choisi la Tanzanie comme seul pays d’Afrique des Grands Lacs à visiter durant sa première grande tournée africaine en tant que président américain. Cela augure sans doute une nouvelle ère dans le leadership géopolitique régional autrefois assuré par l’axe Kampala-Kigali avec Museveni et Kagame, mis actuellement au banc des accusés pour leurs rôles nocifs dans la persistance de l’insécurité dans la région et en Afrique Centrale et leur incapacité à transformer la région et d’y insuffler un modèle développemental à l’instar des pays de l’Asie du Sud-Est, selon les vœux de leurs parrains anglo-saxons.

Le Président Barack Obama a justifié sa tournée africaine, notamment sa présence à Dar-es-Salam, en ces termes : « Je l’ai dit à travers l’Afrique, nous envisageons un nouveau modèle qui ne soit plus seulement basé sur l’aide et l’assistance mais sur le commerce et le partenariat », a déclaré M. Obama lors d’une conférence de presse. « Le but ultime est que les Africains construisent l’Afrique, pour les Africains. Et notre travail est d’être un partenaire dans ce processus, et la Tanzanie a été un de nos meilleurs partenaires ».

Les raisons de cette approche géopolitique américaine en Afrique

La Tanzanie est comptée depuis bientôt une bonne décennie comme modèle régional en termes de gouvernance, stabilité politique et sécuritaire, progrès démocratique et croissance économique en confirmant ainsi son influence croissante dans la région. Un pays qui a su faire une bonne relecture des enjeux géopolitiques et diplomatiques de la région  et qui, avec tact et subtilité a mis tous les atouts de son côté pendant que l’Ouganda et le Rwanda sont restés autistes aux incessantes mises en garde de la communauté internationale qui leur reproche leur approche belliciste dans la résolution des conflits régionaux qui maintiennent ce terreau riche en ressources naturelles diverses dans une instabilité constante.

Le Kenya, autrefois chouchou des américains, confronté aux vieux démons des élections de 2007 qui ont plongé ce pays, jadis modèle régional de stabilité et de prospérité, dans une guerre civile atroce et que l’élection en mars dernier du président Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto, tous deux poursuivis par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, constitue un argument à charge qui a joué en défaveur de la visite d’Obama dans ce pays géniteur de son père.

Quant au Congo démocratique, ses dirigeants font partie de la liste noire diplomatique des hôtes à éviter à tout prix par l’administration américaine, tant il présente un tableau sombre  et déprimant depuis plusieurs années : instabilité permanente, kleptocratie de la classe dirigeante, pillages des ressources, entretien des groupes armés négatifs par les responsables politiques et militaires, régression démocratique, violations massives des droits humains, illégitimité du pouvoir en place issu des élections jugées non crédibles et transparentes par une grande majorité d’observateurs nationaux et internationaux… Tout le cocktail nauséabond  qui rend ses dirigeants infréquentables sur le diplomatique et les confine aux marges des relations internationales, alors que le pays dispose de tous les atours et du potentiel nécessaire pour ré-devenir l’axe central des enjeux géopolitiques de la région de l’Afrique médiane allant de l’Atlantique à l’Océan Indien d’une part et du Tchad à l’Angola d’autre part.

La Tanzanie la vitrine régionale de la gouvernance, la stabilité politique et la démocratie

Ainsi, par un jeu d’éliminations successives, le locataire de la Maison blanche n’avait pas d’autre choix que de remodeler l’approche géopolitique de la politique africaine des États-Unis en se rabattant sur un pays qui présente actuellement un excellent bulletin de sante  politique, sécuritaire, démocratique, diplomatique et socioéconomique avec des perspectives prometteuses car disposant d’un des marchés les plus porteurs avec une croissance économique profitant à la population et non à ses élites. De plus, le pays regorge de grandes réserves d’hydrocarbures, mais aussi de ressources énergétiques (gaz) et minérales qui attirent la boulimie des grands : chinois comme américains ou britanniques.

Un autre atout à mettre à crédit de la Tanzanie est le passage réussi du président Jakaya Kikwete à la tête de l’Union Africaine en 2008. Il se fait remarquer par son discours rassembleur axé sur l’intégration politique et économique du continent par des efforts pour accélérer la croissance économique profitable aux populations africaines, et sur sa détermination à œuvrer pour la promotion de la paix et de la stabilité en Afrique : « Nous aspirons à une Afrique sûre, stable et en paix avec elle-même. Nous avons honte des violents conflits qui frappent l’Afrique ». Pour Kikaya, « Il est paradoxal que l’Afrique, bien qu’étant un des continents les plus riches en terme de ressources potentielles, soit le plus pauvre. La pauvreté absolue qui frappe la majorité de la population africaine engendre la corruption et les conflits…Tant que le cercle vicieux de la pauvreté demeure, il sera très difficile de réaliser notre vision » , a t-il fait savoir. La Tanzanie connait une croissance économique régulière (6,5% en 2012) et devrait atteindre un taux de croissance de 9,7% en 2014. Le pays poursuit une politique de rigueur budgétaire afin de juguler l’inflation, mais affiche de bonnes performances dans différents secteurs d’activité, malgré une distribution électrique chancelante.

En 2011, Transparency International attribuait à la Tanzanie un indice de 3 sur une échelle de la perception de la corruption graduée de 0 (pays totalement corrompu) à 10 (pays intègre). Sous la pression de l’opposition et de bailleurs de fonds internationaux qui menaçaient de réduire leur aide au développement, le président Jakaya Kikwete, s’est attaquée au fléau. Dans tous les secteurs, une lutte sans merci contre la corruption et une campagne d’assainissement des finances a été lancée. En mai, Kikwete a limogé six ministres – dont ceux des finances et de l’industrie – accusés d’acquisitions illicites par un rapport officiel. Le directeur général de la société nationale d’électricité a aussi été licencié pour conflit d’intérêts, de même le directeur des services de protection de la faune et de la flore l’a été pour contrebande. Quelques semaines plus tard, la police démantelait plusieurs réseaux illicites de commerce d’ivoire. [Le Monde (Hors Série) – Bilan du monde – Economie –  Environnement]

Une autre raison supplémentaire qui milite en faveur de Dar-es-Salam est que selon l’agence de presse AFP,  » le pays le plus stable de la région, ce qui permet de garantir une certaine confiance [dans les investissements]. Mais ce n’est pas tout. Grâce à la politique de l’ancien président Julius Nyerere qui revendiquait l’unité africaine, et pour avoir été le refuge de tous les mouvements d’indépendance et de libération de l’Afrique australe, la Tanzanie jouit d’une influence diplomatique dont rêvent tous les pays africains. Et si ces 25 dernières années, cette surexposition [aux conflits] a donné lieu à un repli isolationniste, la Tanzanie est bien décidée à reprendre sa place ». « Mais c’est aussi grâce à cette discrétion qu’il s’agit du seul pays de la région dont le capital politique ne s’épuise pas dans des conflits. Le Rwanda doit surveiller 24 heures sur 24 la RDC et contrôler les frontières de son voisin, en faisant un travail de maintien de la paix au Darfour et avec le Soudan, tandis que l’Ouganda, le Burundi et le Kenya continuent à patauger dans les eaux troubles de la politique somalienne. (AFP)

D’autres bruits de couloirs expliqueraient également cet engouement. D’après le blog Lesley on Africa, la controversée Africom, cette force militaire américaine [créée en 2007 pour coordonner les opérations militaires américaines sur le continent], envisagerait de nouer avec la Tanzanie un partenariat durable. Le Général Carter Ham, à la tête de l’Africom, aurait ainsi déclaré devant la Commission sénatoriale des forces armées : « Nous consolidons nos relations avec l’armée tanzanienne, une armée de métier dont les compétences et les zones d’influence portent de plus en plus sur les questions de sécurité en Afrique de l’est et du sud et dans la région des grands lacs. » (AFP)

Depuis que Jakaya Kikwete, excédé par la crise congolaise, a haussé le ton en exigeant au Rwanda d’entamer un dialogue avec les rebelles des FDLR et a décidé d’envoyer un bataillon de ses troupes dans la brigade spéciale d’intervention de la MONUSCO dirigée par un général tanzanien au détriment de l’Afrique du Sud, les analystes pensent que ce sont des signes qui ne trompent pas que l’homme s’érige et veut occuper le leadership régional. Et il en a les moyens, les compténces au regard de sa vision et des arguments susmentionnés.

Le tout c’est de savoir comment cette recomposition géopolitique va effectivement s’opérer sur le terrain en fonction des différentes alliances, mésalliances et forces en présence.

Jean-Jacques Wondo

 

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2 Comments on “Kikwete, le joker des américains : La Tanzanie au centre de gravité géopolitique des Grands Lacs? – JJ Wondo”

  • JD Ebo

    says:

    Qu’il en soit ainsi.

  • Serge Thibaut

    says:

    Les Etats unis n’avaient d’autres choix que de retenir la Tanzanie pour la tournée inter-africaine d’Obama eu égard à la situation qui prévaut dans la région des grands lacs africains ou le choix est motivé par les raisons que vous exposées avec clarté? Qu’on soit dans un cas comme dans l’autre, il faut reconnaître que la Tanzanie était le meilleur choix possible. Où aurait-il pu aller si ce n’est en Tanzanie? La RDC, la Rwanda, l’Ouganda et même le Burundi sont au cœur de la crise régionale qui sévit depuis des décennies. Bien que tout le bouillonnement qui a prévalu et dont les conséquences sont encore observables de nos jours soit antérieur à l’exercice du pouvoir d’Obama, il faut tout de même souligner que les Etats Unis n’en sont pas exempt de tout reproche. Le monde entier de façon générale et l’Afrique en particulier connait plus ou moins les implications directes et indirectes américaines dans la crises des grands lacs africains. Nous avons tous suivi avec une attention particulière le discours d’Obama lors de son passage en Tanzanie et nous attendions un envoi de signaux plus ou moins fermes de la part des Etats Unis à tous les protagonistes de la crise des grands lacs africains, mais il en a été rien ou presque. Le discours d’Obama s’est officiellement borné à des rappels et timides appels lancés aux pays concernés. Doit-on rappelé au Président des Etats Unis Le lourd bilan de cette crise ou encore le contenu des multiples rapports d’experts onusiens sur ladite crise? Nous sommes en droit de nous demander à quel jeu joue les Etats Unis au sujet de cette région d’Afrique. Les inquiétudes manifestées officiellement par des dirigeants américains au sujet de l’assassinat de Patrick Karegeya sont quand même évocatrices d’une prise de conscience timide et tardive de la nocivité de certains régimes politiques de la région. La crise des grands lacs africains est la plus importante que connait l’humanité depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette donnée n’est-elle pas suffisante pour montrer que l’heure n’est plus aux déclarations de bonnes intentions? Nous attendons plus de fermeté de la part de la Communauté internationale et des Etats Unis.

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