Journée ville morte du 16 février 2016 :
Inutilité de dresser un Bilan
Par Jean-Bosco Kongolo
Grâce à la marche organisée par les Chrétiens le 16 février 1992, la Conférence Nationale Souveraine (CNS), le plus grand forum politique jamais organisé dans le pays, les Congolais firent reculer la dictature de Mobutu qui ne voulait pas entendre d’un nouvel ordre politique et institutionnel. Raison pour laquelle cette date symbolise, pour tous les Congolais, le douloureux cheminement vers la démocratie et l’État de droit. Elle est aussi tout un hommage rendu aux filles et aux fils du pays qui avaient versé leur sang comme contribution au combat mené par les forces politiques du changement. Comme en 1992, le 16 février 2016 marque un autre tournant décisif de l’histoire du pays entre ceux qui militent pour la consolidation de cette démocratie par le respect strict de la Constitution « Yebela » et les nostalgiques « Wumela » d’une présidence à durée illimitée.[1]
Grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, principalement les réseaux sociaux et les chaînes privées qui ont retransmis en temps réel les images de la récente opération ville morte aux quatre coins de la planète, les Congolais de partout au monde ont pu se faire eux-mêmes une idée exacte de ce qu’a été la journée du 16 février 2016, en termes non pas de réussite ou d’échec mais d’effets psychologiques sur les acteurs et sur la suite des évènements à venir. A l’intention de l’opinion publique, spécialement congolaise, dont le décodage des faits socio- politiques n’est pas toujours aisé lorsqu’il s’agit de notre pays, nous avons estimé utile de développer quelques points qui permettront plutôt de comprendre les enjeux. Ci-dessous, nous parlerons de la symbolique de la date du 16 février 1992, du parallélisme entre le 16 février 1992 et le 16 février 2016, des initiatives et contre-initiatives pour la commémoration de la journée du 16 février et des conséquences à tirer de la ville morte du 16 février 2016.
1. La symbolique du 16 février 1992
Après tant d’années de pensée unique, ponctuée de quelques épisodes armés[2] pour faire fléchir, à défaut de chasser celui qui ne jurait que par sa mort pour quitter le pouvoir, les Congolais, alors Zaïrois, avaient fondé tout leur espoir dans la Conférence Nationale Souveraine, considérée comme le plus grand forum qui devait aboutir, pacifiquement, à l’instauration d’un nouvel ordre politique et institutionnel[3]. C’est le plus pacifiquement du monde que des prêtres catholiques et plusieurs laïcs de toutes les confessions religieuses prirent l’initiative d’organiser, croix et rameaux en mains, une marche pour réclamer la réouverture de la CNS, fermée d’autorité par le pouvoir en place[4]. Les Chrétiens obtinrent gain de cause, car la CNS reprit ses travaux. Même si ceux-ci furent également interrompus avant leur terme, ce fut une victoire très significative sur la dictature, victoire qui força Mobutu à déménager de Kinshasa à Kawele, « son village natal » pour se mettre à l’abri de sa démystification : déballages, insultes, caricatures et quolibets de toutes sortes, etc.
Commémorer cette journée permet donc aux générations présentes et à venir de se ressourcer à l’histoire de notre pays, à la lutte pour la démocratie et les libertés fondamentales, parmi lesquelles la liberté d’expression et de manifestation. Les Congolais de cette époque restent majoritairement convaincus que c’est, entre autres, grâce à cette marche et à tant d’autres actions qui s’en suivirent, que Mobutu et son régime ne purent plus se relever et que, malheureusement, la nébuleuse rébellion de l’AFDL, ce conglomérat d’aventuriers, put vaincre sans coup férir les forces armées zaïroises(FAZ)[5]. Désormais, tout pouvoir qui tente d’empêcher la commémoration de cette journée est considéré comme étant au service des intérêts obscurs, en tout cas comme ennemi de la démocratie. A cause d’anciens Mobutistes rompus dans l’art de la manipulation et du vagabondage politique dont il s’est entouré, le Chef de l’État s’est fait dresser un bilan d’échec de la journée ville morte, sous prétexte qu’il n’est en rien concerné par le massacre des chrétiens du 16 février 1992. Pour des raisons que tout intellectuel peut facilement deviner, Joseph Kabila est pour ces faucons à la fois une proie (à ne pas lâcher) et un terrain très fertile d’expérimentation de toutes sortes de plans bénéfiques aussi bien pour lui (durée illimitée au pouvoir) que pour eux (jouissance sans contrôle des richesses du pays).
2. Parallélisme entre le 16 février 1992 et le 16 février 2016
A quelques différences près, le contexte de 1992 se présente presque de la même façon qu’en 2016. En effet, si en 1992 la population zaïroise tenait tant à la réouverture de la CNS, c’est parce qu’elle croyait à l’instauration d’un nouvel ordre politique censé les libérer d’un régime autocratique qui avait pris le souverain primaire en otage, au profit d’une clique des jouisseurs.
Comme en 2016, craignant que Joseph Kabila s’installe indéfiniment au pouvoir, avec tout ce que cela risque d’entraîner comme conséquences tant sur l’avenir de la démocratie, de l’État de droit que des libertés fondamentales, le peuple congolais n’a pas tort de recourir aux mêmes recettes (marches, villes mortes…) qui avaient fait succès 1992. Comme dans les années 90, le pouvoir actuel ne survit que par la force des armes et par sa capacité de réprimer « sauvagement » toute moindre manifestation.
Comme la marche des chrétiens du 16 février 1992, la journée ville morte programmée par l’opposition politique le 16 février 2016 n’avait pour objectif que de rappeler pacifiquement au Président Joseph Kabila qu’il est le garant du bon fonctionnement des institutions. En tant que tel, il a le devoir d’influer sur le processus électoral devant déboucher sur l’alternance démocratique, dans le respect des délais constitutionnels.
Comme Mobutu en 1992, le régime de Joseph Kabila ne veut rien entendre de tout cela et, en réponse, c’est par la violence et les intimidations qu’il réagit même contre les personnes qui ont décidé de rester chez elles[6]. Ayant à l’esprit toutes les tentatives avortées pour modifier les dispositions intangibles de la Constitution relatives à la limitation et à la durée du mandat présidentiel, les Congolais ne se font plus d’illusions sur la détermination de Joseph Kabila de fouler aux pieds la Constitution sur base de laquelle est pourtant assis son pouvoir. En dressant un bilan négatif de l’opération ville morte, non seulement ses collaborateurs en détournent le sens réel mais confirment surtout, hors de tout doute raisonnable, toutes les intentions que l’opposition et les partenaires extérieurs prêtent à Joseph Kabila.[7]
3. Initiatives et contre-initiatives pour commémorer la journée du 16 février 2016
A tout Seigneur, tout honneur! Il convient de reconnaître que depuis 1992, l’initiative de la commémoration de la marche du 16 février 1992 est toujours revenue au clergé catholique et à des laïcs, encore vivants, qui n’ont pas nécessairement d’ambitions politiques. La politique étant l’art des opportunités et de l’opportunisme, l’opposition a cru bon de se joindre à la marche prévue à cette occasion en espérant gonfler les rangs des manifestants avec leurs militants pour réclamer la tenue des élections dans les délais constitutionnels et surtout pour signifier leur refus de participer à un quelconque dialogue destiné à opérer ce que tout le monde nomme « glissement ». En annulant son programme de la marche, pour ne pas cautionner la récupération, le clergé catholique a donné l’occasion à l’opposition de s’approprier l’initiative et de forcer le pouvoir, sans que celui-ci s’en rende compte, de la subir en programmant à son tour et à la même date, une contre marche destinée à soutenir le Chef de l’État. On ne soutient que ce qui est en équilibre instable. Le Chef de l’État serait-il dans cette situation ? Mais contre qui ou contre quoi ? D’où la guerre des slogans « Yebela » et « Wumela » qui symbolisent en même temps qu’ils closent le débat du combat des uns et des autres sur le processus électoral prévu pour l’année 2016.
3.1. Initiative de l’opposition :
Réconfortée par le succès des manifestations de janvier 2015 contre le projet de loi électorale qui allait favoriser le glissement du calendrier électoral, l’opposition comptait ramener dans la rue ses militants pour une série de manifestations programmées par le Front Citoyen pour contraindre Joseph Kabila à respecter la Constitution.[8]C’est la marche du 16 février 2016 qui allait ainsi inaugurer cette série de manifestations.
3.2. Contre-initiative du camp présidentiel :
Plus pour créer la confusion et provoquer un affrontement que pour soutenir le Chef de l’État, les stratèges de la MP ont programmé à la même date une contremarche pour déstabiliser leurs adversaires. Sans le savoir, ils ont plutôt subi l’anticipation de l’opposition qui, avisée, a compris le piège qui lui était tendu et qui allait donner prétexte aux services de sécurité, à la police et à la justice (inféodée) d’opérer des rafles à grande échelle afin de neutraliser des ténors ciblés en mettant à leur charge, des infractions telle que l’atteinte à la sûreté de l’État et, pourquoi pas, permettre au gouvernement de décréter un état d’urgence.
3.3. Contre-initiative de l’opposition
En évitant intelligemment ce piège, l’opposition a trouvé dans l’opération ville morte une action à la fois pacifique et moins risquée de faire passer le même message. Une fois de plus, elle a marqué un point supplémentaire dans l’anticipation des évènements. Complètement déboussolés et désemparés, les stratèges du camp présidentiel ont, dans la précipitation, accumulé plusieurs décisions qui ont étalé leur amateurisme et leurs maladresses.
3.4. L’amateurisme et les maladresses du camp présidentiel
– Annulation sans motif valable de la marche de soutien au Raïs
Si réellement la marche prévue par la MP avait pour objectif de soutenir le Chef de l’État, sous le slogan « Wumela », cela fait tomber les masques de ceux qui ont toujours prétendu que ce dernier n’a pas envie de s’éterniser au pouvoir. En annulant sans motif valable cette marche, ils ont, d’une part, prouvé que leur objectif principal était simplement de provoquer la confrontation et, d’autre part, éviter un échec prévisible car il n’est pas certain que la population allait suivre leur mot d’ordre.
-Intimidation des fonctionnaires et des agents des entreprises publiques
Faisant une interprétation aussi ridicule qu’erronée de l’ordre public, le camp présidentiel a non seulement oublié que la liberté de manifestation est garantie par la Constitution à tous les citoyens, qu’ils soient fonctionnaires ou chômeurs, mais qu’il y recourt lui-même en contraignant tout le monde, partisans et fonctionnaires, à y prendre part. « Dans l’arrière pays, certaines autorités municipales imposent à leurs administrés de marcher pour soutenir le Président de la République. D’autres exigent l’arrêt de toutes les activités socio-économiques pendant la marche de soutien à l’Autorité morale de la Majorité Présidentielle. Des pratiques d’un autre âge qui font désormais revivre le mobutisme, pourtant chassé par la révolution du 17 mai 1997.
Selon Deck ‘son Assani Kamango, correspondant du quotidien Le Potentiel à Kalima, en territoire de Pangi dans la province du Maniema, une marche de soutien au Président Joseph Kabila a été organisée, hier 29 septembre, par les autorités locales avec le soutien du gouverneur Pascal Tutu Salumu. A cause de cette marche, toutes les activités de la cité ont été fermées. Les écoles, les commerces, les PME, l’administration publique ont été contraintes, selon notre correspondant, à l’arrêt. »[9] « La manifestation a paralysé les activités dans la ville. Les marchés n’ont pas ouvert. La plupart des écoles sont restées fermées. D’autres ont fonctionné jusqu’à 10 heures. Les examens de la seconde session prévus ce samedi à l’Université de Kindu ont été reportés. Avant cette marche, douze ONG de défense des droits humains ainsi que la coordination de l’opposition du Maniema avaient dénoncé son caractère obligatoire. »[10]
Article 26 : « La liberté de manifestation est garantie. Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air, impose aux organisateurs d’informer par écrit l’autorité administrative compétente. Nul ne peut être contraint à prendre part à une manifestation. La loi en fixe les mesures d’application. »
Ces pratiques, dont se souviennent les mobutistes encore au pouvoir, sont en partie la cause de la faillite de l’économie sous la deuxième République. Il n’y a pas de quoi douter, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Contrairement à ses propres manifestations, pour lesquelles l’argent du contribuable est déboursé pour payer les manifestants et auxquelles les fonctionnaires sont contraints de participer, l’opération ville morte se limitait à demander aux citoyens de rester simplement chez eux. En quoi cela troublait-il l’ordre public pour justifier des arrestations et détentions illégales ?
– Vague d’arrestations
Au mépris de lois de la République et de l’immunité dont jouissent les députés, l’Honorable Martin Fayulu a été enlevé du siège de son parti par des gens armés ne disposant d’aucun mandat de justice et détenu pendant quelques heures dans un cachot des services de sécurité. Cet enlèvement n’a été qu’une preuve supplémentaire de la duplicité du Président de l’Assemblée nationale, qui n’a pas protesté contre cet arbitraire ni des autorités de la Justice, qui sont restées muettes comme des carpes face aux sévices infligés au député Fayulu.[11] Pourquoi ce non respect des lois par les autorités du pays ?
A ce jour, plusieurs jeunes, membres du mouvement Filimbi, à Kinshasa, et Lucha, à Goma, font face à la justice pour avoir simplement soutenu l’organisation de la ville morte. « Après la brève arrestation du Député d’opposition, Martin Fayulu, deux jours avant la journée ville morte, la répression se porte désormais sur les militants des mouvements citoyens. Mardi, jour de l’opération ville morte, 9 militants de La Lucha ont été arrêtés : 6 à Goma, la capitale du Nord-Kivu et 3 à Kinshasa. »[12]
– Scellé et réouverture des magasins à Lubumbashi
Les « autorités » de la ville de Lubumbashi, conscientes que Joseph Kabila a perdu au Katanga toute sa popularité par procuration qu’il n’y tenait que grâce à ses anciens alliés qui ont décidé de claquer la porte de la MP, ont excellé dans le zèle et l’abus du pouvoir en se permettant de sceller, comme si l’on était chez les Talibans, des magasins et boutiques appartenant à des privés et d’exiger, pour leur réouverture, que les propriétaires payent des amendes allant jusqu’à 500 dollars US. « Une dizaine de magasins qui avaient été scellés le 17 février par les autorités de la commune de la Kenya dans la ville de Lubumbashi ont rouvert vendredi 18 février. Leurs propriétaires n’avaient pas ouvert ou avaient ouvert en retard le 16 février, décrété journée ville morte par l’opposition, suscitant la colère du bourgmestre de la commune de Kenya, Djenna Maloba. C’est grâce à l’intervention du maire de Lubumbashi que la mesure de fermeture de ces établissements commerciaux a été levée, a expliqué le bourgmestre.
«De toutes les façons, ç’a été un échec pour les autres [les opposants, Ndlr]. On n’a plus des raisons de fermer les autres boutiques. Qu’ils vaquent à leurs occupations », a ainsi commenté Djenna Maloba.
En ce qui concerne l’amende de 500 dollars exigés avant la réouverture de ces magasins, elle se rétracte et révèle que la décision finale devrait être prise après consultation. Il y en a qui sont venus avec leurs documents prouvant qu’ils étaient à l’hôpital, d’autres m’ont expliqué que d’habitude ils ouvrent à partir de 11 heures, avec témoins à l’appui. On les a libérés », s’est-elle justifiée. »[13]
– Voyage improvisé des Léopards locaux pour Goma, le 16 février 2016
L’évènement est passé inaperçu, et pourtant, bien préparé et bien programmé, il aurait pu être annoncé officiellement afin que la population leur réserve toute son allégresse. Cherchant à tout prix comment désamorcer l’opération ville morte dans la ville frondeuse de Goma, autrefois présentée comme l’un des fiefs du Raïs, le camp du pouvoir y a précipité le voyage des jeunes Léopards pour qu’ils y présentent le trophée remporté à la quatrième édition du CHAN. « Ce mardi, on pourrait dire de la ville de Goma que c’est une maison où l’on fête à la fois un enterrement et un mariage », commente le chauffeur de mototaxi qui nous emmène du marché des Virunga, presque désert, jusqu’au centre-ville, où des milliers de personnes s’apprêtent à accueillir l’équipe nationale de football. Ils viennent de gagner le championnat d’Afrique des nations (CHAN) sur le terrain de leurs voisins rwandais. Un exploit. Mais l’opération « ville morte », mouvement de contestation populaire à l’encontre du pouvoir en place, s’étend à la manifestation sportive. Posté d’un côté du boulevard Kanyamuhanga, un groupe de jeunes fixe d’un œil noir les portes drapeaux des partis de la majorité. « C’est une fête nationale, pourquoi ne pas brandir l’emblème de la RDC plutôt que les bannières du régime ? », s’interroge l’un d’eux. « Si je porte le drapeau jaune du P.P.R.D., c’est parce qu’au moment de le ramener au bureau du parti, je recevrai jusqu’à 5 dollars », répond une frêle demoiselle. « Il s’agit moins d’un choix politique que d’une question de survie », insiste un adolescent qui n’a pas encore mangé de la journée.[14]
On pourrait allonger à l’infini la liste de bévues commises aussi bien à Kinshasa qu’en provinces par les représentants du pouvoir, spécialement les Commissaires spéciaux nouvellement installés qui ont voulu prouvé à leurs mentors qu’ils « méritent » le choix porté sur eux : réinstaurer la pensée unique, nécessaire à la survie politique du Raïs. C’est pourquoi, en lieu et place d’un bilan, il est plutôt convenable de tirer plutôt les leçons de cette journée.
4. Quelles leçons tirer de l’opération ville morte du 16 février 2016 ?
Alors qu’il n’y a jusque là qu’un seul texte constitutionnel qui régit le pouvoir en République Démocratique du Congo, l’espace politique congolais s’est paradoxalement bipolarisé en deux camps. D’un côté, on trouve les jouisseurs de la République qui ne veulent pas abandonner les privilèges acquis et qui considèrent cette Constitution comme l’obstacle majeur à la jouissance illimitée tandis que de l’autre côté, il y a les défenseurs de cette même Constitution qui militent pour l’alternance au pouvoir. Pour eux, il ne peut être question d’en modifier les dispositions intangibles relatives notamment au nombre et à la durée du mandat présidentiel. Dans leur combat pour le respect de la Constitution, ces derniers s’appuient sur l’article 64 qui fait obligation à tout Congolais de « faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. » D’où le slogan «Yebela, mandat na yo esili ».
Les autres (camp du pouvoir), après avoir tout tenté pour modifier la Constitution afin de permettre au Président sortant de briguer un troisième mandat, ont finalement fait tomber leurs masques en prenant, paradoxalement, pour ennemi de la République quiconque appelle au respect de la Constitution ou rappelle au Chef de l’État son rôle de garant du bon fonctionnement des institutions.
Face aux arguments et stratégies pacifiques utilisés par le camp des légalistes, le camp présidentiel, désormais constitué des hors la loi, abuse des moyens de la puissance publique (Police et armée nationales et Justice) pour intimider et réduire au silence ceux qui les empêchent de « s’attabler indéfiniment autour de la mangeoire et continuer de s’enivrer de lait». Dans leur maladresse, ils encouragent, pour eux-mêmes, l’organisation des évènements politiques (réunions, meetings, marches de soutien, déclarations, congrès, cultes) qu’ils considèrent, quand il s’agit de l’autre camp, comme attentatoires à l’ordre public.[15] [16] [17]
Se cachant derrière le Président de la République, à la fois victime consentante et acteur dans l’ombre, les collaborateurs extrémistes de Joseph Kabila l’utilisent comme bouclier politique pour violer constamment la Constitution et abusent des moyens de la puissance publique cités ci-dessus dans le dessein de se maintenir au pouvoir par la force, au-delà de son mandat. Manifestant leur ingratitude envers la Constitution dont ils tiennent pourtant le pouvoir depuis 2006, le Chef de l’État et ses collaborateurs institutionnels ne se sont pas gênés de boycotter, sans juste motif valable, le colloque organisé à Kinshasa par l’Institut pour la démocratie, la gouvernance, la paix et le développement (IDGPA) pour commémorer les dix ans de la Constitution de la Troisième République. « A la question de savoir pourquoi les officiels invités ont boycotté ce forum, André Mbata a réagi : «Mais je suis gêné, même les participants internationaux sont gênés. Comment est-ce que quand on réfléchit sur la Constitution du pays, la Faculté de Droit (de l’Unikin) se désengage ? Ça signifie que la recherche dans nos universités n’est pas prise au sérieux.» Cette journée devrait être fêtée par tout le monde, a estimé un des invités du colloque, Valentin Mubake de l’UDPS. Il a regretté de constater le contraire : «Cette journée devait traduire une joie nationale. Malheureusement, nous sommes ici, nous constatons l’absence de toutes les autorités publiques de la République. Alors, c’est l’inanition de la République ou la tristesse qui s’est transformée dans leur camp par rapport à la Constitution ?»[18]
Conclusion
Que dire de plus après ces faits si éloquents, sinon que le Chef de l’État et quelques uns de ses collaborateurs sont en guerre ouverte contre le peuple et contre la Constitution. Un adage plein de sagesse résume bien la situation que traverse le peuple congolais, en même temps qu’il le prévient sur les choix de ses futurs dirigeants : « Faites du bien au diable, il vous donnera l’enfer en récompense. »
Jean-Bosco Kongolo M.
Juriste&Criminologue
Exclusivité DESC
Références
[1] « Yebela, mandat na yo esili » (Sache-le, ton mandat a expiré).
Wumela (règne longtemps). Slogan qui fait référence à celui lancé par les propagandistes du MPR (Cent ans, tomotombeli) pour souhaiter à Mobutu cent ans de règne.
[2] Guerres du Shaba I et Shaba II, Moba I et Moba II.
[3] Extrait de l’exposé des motifs de l’Acte constitutionnel de la transition : « Depuis le déclenchement du processus de démocratisation le 24 avril 1990, notre pays traverse une crise aiguë et multiforme ayant pour origine essentielle les divergences de vues de la classe politique sur l’ordre institutionnel de la transition vers la Troisième République. Se fondant sur le compromis politique global du 31 juillet 1992, la Conférence Nationale Souveraine, regroupant toutes les forces vives de la nation, a établi un ordre institutionnel de la transition reposant sur l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition, afin de mettre fin à la crise politique et institutionnelle. Les divergences de vues de la classe politique au sujet de cet ordre institutionnel ont aggravé la crise et conduit à la tenue du Conclave politique de Kinshasa. Celui-ci, par la loi n° 93/001 du 2 avril 1993 portant Acte Constitutionnel harmonisé relatif à la période de Transition, a établi un autre cadre institutionnel de la transition ».
[4] Radio Okapi, 16 février 2016, L’abbé José Mpundu regrette que cette journée du 16 février 2016 ait donné lieu à des tiraillements. « Il est dommage que le 16 février, on se tiraille et que chacun essaie de tirer la couverture de son côté pour des intérêts égoïstes, mesquins », déplore-t-il. L’abbé Mpundu indique que l’initiative de la marche du 16 février 1992 n’était pas venue des hommes politiques. « Aujourd’hui, certains groupes essaient de récupérer le 16 février pour leurs intérêts, alors que la marche du 16 février 1992, n’était pas l’initiative de l’abbé José Mpundu, ni de l’UDPS ou d’un autre parti politique de l’époque », note le prêtre. Pour avoir pacifiquement réclamé la réouverture de la Conférence nationale souveraine en 1992, beaucoup de chrétiens et croyants ont été tués par la soldatesque du maréchal Mobutu, rappelle-t-il. Il recommande aux Congolais de ne pas oublier ces « martyrs de la démocratie ». http://www.radiookapi.net/2016/02/16/actualite/politique/rdc-labbe-mpundu-regrette-la-recuperation-politique-de-la-date-du-16.
[5] Tshibwabwa, S., 1998. Les 12 erreurs politiques du Président Laurent-Désiré Kabila. Vers un deuxième échec des Progressistes congolais ? Réédition sur http://afridesk.org/fr/les-12-erreurs-politiques-du-president-laurent-desire-kabila-sinaseli-tshibwabwa/.
[6] Rfi Afrique, 17 février 2016, Au moins 11 interpellations ont eu lieu mardi en RDC, déplore le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme, qui dit craindre la possibilité de représailles au vu du langage tenu ces derniers jours, et notamment la menace de mesures exemplaires en cas d’absence. A noter également que le signal de RFI a été coupé une partie de la journée à Kinshasa et à Bukavu mardi 16 février. http://www.rfi.fr/afrique/20160217-rdc-congo-kinshasa-reactions-politiques-opposees-journee-ville-morte.
[7] Afrikarabia.com, 16 février 2016, Sur les réseaux sociaux s’engage alors un dialogue surréaliste entre le compte Twitter du PPRD, le parti présidentiel, celui du ministre Tryphon Kin Kiey, pour qui « tout est normal à Kinshasa » et des Kinois qui continuent de photographier leur capitale déserte.
[8] Kongo Times, 27 janvier 2016, il y a au » Front » des gens comme Moïse Katumbi Chapwe dont la popularité n’est plus à démontrer, il y a le patriarche katangais Charles Mwando Nsimba, Vital Kamerhe, Pierre Lumbi, Kyungu Wa Kumwanza… comme échantillon. Il faut bien refaire le calcul. Leur mot d’ordre appelant à des manifestations pacifiques ce 16 février a donc des chances d’être suivi par les populations de Kinshasa et de l’arrière-pays. http://afrique.kongotimes.info/rdc/rdc_elections/10263-kabila-front-citoyen-2016-rendez-vous-fevrier-malgre-annulation-cenco-maintient-marche-pacifique.html.
[9] Le Potentielonline, 30 septembre 2015, http://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=13256:rdc-les-marches-de-soutien-au-pouvoir-sonnent-elles-le-retour-du-mobutisme&catid=90:online-depeches.
[10] Radio Okapi, 26/09/2015, http://www.radiookapi.net/2015/09/26/actualite/politique/kindu-marche-de-soutien-joseph-kabila.
[11] Le Congolais, 15 février 2015, Martin Fayulu fait partie des signataires de la Déclaration du Front Citoyen 2016 publiée le 19 décembre 2015 simultanément à Kinshasa et à Bruxelles. Le respect de la Constitution et l’avènement de l’alternance démocratique sont les exigences majeures. Il fait également partie des signataires de la déclaration publiée le 10 février 2016 par la « Dynamique de l’opposition », le « G7 », le Front anti-dialogue et les organisations de la société civile invitant la population kinoise à observer une « journée ville morte » le mardi 16 février, notamment pour « honorer la mémoire de nos concitoyens, victimes de la barbarie du 16 février 1992 » et « rappeler à Monsieur Joseph Kabila, en tant que président de la République, qu’il est le garant de notre Constitution et qu’il est, de ce fait, tenu à la respecter et à la faire respecter par tous ». La population est également invitée à « dire non au glissement » et « non au troisième mandat ». On ne pourrait s’empêcher de dénoncer le fait que l’armée, la police et les services secrets tant civils que militaires sont toujours et encore inféodés à un homme et à un régime. Ces grands corps de l’État sont détournés de leurs missions respectives. http://www.lecongolais.cd/martin-fayulu-enleve-par-des-sbires-de-joseph-kabila-il-a-ete-libere-vers-21h00/.
[12] AFRIKARABIA, 17 février 2016, http://afrikarabia2.blogs.courrierinternational.com/archive/2016/02/17/rdc-vague-d-arrestations-apres-la-journee-ville-morte-51432.html.
[13] Radio Okapi, 19/02/2016, http://www.radiookapi.net/2016/02/19/actualite/politique/lubumbashi-les-magasins-scelles-la-kenya-ont-rouvert-leurs-portes.
[14] Direct.cd, 19 février 2016, http://www.direct.cd/actu/la-une/2016/02/19/quand-les-autorites-utilisent-les-leopards-pour-faire-face-a-lopreation-ville-morte.html.
[15] Jeune Afrique, 15 novembre 2015, Le président de l’Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec) et de l’Assemblée provinciale du Haut- Katanga, Gabriel Kyungu wa Kumwanza, a affirmé dimanche avoir été empêché par les forces de l’ordre d’accéder à son lieu de culte à Lubumbashi dans le sud-est de la RDC. « J’ai été empêché par les militaires et les policiers d’assister à la messe. C’est inadmissible », http://www.jeuneafrique.com/279156/politique/rdc-lopposant-kyungu-wa-kumwanza-empeche-dacceder-a-son-lieu-de-culte/.
[16] Le Potentiel, 25 janvier 2016, le président de l’Envol est très remonté contre le régime Kabila qu’il accuse de saboter son congrès. Matériels et autres biens de son parti ont été confisqués ou détruits à Nioki, cité choisie pour abriter les travaux. L’opposant ne désarme pas. ‘‘L’Envol condamne le caractère arbitraire et, dénonce la nature discriminatoire de cette décision, prise uniquement dans le but de faire échec à la tenue de son Congrès. Je rappelle que le Congrès est une instance prévue par nos statuts, ayant donc un caractère légal et licite et, ne porte nullement atteinte à l’ordre public ni aux bonnes mœurs pour justifier pareille interdiction’’, a condamné Sesanga. L’Envol désapprouve le régime confiscatoire des libertés publiques, qui transforme, selon sa direction politique, de plus en plus la République démocratique du Congo en une prison à ciel ouvert. http://7sur7.cd/new/lopposant-delly-sesanga-pret-a-affronter-le-regime-kabila/.
[17] 7sur7.cd, 22 février 2016, Martin Fayulu ne désarme pas. L’opposant est remonté. Malgré l’interdiction faite à son avion d’atterrir à Bandundu ville, le président de l’Ecidé maintient sa tournée en provinces. La direction politique de son parti a dénoncé ces pratiques honteuses de l’époque marxiste. ‘‘L’ECiDé dénonce vigoureusement l’escalade de répression et de réduction dangereuses des libertés individuelles par le régime de Monsieur Kabila et observe que c’est un signe patent de nervosité traduisant la perte de sang-froid qui précède la fin d’un pouvoir décadent et irrespectueux des droits de l’homme’’, indique un communiqué de son parti.
[18] Radio Okapi, 18 février 2016, http://www.radiookapi.net/2016/02/18/actualite/politique/rdc-un-colloque-international-sur-les-10-ans-de-la-constitution.