Samedi 26 juillet 2025 – De Morgen
TRADUCTION JOURNAL « DE MORGEN »
L’expert belge en matière de défense Jean-Jacques Wondo s’exprime pour la première fois depuis son emprisonnement au Congo.
Jean-Jacques Wondo s’est rendu au Congo pour y travailler dans le domaine des droits de l’homme au sein des services de renseignement. Mais à la suite d’un coup d’État manqué, le régime l’a considéré comme l’ « ennemi public numéro un ». Pour la première fois depuis sa libération, il raconte son histoire. « Dans ces cellules, j’ai regardé la mort en face. »
YANNICK VERBERCKMOES
« Tout ce que j’ai ici, je l’ai perdu là-bas », confie Jean‑Jacques Wondo en se promenant avec nous dans le parc d’Alost. Né au Congo, il s’est installé il y a près de vingt ans dans cette ville de Flandre orientale. Lors de la promenade, nous croisons des joggeurs et voyons des enfants jouer dans la verdure luxuriante.
Une scène estivale banale. Mais pour Wondo, ce parc symbolise la liberté qu’il a perdue pendant son emprisonnement. « Quand j’étais en prison, je ne pouvais pas penser à ce parc », dit-il. « Ça me faisait trop mal. »
Wondo a passé plus de huit mois dans la prison de Ndolo, au nord de Kinshasa, avant d’être libéré au début de cette année sous la pression de la Belgique. Il n’y avait ni chaises ni lits. Wondo était entassé dans une grande cellule avec des centaines d’autres détenus.
« Pour dormir, un prisonnier avait les pieds contre la tête de l’autre », raconte Wondo. « Une nuit, un jeune homme, surnommé « Neymar », atteint de tuberculose dormait à côté de moi. Je l’ai entendu agoniser et il est mort quelques jours plus tard. Essayez alors de ne pas devenir fou. »
N’êtes-vous pas tombé malade ?
« J’en ai gardé une sévère pneumonie. Pendant ces mois en prison, j’ai perdu plus de 20 kilos. Je suis diabétique, mais je n’avais pas accès à mes médicaments. Mon taux de sucre a explosé. »
Comment allez-vous aujourd’hui ?
« Je suis en rééducation depuis cinq mois. Je consulte encore au moins une fois par mois un médecin. Les symptômes de la pneumonie n’ont disparu qu’en mai 2025. Travailler à temps plein n’est pas encore possible. Mais petit à petit, je reprends le fil.
Une fois par semaine, je vois un psychologue qui m’aide à traiter mes traumatismes. Les premiers mois après mon arrivée, je souffrais de pertes de mémoire. Lorsque je croisais un ancien collègue, il m’arrivait parfois d’oublier son nom. Mais grâce à la thérapie, ça va beaucoup mieux. »
Wondo est parti début 2024 au Congo pour travailler à l’Agence Nationale de Renseignements (ANR). Non pas pour « jouer les James Bond », mais pour analyser le fonctionnement du service et proposer des réformes.
L’ANR a très mauvaise réputation auprès des ONG de défense des droits humains. Arrestations arbitraires et actes de torture y sont dénoncés. Wondo reconnaît qu’il existe encore beaucoup de corruption : « Lorsqu’un Congolais est interrogé, son premier réflexe est de sortir son portefeuille. C’est pourquoi le service extorque aussi les hommes d’affaires. »
En 2019, le président Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir et a promis « d’humaniser » l’ANR. Il a nommé il y a deux ans Daniel Lusadusu, ancien médecin dans un hôpital bruxellois. Celui-ci a approché Wondo pour lui demander son expertise.
Wondo est un analyste de défense de renommée internationale, spécialiste des services de sécurité congolais. « En Europe, les services de renseignement vont jusqu’à la limite de ce que la loi autorise, mais respectent la loi. En Belgique, le Comité I supervise les services de renseignement. Nous voulions introduire ce type de mécanisme au Congo. »
N’aviez-vous pas conscience des risques ?
« Bien sûr, mais j’ai essayé de les minimiser. J’ai dit à Lusadusu que j’accepterais la mission seulement si le président Tshisekedi lui-même donnait son accord. »
Pourquoi vouloir absolument y aller ?
« Parce que je trouvais la mission très noble. J’ai beaucoup d’amour pour le Congo. »
« ……L’objectif était d’aider à construire un service de renseignement qui respecte les règles. Il ne s’agissait pas de créer un service destiné à terroriser sa propre population. »
Comment avez-vous été accueilli au sein de l’ANR ?
« Je pense que vous pouvez l’imaginer. Dès le début, j’ai ressenti une forte résistance face au projet de réforme de l’ANR. L’intimidation de citoyens ordinaires était devenue un véritable business au sein du service de renseignement. C’est une mafia qui fait vivre des dizaines de milliers de personnes. »
« Immédiatement, des vidéos et messages audio ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux, affirmant que Lusadusu et moi étions venus d’Europe pour assassiner le président. On disait que nous allions installer un missile sol-air et abattre l’avion présidentiel, comme cela s’est passé avec Habyarimana au Rwanda, juste avant le génocide. »
Qui était derrière ces accusations ?
« Ces messages étaient toujours anonymes. Mais une fois, les services de renseignement ont arrêté une personne qui accusait Lusadusu de mauvaise gestion de l’ANR sur les réseaux sociaux. L’individu a avoué que deux membres du parti UDPS de Tshisekedi l’avaient incité à publier cela. L’un d’eux convoitait le poste de Lusadusu. »
Quand cela s’est-il produit ?
« Je pense que c’était fin mars ou début avril. À la même période, alors que j’étais en voiture avec une collègue, j’ai soudain ressenti des vibrations au niveau des roues. Le garagiste m’a dit: “Monsieur, c’est un miracle que vous ne soyez pas mort dans un accident. Les boulons des roues ont été dévissés.” »
Cela ne vous a pas poussé à rentrer immédiatement en Belgique ?
« Après cet incident, j’ai sérieusement commencé à douter de l’intérêt de poursuivre cette mission. J’étais peu rémunéré, tout en devant subvenir aux besoins de ma famille restée en Belgique. Vers avril-mai, j’ai sérieusement pensé arrêter ma mission. Je ne voulais pas me sacrifier pour cette mission. »
Le 19 mai 2024 : il s’est passé quelque chose que personne n’attendait au Congo.
Christian Malanga, homme d’affaires exilé aux États-Unis, attaque le palais présidentiel pour tenter de renverser le régime de Tshisekedi. L’armée congolaise neutralise rapidement Malanga et ses quarante complices.
Mais, selon Wondo, le service de renseignements (ANR) est gravement discrédité, car il n’a rien vu venir. Lusadusu convoque une réunion de crise le matin même.
Wondo : « Lusadusu voulait savoir comment Malanga avait pu entrer à Kinshasa sans que le service de renseignement ne le sache. Les chefs de département lui ont alors reproché sa mauvaise gestion. Il était évident qu’ils convoitaient sa fonction. (… Il était clair qu’ils en avaient après son poste). »
Quand avez-vous été personnellement soupçonné de complicité dans le coup d’Etat ?
« Le jour après la tentative de coup d’État, des amis m’ont prévenu que des rumeurs circulaient à mon sujet via WhatsApp et d’autres réseaux. Une photo de moi avec Malanga, prise en 2016 à l’hôtel Renaissance à Bruxelles, est ressortie. »
« Malanga l’avait publiée lui-même sur Facebook. Mais sur les réseaux sociaux, on lui a donné une toute autre interprétation : on affirmait que j’avais rencontré Malanga à Kinshasa juste avant le coup d’État. Cela m’a immédiatement associé à lui. »
C’était inexact ?
« On a complètement ignoré la date, le 23 décembre 2016, que Malanga avait lui-même indiquée. Sur la photo, je porte un pull. Et même sans pull, je ne supporte déjà pas la chaleur au Congo. »
Le premier compte qui a commencé à partager cette photo appartenait à un agent de l’ANR.
Pourquoi avez-vous été pris en photo avec Malanga à l’époque ?
« À l’époque déjà, il se présentait comme une figure de l’opposition au régime de Joseph Kabila (au pouvoir jusqu’en 2019) et rencontrait tout le monde pour mettre en place son soi-disant gouvernement en exil. Le président Félix Tshisekedi était lui aussi opposant à l’époque, et je sais qu’ils se sont également rencontrés. »
L’avez-vous revu depuis ?
« Non, je ne l’ai vu qu’une seule fois, dans un hôtel à Bruxelles. Il m’a même proposé de devenir ministre ou conseiller, mais j’ai refusé. Malanga m’est apparu comme un illuminé avec un complexe messianique. »
Avez-vous pu reprendre votre travail après la tentative de coup d’État ?
« Le coup d’État a eu lieu un dimanche. Le lendemain, je suis allé travailler normalement. Ce n’est que le mardi que des agents des services de renseignement m’ont interrogé. Ils cherchaient à m’intimider : “Tu viens changer le Congo ? Tu te prends pour qui ?” J’ai passé toute la nuit au bureau de l’ANR. »
Pourquoi le rapport d’audition mentionnait-il une chemise suspecte ?
« Ils prétendaient que je portais lors de la réunion de crise une chemise identique à celle sur la photo avec Malanga. C’était faux. Sur la photo, je porte une chemise à carreaux, alors qu’à la réunion, j’avais un polo vert clair. Ce n’était même pas la même couleur ! J’ai moi-même donné les codes de mes téléphones aux agents de l’ANR, car je n’avais rien à cacher. »
Après cet interrogatoire, les agents de l’ANR ont relâché Wondo, mais l’affaire ne s’arrête pas là. Il est aussitôt repris par des agents de la DEMIAP (renseignements militaires), qui l’emmènent à leur QG.
Wondo : « Ils m’ont fait me déshabiller jusqu’en sous-vêtements et m’ont enfermé dans une cellule étouffante. Des projecteurs m’empêchaient de dormir la nuit. Les deux premiers jours, je n’ai reçu aucune nourriture. »
« Le troisième jour, un gardien a apporté de la nourriture, mais sans assiette. Il voulait jeter la nourriture à terre pour que je la mange comme un chien, ce que j’ai refusé. Ce n’est qu’au quatrième ou cinquième jour que j’ai reçu une assiette en carton usagée. »
Avez-vous été torturé ?
Moi, non, pas physiquement. Mais j’ai vu des prisonniers qui avaient des blessures dues aux coups reçus. Même sans violence physique, le traitement était suffisant pour briser psychologiquement. Les humiliations étaient insupportables. »
Quel genre d’humiliations ?
« Il y avait un seul WC aux cachots de la DEMIAP pour des centaines de détenus. Une flaque d’eau souillée d’excréments l’entourait. Je devais y marcher pieds nus. On me donnait juste un seau à moitié rempli pour me laver, pendant qu’un garde armé me surveillait. »
Après huit jours, Wondo est transféré à la prison de Ndolo, où commence en juin le procès du coup d’État impliquant Wondo et une cinquantaine d’autres accusés. Christian Malanga, le chef du groupe, avait été abattu le jour même de la tentative.
Wondo a été présenté par les procureurs comme l’ennemi public numéro un.
Les procureurs présentent Wondo comme l’instigateur (cerveau) de la tentative de coup d’ Etat, affirmant que Malanga n’était que l’exécutant.
Quels arguments les plaignants ont-ils avancés?
« Ils ont montré des vidéos d’une conférence à laquelle j’ai participé en 2017 au Canada. J’y avais d’ailleurs été invité par le parti UDPS de Tshisekedi. J’ai discuté de la manière dont les dirigeants africains accèdent au pouvoir . J’ai expliqué les différentes possibilités : élections, soulèvements populaires, vagues de protestation et coups d’État ».
« Ils n’ont retenu que cette dernière partie pour m’accuser. Ils y ont vu la preuve que j’étais en train de planifier un coup d’État – en 2017 ! L’organisateur de la conférence a même écrit une lettre au tribunal pour expliquer que cette accusation était fausse. »
N’y avait-il donc aucun autre argument pour vous soupçonner ?
« Il faut savoir que toutes les accusations portées contre moi ont vu le jour sur les réseaux sociaux.
Une personne a affirmé quelque chose et d’autres ont ensuite répété cette affirmation.
C’est ainsi que les rumeurs ont commencé à prendre de l’ampleur .J’ai également été accusé d’avoir prêté ma voiture à Malanga afin qu’il puisse l’utiliser pour son coup d’État. Une personne qui a affirmé cela sur les réseaux sociaux n’a même pas été capable de décrire ma voiture au tribunal. Dans ces messages sur les réseaux sociaux, il était question d’une Toyota Cruiser noire, mais au Congo, je me déplaçais dans une Hyundai Tucson grise. »
Au procès, les gardiens du complexe résidentiel où vous séjourniez ont déclaré que votre voiture n’avait pas quitté le parking la nuit précédant le coup d’État.
« En effet, chaque fois qu’un véhicule rentrait ou sortait de la résidence, cela était noté dans leur carnet de mouvements. »
Qu’avez-vous ressenti lorsque, le 13 septembre, vous avez été condamné à mort avec 36 autres personnes ?
« J’ai éclaté de rire, car tout le procès était une véritable farce. »
Vous avez rigolé ?!
« Que pouvais-je faire d’autre ? Me mettre à pleurer ? Comment peut-on condamner quelqu’un sans avoir de preuves tangibles ? »
« Imaginez un peu : un jour, vous êtes en prison et vous êtes condamné à mort , et le lendemain , on vous relâche »
Votre épouse était-elle présente pendant le procès ?
« Lors de mon arrestation, elle a voulu venir immédiatement au Congo, mais je l’en ai dissuadée, de peur qu’elle ne soit arrêtée elle aussi. Nous ne nous sommes revus qu’un mois après ma condamnation. »
« Quand j’y repense, j’ai les larmes aux yeux. (visiblement ému) Pendant que j’étais emprisonné, elle a vécu un enfer ici en Belgique. Elle s’inquiétait pour moi, et sur les images du procès, elle m’a vu très affaibli. En plus, elle devait s’occuper seule de notre famille. Lors de nos retrouvailles, elle a immédiatement éclaté en sanglots. »
(Réactions européennes et condamnation à mort)
L’Union européenne a rapidement réagi. Le 23 janvier, le Parlement européen a adopté une résolution dénonçant l’absence de procès équitable et demandant au président Tshisekedi de garantir des soins médicaux adaptés à Wondo. Ses amis en Belgique signalaient qu’il souffrait de fièvre, de douleurs thoraciques et de difficultés respiratoires.
Ce n’est pas tant la peine de mort qui effrayait Wondo que la peur de ne jamais sortir vivant de la prison de Ndolo :
« Dans ces cellules, j’ai vraiment vu la mort en face. »
Le 27 janvier, quatre jours après la résolution européenne, il est à nouveau condamné à mort en appel. Et puis, début février, à la surprise générale, Wondo est libéré.
L’homme autrefois considéré comme dangereux par le régime de Tshisekedi retrouve la liberté.
Selon les analystes, la libération serait liée à la situation délicate du président Tshisekedi, alors que la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, progressait dans l’est du pays. Le 25 janvier, les rebelles prennent la ville de Goma.
Une condamnation à mort d’un expert belge tombait mal à ce moment-là.
Wondo : « Je pense avoir été un otage diplomatique. »
Jean-Jacques Wondo est de retour chez lui à Alost :
« Il m’a fallu plusieurs jours pour réaliser que j’étais réellement libre. »
Grâce présidentielle ou cassation ?
« La veille de ma libération, ma femme a reçu un message du président Tshisekedi — un vieil ami de la famille — disant qu’il souhaitait me gracier. Mais il devait attendre l’expiration du délai de recours en cassation. Manifestement, il ne voulait plus attendre. »
Comment s’est déroulée votre libération ?
« Très soudainement. Le directeur de la prison m’a conduit, escorté de militaires, au service de l’immigration. En chemin, il recevait des instructions du président Tshisekedi par téléphone. Tout devait rester secret. »
Et votre retour en Belgique ?
« Ma famille m’attendait à l’arrivée. Ils avaient organisé une fête. Mais il m’a fallu plusieurs jours pour comprendre que j’étais vraiment libre. Imaginez : un jour, on vous condamne à mort ; le lendemain, on vous relâche. »
L’affaire est-elle close ?
« Non. J’ai introduit un recours en cassation. Accepter une grâce présidentielle aurait signifié reconnaître ma culpabilité. Je refuse cela. Je suis déterminé à user de toutes les voies de recours disponibles, que ce soit en droit congolais ou devant les juridictions internationales,pour laver mon honneur. »
YANNICK VERBERCKMOES / DE MORGEN
BIO :
57 ans
A étudié à l’École Royale Militaire de Bruxelles
A également obtenu un diplôme en criminologie (Université de Liège), un diplôme postuniversitaire en relations internationales (ULB) et un brevet des Hautes études de sécurité et défense de l’Institut Royal Supérieur de Défense de Bruxelles
Travaille comme directeur adjoint au sein de l’Administration générale des Maisons de justice francophones
Publie et enseigne sur les questions de sécurité congolaise.
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One Comment “Jean-Jacques Wondo : « J’ai été condamné à mort sans aucune preuve » – De Morgen”
DAN SM
says:BE BLESSED SIR DIHOKA