Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 31-05-2016 02:30
4779 | 2

Inculpation de Moïse Katumbi : Précipitation et contradictions – Jean-Bosco Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Katumbi accompagné de ses avocats

Inculpation de Moïse Katumbi : Précipitation et contradictions

Jean-Bosco Kongolo

Pour des faits aussi graves que ceux mis à charge de Moïse Katumbi, deux jours seulement d’audition (inachevée) ont curieusement suffi à l’organe de la loi pour l’inculper d’atteinte à la sûreté extérieure et intérieure du pays. Connaissant les pratiques de la justice congolaise, le statut et la mobilité de l’intéressé vers l’extérieur sont des éléments qui auraient pu justifier, à eux seuls, son arrestation et sa mise en détention afin qu’il ne puisse se soustraire du procès qui l’attend. En lieu et place de cela, c’est paradoxalement le jour même où le mandat d’arrêt provisoire (MAP) a été émis contre lui qu’un communiqué émanant du Parquet général de la République annonçait qu’en considération de son état de santé, l’inculpé avait la latitude d’aller se faire soigner où bon lui semblait[1], à condition qu’il ferme sa bouche.

D’où, plusieurs interrogations dans l’opinion publique tant interne qu’externe. Pour certains, c’est une preuve supplémentaire d’un jeu entre Joseph Kabila et M. Katumbi pour brouiller les cartes du processus électoral.

Democratic Republic of Congo's opposition presidential candidate Moise Katumbi (C) waves to his supporters as he walks to the prosecutor's office over government allegations he hired mercenaries in a plot against the state, in Lubumbashi, the capital of Katanga province of the Democratic Republic of Congo, May 9, 2016. REUTERS/Kenny Katombe TPX IMAGES OF THE DAY
Democratic Republic of Congo’s opposition presidential candidate Moise Katumbi (C) waves to his supporters as he walks to the prosecutor’s office over government allegations he hired mercenaries in a plot against the state, in Lubumbashi, the capital of Katanga province of the Democratic Republic of Congo, May 9, 2016. REUTERS/Kenny Katombe TPX IMAGES OF THE DAY

Pour d’autres, il s’agit d’une voie offerte à un ancien allié qui devrait profiter de cette mise en liberté déguisée pour s’exiler tandis que pour le pouvoir et la justice, c’est une occasion de mettre subtilement fin à cette procédure, faute de preuves suffisantes pour soutenir l’accusation. Grâce à la loi, principalement le code pénal et le code de procédure pénale, l’opinion découvrira dans les lignes qui suivent comment la panique qui a envahi la famille politique du Chef de l’État à l’annonce de la candidature de Moïse Katumbi a mis la justice en branle, en la forçant de déclencher dans la précipitation et avec légèreté une procédure pleine de contradictions. Ce dossier, qui fait l’actualité dans tous les médias et sur les réseaux sociaux, vient liquider la crédibilité de la justice congolaise qui peine à retrouver ses lettres de noblesse et à jouer son rôle de garant des droits et libertés fondamentaux.

1. La gravité des faits mis à charge de Moïse Katumbi

Pour quiconque exerce sa carrière en tant que magistrat (du parquet ou du siège) ou sa profession en tant qu’avocat, il est étonnant de mettre globalement sur le compte d’un individu des faits, sans préciser exactement lesquels, d’atteinte à la sûreté extérieure et intérieure de l’État. C’est malheureusement à cela que la justice congolaise, instrumentalisée par le pouvoir exécutif, a habitué la population pour l’intimider afin d’obtenir son aveugle soumission et le silence de l’opposition. L’atteinte à la sûreté de l’État, utilisée avec beaucoup de légèreté, fait déjà croupir en prison certains opposants ou activistes de la Société civile qui ont commis le péché de vouloir simplement ouvrir les yeux à leurs compatriotes. Rien de plus étonnant car, selon nos sources au Ministère de l’Intérieur, même notre nom (auteur de ces lignes) figure dans le rapport de sécurité sur la liste des personnes subversives. Mais c’est quoi l’atteinte à sûreté extérieure et intérieure de l’État, en droit pénal congolais?

En droit pénal congolais, les atteintes à la sûreté de l’État constituent un vaste titre, Titre VIII, contenant lui-même deux sections, celle des atteintes à la sûreté extérieure de l’État (Section I) et celle des atteintes à la sûreté intérieure de l’État (Section II). Chaque section contient plusieurs infractions qui ne pourraient être cumulativement ou globalement reprochées à un même individu. En effet, rien que pour la sûreté extérieure, qui englobe les articles 181 à 192, il y a lieu d’énumérer entre autres la trahison en temps de paix et en temps de guerre (notamment le fait de collaborer avec une puissance étrangère, de livrer des renseignements tendant à nuire à la défense nationale ou d’en détruire ceux qui sont utiles) ainsi que l’espionnage, qui ne concerne que les étrangers.

Quant à la sûreté intérieure, qui va de l’article 193 à  214, il convient de citer notamment les attentats et complots contre le Chef de l’État, les attentats, complots et autres infractions contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire (par exemple le fait de changer le régime constitutionnel, de lever l’armée, de prendre le commandement militaire, d’alarmer les populations pour les inciter contre les pouvoirs publics), des attentats et complots tendant à porter le massacre, la dévastation ou le pillage, la participation à des bandes armées, la participation à un mouvement insurrectionnel(notamment le fait d’envahir des postes ou édifices publics en vue d’attaquer la force publique, de s’emparer des armes et minutions), etc.  

A en croire le Parquet général de la République, il est mis à charge de M. Katumbi tous ces faits, sans préciser lesquels, constitutifs des infractions d’atteinte à la sûreté extérieure et intérieure de l’État. Cela suppose, tant de la part du suspect que de la justice, suffisamment de temps pour les commettre et pour mener des enquêtes approfondies destinées à soutenir, hors de tout doute raisonnable, pareille accusation.

Cependant, lorsqu’on sait qu’il n’y a même pas encore une année que M. Katumbi a claqué la porte du PPRD et démissionné du gouvernorat du Katanga sans qu’il lui soit reproché quoi que ce soit, in tempore non suspecto, tout homme raisonnable doit se demander si c’est seulement en l’espace de huit ou neuf mois qu’il a pu construire toute cette entreprise criminelle qui lui est reprochée.

De même, il y a lieu de se demander si, à l’issue de deux journées seulement d’audition (inachevée), le magistrat instructeur a pu se faire une idée nette des infractions à retenir qui auraient vraisemblablement de multiples ramifications à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Pour les professionnels de la justice, c’est tout simplement de la légèreté qui prouve, si besoin en était encore, que la justice congolaise est instrumentalisée et utilisée comme un service au profit du pouvoir politique.

2. Le mandat d’arrêt contre Moïse Katumbi est-il toujours légalement valide?

Pour répondre à cette question, il est important d’expliquer ce que signifie ce document dans une procédure pénale et rappeler les circonstances qui ont précédé son émission. Il convient avant tout de rappeler que c’est sur base d’un mandat de comparution que Moïse Katumbi s’est présenté sans résistance au Parquet général de Lubumbashi pour y être entendu durant deux journées. A ce stade de la procédure, il n’était que présumé ou suspect.

Article 15 du code de procédure pénale :

« L’officier du ministère public peut décerner mandat de comparution contre les auteurs présumés des infractions.

À défaut par l’intéressé de satisfaire à ce mandat, l’officier du ministère public peut décerner contre lui un mandat d’amener.

Indépendamment de tout mandat de comparution antérieur, l’officier du ministère public peut également décerner mandat d’amener, lorsque l’auteur présumé d’une infraction n’est pas présent, ou lorsqu’il existe contre lui des indices graves de culpabilité et que l’infraction est punissable de deux mois de servitude pénale au moins,

Le mandat d’amener est valable pour trois mois ; il est renouvelable. La personne qui est l’objet d’un mandat d’amener doit être conduite, dans le plus bref délai, devant l’officier du ministère public qui a décerné le mandat.

La personne qui est l’objet d’un mandat de comparution ou d’un mandat d’amener doit être interrogée au plus tard le lendemain de son arrivée dans le lieu où se trouve l’officier du ministère public qui a décerné le mandat. »

Tout le monde sait que c’est seulement après deux jours d’audition inachevée qu’à la surprise générale, le mandat d’arrêt provisoire été émis contre Moïse Katumbi. Cela signifie que si aucun incident ne s’était produit, c’est en état d’arrestation que le suspect M. Katumbi devait désormais continuer de comparaître, en raison de la gravité des faits mis à sa charge. Au regard de l’autorisation qui lui a été accordée de se faire soigner où il veut, y compris à l’étranger, peut-on légalement considérer qu’il a été effectivement arrêté (le mandat d’arrêt provisoire a-t-il été effectivement exécuté)? Si oui, l’autorisation lui accordée simultanément d’aller se faire soigner où il veut, rend caduque et invalide juridiquement ce mandat. Comme nous le verrons plus loin, un mandat d’arrêt provisoire n’est valable que si la personne qui en fait l’objet est présentée devant le juge qui seul peut autoriser sa détention. Ce qui n’a pas été le cas pour M. Katumbi.

3. La précipitation et les contradictions qui entachent le dossier de M. Katumbi

Comme dans un village où chaque habitant tient à ramener chez lui un morceau de viande d’un éléphant qui vient d’être abattu, le dossier de M. Katumbi a été géré avec une telle précipitation que même les loups politiques sont sortis de leurs tanières pour tailler en morceaux leur précieux gibier. Pour sa part, la justice a fait preuve de son instrumentalisation par l’exécutif en posant des actes aussi précipités que contradictoires.

3.1. Au plan politique 

Lambert Mende qui se croit porte-parole de toutes les institutions, a oublié que le Pouvoir judiciaire est indépendant du gouvernement et s’est précipité d’annoncer l’inculpation de M. Katumbi « dans le cadre d’une enquête sur un recrutement des mercenaires » et même d’anticiper sur son éventuelle arrestation : « Tout dépend maintenant de l’appréciation de la justice s’il faut le transférer à Kinshasa ou pas. »[2] Afin d’éviter pareille anarchie à l’avenir, il serait intéressant que le Président de la République signe une ordonnance élargissant les prérogatives du Ministre de la Communication et des médias en le nommant carrément porte-parole de toutes les institutions de la République.[3]

Emboîtant le pas au Ministre de tutelle, les médias proches du pouvoir ont à leur tour précédé les autorités judiciaires en annonçant, après les deux jours d’audition de M. Katumbi que ce dernier allait être placé sous mandat d’arrêt provisoire. « A titre illustratif, l’on peut se demander depuis quand la RTNC, la télévision nationale, ou encore des chaines proches du pouvoir telles que Télé 50 et Digital Congo se sont-elles substituées au huissier de justice. Ces médias ont précédé le cabinet du PGR, voir le parquet de Lubumbashi en divulguant l’émission du mandat d’arrêt provisoire à l’encontre du président du TP Mazembe. Ce n’est ni plus ni moins, l’instrumentalisation des actes des magistrats. En recourant à la RTNC et autres médias proches de la majorité présidentielle pour annoncer une décision de la procédure judiciaire, l’on a ignoré totalement les canaux officiels tels que prévus dans la loi portant organisation fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire. »[4]

3.2. Au plan judiciaire

En justice pénale, dans un contexte où les magistrats n’obéissent qu’à l’autorité de la loi[5], un individu interrogé même de façon serrée, n’a pas encore de soucis à se faire tant qu’il ne lui est pas encore signifié qu’il est inculpé. L’enquête préliminaire et l’audition devant le magistrat instructeur permettent simplement à ce dernier de réunir les éléments sur lesquels il peut asseoir son accusation. A partir du moment où cet individu est inculpé, c’est-à-dire mis formellement en accusation, il cesse d’être un simple suspect et son statut change de suspect à l’inculpé. A ce stade, dépendamment de la gravité des faits, l’officier du ministère public (magistrat du parquet) peut décider de le laisser libre jusqu’au procès devant une juridiction compétente ou alors le placer sous mandat d’arrêt provisoire, ouvrant ainsi la voie à la détention préventive (privation de la liberté) qui doit, sous peine de violer la loi, être régularisée devant le juge compétent.

Art. 27 (Code de procédure pénale)  

« L’inculpé ne peut être mis en état de détention préventive que s’il existe contre lui des indices sérieux de culpabilité et qu’en outre le fait paraisse constituer une infraction que la loi réprime d’une peine de six mois de servitude pénale au moins.

Néanmoins, l’inculpé contre qui il existe des indices sérieux de culpabilité peut être mis en état de détention préventive lorsque le fait paraît constituer une infraction que la loi punit d’une peine inférieure à six mois de servitude pénale, mais supérieure à sept jours, s’il a lieu de craindre la fuite de l’inculpé, ou si son identité est inconnue ou douteuse ou si, eu égard à des circonstances graves et exceptionnelles, la détention préventive est impérieusement réclamée par l’intérêt de la sécurité publique. »

Art. 28

« La détention préventive est une mesure exceptionnelle.

Lorsqu’elle est appliquée, les règles ci-après doivent être respectées. Lorsque les conditions de la mise en état de détention préventive sont réunies, l’officier du ministère public peut, après avoir interrogé l’inculpé, le placer sous mandat d’arrêt provisoire, à charge de le faire conduire devant le juge le plus proche compétent pour statuer su la détention préventive.

Si le juge se trouve dans la même localité que l’officier du ministère public, la comparution devant le juge doit avoir lieu, au plus tard dans les cinq jours de la délivrance du mandat d’arrêt provisoire. Dans le cas contraire, ce délai est augmenté du temps strictement nécessaire pour effectuer le voyage, sauf le cas de force majeure ou celui de retards rendus nécessaires par les devoirs de l’instruction. À l’expiration de ces délais, l’inculpé peut demander au juge compétent sa mise en liberté ou sa mise en liberté provisoire. Dans les cas prévus à l’article 27, alinéa 2, le mandat d’arrêt provisoire spécifie les circonstances qui le justifient. »

Art. 29

« La mise en état de détention préventive est autorisée par le juge du tribunal de paix. »

Dans le cas de Moïse Katumbi, la justice congolaise semble avoir obéi à un ordre obscur, communément appelée « Hiérarchie » (non autrement identifiée) qui ne tient nullement compte des lois et de la procédure ci-dessus établies par le législateur. D’abord, après avoir interrompu l’audition du suspect suite aux incidents survenus au troisième jour, le Parquet général a étonnement surpris l’opinion publique et surtout les professionnels de la justice en annonçant à la fois son inculpation, sa mise en état d’arrestation en même temps que l’autorisation lui accordée de se faire prendre médicalement en charge dans des formations médicales du pays ou de l’étranger. Tout professionnel de la justice sérieux et compétent doit être déboussolé par une telle procédure et se poser des questions ci-après :

-Ya-t-il réellement des indices sérieux de culpabilité dans le dossier de Katumbi pouvant justifier son inculpation?

-Considérant sa disposition à comparaître et son état de santé, y avait-t-il urgence et/ou crainte de fuite permettant d’émettre contre lui un mandat d’arrêt provisoire?

 -Ce mandat, a-t-il effectivement été exécuté, c’est-à-dire, les agents du parquet se sont-ils effectivement saisis de la personne de Moïse Katumbi à partir de son lit d’hôpital pour le présenter devant le magistrat qui a émis le mandat ?

-Quel élément nouveau a permis au Parquet général de la République de changer simultanément d’avis et d’autoriser qu’un inculpé présenté comme très dangereux pour la sûreté extérieure et intérieure de l’État soit autorisé à sortir du pays le jour même de son inculpation et de sa mise en état d’arrestation, avec possibilité pour lui de ne plus remettre ses pieds au pays?

-Pourquoi plusieurs autres détenus politiques qui croupissent depuis longtemps en prison et dont l’état de santé est médicalement plus inquiétant que celui de M. Katumbi n’ont jamais bénéficié d’un tel traitement de la part du pouvoir judiciaire?

Dans le contexte congolais, caractérisé par des combines politiques de tous genres et par le degré très élevé de compromission de bon nombre de magistrats, il est objectivement difficile de répondre à toutes ces questions. Eu égard à la confusion délibérément créée et entretenue par la justice, en collusion avec les politiques, il vaut mieux plutôt chercher à savoir quelle suite pourrait être réservée à ce dossier dans la double hypothèse où M. Katumbi reviendrait ou ne reviendrait pas après ses soins à l’étranger.

4. Le dossier de Moïse Katumbi a-t-il encore sa raison d’être?

Deux éléments se dégagent de l’exposé ci-dessus qui permettent de comprendre plus ou moins la précipitation et les contradictions qui vident ce dossier de toute sa raison d’être. 1) La défection des membres du G7 a été et est encore ressentie par la Majorité présidentielle comme le coup le plus fatal que même l’opposition traditionnelle n’avait jamais asséné à Joseph Kabila et à sa famille politique. N’en déplaise à She Okitundu, invité de TV5/Journal Afrique, qui a prétendu, sans convaincre son interlocutrice, que M.Katumbi était un poids-mouche qui ne fait peur à personne dans la MP, l’humiliation et l’affront infligés à Joseph Kabila principalement dans son prétendu fief natal de l’ex- Katanga, n’allait pas demeurer impunis. D’autant plus qu’à l’intérieur comme l’extérieur du pays, Katumbi semble bénéficier de plus en plus de soutiens qui font ombrage à son criminel projet de se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel.

La façon plus ou moins propre de le punir, c’est instrumentaliser la justice non pas sur des faits économiques ou sur sa gestion en tant que gouverneur, qui n’allaient pas épargner certaines têtes dans le camp présidentiel, mais sur le terrain sécuritaire où excellent les services de renseignements.  « Peu importe sa décision, le scénario voulu par Kinshasa paraît irréversible : disqualifier de la course à la présidentielle un candidat populaire devenu le principal rival du camp présidentiel », confie à Jeune Afrique un magistrat de la capitale congolaise, qui dit avoir déjà traité des « dossiers similaires et sensibles ». À l’en croire, il en a été ainsi de plusieurs autres opposants qui se sont retrouvés, avant Moïse Katumbi, dans le collimateur du pouvoir. « En exécutant des instructions venues d’en-haut sans réfléchir, des juges avaient récemment condamné l’ancien député Vano Kiboko, passé à l’opposition, à trois ans de prison alors que les faits infractionnels qui lui étaient reprochés ne pouvaient être punis d’une peine de plus de deux ans », rappelle-t-il. »[6]

La moisson de preuves ayant sans doute été insignifiante au bout de deux jours d’audition, l’état de santé de M. Katumbi, du reste provoqué par la police, a servi d’alibi pour abandonner subtilement cet encombrant dossier en espérant le contraindre à l’exil forcé.

2) Relativement à ce qui précède et contrairement à ce que pouvait attendre Joseph Kabila en faisant inculper Katumbi pour atteinte à la sûreté extérieure et intérieure (du déjà vu), la population lushoise (katangaise) a plutôt choisi son camp en soutenant massivement son leader. Une fois de plus, l’état de santé de l’inculpé a été un bon motif de débarras pour le laisser partir tranquillement. Sinon, les Kuthino, Diomi Ndongala, Christopher Ngoy, Vano Kiboko, Jean Claude Muyambo et autres auraient eux aussi bénéficié de la même compassion inhabituelle. « Visiblement, ce n’est pas évident de mettre Moïse Katumbi en taule », admet un cadre de la Majorité présidentielle (MP, la coalition au pouvoir). « Le dossier est complexe et divise au sein même de l’entourage du chef de l’État : d’un côté le camp des durs qui veut poursuivre cette affaire jusqu’au bout – position défendue notamment par des responsables de l’Agence nationale de renseignement (ANR) et certains faucons de la MP -, et de l’autre, un camp plus modéré qui considère qu’il est trop risqué d’avoir les États-Unis à dos en cette période préélectorale déjà tendue. »[7]

5. Que fera M. Katumbi face à cette confusion?

Tout le monde, au pays comme à l’extérieur, surveille l’attitude de Katumbi face à ce dossier. Mieux que quiconque, il est seul mieux placé pour avoir ou non la conscience tranquille par rapport aux faits graves qui lui sont imputés. S’il ne se reproche rien, il devra retourner au pays aussitôt après ses soins afin de confondre ses adversaires politiques qui auraient maladroitement monté un dossier vide en instrumentalisant des magistrats sans personnalité et les services de renseignements à la solde d’un individu. Dans ce cas, c’est lui (Katumbi) qui en sortirait tête haute suivant l’adage « Qui perd, gagne ». Au cas contraire, les chantres du kabilisme trouveront une occasion en or pour crier sur tous les toits qu’il a fui pour se soustraire aux poursuites judiciaires.

Conclusion

Contrairement à ceux qui pourraient imaginer que nous avons plaidé pour M. Katumbi, nous n’avons fait qu’utiliser son dossier comme matériel didactique pour démontrer le dysfonctionnement de la justice congolaise et le degré très élevé de compromission des hommes de lois. Qu’il s’agisse des magistrats de l’ordre judiciaire (Tribunaux de paix jusqu’à la Cour suprême de justice ainsi que leurs parquets) ou de la Cour constitutionnelle, de triste et honteuse expérience, le bris de confiance est presqu’irréversible entre le pouvoir judiciaire et le peuple au nom duquel la justice est censée être rendue (art. 149, al. 3 de la Constitution).

Il est temps que les hommes et les femmes épris de paix et de justice répertorient tous les cas de déviationnisme judiciaire et dressent la liste des magistrats véreux qui, par leur comportement indigne, constituent des obstacles à l’avènement de la démocratie et de l’État de droit. Tôt ou tard, ils devront répondre de leurs actes devant la nation.

Par Jean-Bosco Kongolo M.

Juriste&Criminologue

Jean-Bosco Kongolo est le Coordinateur adjoint de DESC, chargé des volets juridique et institutionnel. Juriste et criminologue de formation, M. Kongolo a été magistrat de cour d’Appel en RDC avant de démissionner volontairement, refusant de cautionner la corruption et les anti-valeurs qui rongent cette institution censée incarner l’Etat de droit en RDC.

 Références

[1] C-News, 20/05/2016 : Le parquet général de la République qui pilote l’enquête laisse des brèches qui permettraient à l’inculpé « de se faire prendre en charge par des institutions médicales appropriées ». Lors qu’une chose et son contraire sont annoncés, c’est la cacophonie ! In http://www.rdc-news.com/#!Cacophonie-autour-de-l%E2%80%99inculpation-de-Mo%C3%AFse-Katumbi/cjds/573f31c90cf28fa13af82f39.

[2] Africa No 1, 19 mai 2016, In http://www.africa1.com/spip.php?article68033

[3] Article 149 al. 1er de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. »

[4] Médiacongo.net, 20 mai 2016, In http://www.mediacongo.net/article-actualite-17833.html

[5] Article 150 al.2 de la Constitution : « Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi. Une loi organique fixe le statut des magistrats. »

[6] Jeune Afrique, 24 mai 2016, http://www.jeuneafrique.com/327757/politique/rd-congo-moise-katumbi-va-t-faire/.

[7] Jeune Afrique, op. cit.

2

2 Comments on “Inculpation de Moïse Katumbi : Précipitation et contradictions – Jean-Bosco Kongolo”

  • Merci infiniment cher Jean Bosco Kongolo pour ce bel article à la fois pédagogique que politique de très haute facture. Dans le contexte où heureusement ou malheureusement les réseaux sociaux ont permi à monsieur et madame tout le monde de devenir spécialiste analyste politique, constitutionaliste etc, il faut de tels articles faits maison pour éclairer nos rares lecteurs des enjeux en RDC. Personnellement tout semble avoir été dit et j’estime conclure comme toi, d’attendre et voir quelle attitude adopterait M. Katumbi pour la suite des événements. On saura alors de quel camp il se situe réellement.

  • GHOST

    says:

    LA SUITE ?

    On tombe sur un général « 4 étoiles » des USA ! http://www.jeuneafrique.com/mag/329315/politique/rd-congo-affaire-katumbi-mercenaires-consultants-suite/
    James Logan Jones, général 4 étoiles des USA qui a travaillé comme Conseiller en matière de sécurité dans l´admnistration Obama* se retrouve dans l´affaire Katumbi..á cause de son entreprise militaire privée http://www.jonesgroupinternational.com * *

    Le fameux « mercenaire » ex Marine « semper fidelis » travaille pour le compte de Jones Group International dont une partie des activités consiste á « recycler » les ex militaires des USA dans la vie civile. En parcourant le site de cette entreprise, vous allez decouvrir comment elle est engagée á la réintegration des ex Marines..La vidéo « Call of duty´reaches out to veteran » semble l´une des causes de la « consultation » de Katumbi*

    Comment candidat á la présidence, Katumbi devrait certainement être conscient que les réformes des FARDC vont exiger de reduire le nombre des officiers et des troupes. En effet, dans son « team » du G7, il ya l´ex ministre de la Défense Mwando Nsimba qui maîtrise parfaitement ce problème d´excès des officiers dans les FARDC*

    L´entreprise du général Jones indique aussi de loin ou de près une « consultation » discrète de Katumbi auprès des « decideurs » des USA? Wait and see

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

This panel is hidden by default but revealed when the user activates the relevant trigger.

Dans la même thématique

DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 08:24:10| 191 0
13 septembre : une journée sombre pour la justice congolaise
Il y a exactement un an jour pour jour, le tribunal militaire de garnison de Kinshasa/Ndolo me condamnait à mort,… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 08:24:10| 164 0
RDC : Jean-Jacques Wondo dépose plainte en Belgique pour menace de mort
Il y a dix jours, un journaliste congolais critique du régime Tshisekedi a été violemment agressé à Tirlemont. “Les menaces… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 08:24:10| 215 0
RDC: Jean-Jacques Wondo témoigne de ses conditions de détention devant le Parlement européen
L’expert belgo-congolais en questions sécuritaires, Jean-Jacques Wondo, a dénoncé les conditions de sa détention en RDC, qu’il qualifie d’inhumaines, devant… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu