DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 02-11-2022 10:15
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Incongruité légale sur la nomination du chef d’état-major général des FARDC, Christian Tshiwewe

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Élevé le 3 août 2022 au grade de lieutenant-général (trois étoiles), Christian Tshiwewe Songesha, l’ancien commandant de la GR, a été nommé à la fonction de chef d’état-major général des FARDC, le 3 octobre 2022, par le Président Tshisekedi, en remplacement du général d’armée Célestin Mbala Munsense.

En tant que chef des armées, l’article 61 de la loi organique portant organisation et fonctionnement des FARDC stipule : « Il est placé, à la tête de l’Etat-Major Général des Forces Armées de la République Démocratique du Congo, un Officier général revêtu du grade le plus élevé parmi les officiers en activité. Il porte le titre du Chef d’Etat-Major Général des Forces Armées ».

Mais il se fait qu’au sein des FARDC, il y a le Général  d’armée Gabriel Amisi Tango Four, l’actuel Inspecteur général des FARDC, qui porte le grade de général d’armée (quatre étoiles), c’est-à-dire un grade plus élevé que le chef d’état-major général.

Cette situation est non seulement illégale mais viole l’esprit de la loi organique basé sur le principe d’unité de commandement. Cela mérite d’être corrigé assez rapidement.

En effet, le général Gabriel Amisi Tango 4, encore Inspecteur général des FARDC, porte le grade de général d’armée (4 étoiles) alors que le général Christian Tshiwewe, l’actuel chef d’état-major général des FARDC, vient à peine d’être élevé au grade de lieutenant-général (3 étoiles). Comme cela s’était déjà produit en 2018 lorsque le général Mbala avait été nommé chef d’état-major général alors qu’il avait lui aussi le grade de lieutenant-général tandis que le général Numbi portait le grade de général d’armée, il aurait été facile pour la nouvelle administration de s’inspirer de nos observations et critiques pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs qui avaient pourtant été corrigées[1].

Le Président Tshisekedi remet l’étendard de commandement au Chef d’état-majot Général des FARDC, Christian Tshiwewe Songesha
Pourquoi le chef d’état-major général des FARDC doit porter le grade le plus élevé ?

D’abord parce que c’est une obligation légale qui ne souffre d’aucune exception et n’appelle aucune interprétaion.

Ensuite c’est pour la compatibilité avec l’esprit de la loi (ratio legis) organique qui précise l’organisation et le fonctionnement des FARDC sur la base du principe d’unité de commandement afin d’éviter la cacophonie et le flou dans l’administration militaire.

Cette notion capitale dans l’organisation militaire (,) veut que sur un espace géographique militaire bien déterminé, il y ait un commandement désigné devant disposer d’une assez large marge de manœuvres (autonomie décisionnelle) dans les actions à prendre pour le bon fonctionnement de l’armée. Cela veut dire qu’un seul chef, en l’occurrence chef d’état-major général, dispose de tous les pouvoirs dans les domaines et l’espace géographique militaires de l’organisation pour laquelle il est responsable. Ici, l’espace géographique militaire correspond à l’ensemble du territoire de la République démocratique du Congo.

C’est cet esprit organique et fonctionnel de l’armée qui fonctionne de manière pyramidale qui sous-tend l’importance de faire revêtir au chef d’état-major général des FARDC le grade le plus élevé de tous les militaires encore en activité, peu importe le lieu de leur affectation. L’unité de commandement dans un espace géographique clairement identifié (bien nommé et délimité) permet un meilleur rendement structurel, administratif et opérationnel de l’armée. Elle évite l’écueil ou l’effet pervers de dédoublement organique et structurel à travers la multiplication des unités exécutant des ordres/missions qui échappent au contrôle du chef d’état-major général des armées.

C’est cela l’esprit de cette loi qui se suffit en soi pour botter en touche les arguments selon lesquels, le général Amisi, en tant qu’Inspecteur de la police est détaché de l’armée. De ce fait, il ne relève plus de l’armée ni du commandement militaire – comme l’évoque un certain juriste de la présidence congolaise – qui défend imaginairement le fait qu’il peut donc porter un grade supérieur au général Tshiwewe en nous renvoyant sur l’exposé des motifs et l’esprit de la loi y afférents qu’il a peiné d’exhiber.

Le fait pour le chef d’état-major général de l’armée de porter le grade le plus élevé sur la base du principe de l’unité de commandement vise à éviter un chevauchement de chefs sur un même espace géographique. Cela permet également d’éviter l’éclosion d’un système de commandements parallèles comme cela a été le cas en 2019 lorsque le Président Tshisekedi avait décidé d’envoyer le général d’armée John Numbi, alors Inspecteur général des FARDC,  à Beni pour piloter les opérations militaires en tant responsable de l’état-major avancé[2] dans une zone où il y avait un commandant de la zone militaire, des commandants de régions militaires, un commandant du secteur opérationnel local. Quid si à l’époque le chef d’état-major général des FARDC avait un grade inférieur ? Une illustration en soi qui démontre qu’un inspecteur général de l’armée reste un militaire actif. Car dans ce cas, il a cumulé deux fonctions distinctes du fait qu’il était au départ un officier en activité.

Que dire des magistrats militaires et surtout de l’Auditeur général des FARDC ne faisant pas partie du Haut Commandement Militaire, ne sont-ils pas des militaires actifs des FARDC ?

L’Inspecteur Général des FARDC, Amisi Kumba Gabriel (Tango Four). Radio Okapi/ Ph. John Bompengo
Pourquoi l’inspecteur général des FARDC ne peut être supérieur au chef EMG FARDC ni porter un grade supérieur par rapport à ce dernier ?

D’abord et tout simplement parce que légalement parlant, l’Inspecteur général de l’armée, tout en restant actif dans l’armée, exerce une fonction purement administrative – rattachée au ministère de la Défense nationale. De ce fait, il n’a aucune hiérarchie fonctionnelle ni opérative directe sur l’armée dont la mise en condition opérationnelle est assurée par le Chef d’état-major général des FARDC, qui légalement et en fait est le véritable patron de la l’armée en tant que soutien au Chef de l’Etat (Commandant suprême des FARDC).

Ensuite, selon l’article 32 de la loi organique sur les FARDC, l’inspecteur général des FARDC ne fait même pas partie du Haut Commandement Militaire. En vertu de quelle disposition légale porterait-il un grade militaire plus élevé que celui du général Tshiwewe, le chef d’état-major général de l’armée ? Lorsqu’on parle de TOUS les officiers en activité, il s’agit de tous les militaires dont la fonction et la promotion sont régies par la loi organique sur les FARDC et la loi portant statuts du militaire. C’est-à-dire des militaires qui relèvent du cadre organique, ou de (c’est-à-dire) l’organigramme des FARDC dont l’inspectorat général est une composante. A ce propos, l’organigramme des FARDC place l’inspecteur général des FARDC sous la hiérarchie militaire du chef d’état-major général.

D’autres arguments fallacieux avancés par certains profanes des questions militaires

Dans certaines réactions lues sur les réseaux sociaux, certains commentaires avançaient l’argument que l’inspecteur général de l’armée est plus élevé que le chef d’état-major général puisqu’il le contrôle, ou des élucubrations imaginaires du genre la fonction prime sur le grade, sans parvenir à invoquer une seule disposition légale qui justifie ces allégations fallacieuses. Dans ce cas, pourquoi ne pas nommer un soldat de première classe comme chef d’état-major général des armées si la loi organique sur les FARDC qui est très précise permet ces écarts ? D’autres sont venus avec des questions du genre : « Quid d’un pays où le président (commandant en chef) est capitaine comme au Burkina ? »

Ils doivent apprendre et retenir une fois pour toutes que le titre de commandant suprême est un titre attaché à la fonction présidentielle et non à l’organisation structurelle et fonctionnelle de l’armée puisque même les civils qui seraient inaptes au métier des armes le portent également.

Comment remédier à cette erreur ?

Nous proposons deux options :

  • Soit, on admet le général Amisi à la retraite anticipée, et ce ne sont pas des arguments qui manquent, afin de (et on) le remplace par un autre général de grade équivalent ou inférieur au général Tshiwewe. C’est la meilleure option.
  • Soit on promeut le général Tshiwewe au grade de général d’armée. Ce qui fera qu’il aura gravi trois grades supérieurs en 2 ans car étant encore général de brigade (1 étoile) en 2020 avant d’être nommé général major et commandant de la GR. C’est une alternative à ne pas privilégier. En effet, si cette option n’est pas illégale en soi, elle risque de consacrer (consacrerait) une certaine légèreté dans le traitement des dossiers de promotion des officiersen grade supérieur, même si c’est le cas concernant la majorité des généraux promus récemment en grade supérieur.

Nous estimons que l’erreur est commise, l’erreur est humaine, il appartient aux collaborateurs du Président de faire preuve d’humilité intellectuelle et de lucidité pour la corriger afin de donner une bonne image de l’administration militaire et présidentielle.


Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste et Expert des questions militaires et de sécurité

Références

[1] https://afridesk.org/nouvelles-nominations-fardc-kabila-vers-un-putsch-constitutionnel-24090-2/.

[2] Jean-Jacques Wondo, Quelles motivations stratégiques derrière l’envoi du général John Numbi à Beni ? Afridesk, 13 décembre 2019. https://afridesk.org/quelles-motivations-strategiques-derriere-lenvoi-du-general-john-numbi-a-beni-jean-jacques-wondo/.

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