La RDC au centre d’une grave crise entre le Rwanda et la Tanzanie
Condescendance, désinvolture, mépris ou manque d’égards ? C’est l’un ou l’autre qualificatif ou le tout à la fois : tel est le sentiment qui prévaut dans les milieux politiques et sociaux de la Tanzanie au lendemain des déclarations faites par Louise MUSHIKIWABO, ministre rwandaise des Affaires Etrangères, demandant au gouvernement tanzanien de présenter des excuses pour avoir proposé la tenue d’un dialogue politique inter-rwandais. Pour ces milieux et surtout au niveau du microcosme politique tanzanien, cette proposition de leur chef de l’Etat ne sort pas d’un pur hasard du calendrier ou d’une vue d’esprit. Jakaya KIKWETE a dit tout haut ce que la communauté internationale pense tout bas depuis la publication des rapports des experts indépendants des Nations Unies et des ONG anglo-saxonnes, notamment HUMAN RIGTHS WATCH et INTERNATIONAL CRISIS GROUP.
En permettant à sa ministre des Affaires Etrangères de traiter les propos tenus par un chef d’Etat d’un Etat voisin d’aberrants et de choquants, le président Paul KAGAME s’est montré condescendant, désinvolte, méprisant et affichant un manque d’égards vis-à-vis de son homologue, a indiqué au Phare un diplomate africain. Avant d’ajouter que ces déclarations de la ministre rwandaise des Affaires Etrangères doivent avoir choqué et révolté les autres chefs d’Etat du monde.
Déjà au cours d’une interview à RFI le lundi de la semaine dernière, Louise MUSHIKIWABO avait déclaré que ceux qui soutiennent les propositions du président tanzanien ne savent pas de quoi ils parlent. Comment peuvent-ils demander au gouvernement rwandais de dialoguer avec les responsables du génocide de 1994? Nous avons stoppé le génocide mais pas son idéologie», avait indiqué la ministre rwandaise des Affaires Etrangères. Avant d’ajouter que ceux qui approuvent la démarche du Président tanzanien doivent être considérés comme des sympathisants de ces FDLR, y compris Jakaya KIKWETE s’il ne retire pas ses propos».
La réaction du gouvernement tanzanien ne s’est pas fait attendre et c’est par la bouche du ministre MEMBE qu’elle est tombée comme un couperet. Sans fioritures ni complaisance, il a tout simplement déclaré que pour rien au monde, son pays ne va présenter aucune excuse. Tout d’abord, le gouvernement tanzanien est animé et guidé par de bonnes intentions visant le rétablissement d’une paix durable dans la sous-région plongée dans des guerres répétitives depuis bientôt vingt ans. Ensuite, c’est depuis seize ans que Kigali défend la thèse de la guerre préventive contre les rebelles hutu rwandais réfugiés en RDC comme son champ de bataille et cela sans succès. Car, à quatre reprises, le gouvernement de Kigali a soutenu des mouvements soit-disant rebelles congolais pour neutraliser les FDLR. Tour à tour l’AFDL, le RCD, le CNDP et récemment le M23 ont bénéficié publiquement des appuis diplomatiques, financiers, militaires du gouvernement rwandais, a rappelé le ministre MEMBE. Ce sont d’ailleurs des éléments recrutés dans les rangs des militaires réservistes rwandais qui ont toujours formé le gros des troupes de toutes ces rébellions soit-disant congolaises qui se sont battus aux côtés des éléments congolais entrainés, formés et équipés par les officiers supérieurs de l’armée régulière rwandaise, a ajouté le ministre tanzanien, citant des sources proches des rapports des experts indépendants des Nations Unies, des correspondants des médias internationaux et des ONG anglo-saxonnes.
Expériences africaines des négociations politiques
Enfin, rappelant les expériences vécues partout au monde et particulièrement en Afrique, notamment en RDC, au Burundi, au Madagascar, en Angola, au Soudan, le ministre MEMBE est d’avis que le refus d’ouvrir des négociations avec les rebelles hutu des FDLR ne sera jamais la meilleure voie pour ramener la paix dans cette Sous-région des Grands Lacs, particulièrement en RDC, en Ouganda et au Rwanda.
Pour autant, il sied de saluer la détermination et le courage des autorités tanzaniennes pour avoir touché du doigt le nœud de cette tragédie qui déchire la RDC avec un bilan macabre de six millions des morts, des destructions méchantes, des massacres, des viols massifs et des déplacements massifs et répétitifs des populations civiles. Le nom de Jakaya KIKWETE restera gravé dans les mémoires du monde pour avoir dit tout haut ce que tout le monde dit tout bas, à savoir que sans un dialogue entre d’une part Kigali et les FDLR, et d’autre part entre Kampala et la rébellion de John KONYI de l’ADL-NALU, il n’y aura jamais de paix dans les Grands Lacs. Pour les dirigeants de Kigali, celui qui réclame le dialogue inter- rwandais doit être traité de complice et sympathisant des génocidaires hutu. Paul KAGAME et ses amis du FPR ne supportent pas la moindre contradiction. Ils ont fait de ce prétexte du génocide leur fonds de commerce pour inculquer aux gens le sentiment de culpabilité pour n’avoir pas porté assistance à un peuple massacré en 1994. Et chaque fois qu’ils sont coincés et à court d’arguments, ils se réfugient derrière ce prétexte qui n’est plus opérant car les grands responsables de ce crime font l’objet des poursuites devant les juridictions internationales.
Il est tout de même établi que tous les hutu réfugiés en RDC ne sont pas des génocidaires. A-t-on oublié que Victoire INGABIRE, présidente d’un parti politique de l’opposition venue d’Europe est en train de payer le prix le plus lourd pour avoir dénoncé cette politique d’exclusion des hutu que l’idéologie du FPR tient à présenter comme des génocidaires, alors que des centaines des milliers d’entre eux avaient été massacrés en 1994 par des miliciens interahamwe pour avoir dénoncé ce crime contre l’humanité ?
Menace de terrorisme dans les Grands Lacs
En suivant cette dialectique, comment pourra-t-on alors faire en sorte que les Congolais victimes des pillages des ressources minérales de leur pays, des massacres, viols massifs, déplacements forcés à l’intérieur de leur pays, puissent s’entendre un jour avec les Rwandais, les Burundais, les Ougandais ? Lesquels sont aujourd’hui reconnus responsables des crimes de guerre et contre l’humanité. Ce sont eux qui ont ramené en RDC la culture de la machette, d’empoisonnement, des massacres, des viols et des pillages des matières précieuses.
Ceux qui soutiennent cette dialectique rwandaise risquent de perpétuer un régime d’exclusion d’une grande partie des populations rwandaises, avec comme conséquence à court et long terme le recours au terrorisme pour faire entendre leur voix. L’exemple de la Palestine est encore éloquent. Tous les Allemands n’étaient pas des Nazi. Sinon l’Etat d’Israël n’entretiendrait pas des relations excellentes avec Berlin. La paix et l’entente ainsi que la coopération dans tous les domaines sont le fruit des négociations entre les Etats.
F.M.
Le Phare, 04 juin 2013