Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 10-10-2016 11:15
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Géostratégie : La « real-geopolitik » du double langage diplomatique de Vladimir Poutine – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

GEOSTRATEGIE : La « real-geopolitik » du double langage diplomatique de Vladimir Poutine

Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Cet article est tiré d’une synthèse d’exposés magistraux et d’une revue littéraire, dont les deux ouvrages de l’écrivain russe Vladimir Fédorovski : Poutine, l’itinéraire secret, paru en 2014 aux Editions du Rocher et Le Fantôme de Staline, paru en 2007 aux Editions du Rocher. Pour mieux comprendre ce portrait de Poutine, il sied de rappeler que Vladimir Fédorovski, historien et écrivain russe d’origine ukrainienne, était diplomate pendant les grands bouleversements à l’Est, promoteur de la perestroïka. Il était sur le même char avec Boris Elstine lors du putsch de 1991. A ce titre et fort de son expérience et de son expertise plurielle, il a été le témoin privilégié de l’évolution de la Russie actuelle. De ce fait, il est un des analystes les mieux placés pour peindre avec le plus de précision possible le portrait de la vision (géo-)politique de Vladimir Poutine dans le domaine des relations internationales, fort notamment de sa double identité russo-ukrainienne. L’analyse se base sur le décryptage des actions, gestes et déclarations de Vladimir Poutine. Elle se veut donc plus factuelle et exempte de toute des considération idéologique.

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La Russie, un joueur de premier plan dans l’échiquier géopolitique mondial selon Zbigniew Brzezinski

L’Eurasie – l’espace géographique compris entre l’Europe et l’Asie et où vivent 75 % de la population du monde – où se concentrent la majeure partie des ressources ainsi que les deux tiers de la production mondiale – est, selon Zbigniew Brzezinski, le cœur du grand échiquier mondial. Une grande partie (du jeu d’échec) délicate aux conséquences importantes se joue actuellement dans la zone que Brzezinski dénomme (depuis les années 1990) les « Balkans d’Eurasie » : Turquie, Caucase, Iran, Afghanistan, Asie centrale, régions aux problèmes ethniques complexes mais dont la Russie devra être graduellement repoussée. Pour Brzezinski, la partie qui se joue dans le pourtour de la Russie n’est plus l’endiguement de la guerre froide (politique de containment du communisme) mais le refoulement (roll back) ou l’isolement de la Russie[1]. Dès lors, l’Eurasie demeure aux yeux des Etats-Unis, l’échiquier sur lequel se déroule le combat stratégique de la primauté globale. On peut comparer la géostratégie – c’est-à-dire la gestion de la stratégique – à une partie d’échecs. Toutefois, l’échiquier, à l’ovale imparfait, implique tout un ensemble de joueurs, chacun d’entr’eux détenant une série de pièces – et donc un capital de puissance – différente[2].

Ainsi, dans cette perspective stratégique américaine, la Russie reste un joueur de premier plan. Et ce, malgré l’affaiblissement de l’Etat et le malaise prolongé du pays (à l’époque de Boris Eltsine). Sa seule existence exerce une influence majeure sur les nouveaux Etats indépendants de l’ex Union Soviétique. La Russie a de hautes ambitions géopolitiques qu’elle exprime de plus en plus ouvertement. Dès qu’elle aura recouvré ses forces, prophétisait Brzezinski en 1997, l’ensemble de ses voisins, à l’est et à l’ouest, devront compter avec son influence[3]. C’est ce qui arrive depuis que Vladimir Poutine est aux commandes de ce pays.

Poutine, le Bonaparte Russe du 21ème siècle

Le président russe, Vladimir Poutine, a retenu la leçon donnée par Brzezinski et l’a bien intégrée dans sa politique extérieure.

L’Union soviétique n’existe plus, tandis que selon Poutine l’idée américaine, formulée à l’époque par Zbigniew Brzezinski, du « cordon sanitaire autour de la Russie » et la volonté de son affaiblissement demeurent. Or le président russe affirme haut et clair : « Pour  les Russes, aussi longtemps que l’objectif sera une Russie faible, il sera difficile de trouver un terrain d’entente. » D’ailleurs, le phénomène Poutine représente la réponse à cette attitude. Si l’Occident veut affaiblir la Russie, celle-ci lui oppose : « On ne recule plus. On réagit. On réalise notre doctrine Monroe[4] ; toute intervention européenne dans les affaires du continent sera perçue comme une menace pour la sécurité et la paix ; en contrepartie, les Etats-Unis n’interviendront jamais dans les affaires européennes.[5] »

« Si on pense à la Russie comme ennemi en puissance, la Russie va se protéger. Si on pense à la Russie comme partenaire et alliée, d’autres horizons s’ouvrent, avertit encore le président russe. Pourtant la Russie et l’Occident sont dans la même barque face aux adversaires communs, notamment l’islamisme »[6].

Depuis qu’il est aux affaires en Russie, Vladimir pratique une sorte de bonapartisme dans l’exercice du pouvoir en Russie. Le concept de bonapartisme fut forgé par Marx, analysant le coup d’État du futur Napoléon III. A l’origine, le bonapartisme se comprend primordialement une façon de concevoir les rapports sociaux et politiques, et de les pratiquer. Il se construit autour d’une idée qui rassemble, exclut toute forme de dogmatisme et permet l’adaptation à toutes les époques. Il consiste à agir dans le respect des souverainetés individuelles, populaires et nationales. Chaque décision politique devant être conçue dans le respect de l’intérêt individuel de chacun, de l’intérêt populaire de tous et de l’intérêt national de la France réconciliée.

  • au sens strict, le bonapartisme vise à établir un régime monarchique impérial en France à la tête duquel serait placé un membre de la famille de Napoléon Bonaparte ;
  • au sens large, le bonapartisme vise à établir un État national à exécutif fort et centralisé mais d’essence républicaine et assis sur la consultation régulière du peuple par le biais de plébiscites.

Le bonapartisme n’implique donc pas forcément l’adhésion à un système d’organisation politique héréditaire mais peut au contraire s’accommoder d’une forme républicaine de gouvernement. Il repose sur la fusion des élites et l’adhésion populaire. Il s’agit d’une forme de gouvernement autoritaire et plébiscitaire, ratifiée par le suffrage universel. C’est cette approche républicaine du bonapartisme qui semble intéresser Vladimir Poutine.

Difficile choix de la Russie entre l’Occident et l’Orient ?

Brzezinski a tout de même modéré les ambitions russes en précisant que : « en ce qui concerne son choix stratégique fondamental, la Russie n’a pas encore tranché : doit-elle considérer l’Amérique comme un partenaire ou comme un adversaire ? Ses options sur le continent eurasien dépendront de ce qu’elle choisira. Les réponses sont suspendues à l’évolution de sa politique intérieure et en particulier à l’orientation qui prévaudra entre démocratie européenne et empire eurasien. Dans tous les cas, son statut de joueur, ne saurait être remis en cause, même après la perte de plusieurs « pièces » (implosion de l’URSS) et l’abandon du contrôle de quelques zones clés sur l’échiquier eurasien[7].

Les derniers développements stratégiques en Syrie et le revirement camouflé d’Obama face à Poutine en témoignent. Dans une réflexion du général belge en retraite Francis Briquemont, La Guerre contre le Daech : Les Etats-Unis et la Russie des alliés objectifs ?[8], nous avons volontairement publiée ce point de vue d’un spécialiste pour démonter et battre en brèche les théories fallacieuses et parfois irrationnelles publiées dans des réseaux sociaux dits « alternatifs » visant à opposer les Etats-Unis à la Russie, sur base des considérations passéistes du prolongement de la guerre froide qui n’a pas lieu et n’aura plus lieu entre ces deux pays qui se tiennent par la barbichette. Un point de vue relayé émotionnellement par bon nombre d’analystes politiques « autoproclamés » des réseaux sociaux.

Parlant de l’importance de coordonner leurs actions, notamment en menant des opérations au sol en Syrie contre l’Etat islamique, le général Briquemont avance : « La stratégie des Occidentaux et particulièrement des Etats-Unis et de la France est plus ambiguë. Le slogan « Ni Daech ni Bachar el-Assad » ne signifie pas grand-chose sur le terrain car, à plus ou moins court terme, par qui remplacer le président syrien actuel ? En revoyant leur stratégie d’aide aux multiples clans rebelles syriens, les Américains se demandent sans doute eux-mêmes où ils pourront trouver de nouveaux dirigeants syriens… fiables. On peut aussi se poser beaucoup de questions sur la solidité et la cohésion de cette coalition internationale menée par les Etats-Unis. En fait, au sein de celle-ci, qui soutient « à fond » la lutte contre Daech ? Quels pays arabes ou musulmans participent efficacement à l’élimination de Daech, autrement que par des discours et un… minimum d’actions sur le terrain ? De quel(s) pays Daech reçoit-il un appui financier, matériel ou logistique ?

De toute façon, pour vaincre Daech et ce quel que soit l’appui aérien fourni par les Américains, les Russes et quelques autres, il faudra pour gagner au sol plus que les restes de l’armée syrienne, le Hezbollah libanais ou les quelques unités kurdes et irakiennes disponibles. Dans l’immédiat, Américains et Russes ont donc tout avantage à coordonner au mieux leurs actions plutôt que de se chamailler comme au temps de la guerre froide. Peut-être le font-ils déjà[9]. »

Et la suite des attentats du 15 novembre 2015 de Paris corroborant cette nécessité de coopération entre Russes et occidentaux.

Vladimir Fédorovski, dans une interview sur francetvinfo.fr, soutient également une alliance entre l’Occident et la Russie contre le Daesh : Pour Vladimir Fédorovski, « Poutine cherche à établir un dialogue avec l’Occident. Il faut rétablir le dialogue ». Selon l’ancien diplomate soviétique, « Il y a un sentiment d’agir d’urgence. La priorité aujourd’hui c’est la lutte contre l’islamisme qui sera longue et meurtrière. Bachar Al-Assad est une affaire secondaire pour les Russes. Vladimir Poutine propose d’aller combattre ensemble les islamistes ». Pour Vladimir Fédorovski, « l’alternative à Bachar Al-Assad, ce sont les islamistes radicaux ». « Pendant la 2ème Guerre mondiale, on s’est allié avec Staline », déclare Vladimir Fédorovski. « Les affaires qui nous attendent seront meurtrières », selon lui. Et il ajoute : « La France a une carte très importante à jouer. Elle garde une image très importante grâce à De Gaulle ». Conclusion de Vladimir Fédorovski : « La présence russe peut faciliter la période de transition en Syrie. La Russie est l’allié irremplaçable des Européens dans la lutte contre Daesh[10]. »

Vers un plan d’action conjoint au Moyen-Orient ?

Ce qui était impossible jusqu’il y a peu est devenu une réalité suite aux attentats de paris du 13 novembre 2015. Le quotidien français Les Echos le confirme : « La marche vers une véritable coalition entre les occidentaux et la Russie contre l’EI en est à ses prémices. A l’Elysée, on préfère, pour l’instant, parler de coordination. Celle-ci a été illustrée par deux autres développements : Barack Obama a téléphoné à son homo­logue iranien Hassan Rohani. Et Vladimir Poutine a ordonné à sa marine d’entrer en contact avec le porte-avions français « Charles-de-Gaulle », qui part jeudi de Toulon pour la Méditerranée orientale. Il s’agirait d’élaborer un plan conjoint d’opérations avec la France. Vladimir Poutine ne cachait pas sa satisfaction après l’appel de François Hollande à une coalition anti EI : « Nos amis français » exigeaient le départ de Bachar Al-Assad, « est ce que cela a protégé Paris contre les attentats ? Non»[11].

En effet, contrairement à une idée largement et faussement répandue, la principale préoccupation de Poutine est ailleurs. Les russes sont hantés par la peur de voir se créer un califat ‘de Boukhara à Poitiers » – pour employer l’expression même des islamistes – et de l’effet de domino que cela pourrait entrainer… ». Aux yeux de Vladimir Poutine, la politique occidentale actuellement à l’œuvre n’est déterminée que par le court-terme, les décisions étant prises dans une perspective électoraliste. Obama, qui rencontre les pires difficultés pour faire passer ses réformes, a besoin, en vue de s’imposer, d’accomplir un acte symbolique sur le plan international. Poutine se défie du concept d’islamisme modéré en Occident. Que ce dernier fonde sa politique sur ce que les Russes considèrent proprement comme un leurre ne peut donc conduire qu’à des catastrophes. On l’a vu en Libye, désormais zone de non-droit, et bien évidemment en Egypte où le pari occidental en faveur des islamistes (modéré) a finalement entrainé l’intervention de l’armée[12].

Que Poutine ait verrouillé la politique intérieure de la Russie, qu’il bafoue la démocratie est un fait, pour autant qu’il existe un consensus national sur sa politique extérieure qui dépasse le personnage lui-même. Nous sommes à présent au-delà du stade où le soutien de Moscou à Damas pouvait se résumer à un marché pour son complexe militaro-industriel et à un farouche attachement aux alliés historiques de l’ex-empire soviétique. Face à la confrontation entre les chiites et les sunnites via l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Hezbollah d’une part, et les piliers du monde sunnite que sont l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, les Russes redoutent un effet de domino : d’abord sur l’Israël (Ndlr : qui compte beaucoup de juifs d’origine russe. Une réalité souvent ignorée par les analystes africains), puis toute l’Asie centrale, une zone géopolitique de chasse gardée de la Russie. Selon Poutine, si on abolit le régime de Bachar el-Assad, ce sera le triomphe des islamistes, avec les conséquences que l’on imagine pour les chrétiens d’Orient et les minorités.[13]

Par ailleurs, pour ceux qui l’ignorent, c’est en Allemagne de l’Est que Poutine a fourbi ses armes de super agent durant sa carrière au sein des services secrets soviétique, le KGB. Cela laisse des traces car on ne peut vivre longtemps dans un pays sans développer une affection à l’égard de sa culture ou de son mode de vie. Il parle couramment et sans accent l’allemand. Ainsi, dans le contexte d’affaiblissement de l’Europe, poutine ne voit d’autres partenaires fiables que les Allemands et il se demande s’il n’est pas préférable de construire un autre monde avec les Chinois. Et ce malgré la disparité démographique entre les deux puissances. Pour y parvenir, il utilise les anciens alliés de l’Union soviétique ou, à tout le moins, tentera de jouer la carte de certains pays musulmans, de manière à éviter que ces derniers ne conduisent une politique trop radicalement antirusse.

Par ailleurs, ¨Poutine (comme d’ailleurs les dirigeants de la Chine) estime que les Occidentaux mènent une croisade dont le but est de « déstabiliser son régime. C’est le « droit-de—l’hommisme » évoqué par Hubert Védrine : en instrumentalisant les principes universels de la démocratie et des droits de l’homme, les Occidentaux s’en servent comme d’une arme politique et économique. D’où la crispation de Poutine et des chinois sur le principe de non-intervention, particulièrement, aujourd’hui, à propos des pays arabes. S’il fallait résumer en quelques mots la situation, conclut Fedorovski, « on peut constater qu’il n’y a pas de guerre froide à proprement parler, mais une guerre idéologique »[14]. Il y a au surplus un profond ressentiment des russes à l’encontre des pays occidentaux, même de la part de personnes fort éloignées de Poutine et de son clan.

Il existe en outre un marché de dupes entre l’Occident et Poutine, que Fédorovski considère dans les relations entre la Russie et l’Occident : « Alexandre Yakovlev, l’inventeur du concept de perestroïka m’a dit un jour : « Gorbatchev était un menteur, seul Reagan y croyait, jusqu’au jour où il a cru à ses propres mensonges ». Durant cette période en effet, selon poutine, la politique occidentale a été de faire pression sur la Russie et d’établir autour d’elle une sorte de cordon sanitaire. Cela a marché avec Gorbatchev et avec Eltsine, mais pas du tout avec l’actuel chef du Kremlin qui – fort de ses maîtres à penser Deng Xiaoping, fondateur de la chine moderne et Iouri Andropov – a tiré les leçons de cette non-reconnaissance de l’Occident. Autant d’éléments qui rentrent dans la posture diplomatique de Poutine… Vladimir Poutine fait de la politique intérieure en martelant que la Russie est une puissance qui sait dire non, en répétant qu’il n’abandonnera pas ses alliés, à l’inverse de l’URSS de la perestroïka, qui s’est effondrée du fait de ses multiples lâchages. (…)

Avec Poutine, nous sommes donc en plein double langage. Conscient que l’Occident et la Russie sont dans la même barque, le président russe s’inquiète du maintien des forces américaines en Afghanistan en vue de bloquer tout retour des talibans, qui provoquerait à terme la déstabilisation de l’Asie centrale. S’agissant de la Syrie, il n’a cure de Bachar-el-Assad. Le personnage est, en soi, secondaire : l’important est encore et toujours d’endiguer la montée des islamistes. Américains et Israéliens préparent une force de frappe alternative à l’islamisme en Jordanie et les russes ne tiquent pas, c’est dire la complexité du jeu ! Antithèse de la perestroïka, Poutine se présente comme le sauveur de la Russie et joue le long terme. C’est donc précisément parce que le Kremlin se retrouve l’allié des valeurs de l’occident qu’il ne saurait y avoir de résurgence de guerre froide[15]. Comprenne ceux qui veulent réellement comprendre en refusant de s’enfermer dans des considérations dogmatiques irrationnelles véhiculés par certains médias alternatifs qui trouvent en eux une clientèle naïve pour faire vendre leur marchandise.

Une stratégie subtile et efficace de remise en question de l’ordre unipolaire actuel

Une relation stratégique Russie – Union européenne est-elle possible ?

Selon la professeure Nina Bachkatov (ULB et ULiège), tout reste à réinventer au niveau relations entre la Russie et l’UE. Le cas de la crise en Ukraine est symptomatique de la divergence de vues entre les deux parties car on ne constate aucune volonté de gérer ce conflit entre les deux acteurs. L’UE essaie de résoudre la crise contre ou sans la Russie. Pour l’UE, Poutine est devenu un contre-modèle de leadership. Alors que l’UE évolue dans une dynamique d’intégration, la Russie de Poutine reste quant à elle attachée au rôle de l’Etat centralisateur comme acteur principal de politique international. Poutine reste fondamentalement attaché à la notion de la souveraineté intangible de l’Etat. Cela se projette même dans sa politique de soutien à Bachar-el-Assad qui est vu par Poutine comme le seul interlocuteur légal et légitime de la Syrie en tant qu’Etat[16]. En effet, Poutine reste très attachée à la conception westphalienne de la politique étrangère des Etats qui refuse de consacrer à une autorité supranationale le monopole d’interventionnisme dans les relations internationales d’autant que les Etats restent les seuls acteurs de scène politique[17]. D’où la posture offensive de la Russie sur la scène internationale en quête d’autorité internationale manifestant un sentiment de vouloir être reconnue comme une grande puissance internationale et cette obsession avec la capacité de projection vers l’extérieur au-delà de ses frontières (Ukraine, Syrie, etc.).

Cette posture géostratégique répond à la nouvelle doctrine de la Russie de vouloir s’imposer son statut de grande puissance en nostalgie de l’ère bipolaire. La hantise de Poutine contre l’unipolarité dominée par les Etats-Unis pousse la Russie à construire sa doctrine militaire en fonction des Etats-Unis. Ce qui explique la rhétorique diplomatique et la dialectique sécuritaire de Kremlin visant à considérer les Etats-Unis comme l’ennemi principal de la Russie, tout en voulant à maintenir son rôle régional d’hégémonie postsoviétique. Cela passe par une diplomatie utilitariste qui lui réussit très bien et une stratégie de surestimation de ses forces et capacités armées afin de donner l’impression d’être une armée puissante, tout en projetant une image de la Russie très agressive et cela marche et fait douter l’Union européenne[18].

Cette opposition de conceptions géopolitiques sur le plan de l’influence de la zone UE-Russie trouve son explication dans les différences des narratifs relatifs à la fin de la guerre froide. Du point de vue occidental (UE, Etats-Unis, GB…), la fin de la Guerre froide a consacré la victoire du modèle démocratique et libéral de l’Occident axé sur les valeurs des droits de l’homme et des libertés individuelles. Par contre, Poutine, tout en rejetant le modèle ostentatoire occidental, privilégie une troisième voie qui n’est pas de nature à mettre en avant une culture ou une civilisation au-dessus de l’autre, mais de revendiquer le caractère spécial de la civilisation russe : Les russes disent qu’ils sont « a-occidentaux » et non pas contre les Européens alors que ces derniers pensent le contraire des Russes. Les Russes reprochent aux Européens d’ignorer l’impact de la civilisation byzantine dans une sorte d’eurocentrisme de la civilisation de l’Europe centrée autour de l’empire romain, sans faire allusion à Constantinople qui a aussi l’Eurasie durant son époque. Ainsi, l’UE européenne, en diabolisant la Russie, estime que certains pays baltes et du Caucase (Géorgie, Moldavie, Kazakhstan, Tchétchénie, Daghestan,…) doivent s’émanciper de la tutelle encombrante de la Russie alors que ces pays se rapprochent plutôt vers la Russie pour des raisons de protection et de défense car ne disposant pas suffisamment des moyens pour se protéger[19].

Ainsi, la Russie développe une fine stratégie de remise en question de l’actuel ordre international unipolaire dominé par les Etats-Unis. Et cette stratégie semble bien lui réussir actuellement au Moyen-Orient.

Poutine a identifié en Allemagne comme le « pays moteur » de l’Europe – les russes voient en Mme Merkel le « Bismarck des temps modernes » – et a fait avancer cette stratégie. Les Russes conçoivent bien qu’il y a deux tendances chez les Allemands : la première est inscrite dans l’Union européenne, la seconde se libère de l’Union pour se débarrasser du handicap « Club Med » et pouvoir se tourner vers l’est. Cette voie est ouverte à d’autres pays[20]. (…)

Contrairement aux idées (mal) reçues, Vladimir Poutine a, en effet, besoin d’une grande alliance allant de l’Atlantique à l’Oural, basée sur le partage d’un certain nombre de valeurs, qui n’existe pas pour l’instant. Mais en dehors de l’Allemagne, seul pays pour lequel il a de la considération et avec lequel il est prêt à coopérer, il n’arrive pas à s’entendre avec les autres Etats européens. Fin 2013, il a fait de l’Ukraine un point de fixation avec l’UE. Il ne s’accorde pas avec la Pologne ni avec les pays baltes, autrefois martyrisés par l’Union soviétique. Cependant, il existe pour Poutine des affinités culturelles, une longue histoire commune entre l’Europe et la Russie. Ce sont les bases solides sur lesquelles il faut construire cette alliance. Ensuite, il y a une interdépendance positive à créer autour de l’énergie et de la technologie. Le grand marché russe, dopé par les pétroroubles, est déjà aujourd’hui aussi irremplaçable pour les Allemands que les ressources allemandes technologiques pour les russes. Cette équation pourrait également s’appliquer à la France[21]. C’est d’ailleurs en voie de l’être après l’échec de la vente des navires Mistral à la Russie et à la suite des récents attentats de Paris.

Enfin ; il ne faut pas oublier que la Russie n’a pas vraiment d’alternative, car elle sait que des millions de Chinois affamés d’espace et de ressources convoitent les plaines vides de l’est de la Russie. « Jacques Chirac m’a rapporté la question qu’il a un jour posée à Deng Xiaoping, fondateur emblématique de Chine : « Comment les Chinois vont-ils faire face à leur problème démographique ?

Ne vous inquiétez pas, nous avons les territoires du nord… » lui a répondu son interlocuteur. Autrement dit la Sibérie ![22]

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Béni et élu de Dieu!

En assumant sa politique en Syrie, Poutine se place encore et toujours dans la rhétorique tsariste de soutien de tous les chrétiens d’Orient qui, à ses yeux, ont été lâchement abandonnés par l’Occident au profit du soutien aveugle des extrémistes islamistes L’essence du pouvoir ? Poutine affirme : « Oui, je considère qu’il nous faut revenir vers nos valeurs traditionnelles. Quoi qu’on pense de l’idéologie soviétique, il y a avait en elle des valeurs quasi religieuses. Seules les valeurs traditionnelles peuvent la remplacer, sinon la société se dégrade ». Le président russe replace la nouvelle identité nationale dans les traces de ce peuple bâtisseur d’empires – tsariste -, puis soviétique – qui fut dilué dans l’identité soviétique, mais qui a toujours puisé sa force dans son allégeance à l’ Etat – un concept issu du milieu de XIXème siècle avec un pouvoir central, un mécanisme efficace de succession sur le trône des tsars et la présence d’un dirigeant fort, marqué par l’influence de l’orthodoxie qui est devenue de facto l’idéologie première de la Russie postsoviétique. C’est ainsi que s’est établi un axe de pouvoir entre le Kremlin de Poutine et l’Eglise orthodoxe russe où, à l’instar de l’époque des premiers Romanov, le patriarche joue un rôle éminent copilote …  L’alliance du trône et de l’autel, le seizième patriarche de Moscou et de toute la Russie , Kirill originaire de Leningrad comme Poutine, a prononcé une phrase ô combien symbolique lors d’une rencontre avec Vladimir Poutine : « Votre présidence est un miracle ». Il y a quatre siècles ; l’élection du premier tsar de la dynastie des Romanov avait également été présentée par l’Eglise orthodoxe comme un miracle… [23]. Il n’y a pas qu’en RD Congo que les prophètes de Dieu ou les représentants des confessions religieuses énoncent des prophéties à l’égard du raïs !

La doctrine militaire russe entérine le double langage du Kremlin

La nouvelle doctrine militaire russe, signée le 26 décembre 2014 par le président Vladimir Poutine, met le cap sur deux principaux fronts d’emploi des forces armées russes :

Il s’agit d’abord et en premier lieu de considérer l’expansion de l’OTAN et les efforts entrepris pour déstabiliser la Russie et les pays avoisinants comme les menaces les plus graves pour sa sécurité. Comme contre-mesures, le document préconise une accélération du développement de l’armée russe, une militarisation accrue de toute la société et le développement de la coopération militaire avec les autres pays du BRICS (Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud) et d’autres Etats d’Amérique latine. La nouvelle doctrine militaire est la réponse à l’encerclement délibéré de la Russie par l’OTAN et à la guerre économique que l’UE et les Etats-Unis livrent à ce pays. Le gouvernement russe donne à l’expansion de l’OTAN l’importance d’une menace de premier ordre pour la sécurité nationale[24]. Même si cette menace reste plausible, en réalité, Vladimir Poutine qui a bien compris le code mental des russes, nostalgiques de la gloire soviétique perdue, se sert de cet alibi, pour renforcer sa popularité et son pouvoir sur le plan intérieur, en suscitant la fibre émotionnelle de ses compatriotes en s’élevant comme étant le « tsar » à même d’ouvrer pour la dignité des russes et la grandeur de la Russie qu’elle cherche à ressusciter des cendres soviétiques. En effet, pour imposer ses projets, le président russe brandit consciemment la menace d’un éclatement du pays, le présentant comme un ensemble d’îles dirigées par la mafia locale et oligarques. Son approche est à la fois marquée par son passé policier et technocratique : il définit des objectifs et, pour les atteindre, tous les moyens sont bons. Sa stratégie repose sur la manipulation des phobies, notamment du complexe viscéral de la population dit « du château assiégé », reflétant la crainte des Russes devant les forces hostiles de l’extérieur, les tchétchènes, l’OTAN, l’économie de marché[25].

Par ailleurs, selon le site web du Conseil de sécurité national russe, la nouvelle stratégie russe prend également en considération « le changement de nature des dangers et des menaces militaires. » Ces menaces ont été démontrées par « la situation en Ukraine » et par « les événements survenus en Afrique du Nord, en Syrie, en Irak et en Afghanistan »[26]. Il s’agit pour la Russie de remettre en deuxième ordre de priorité, qui est plutôt la première priorité géostratégique de la Russie, la question de la lutte contre l’islamisme. En effet, de sa par sa situation géographique spécifique, Poutine s’élève comme le vrai rempart contre l’expansionnisme l’islamique au-delà de l’Oural d’où sa politique d’annexion du Caucase (Tchétchénie, Daghestan, Kirghizstan, Ossétie du sud, etc.), un bastion constitué de pays où la majorité de la population est musulmane. Ainsi, pour Poutine, il n’est pas question de lâcher le Caucase et que la Russie est le seul vrai bouclier face à l’islamisme. Une position qui est très largement approuvée et soutenue par les Russes de tous bords.

Vladimir Poutine se considère comme étant le continuateur de la grandeur russe, celle des grands tsars de Saint-Pétersbourg et celle de l’URSS forgée dans la lutte contre les nazis. C’est cette image qu’il veut forger au sein de l’opinion publique russe qui l’adule et qu’il exploite à des fins politiques contre ses adversaires politiques internes de sorte à créer une sorte d’union sacrée « impérialo-républicaine à la russe » autour de sa personne.

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Par ailleurs, la brouille diplomatique entre la Russie et la Turquie, après que la Turquie ait abattu un avion militaire russe à la frontière syrienne le 25 novembre 2015 confirme ce double langage de Poutine. Celui qui se présente aux yeux de ses concitoyens comme celui qui incarne le restaurateur de la « grandeur russe » (derjavniki) impériale qui ressusciterait des vestiges soviétiques[27]. Une Russie prête à répliquer coup pour coup contre toute attaque militaire contre son pays ou ses intérêts directs, s’est montré incapable de tenir sa parole. A la place, c’est vers une diversion vers les attaques militaires secondaires et une posture de profil bas que Poutine a adoptées, notamment vers le recours aux sanctions économiques : boycotts des produits turcs, manifestations populaires anti Turquie. Le boycott économique est le même type d’armes (des faibles) à laquelle l’Union européenne, impuissante militairement face à la Russie en Ukraine, a fait recours lors de l’occupation de la Crimée par la Russie. Et Poutine, ne parvenant pas à montrer ses muscles face à la Turquie derrière laquelle se cache l’OTAN, s’est subtilement cantonnée dans une subtile rhétorique diplomatique pour dissimuler son malaise. Une telle posture pourrait révéler à moyen terme le double langage antithétique de Poutine aux yeux d’une grande frange de ses électeurs nationalistes de droite, nostalgiques de l’ex-statut impérial du pays qui ne pensent qu’à la guerre comme seul moyen de montrer la force de la Russie. Cela ne manquerait pas de susciter en eux des doutes sur la capacité de Poutine de mener cette guerre impériale qui jusque-là ne se limite que dans ses discours et non dans ses faits et éroder sa popularité. Car c’est dans ce discours belliciste, mythomaniaco-mégalomaniaque que Poutine tire l’essentiel de sa forte légitimité intérieure incontestée en Russie.

Ainsi, face à l’humiliation turque, celui qui déclarait : Si l’Occident (OTAN) veut affaiblir la Russie, celle-ci lui oppose : « On ne recule plus. On réagit ; on constate que Vladimir n’avance pas et ne réagit pas non plus mais use du double langage évasif.

Cependant, le dégel des relations russo-turques constatées en juin 2016 cache des motivations stratégiques subtiles de la Turquie. En effet, malgré la pression américaine de collaborer avec les kurdes dans la guerre contre le Daech en Irak, ce qui est considéré comme un casus belli pour Erdogan, la doctrine géostratégique de la Turquie considère la Russie comme le Grand ennemi à neutraliser dans l’Eurasie du fait de la velléité « impérialiste » de Poutine d’étendre son influence géostratégique jusque dans les pourtours de la Méditerranée. La seule obstination de la Russie, selon les assessment de l’OTAN, est d’avoir accès aux mères chaudes, stratégiques pour le commerce mondial. Or la géostratégie trouve son fondement dans la dialectique du contrôle des mers chaudes, essentielles au commerce mondial. Il faudrait donc interpréter ce pseudo-rapprochement entre la Russie et la Turquie d’opportuniste car ne devant pas durer dans le temps, selon les confidences d’un expert de l’OTAN.

En effet, le rapprochement de circonstance, à la limite contre-nature, entre la Russie et la Turquie est indicatif du tâtonnement géopolitique de Poutine. En effet, sur le plan géostratégique, tout oppose Poutine et Erdogan, principalement en termes de leadership à assumer dans l’espace Eurasie. Leurs options géostratégiques, par exemple pour la crise en Syrie, sont tout-à-fait contradictoires. La Turquie milite pour l’éviction de Bachar el-Assad alors que Poutine trouve au président syrien un maillon essentiel dans le règlement de la crise syrienne.

Contrairement à certaines idées reçues, la Russie n’est pas encore une grande puissance mondiale à proprement parler dans la mesure où c’est un pays qui n’a pas actuellement d’orientation politique nationalement partagée et une vision stratégique de projection au-delà de sa zone de leadership géopolitique, l’Eurasie. Par ailleurs, son budget militaire, 53 milliards de dollars, est de loin inférieur à ceux des Etats-Unis, 523 milliards de dollars et de la Chine, 189 milliards de dollars, selon les données du think tank suédois SIPRI en 2015. Selon des analystes militaires, suite à la dévaluation du rouble et aux sanctions, une partie des dépenses a dû être réévaluée, et plusieurs réduites. Selon les experts du SIPRI, la Russie continuera va poursuivre la diminution de ses dépenses militaires en 2016[28]. Cependant, on ne peut pas nier l’efficacité des frappes russes en Irak et en Syrie, notamment la force de frappe du bombardier supersonique stratégique russe Tupolev Tu-160, capable transporter des missiles stratégiques grâce à ses caractéristiques exceptionnelles. C’est l’avion le plus grand et le plus puissant de l’aviation mondiale, estime l’édition The National Interest[29].

tupolev-tu-160

Enfin, être une puissance mondiale implique d’être une puissance mondiale dans quasi tous les secteurs. Le seuls secteur économique, d’ailleurs en chute libre pour la Russie et en contraction pour la Chine, ne suffit pas à lui seul pour conférer à un État le statut d’une puissance mondiale. Il y a aussi la capacité de projection de ses forces armées aux quatre coins de la planète. Et la Russie, malgré ses timides avancées est encore loin d’agir par exemple dans le Pacifique ou au-delà de sa zone de confort géopolitique immédiate.

En outre, la Russie n’a pas encore décidé quel type de pays elle voulait devenir. Elle se trouve face à dilemme politique lui rappelant ses démons du passé entretenus par une élite, à l’instar de Poutine ex-agent du KGB, qui garde la nostalgie de son ex-statut impérial, mais où une partie de l’intelligentsia est fortement persuadée qu’il est vain d’espérer un retour à un tel statut et qu’il convient d’envisager une autre option : allier la modernité à la démocratie (option de Medvedev[30]. Mais les adversaires de cette position sont majoritaires en Russie. Autre point d’indécision de la Russie est qu’elle ne sait pas si elle doit se rapprocher de l’Europe avec laquelle elle partage un certain nombre de valeurs communes pour se constituer un pôle stratégique contre les Etats-Unis, la Chine et la menace islamique ou avec les Etats-Unis dans une seule alliance anti islamique ou encore la Chine dans une alliance Eurasie-Pacifique contre les Etats-Unis et l’Union Européenne.

Ses démons du passé sont tellement présents dans l’histoire de la Russie que Fédorovski, dans son ouvrage, Le Fantôme de Staline, paru aux Editions du Rocher, en 2007, 286 pages ; tente de jeter un « nouveau regard » sur nombre de vérités établies qui ne sont pas conformes à la réalité historique de la Russie, sur base d’une étude approfondie ayant interrogé les archives, désormais accessibles, qui permettent de dresser un portrait plus précis du « tyran rouge » en référence à Staline. Mais au-delà, sur la face cachée de Vladimir Poutine, le personnage-clé de la Russie actuelle. Il décrit le système de Poutine comme étant la résultante du système de réformes initiées par son père politique, Boris Eltsine à partir de 1991, axée principalement vers la privation de toutes les entreprises russes ; donc, vers le rapprochement avec le modèle économique néolibéral américain. Un aspect capital de l’évolution de la Russie actuelle que bon nombre d’analystes africains nostalgiques de la guerre froide ignorent lorsqu’ils tentent de présenter la Russie et même la Chine comme étant des remparts contre le modèle néolibéral impérialiste américain[31]. A ce propos, très peu d’analystes savent que la firme de sécurité privée MPRI[32] basée en Virginie et travaillant en sous-traitance de Pentagone, forme des militaires chinois aux techniques de combat.

De ces réformes, trois profils types d’acteurs de la nouvelle caste politico-économique de la Russie d’aujourd’hui ont émergé : Tout d’abord la nomenklatura, qui dans la plupart des cas, avait profité des circonstances pour faire fructifier une partie du trésor de guerre du Parti communiste et s’était reconvertie dans le business. Ensuite la mafia, puis les nouveaux hommes affaires indépendants. Ainsi était né un nouveau centre du pouvoir disposant des moyens financiers, exceptionnels[33]. C’est cette oligarchie qui se trouve à l’intersection du monde criminel et du monde politique, en parfaite osmose, est au cœur du système Poutine d’aujourd’hui, si l’on ajoute à cela le contrôle de tous les médias influents de la Russie. Il s’agit d’une sorte de continuation des pratiques staliniennes. Et l’auteur de présenter ce rapprochement dans cette métaphore historique : « Dès sa tendre enfance, un lien particulier semble établi entre Poutine et Staline. En effet, son grand-père fut le cuisinier du dictateur rouge un son père, un membre des services secrets staliniens pendant la Seconde Guerre mondiale. (…) Le désir le plus intime du jeune Poutine était de devenir un James Bond, repensé à la russe[34]. Après son ascension au pouvoir, Poutine rétablit peu à peu une sorte de réminiscence de l’autocratie en Russie, œuvrant pour une centralisation administrative inspirée des idées de son maître Andropov : faire encadrer par le KGB toutes les structures étatiques, y compris l’armée[35]. Ainsi, avec Poutine, après des années d’humiliation, les services secrets et l’armée allaient occuper à nouveau une place prépondérante sur l’échiquier politique russe.

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Conclusion : Poutine, une personnalité complexe et antithétique ?

Comme on peut le constater, dans le domaine des relations internationales, la Russie cherche à retrouver son influence d’antan, de superpuissance et de la grandeur impériale perdue en 1991. Et l’homme providentiel pour l’y élever est Vladimir Poutine.

Poutine se considère comme le Bonaparte russe du 21ème siècle. Sa ligne géopolitique se focalise autour de son obstination (légitime) de faire de la Russie une grande puissance mondiale. Dans cette optique, il parvient avec succès de développer une politique émotive basée sur la panique – justifiée – de l’élargissement de l’OTAN, présentée comme le grand ennemi – et l’UE dans l’ex-Europe de l’Est (Pays baltes). Cela lui a permis de créer un consensus national interne en Russie au sein de l’oligarchie politico-économique et de la communauté nationale russe. Ce qui lui permet d’engranger des dividendes politiques sur le plan interne en voulant détourner l’attention de ses gouvernés sur la crise économique qui ronge son pays et qui ne lui permettra pas d’avoir les moyens de son ambition politique malgré son volontarisme affiché.

Après avoir atteint l’apogée de de son art stratégique jusqu’en 2015, comme tout dirigeant politique atteint par l’usure du pouvoir et les limites de sa politique, il y a fort à parier que l’ère Poutine commence progressivement à enjamber la partie descendante de son déclin. Le récent sommet de l’OTAN du 08 juillet 2016 à Varsovie, mettant la Russie au banc des accusés comme du temps de la guerre froide, est un autre élément de pression supplémentaire contre le tsar du Kremlin.

La preuve en est que craignant des menaces sur sa personne, par infiltration de l’unité de sa garde rapprochée, le président russe a récemment créé une nouvelle unité pour assurer sa protection rapprochée. “Nous avons décidé de créer un nouvel organe fédéral du pouvoir exécutif – la Garde nationale”, a déclaré Vladimir Poutine le 5 avril 2015, cité par le journal en ligne Gazeta.ru. Il s’agit donc d’une réorganisation radicale des forces de sécurité russes, qui prévoit la liquidation de l’Unité de lutte contre le trafic de drogue et du Service fédéral de migration (dont les fonctions seront transférées au ministère de l’Intérieur), et la création d’une Garde nationale [Natsgvardia] où seront incorporées les troupes de l’Intérieur, les forces spéciales (Omon), et d’autres[36]. Dans les faits, la Garde nationale n’est rien d’autre qu’une extension du service chargé de sa protection personnelle.” La nomination du général Viktor Zolotov, l’ancien garde du corps de Vladimir Poutine, à la tête de la Garde nationale, tend à confirmer cette hypothèse[37].  Le général Viktor Zolotov, actuellement vice-ministre de l’Intérieur, est une connaissance du président russe du temps où celui-ci était l’adjoint au maire –réformateur– de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sotchak[38].

Cette décision-surprise de Vladimir poutine de créer une Garde nationale reflète l’effritement d’un des piliers de son pouvoir, l’amélioration de la situation économique, mais aussi une crainte du putsch militaire constante depuis des décennies au sein de l’appareil d’État russe. Le pouvoir de Vladimir Poutine repose sur deux piliers. Une adhésion des classes populaire et moyenne à un contrat simple : vous vivez mieux mais vous ne vous mêlez pas de politique. Le soutien des « siloviki » : les organes de force, c’est-à-dire l’armée, la police et les services de sécurité (le FSB, successeur du KGB). Le premier pilier est mis à mal par la baisse des prix des hydrocarbures, qui sont la principale ressource d’une économie incapable de se moderniser, et par, dans une moindre mesure, les sanctions occidentales. Le second ne serait-il pas aussi solide qu’il y paraît? C’est la question qu’on peut se poser après la décision du président russe de créer une « Garde nationale », véritable garde prétorienne, qui lui sera directement rattachée. Forte de plus de 400 000 hommes, cette garde nationale sera composée des troupes du ministère de l’Intérieur et des unités d’élite de la police, les OMON (anti-émeutes) et les SOBR (intervention rapide)[39].

Quant au portrait qui représenterait mieux Poutine, le pianiste russe Mikhaïl Rudy dans Le monde du 11 février 2014 dit ceci : « Vrai disciple de Marx, mais également de Sun Zi et de Machiavel, il applique les principes du matérialisme dialectique à la perfection : il est tout et son contraire. Cadre du FSB (l’ex-KGB) et fier de l’être, mais fervent croyant attaché au passé orthodoxe de la Russie ; fan d’Elton John, mais promulgateur des lois antihomosexuels. »

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC

Références

[1] Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Fayard/Pluriel, Paris, 1997, p.20.

[2] Ibid., p.61.

[3] Ibid., p.72.

[4] La doctrine américaine du XIXème siècle proclamant la prédominance de l’influence américaine en Amérique du Nord et du sud, territoires qui de fait, n’étaient plus ouverts à la colonisation européenne.

[5] Vladimir Fedorovski, Poutine, l’itinéraire secret, Editions du Rocher (Paris) p.199.

[6] Ibid.

[7] Zbigniew Brzezinski, Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Fyard/Plurie, Paris, 1997, p.72.

[8] http://afridesk.org/la-guerre-contre-le-daech-les-etats-unis-et-la-russie-des-allies-objectifs-francis-briquemont-lieutenant-general-e-r/#sthash.Y5jnkM6U.

[9] http://afridesk.org/la-guerre-contre-le-daech-les-etats-unis-et-la-russie-des-allies-objectifs-francis-briquemont-lieutenant-general-e-r/#sthash.Y5jnkM6U.dpuf.

[10] http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/les-4-verites-vladimir-fedorovski-soutient-l-alliance-avec-vladimir-poutine-contre-daesh_1109537.html.

[11] http://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/021487074297-france-russie-et-etats-unis-se-liguent-contre-daech-1176020.php?EBtF23BzBhi4vGSx.99.

[12] Vladimir Fedorovski, Poutine, l’itinéraire secret de Vladimir Fedorovski, Editions du Rocher, Paris, p.200.

[13] Ibidem.

[14] Ibidem, p.203.

[15] Ibidem, p.205.

[16] Nina Bachkatov, « Relations entre Union européenne et la Fédération de Russie », exposé du 16 janvier 2016, 11ème session du 4ème cycle des Hautes études en sécurité et défense, Institut Royal supérieur de Défense –ERM.

[17] Xavier Follebouckt, « Russie : Panorama stratégique et géopolitique », exposé du 06 février 2016, 11ème session du 4ème cycle des Hautes études en sécurité et défense, Institut Royal supérieur de Défense –ERM.

[18] Ibid.

[19]  Nina Bachkatov, op. cit.

[20] Ibidem, p.206.

[21] Ibidem, p.206.

[22] Ibidem, p.210.

[23] Ibidem, p.2410.

[24] https://www.wsws.org/fr/articles/2015/jan2015/ruse-j03.shtml.

[25] Fedorovski, Poutine, l’itinéraire secret de Vladimir Fedorovski, p.148.

[26] http://afridesk.org/la-nouvelle-doctrine-militaire-russe-publiee-par-poutine/#sthash.8Tnhnv8m.dpuf.

[27] See more at: http://afridesk.org/fr/lordre-mondial-unipolaire-decentre-dans-un-monde-polycentrique-jj-wondo/#sthash.VkVh8Squ.dpuf.

[28] https://fr.rbth.com/tech/defense/2016/04/13/combien-depense-la-russie-pour-son-armee_584307.

[29] https://fr.sputniknews.com/defense/201511191019658999-avion-puissant-aviation-militaire/

[30] See more at: http://afridesk.org/fr/lordre-mondial-unipolaire-decentre-dans-un-monde-polycentrique-jj-wondo/#sthash.VkVh8Squ.dpuf.

[31] http://afridesk.org/fr/opinion-lutopie-dune-guerre-entre-la-russie-et-les-etats-unis-en-ukraine-jj-wondo/.

[32] Military Professional Ressource Inc

[33] Vladimir Fédorovski, Le Fantôme de Staline, Editions du Rocher, Monaco, 2007, p.236.

[34]Vladimir Fédorovski, Ibid, p.245.

[35] Vladimir Fédorovski, Ibid, p.254.

[36] Les fonctions de la Garde nationale, notamment la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, sont comparables à celles du FSB [Service fédéral de sécurité], poursuit le titre, à l’exception d’un élément : la nouvelle unité sera placée sous la tutelle du président russe. Interrogé par le journal, le politologue Stanislav Belkovski commente : « Les questions concernant la sécurité rapprochée [de Poutine] deviennent systématiquement des questions de sécurité nationale – le slogan ‘Poutine c’est la Russie’ n’est pas tombé du ciel. […]

[37] https://www.google.be/?gws_rd=ssl#q=poutine+cr%C3%A9e+une+nouvelle+unit%C3%A9+des+gardes+du+corps.

[38] http://www.slate.fr/story/116721/poutine-garde-pretorienne.

[39] Elle sera dotée de moyens et de droits importants (arrestation et détention sans limite dans le temps des suspects, tir à vue «en cas de circonstances exceptionnelles», etc.).

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