RDC : Quand sport rime avec politique ou le sport devient un outil politique
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
On pourrait résumer la petite analyse qui suit en empruntant et adaptant la formule stratégico-militaire universelle de Carl Von Clausewitz : « Le sport est une continuation de la politique par d’autres moyens ». En République démocratique du Congo (RDC), le sport, censé être un outil de rassemblement des congolais, surtout sa jeunesse, est devenu depuis ces dernières années un véritable enjeu politique. Le terrain de compétition saine sportive se transforme progressivement en un champ de bataille politique où tous les coups, même antipatriotiques, semblent permis. La présente analyse tente d’en relever quelques éléments. Elle permet également, au-delà de la dérive perverse du football en RDC, à quel point le sport peut être un outil de géopolitique dans un pays en quête de résilience géostratégique régionale.
Le sport comme enjeu politique en RD Congo : La rivalité V Club – TP Mazembe se dévoie vers la politique
L’actuel ministre de la Jeunesse et Sports, Denis Kambayi, est un cadre de l’AS Vita Club. Lorsque Kambayi a été nommé ministres de la Jeunesse et des Sports, ma première réaction était celle de savoir l’objectif politique (et non sportif) recherché derrière cette nomination. Les éléments ci-dessous, repris pêle-mêle, peuvent nous aider à cerner les enjeux latents derrière cette nomination.
Le président de l’AS Vita Club n’est rien d’autre que le général Gabriel Amisi Tango Four[1], l’actuel commandant de la 1ère zone de défense (Kin – BDD – Equateur – Bas-Congo : ouest de la RDC hostile à Kabila) et ancien chef d’état-major adjoint chargé de la logistique du RCD Goma et co-auteurs avec Laurent Nkunda Mihigo de la répression brutale de la mutinerie du 14 mai 2002 des éléments du RCD à Kisangani et de meurtres, viols et pillages des populations civiles dans la même ville[2].
Par ailleurs, le même général Amisi, selon la journaliste belge Colette Braeckman, a été directement impliqué dans la débâcle des FARDC à Mushake (Nord-Kivu) en 2007, contre les troupes du CNDP, de son ancien frère d’armes du RCD-Goma Laurent Nkunda[3]. Enfin, Amisi Tango Four avait été pointé du doigt dans la prise de Goma par le M23 en novembre 2012[4].
Quant à Denis Kambayi, il a été mis en cause dans les tragiques événements sanglants du duel du 11 mai 2014 au stade Tata Raphaël entre l’AS Vita Club et le TP Mazembe de Lubumbashi, l’équipe dirigée par Moïse Katumbi.
Pour rappel, à la suite de la défaite écrasante de l’AS Vita Club au stade Kamalando (Lubumbashi) en avril 2014, Denis Kambayi avait déclaré, dans un langage sibyllin que les supporters de Mazembe ne seront pas la bienvenue au stade Tata Raphaël. Ainsi, le classico de la dernière journée du championnat 2014 opposant Vita Club à Mazembe du 11 mai 2014 « s’est soldé dans une atmosphère sanglante au stade Tata Raphaël. Selon les sources officielles, 15 morts et 21 blessés graves, comme bilan provisoire du Gouverneur de la Ville de Kinshasa. Alors que le match cheminait à sa fin, après avoir épuisé le temps réglementaire, soit nonante minutes, le temps additionnel n’a pas été le bienvenu. C’est de là que les vrais incidents ont commencé ».
Par ailleurs, Human Rights Watch a rapporté que la manifestation de l’opposition du 15 septembre 2015 a été troublée par des attaques orchestrée par des membres de la Ligue des Jeunes du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Kabila, parmi lesquels beaucoup sont connus comme pratiquant des arts martiaux, ainsi que des jeunes ayant des liens avec Vita Club, l’une des principales équipes de football de Kinshasa, dirigée par le Général Gabriel Amisi Tango Four. Des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR), de la police et de l’armée, tous en tenue civile, auraient également pris part à l’attaque[5].
Notons par ailleurs que le club de football TP Mazembe, présidé par l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, Moïse Katumbi, dispose d’un noyau dur de jeunes supporters capables d’utiliser des moyens violents contre les adversaires. Ces jeunes se sont déjà illustrés durant la période électorale de 2011 lorsque le bâtonnier Jean-Claude Muyambo avait négativement critiqué la gestion de la province par Katumbi. Mécontents de ces propos, les partisans de Moise Katumbi ont attaqué, avec l’aide de la police, le cabinet d’avocat de Jean-Claude Muyambo, ainsi qu’à sa chaîne de Radio Télévision Libre JUA[6].
Lors du match retour de la finale des Champion’s league du 01 novembre 2014, Kabila avait mis à la disposition des supporters de l’AS Vita un avion pour se rendre à Blida en Algérie[7]. Ce qui ne fut pas le cas lors du match aller livré par le TP Mazembe à Tunis en 2015. Deux poids deux mesures ? Sachant qu’Amisi Tango Four est un des bras droits sécuritaires de Kabila en RDC.
Le Tout-Puissant Mazembe a également accusé la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC) d’avoir volontairement refusé de retransmettre en direct le match qui l’a opposé le 19 juin à Lubumbashi au club ghanéen de Medeama Sporting Club. Un match comptant pour la première journée de la phase des poules de la Coupe de la confédération africaine. Dans une correspondance adressée samedi 18 juin à la direction de la RTNC, les dirigeants du club de Lubumbashi se disent « étonnés » que la télévision publique ait décidé de ne pas retransmettre cette rencontre en direct. D’après eux, « les techniciens de la RTCN ont reçu l’ordre de ne pas diffuser les images à l’antenne, privant ainsi tous les Congolais du direct du match ». Une mesure qu’ils jugent « antipatriotique » qui sabote « le TP Mazembe dans son propre pays »[8].
Un des adversaires politiques redoutables du président Joseph Kabila, Moïse Katumbi, se sert de son prestigieux club TP Mazembe comme outil de propagande politique et modèle de management économique. Ce qui n’est pas du goût de l’entourage politique qui s’est même permis, d’instrumentaliser un organe public, la RTNC – comme il le fait d’habitude avec notamment l’ANR (Agence nationale de renseignement devenu la police politique au service de Kabila), la CENI, l’armée[9] et la police ou encore l’appareil judiciaire[10]. En effet, pour cette finale qui devrait être un moment de fierté nationale, la RTNC aux ordres de Kabila, n’a pas trouvé mieux que de ne pas retransmettre le match[11] et de priver la nation congolaise de se réjouir et de communier autour des valeurs sportives.
L’occasion fait le larron, après le sacre continental de Mazembe à la ligue des champions africaine, le président du Club a déclaré dédier la victoire au peuple congolais : « Notre succès a été celui de l’unité. J’ai vu avec plaisir des membres de la majorité et de l’opposition partager un moment de fierté nationale. Cette unité, comme celle qui a régné entre supporters, dirigeants, staff et joueurs est à la base de notre victoire. Nous avons justifié le dicton « l’union fait la force » et c’est ce qui devrait inspirer tout le pays. Je dédie la Coupe au peuple congolais pour les élections de 2016….« [12]
Les mêmes Corbeaux du Mazembe, quintuple vainqueur de la Ligue des champions, ont remporté le 20 février 2016 la Super coupe 2016 contre le club tunisien Etoile du Sahel par un score de deux buts à un.
Morale de l’histoire : Lorsque la politique se mêle du sport et le sport devient un outil ou un instrument au service du politique, mieux encore un enjeu politique, on sort de l’arène du jeu et de la saine compétition sportive pour glisser vers le terrain de bataille frontale où tous les coups sont permis, à défaut d’arbitre, Kabila, étant devenu lui-même une partie prenante au combat.
Le sport dans la géopolitique régionale des Grands-Lacs
La victoire des léopards au CHAN à Kigali a été, du point de vue psycho-géopolitique, une occasion en or pour les Congolais, meurtries et victimes de plusieurs agressions directes et indirectes rwandaises de montrer qu’ils sont restés un peuple debout, résilient et prêt à défier patriotiquement le Kagame sur son sol. Il suffit de voir la manière dont les supporters, très nombreux au stade Amahoro de Kigali ont entonné avec une tripe patriotique, devant Paul Kagame, l’hymne national congolais : « Debout congolais ». Une manière pour eux de défier à haute voix et avec ferveur le « maître » des mille collines qui ne pouvait pas ne pas entendre la profondeur de : Debout Congolais
« Debout Congolais
Unis par le sort
Unis dans l’effort pour l’indépendance
Dressons nos fronts
Longtemps courbés
Et pour de bon
Prenons le plus bel élan
Dans la paix
(…)
Citoyens,
Entonnez,
L’hymne sacré de votre solidarité
Fièrement
Saluez
L’emblème d’or de votre souveraineté
Congo
Don béni, Congo
Des aïeux, Congo
Ô Pays, Congo
Bien aimé, Congo
Nous peuplerons ton sol
Et nous assurerons ta grandeur
(…) »
Mais le plus spectaculaire dans tout ceci reste l’inventivité des Kinois qui ont trouvé dans les victoires des Léopards une occasion de rappeler au président Kabila qu’ils ne tolèreront, quelque manœuvre politicienne que ce soit, un quelconque glissement électoral lui permettant de prolonger son mandat au-delà du 19 décembre 2016. Surtout qu’une majorité des Congolais a tendance à associer Kabila à Kagame auquel le président congolais a toujours manifesté une complaisance compulsive.
Qu’on ne se méprenne pas ; un glissement non contrôlé peut se transformer en un tacle mal opéré et faire valoir à son auteur un carton rouge de Filimbi ! #Yebela !
Enfin, il n’y avait pas meilleure façon d’exprimer cette résilience des congolais par ces belles paroles écrites par Joël Kandolo : « Les Léopards défient Kagame lavent l’affront des humiliations militaires : La résilience par le sport »[13].
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Références
[1] « À Mushake, où avait été dépêché le commandant en chef des forces terrestres, le général Gabriel Amisi dit « Tango Fort », des ordres contradictoires furent donnés, qui entraînèrent le repli des meilleurs éléments. On devait comprendre plus tard que les commandants de la plupart des brigades censées assiéger Nkunda étaient des officiers qui, comme Amisi, avaient naguère combattu à ses côtés dans les rangs de la rébellion et avaient été brassés ensuite, mais sans réellement rompre avec leur ancien compagnon d’armes ! » http://afridesk.org/whos-who-le-general-amisi-tango-four-le-boucher-du-kivu-jj-wondo/#sthash.oTUWsN6a.dpuf. – See more at: http://afridesk.org/fr/human-rights-watch-accable-de-nouveau-le-general-kanyama-et-le-pprd/#sthash.EU2PSxYx.dpuf.
[2] http://afridesk.org/fr/human-rights-watch-accable-de-nouveau-le-general-kanyama-et-le-pprd/#sthash.EU2PSxYx.dpuf.
[3] Le Soir, 27/12/2007.
[4] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Déc. 2014, pp.50-51. – See more at: http://afridesk.org/fr/human-rights-watch-accable-de-nouveau-le-general-kanyama-et-le-pprd/#sthash.EU2PSxYx.dpuf.
[5] http://afridesk.org/fr/human-rights-watch-accable-de-nouveau-le-general-kanyama-et-le-pprd/#sthash.tgrvpweu.dpuf.
[6] http://www.congoforum.be/fr/nieuwsdetail.asp?subitem=1&newsid=178031&Actualiteit=selected.
[7] http://www.voiceofcongo.net/tag/vita-club.
[8] http://www.radiookapi.net/2016/06/29/actualite/sport/coupe-de-la-confederation-mazembe-denonce-la-non-diffusion-de-son-match.
[9] http://7sur7.cd/new/arrestation-martin-fayulu-joseph-olengankoy-denonce-la-dictature-du-regime-kabila/.
[10]http://afridesk.org/fr/primes-accordees-a-certains-magistrats-eviter-le-sensationnel-jb-kongolo/. Ou http://afridesk.org/fr/au-congo-kinshasa-desuetude-rime-avec-deni-de-justice-jean-bosco-kongolo/. Ou http://afridesk.org/fr/rdc-apport-negatif-de-la-justice-congolaise-a-letat-de-droit-jean-bosco-kongolo/.
[11] https://twitter.com/jcvuemba/status/663364727586881536.
[12] http://www.forumdesas.org/spip.php?article5897.
[13] http://afridesk.org/fr/les-leopards-defient-kagame-et-lavent-laffront-des-humiliations-militaires-joel-kandolo/.