Freddy Matungulu Mbuyamu dans le starting-block pour la présidentielle de 2018 en RDC?
En cette année supposée électorale, DESC entame une série d’entretiens inédits avec différents acteurs politiques, sociaux, économiques, diplomatiques, culturels, religieux, académiques, militaires… congolais et internationaux en vue de décrypter l’actualité congolaise sous toutes ses facettes (politique, économique, sécuritaire, géopolitique, écologique, etc.).
Né le 4 janvier 1955 à Lubembo, dans la province du Bandundu, aujourd’hui Kwilu, allure joviale d’un expert boursier tiré à quatre épingles, Freddy Matungulu Ilankir Mbuyamu se confie à DESC sans faux-fuyants.
Monsieur Matungulu, succinctement en quelques lignes, comment vous présentez-vous à nos lecteurs ? Quel est brièvement votre cursus et votre parcours professionnel ?
Lorsque l’on parle de Freddy Matungulu, c’est avant tout ma profession de professeur d’économie et mon passage au Fonds monétaire international (FMI) qui sont mis en avant. Tout cela est bien. Cependant, je tiens à souligner qu’avant d’être professeur et fonctionnaire international, j’ai été et demeure un gamin du Congo/Zaire de la belle époque. Des années où l’on pouvait envisager l’avenir avec optimisme dans notre pays, où l’on voyait dans le travail bien fait et la discipline scolaire et professionnelle la clé du succès et de la réussite dans la vie. Mon état d’esprit est celui des années pendant lesquelles on revenait vite au Congo/Zaire après avoir terminé ses études à l’étranger, y compris aux USA.
C’est ainsi que, ayant défendu ma thèse de doctorat le 19 septembre 1986 à Boston, je suis revenu à Kinshasa le 13 octobre de la même année, moins d’un mois plus tard. Je suis un produit du Congo/Zaire fier et jaloux de son leadership en Afrique et dans le monde. Bien plus, pour moi, la RDC n’est pas juste un amas de ressources naturelles qu’il faut exploiter à la hâte, s’enrichir, et s’exiler pour aller en profiter loin des regards des congolais chaque année plus pauvres qu’avant. Le Congo est plutôt la mère-patrie dont il faut s’occuper, et qu’il faut défendre à tout prix, à vie. C’est cela que je fais depuis que j’ai pris ma retraite du FMI en décembre 2014. Je le fais en militant au sein de Congo Na Biso, parti d’opposition dont je suis l’initiateur.
Monsieur Matungulu, vous avez été ministre de l’Économie, des Finances, et du Budget de la RDC entre avril 2001-février 2003, dites-nous comment êtes-vous parvenu à ce poste alors que vous travailliez au Fonds monétaire international (FMI) ?
Ma nomination au gouvernement en 2001 a été le résultat de la conjonction de deux facteurs majeurs. D’abord la volonté initiale des nouvelles autorités congolaises, après l’assassinat de Mzee Kabila, de mettre le pays sur la voie d’une nouvelle, bonne, gouvernance économique et politique. Ensuite, la disponibilité des Institutions de Bretton Woods et du FMI (mon employeur de l’époque), plus singulièrement, de soutenir le programme de reformes économiques du Congo au début des années 2000, après les difficiles règnes de Mobutu et LD Kabila.
En quelques mots, pourquoi avoir démissionné en 2003 ? Que reprochiez-vous à Joseph Kabila ou à son gouvernement ?
J‘ai démissionné pour ne pas cautionner le dangereux virage que le gouvernement avait commencé à prendre dans le domaine de la gestion de la chose publique. Avec notamment le retour progressif de décaissements de fonds non budgétisés, le flou grandissant dans le suivi des dépenses. Bref, le peu d’égards pour la bonne gouvernance. Ces développements se sont aggravés après mon départ du gouvernement, mettant en branle un processus d’impitoyable paupérisation continue de nos populations. Je ne pouvais être complice d’un tel travail de sape de l’avenir de notre pays.
Quelle lecture transversale faites-vous de la situation générale de la RDC depuis votre départ en 2003 ?
Pendant les dernières années, la situation du pays est allée de mal en pis. Une certaine reprise de la croissance autour de 2010 n’a pas bénéficié à la population. Elle n’était pas inclusive. A la suite de l’effondrement des cours de nos produits d’exportation, même la croissance non-inclusive nous a tourné le dos. Bien plus grave, le refus de Joseph Kabila de quitter la présidence après son second et dernier mandat a plongé la nation dans une profonde crise politique, assombri davantage les perspectives économiques et accéléré la paupérisation de la population.
Le règne de la médiocrité s’est installé, rendant illusoire tout espoir d’amélioration des conditions économiques et sociales de nos populations. Ne progressent plus aujourd’hui que les activités et initiatives nourries et soutenues par la corruption, le laisser-aller, qui ne riment malheureusement qu’avec déclin et pauvreté croissante. Dans ces conditions, les retombées sociales de la reprise spectaculaire des cours de nos produits d’exportation, y compris le cobalt, devraient être limitées.
C’est donc un constat d’échec total qui s’impose, exigeant un sursaut national. Heureusement, la population congolaise est aujourd’hui plus mobilisée que jamais dans son rejet de la kabilie. Sa demande d’une alternance politique crédible est coriace. Cette mobilisation imposera les changements de gouvernance et politique si nécessaires au pays. Grâce à elle, la RDC se réveillera, et l’Afrique commencera à soigner ses plaies. C’est une évidence.
Durant quelques années, la RDC avait renoué avec la croissance économique jusqu’à atteindre environ 10,4% en début 2014. Et puis, c’est la descente aux enfers, le pays fait face à une chute vertigineuse de sa croissance. Comment expliquez-vous cette situation ? Y’a-t-il, selon vous, des pistes concrètes pour y remédier ?
Notre pays doit diversifier son économie et la rendre moins dépendante des développements dans l’économie mondiale. Avec une population de 80 millions d’habitants, la RDC a un marché intérieur potentiellement important. Bien plus, le pays n’as pas d’infrastructures économiques et sociales d’envergure. Ces deux facteurs suggèrent l’existence d’un potentiel de demande intérieure d’investissement et de consommation privée relativement important. Si celui-ci est bien exploité, il peut apporter une forte contribution à la croissance économique du pays au delà de l’activité liée aux cours de nos matières premières.
Toutefois, pour être couronnée de succès, la nécessaire internalisation des sources de la croissance doit être soutenue par de profondes reformes structurelles et institutionnelles en vue de la mise en place d’un bon environnement institutionnel. Un vaste chantier dont la mise en œuvre satisfaisante exige une répudiation déterminée des vices de gouvernance actuels et un nouveau mariage de la Nation avec les principes indispensables de respect des lois et de l’ordre, de discipline, de responsabilité et de redevabilité. La RDC doit donc réapprendre à vivre suivant les prescrits de ces fondamentaux sans lesquels aucun un progrès n’est possible. Ce qui n’est un miracle car ces valeurs régentaient bien la vie du congolais pendant la jeunesse de la plupart de nos quinquagénaires, sexagénaires, septuagénaires d’aujourd’hui. Sans un tel retour vers l’excellence vraie, il ne peut être permis d’envisager l’avenir avec optimisme.
Un mot sur la situation sécuritaire de la RDC et l’armée congolaise ? Comment pensez-vous résoudre la situation sécuritaire générale délétère du pays que Kabila a été incapable de résoudre depuis 2001, si jamais vous étiez président ou Premier ministre?
La situation sécuritaire du pays est catastrophique, caractérisée par la perpétuation de tenaces et vicieux foyers de tensions, la commission d’horribles atrocités dans plusieurs coins de la République. Dans ce secteur, la RDC a les allures d’un géant orphelin terrifié, perdu dans une cour de récréation contrôlée par de nains chefs de gangs. C’est une aberration, probablement l’une des plus surprenantes de l’histoire contemporaine. Le poignant spectacle se passe de tout commentaire, exigeant des actions de correction urgentes.
De nombreux rapports, y compris ceux des Nations Unies, font état d’incestueux liens entre la situation sécuritaire délétère de l’Est et les autorités politico-militaires de notre pays. Le rôle néfaste joué par certains de nos (pays) voisins est aussi suffisamment bien documenté. Démêler cet imbroglio avec détermination, au double plan intérieur et diplomatique, contribuerait au retour d’une paix durable dans notre pays. Mon administration aurait largement les moyens nécessaires à cet effet.
Après votre départ du FMI en 2014, vous vous êtes lancé dans le combat politique au sein de Congo Na Biso. En deux mots c’est quoi Congo Na Biso et pourquoi encore un nouveau parti de plus dans le paysage politique congolais déjà pollué par plus de 400 formations politiques ? Pour quelle valeur ajoutée ?
Congo Na Biso, « notre Congo » en français, c’est le nom en lingala de notre famille politique. Un nom éloquent en ce qu’il en appelle à la conscience de chaque congolaise et chaque congolais de s’occuper ou de gérer le Congo, notre pays patrimoine commun le plus précieux, en bon père de famille. Comment peut-on traiter la mère-patrie autrement ? Dans la fourmilière de partis qu’est la scène politique congolaise, nous avons une vocation singulière, celle d’être les chantres et praticiens de la gouvernance axée sur le résultat. Pour nous, le pouvoir ne peut être un gâteau, comme le conçoivent nos frères et sœurs de la Majorité Présidentielle, car il est fardeau et sacerdoce par essence. Si exercer le pouvoir sacerdoce engendre le progrès, jouir du pouvoir-gâteau gangrène les institutions et entraine régression et pauvreté continues. C’est cette différence de pensée politique et de vision de la gouvernance qui constitue notre valeur ajoutée sur la scène politique nationale. Le peuple congolais en avait brièvement fait l’expérience quand je coordonnais les actions économiques du gouvernement entre 2001 et 2003. Du haut de la Magistrature Suprême, l’année prochaine, je ferai beaucoup plus, et mieux, pour lui.
Quels sont les principaux axes de votre vision de la RD Congo ?
Je crois à la solidarité, à l’entraide entre les filles et fils de mon pays, la République Démocratique du Congo. Je crois au respect des lois de la République. Je crois au devoir d’intégrité et à l’obligation d’expertise des gestionnaires de l’Etat. Ces valeurs, j’aspire à les incarner humblement à la tête de la RDC si nos populations me font l’honneur de me porter à la tête du pays lors de la prochaine élection présidentielle.
Sans faire la chasse aux sorcières, je m’emploierai à faire de la République démocratique du Congo un Etat de droit respectable. Cette respectabilité retrouvée favorisera le retour des investisseurs, y compris des compatriotes de la Diaspora, et la création d’emplois nouveaux, générateurs et porteurs de revenus stables pour nos populations, dans tous les grands secteurs de l’économie. Dans un tel environnement, la croissance, sous-tendue par une solide stabilité macroéconomique, deviendra inclusive, partagée, et bénéficiera à la majorité de la population congolaise.
Entretemps, la CENI a fixé les élections au 23 décembre 2018 ? Sont-elles réalistes ?
Prévues pour la fin 2016, puis pour 2017, les élections n’ont toujours pas été organisées. Si la nouvelle date du 23 décembre 2018 n’est pas réaliste, quel autre moment le serait encore ? Je souhaite attirer l’attention de la kabilie sur l’impérieuse nécessité de respecter le nouveau calendrier électoral qu’ils ont, eux-mêmes, rendu public l’année dernière. La patience de nos populations est manifestement à bout. Un nouveau report mettrait sans nul doute la nation sens dessus dessous. Nous ne pouvons accepter de nous engager, une énième fois, dans cette voie. Dans ce contexte, Congo Na Biso renforce sa proximité avec l’électorat, nous permettant d’ores et déjà d’envisager la perspective des scrutins avec optimisme.
Vous appelez vos partisans et le peuple congolais à soutenir les actions initiées par les laïcs catholiques. Pour quel objectif et résultat concret sachant que Kabila reste sourd aux moyens de pression pacifiques auxquels il oppose la force armée ?
La forte implication de l’Eglise Catholique a bien heureusement ravivé la volonté du peuple congolais d’exprimer haut et fort son ras-le-bol face aux ratés du processus démocratique. La portée de cette initiative civique transcende les limites physiques et temporelles des individus que nous sommes, quels que soient nos rangs sociopolitiques du moment. Il faut en effet savoir que les chrétiens qui toisent Joseph Kabila et les siens aujourd’hui ont tenu tête aux mobutistes hier. Demain, ils en découdront avec tout autre pouvoir aux visées et méthodes politiques similaires. Comme hier, ces actions finiront par avoir raison de nos dirigeants réfractaires au changement aujourd’hui, ces leaders qui se cramponnent au pouvoir en violation des lois de la République. Pour ma part, contribuer au succès de l’initiative des catholiques est un devoir patriotique.
Serez-vous candidat aux élections de 2018 ? Pourquoi et pour quoi faire ?
Comme je l’ai dernièrement dit à l’un de vos confrères, je suis favorable à la mise en place d’une candidature unique de l’opposition. Le moment venu, j’entends, en toute modestie, chercher à convaincre mes compatriotes du bien fondé de ma désignation en tant que porte-étendard des Légions du Changement au prochain scrutin présidentiel.
Votre dernier mot pour les Congolais ?
Je demande à la population congolaise de rester mobilisée, de toujours se rappeler que nos revendications sont légitimes. La persévérance nous permettra d’arriver à la terre promise. Ne jamais abandonner notre quête en dépit des nombreuses embuches à venir. Telle doit être notre démarche commune dans cette Longue Marche pour la reconquête de la dignité perdue de la Nation.
One Comment “Freddy Matungulu dans le starting-block pour la présidentielle de 2018 en RDC ? Interview exclusive de DESC”
GHOST
says:SAVAIT-IL QU´IL ÉTAIT EN FACE D´UN EXPERT EN MATIERE DE DEFENSE ?
C´est laquestion qu´on se pose en parcourant les propos du « candidat á la présidence » Matungulu…
Á la question sur les « principaux axes de sa vision de la RDC, la défense et la sécurité ne figurent pas dans sa réponse.
CANDIDAT Á LA PRESIDENCE ET FUTUR COMMANDANT SUPREME DE L´ARMÉE DU CONGO ?
Ceux qui aspirent á assumer la fonction de « président » de la République et de « premier responsable » de la sécurité et de la défense du Congo devraient mieux preparer leurs approches et surtout leur speech devant les medias.
Il n´est pas acceptable á un tel niveau qu´un candidat á la présidence si intelligent ne puisse pas exprimer sa comprehénsion de la situation sécuritaire et de l´armée de la RDC.
Comment compte-t-il faire une fois élu président et commandant en chef de l´armée, une armée dont il n´a pratiquement aucune opinion quelques mois avant la campagne électorale?
« Comment pensez-vous résoudre la situation sécuritaire générale du pays »? Aucune reponse ni une indication que mr Matungulu a compris la question et quelle est la place de la sécurité dans son programme politique.
DECEPTION ?
L´histoire en Afrique du Sud nous apprend que lors de la fin de l´apartheid, Mandela et l ANC avaient hérité d´un programme de modernisation de l´armée sudaf.. Ainsi, l´ANC a commencée la gestion de l´Etat avec un programme militaire très moderne.
La RDC si instable sur le plan sécuritaire, avec une armée « mexicaine » dont le nombre des généraux en fonction depasse celui de l´armée americaine…Oui la RDC devrait meriter des candidats á la présidence qui sont conscients que les questions sécuritaires sont prioritaires.