Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 23-10-2016 15:50
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La justice, premier chantier à réaliser après le régime de Joseph Kabila – Jean-Bosco Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

 

 La justice, premier chantier à réaliser après le régime de Joseph Kabila

Par Jean-Bosco Kongolo

Si les participants-signataires de l’Accord global et inclusif de Pretoria avaient privilégié les intérêts supérieurs de la nation au détriment du partage des postes, le Congo-Kinshasa ne se serait pas trouvé dans la situation si fragile qu’elle traverse actuellement sur les plans politique, économique, sécuritaire et social. Aujourd’hui, plus personne parmi ces signataires ne fait allusion aux principaux objectifs de cet accord, toujours d’actualité, qui étaient les suivants :
  1. la réunification; la pacification, la reconstruction du pays, la restauration de l’intégrité territoriale et le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national;
  2. la réconciliation nationale;
  3. la formation d’une armée nationale, restructurée et intégrée;
  4. l’organisation d’élections libres et transparentes à tous les niveaux permettant la mise en place d’un régime constitutionnel démocratique;
  5. la mise en place des structures devant aboutir à un nouvel ordre politique.

Tout observateur honnête et neutre sera d’avis avec nous que la plupart de ces objectifs n’ont pas connu un début de réalisation. En tout cas, aucun n’a été atteint pleinement. Sinon on n’en serait pas là, à toujours pleurer les morts de l’insécurité à l’Est, à déplorer le niveau de paupérisation atteint par la population, à réclamer la démocratie, l’alternance politique et l’État de droit ou à tenir des concertations et des dialogues pour une insaisissable cohésion nationale. L’histoire se répétant souvent, c’est encore le partage des postes qui a prévalu et drainé du monde au « dialogue-théâtre » national qui vient de se clôturer à la Cité de l’UA.[1]

C’est pourquoi, après un long temps de réflexion, nous avons estimé que d’ores et déjà, c’est le chantier de la Justice qui devrait figurer au premier plan des projets de société des partis et des personnalités politiques qui ont à cœur la survie et le développement de la nation congolaise et le bien-être du peuple congolais. Animé par ce souci, nous nous chargeons d’identifier dans ces lignes les instruments légaux que le pouvoir judiciaire n’a pas pu ou voulu utiliser depuis le démarrage de la Troisième République ainsi que les remèdes efficaces qu’il convient d’administrer pour surmonter les écueils en vue d’une justice véritablement au service de la nation, gage de la sécurité institutionnelle, politique, économique et sociale.

1. Principales innovations de la Troisième République en matière de justice

Dans nos analyses antérieures sur la justice, nous n’avons cessé de rappeler des extraits de la Constitution et des lois organiques portant statut des magistrats ou organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Par rapport au régime de parti unique, tous ces textes contiennent des innovations qui, si elles étaient suivies, auraient permis aux hommes de lois de combler le fossé de méfiance qui les sépare du peuple, au nom duquel la justice est rendue[2]. Il s’agit notamment de :

conseillers_cour_supreme_justice

1.1 La reconnaissance du pouvoir judiciaire en tant qu’institution

Ceci ressort tant de l’exposé des motifs de la Constitution que de la loi portant statut des magistrats. Après 32 ans d’hibernation comme simple organe du MPR, le Pouvoir judiciaire a été enfin réhabilité comme institution de la République au même titre que le Président de la République, le Parlement et le Gouvernement (article 68 de la Constitution).

L’intérêt de cette répartition des pouvoirs se trouve clairement exprimé dans l’exposé des motifs de la Constitution du 18 décembre 2006 en ces termes : « Les préoccupations majeures qui président à l’organisation de ces Institutions sont les suivantes:

  1. assurer le fonctionnement harmonieux des Institutions de l’État;
  2. éviter les conflits;
  3. instaurer un État de droit;
  4. contrer toute tentative de dérive dictatoriale;
  5. garantir la bonne gouvernance ;
  6. lutter contre l’impunité;
  7. assurer l’alternance démocratique.

C’est pourquoi, non seulement le mandat du Président de la République n’est renouvelable qu’une seule fois, mais aussi, il exerce ses prérogatives de garant de la Constitution, de l’indépendance nationale, de l’intégrité territoriale, de la souveraineté nationale, du respect des accords et traités internationaux ainsi que celles de régulateur et d’arbitre du fonctionnement normal des Institutions de la République avec l’implication du Gouvernement sous le contrôle du Parlement. »

Rien qu’avec cet extrait de l’exposé des motifs, les magistrats auraient pu se sentir suffisamment interpelés pour prendre conscience du rôle qui est le leur au sein de l’État afin que les préoccupations ci-dessus énumérées ne soient pas de vains mots. L’article 149, alinéas 1, 2 et 3, du texte constitutionnel affirme que « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.

Il est dévolu aux Cours et Tribunaux qui sont: la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Haute Cour militaire, les cours et tribunaux civils et militaires ainsi que les parquets rattachés à ces juridictions.

La justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple. 

Emboitant le pas au constituant, le législateur de la Troisième République a tenu à bonifier le statut des magistrats en renforçant leur indépendance dans l’exercice de leurs fonctions. L’exposé des motifs de cette loi est on ne peut plus clair sur ce point: «Le statut actuel des magistrats fixé par l’Ordonnance n° 88/056 du 29 septembre 1988 ne cadre plus avec l’esprit et l’ordre constitutionnels nouveaux qui proclament l’indépendance du Pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif.

Conformément à l’article 150 de la Constitution, il s’est avéré indispensable d’élaborer un nouveau texte de loi organique aux fins de rencontrer le vœu du constituant.

Cette indépendance édictée dans toutes les Constitutions que notre pays a connues jusqu’à ce jour, mais jamais suivie d’effets, doit, en cette période où la bonne gouvernance constitue le soubassement de toute action étatique, être comprise dans toutes dans toutes ses implications conséquentes et traduites effectivement dans les actes. Dans cet ordre d’idées, il devient impératif que le Pouvoir judiciaire, à la faveur du processus de démocratisation en cours, puisse réellement sortir du carcan dans lequel il a été confiné pour retrouver ses lettres de noblesse.

Ainsi ses animateurs que sont les magistrats pourront accomplir en toute indépendance, en toute conscience et en toute dignité, leur mission de rendre une bonne justice sans laquelle il n’y a pas de véritable paix civile dans la société, facteur indispensable à la stabilité politique ainsi qu’au développement économique et social. »

Pour les magistrats en exercice qui ont débuté leur carrière du temps du MPR, il y a de justes motifs de se réjouir car pour une fois, c’est sur eux, en tant que corps, que repose la bonne gouvernance et la paix civile, elle-même « facteur de la stabilité politique et du développement économique et social. » Au regard de tout ce qui se passe au pays, il est étonnant et ridicule que les magistrats de la Troisième République passent leur temps à se plaindre du manque d’indépendance et continuent d’être à la remorque non seulement des autres institutions mais, plus grave, des services de sécurité à la solde d’un individu. Comme conséquences, il n’y a toujours pas de paix tandis qu’à cause de la mauvaise gouvernance et de l’impunité, les richesses du pays sont accaparées par une minorité d’individus incapables de conduire le pays au développement économique et social.

1.2 Réhabilitation du Conseil supérieur de la magistrature

Sous le régime de la IIe République, le Conseil supérieur de la magistrature n’a existé que de nom et pour la consommation extérieure. Le pouvoir judiciaire, appelé à l’époque « Conseil judiciaire », n’était qu’un organe subordonné au MPR. Du recrutement à l’exercice de ses fonctions, jusqu’à sa retraite, le magistrat était avant tout évalué par rapport à son degré de militantisme.[3] C’est ainsi qu’en région, aujourd’hui province, le Commissaire de Région ou Gouverneur avait un droit de regard sur les magistrats de son ressort. Le Conseil supérieur de la magistrature, qui ne se réunissait presque jamais, était officiellement présidé par le Président Fondateur du MPR, Président de la République qui en déléguait le pouvoir au Président du Conseil judiciaire ou, plus tard, au Commissaire d’État à la justice.

Sous la Troisième République, les choses ont fondamentalement changé libérant les magistrats de ce carcan. Désormais, la gestion de la carrière des magistrats, du recrutement à la proposition de promotion ou de révocation, est confiée aux magistrats eux-mêmes à travers le Conseil supérieur de la magistrature, nouvelle formule.

Comme jamais au paravent, la Loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature réaffirme l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ainsi, l’article 2 de cette loi dispose:

« Le Conseil supérieur de la magistrature est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire.

Il élabore des propositions de nomination, promotion, mise à la retraite, révocation, démission et de réhabilitation de magistrats.

Il exerce le pouvoir disciplinaire sur ces derniers

Il donne ses avis en matière de recours en grâce.

Il décide de la rotation des juges sans préjudice du principe de l’inamovibilité, conformément aux dispositions de l’article 150 de la Constitution.

Il désigne, conformément à l’article 158 de la Constitution, trois membres de la Cour constitutionnelle.

Il assure la gestion technique du personnel judiciaire

non magistrat mis à sa disposition. Il procède à son évaluation et fait rapport au Gouvernement.

Il élabore le budget du pouvoir judiciaire. »

De tous ces pouvoirs de gestion reçus du constituant et du législateur, le Conseil supérieur de la magistrature n’en a utilisé convenablement presqu’aucun. En effet, le recrutement, les promotions et les révocations des magistrats continuent de se faire dans l’opacité totale, à la tête de l’intéressé et le plus souvent sur base tribalo-ethnique ou politique en recourant aux recommandations émanant des milieux politiques. Quand bien même il arrive que le Conseil supérieur de la magistrature se réunisse, les dossiers de promotion et de révocation ne sont pas soumis pour approbation à l’assemblée plénière mais, avec la complicité du Ministre de la Justice, des comptes sont réglés à certains magistrats qui se retrouvent révoqués sans dossier disciplinaire alors que des incompétents sont promus sans aucun mérite (des copies de certaines assemblées du CSM dont nous disposons en font preuve). Selon les nouvelles qui ne cessent de nous parvenir de nos anciens collègues encore en exercice, la dernière mise en place, comme d’autres qui l’ont précédée, a été un véritable scandale avec des Hauts magistrats, Premiers Présidents et/ou Conseillers de Cour d’appel, incapables de rédiger un petit jugement(préparatoire) « avant dire droit » et dont le français, surtout écrit, ferait tressaillir les diplômés du secondaire des années 60-70(nous savons de quoi nous parlons). De quelle justice peut-on attendre des gens pareils dont les toges noires dissimulent bien l’incompétence et toutes sortes de fléaux?

Cour Constitutionnelle RDC_0807

1.3 La Cour constitutionnelle

L’introduction de cette haute juridiction dans le système judiciaire congolais a fait croire à beaucoup de compatriotes que l’heure avait enfin sonné pour l’avènement de l’État de droit dans notre pays. Le temps excessivement long mis entre, d’une part, l’adoption de la loi la créant et, d’autre part, sa mise en place effective (nomination des magistrats) devait pourtant faire réfléchir plus d’un observateur attentif. Des neufs magistrats qui la composent, personne ne peut affirmer qu’à l’exception des trois qui sont désignés par le Président de la République, les six autres ont réellement été désignés respectivement et dans la transparence par le Parlement réuni en congrès et par le Conseil supérieur de la magistrature en raison de trois par composante.[4]

Ce n’est pas par hasard que leur nomination n’est intervenue que dans la période où la famille politique du Chef de l’État se démenait pour expérimenter plusieurs tentatives de modifier la Constitution, en même temps que le gouvernement et la Commission électorale œuvraient en coulisses pour retarder la tenue des élections prévues pour l’année 2016. Le ridicule arrêt rendu par cette Cour et qui soutient, hors de tout raisonnement juridique et du bons sens, que le Président Kabila peut rester au pouvoir aussi longtemps que son successeur ne sera pas élu n’honore ni ces magistrats ni encore moins le Pouvoir judiciaire en tant qu’institution indépendante. Plus grave, ces magistrats, qui ne méritent plus la confiance de la nation, sont allés au-delà des limites du tolérable en se permettant de siéger en deçà du quorum légalement fixé, pour rendre leur récent verdict autorisant la CENI d’étirer en longueur l’élaboration du calendrier électoral. L’article 90 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de cette Cour dispose : « La Cour ne peut valablement siéger et délibérer qu’en présence de tous ses membres, sauf empêchement temporaire de deux d’entre eux au plus dûment constaté par les autres membres. »[5] C’est pourquoi, tenant compte du rôle incontournable du Pouvoir judiciaire dans la construction du pays sur les plans politique, institutionnel, économique et social, nous proposons aux autorités du prochain régime, pour autant qu’elles soient démocratiquement élues, des mesures correctives qui cadrent avec la profondeur du désastre.

2. Remèdes pour un Pouvoir judiciaire véritablement au cœur de la démocratie et de l’État de droit

Contrairement à ce qu’on s’imagine souvent, le problème de la justice congolaise réside plus dans la gestion des ressources humaines que dans la corruption et l’indépendance de la magistrature. En confiant, de bonne foi, cette gestion au Conseil supérieur de la magistrature, le législateur ne s’était pas préoccupé d’élaborer le profil des compétences spécifiques du magistrat dont la nation a besoin. Or, c’est dans un tel instrument que devraient être fixés les critères méthodiquement détaillés de recrutement, de promotion, de discipline, d’évaluation, de recyclage et de révocation du personnel magistrat. En attendant que soit finalisé ce document, à remettre exclusivement aux autorités issues d’un processus électoral digne de la démocratie, les grandes lignes de la réforme du système judiciaire s’articulent autour des principaux axes ci-après: le recrutement, la discipline, les promotions, le recyclage et les délibérés des juges, les réquisitoires de l’officier du Ministère public et le cas spécifique des membres de la Cour Constitutionnelle.

2.1 Le recrutement

Tel qu’il se fait actuellement, le recrutement des magistrats congolais, avec des critères sommaires basés principalement sur la nationalité, la moralité attestée par un certificat délivré par une autorité administrative et un extrait de casier judiciaire, les aptitudes physiques et le diplôme de licence ou de doctorat en Droit ne suffit plus à garantir la compétence, la performance ainsi que l’indépendance et la résistance à la corruption. En effet, le diplôme, le certificat de moralité et d’aptitude physique sont devenus de simples papiers que peuvent se procurer, de plusieurs manières, les candidats magistrats. Avec des universités « agréées » qui se créent chaque année un peu partout, la corruption et le clientélisme qui ravagent le corps professoral, il est choquant de constater que des jeunes magistrats d’aujourd’hui sont incapables de rédiger une courte phrase exempte de faute d’orthographe ou de grammaire. De quoi se demander comment ils ont pu arriver en dernière année d’université et convaincre le jury! Ce n’est un secret pour personne que plusieurs d’entre eux font rédiger leur travail de fin d’études (mémoire) ailleurs, moyennant rémunération ou gratuitement chez un membre de famille.[6] Comme conséquence, la tendance est aussi de faire rédiger les jugements par les avocats d’une des parties au litige, après avoir reçu de celle-ci des espèces sonnantes et trébuchantes.[7]

C’est pourquoi, il faudrait qu’à ce stade, un jury indépendant soit chargé du recrutement en soumettant les candidats à un test très rigoureux. Ce test sera composé d’une dissertation générale, d’une autre sur un sujet de Droit et ce, en plus de deux ou trois mises en situation(casus) et des questionnaires à court développement sur les matières telles que le Droit pénal général, le Droit pénal spécial, le code de procédure pénale, le Code de procédure civile, le Code de la famille, la Loi foncière et le Droit des obligations.

Seuls seront retenus des candidats qui auront satisfait à ces épreuves avec un minimum de 60% de points. Il s’en suivra une formation de trois mois basée essentiellement sur la procédure et dispensée par des Hauts magistrats ayant totalisé au moins vingt ans de carrière. En attendant leur nomination par le Président de la République, une enquête de sécurité sans complaisance devra être effectuée sur chaque candidat afin de vérifier l’exactitude ou non des informations fournies dans le certificat de moralité, le casier judiciaire, le certificat d’aptitude physique et l’état civil.

2.2 La discipline, l’évaluation, les promotions et le recyclage

Faute de l’existence d’un profil de compétences dont fait également partie les éléments de déontologie, le Conseil supérieur de la magistrature brille par sa complaisance à l’égard des magistrats indignes de cette noble carrière. C’est ainsi que, par exemple, certaines femmes magistrats offrent scandaleusement leur charme à leurs justiciables tandis que leurs collègues hommes font de même avec des femmes (mariées ou non) qui s’offrent pour avoir gain de cause dans leurs propres dossiers ou ceux des membres de leurs familles (nous savons de quoi nous parlons). Tout cela, sous le silence complaisant des membres du Conseil supérieur de la magistrature, qui laissent en même temps les magistrats s’adonner aux activités commerciales en violation de la déontologie.

Depuis plusieurs années, les magistrats ne sont plus évalués annuellement par leurs supérieurs hiérarchiques conformément à la loi. Cela entraîne entre autres des promotions anarchiques en faveur des plus habiles et au détriment des plus méritants. Pour remettre de l’ordre, nous suggérons que tous ceux qui auront enjambé au moins deux échelons devront être ramenés à leurs grades antérieurs et recyclés avant de poursuivre leur cursus. Dépendamment du rapport annuel d’évaluation, le recyclage d’au moins trois mois sera obligatoire pour tout magistrat, du Tribunal de paix à la Cour d’appel, n’ayant pas totalisé 60% de points de mérite professionnel. En  deçà d’une telle note, le Conseil Supérieur de la magistrature n’aura d’autre choix que de proposer un tel magistrat à la révocation pour éviter que l’institution judiciaire soit un refuge des cancres, des incompétents, des individus manipulables et de personnes à la moralité douteuse.

2.3 Le cas des délibérés des juges

C’est peine perdue pour les justiciables, que les enquêtes aient été bien menées, que la cause soit aussi claire que l’eau de la source, qu’ils aient eu recours aux cabinets d’avocats les plus expérimentés ou que les débats aient suffisamment éclairé la religion des juges, si ces derniers ne sont pas suffisamment outillés sur le plan scientifique(connaissance du droit) ou solidement blindés sur le plan éthique et déontologique. C’est ce qui s’observe malheureusement à tous les échelons, de la Cour Constitutionnelle au Tribunal de paix, avec des magistrats qui rendent des décisions iniques et cyniques défiant le bon sens et scandalisant même des personnes qui n’ont pas été à l’école.

En principe, le délibéré permet de minimiser les erreurs judiciaires en donnant l’occasion aux juges de profiter les uns de l’expérience et de la connaissance des autres tandis qu’aux parties au procès, de se rendre compte du degré d’impartialité des juges et de leurs capacités à résister contre la corruption, le trafic d’influence et l’ingérence de quelle que origine que ce soit. «Pour le juge qui doit rendre sa décision tant attendue, il s’agit d’une étape à la fois la plus noble et la plus délicate de sa mission de dire le droit. Noble, car on réalise dans chaque dossier l’énormité des pouvoirs que l’on a de départager ses semblables, peu importe leur âge, leur race et leur rang social, de la même manière qu’un père le fait avec ses enfants pour garder et maintenir l’harmonie au sein de sa famille. Délicate, car pour justement départager ses semblables, il faut réunir en soi plusieurs qualités et compétences, parmi lesquelles l’éducation reçue en famille et dans la société, sa propre personnalité en tant qu’individu, sa vocation professionnelle, sa formation scolaire et académique ainsi que son expérience personnelle. »[8]

Dans une analyse consacrée antérieurement à ce sujet, nous avions déjà proposé qu’une loi soit adoptée obligeant les juges qui prennent une affaire en délibéré, de mettre chacun par écrit son opinion de façon à respecter l’opinion dissidente, laquelle peut s’avérer être la plus proche du droit[9]. En cas de prise à partie contre toute la composition, pareille loi a aussi l’avantage de protéger l’opinion dissidente et surtout d’empêcher, en amont, la complaisance et la paresse intellectuelle de plusieurs juges, y compris ceux du sommet de la hiérarchie judiciaire (nous savons de quoi nous nous parlons). Ci-dessous, nous reprenons une des pratiques des juges congolais, pratique qui justifie l’impérieuse nécessité d’adopter une telle loi : « un semblant de délibéré est organisé, à l’issue duquel toutes les options sont mises sur la table pour que le jugement soit rédigé en faveur de l’unique partie qui se présentera. Il peut même être demandé au juge chargé de rédiger le jugement d’apprêter deux projets, l’un disant correctement le droit et l’autre, qui dénature même les faits de la cause et qui rend cyniquement  noir ce qui est naturellement blanc et blanc ce qui est noir, selon une expression du jargon judiciaire congolais « Code eza monene, luka okozuwa »(le code est vaste, fais tout pour trouver comment motiver la décision prise) »[10]

Les fléaux dénoncés contre les juges n’épargnent pas du tout les magistrats du ministère public (parquet), eux qui ont pris l’habitude d’abuser de leur pouvoir pour procéder à des arrestations arbitraires et des détentions illégales(véritables prises d’otages) juste pour se faire de l’argent en monnayant le classement sans suite des dossiers en instruction ou la mise en liberté provisoire de leurs victimes.[11] La plupart d’entre ces magistrats sèchent les audiences pour lesquelles ils sont programmés dans les cours et tribunaux, car incapables de soutenir publiquement l’accusation ou de requérir contradictoirement aux plaidoiries des avocats. Non seulement les justiciables devront être autorisés de poursuivre ceux qui abusent ainsi de leur pouvoir, mais également il sera exigé à tout officier du ministère public ayant instruit une affaire dont les faits sont punissables d’au moins cinq ans de servitude pénale principale, de rédiger obligatoirement son réquisitoire.

Cour Constitutionnelle RDC_Institutions

2.4 Cas spécial des membres de la Cour Constitutionnelle et du Parquet général près cette Cour

Point n’est besoin de s’attarder sur l’attitude « démocraticide » de ces hauts magistrats dont la nomination, pour la quasi-totalité d’entre eux, n’était dictée que par le souci de Joseph Kabila d’avoir un soutien juridictionnel à son plan de violation de la Constitution. Les Congolais qui s’intéressent aux activités de cette Cour, notamment en ce qui concerne les trois grands arrêts relatifs au sort de Joseph Kabila après l’expiration de son mandat ou au processus électoral en cours de glissement, se rendent bien compte de la légèreté et de l’indignité de ces magistrats (Coup de chapeau à ceux d’entre eux qui ont renoncé de participer au dernier arrêt de la honte, si cela est vrai). C’est pourquoi, dès le départ de leur boss, le dossier de chacun sera réexaminé minutieusement dans le but de vérifier la conformité de leur nomination (nous en savons quelque chose) par rapport à la loi. Dans l’intérêt supérieur de la nation et au regard des torts incommensurables causés à la démocratie et à l’État de droit par leurs actes, le futur Président de la République n’aura d’autre choix que de les remercier et de déclencher, en hommage aux nombreuses victimes connues et anonymes, des poursuites judiciaires contre eux et contre tous leurs co-auteurs et complices, pour haute trahison. Quant au premier gouvernement du prochain régime, il devra impérativement préparer un budget conséquent destiné à la réfection de toutes les prisons existantes mais aussi et surtout d’en construire de nouvelles qui accueilleront tous les bénéficiaires de l’impunité du régime de Joseph Kabila. Sinon, le cycle de violences, de crises de légitimité et de crimes économiques ou de crimes de guerre risquent de se répéter et d’aboutir à l’implosion du Congo en tant qu’État et nation.

Conclusion

A l’exception de la justice céleste à laquelle croient les chrétiens, celle des humains n’est jamais et ne sera jamais parfaite. Néanmoins dans tous les pays du monde, les magistrats, bien que nommés eux aussi par les Chefs d’États, se forcent de respecter les lois qu’ils sont chargés d’appliquer sans considération du rang social des parties en cause. Comme dans tous les pays, ce ne sont pas de bonnes lois qui font défaut pour que nos hommes de lois s’y réfèrent. Au lieu d’être vigoureusement combattues, grâce aux instruments juridiques disponibles, les désordres, les crimes de tous genres, la corruption, l’injustice sociale et les crises de légitimité politique sont malheureusement entretenus et encouragés par ceux-là même qui ont reçu mission de les réprimer et d’en dissuader les auteurs. L’on se retrouve avec un État fragilisé qui n’existe que de nom, prêt pour l’implosion et la disparition. Il est temps que le peuple congolais, au nom duquel cette justice doit être rendue, fasse preuve de résilience pour imposer le respect des lois votées par ses représentants. La présente analyse, qui complète tant d’autres déjà publiées sur le sujet, donne quelques éléments de réponse aux préoccupations de nombreux compatriotes épris de paix et de justice. Elle facilite surtout la tâche aux politiciens congolais qui, souvent arrivent au pouvoir sans programme. Nous sommes d’avis que pour espérer redresser le Congo, en tant qu’État et Nation, la justice devra figurer en tête des chantiers prioritaires.

Jean-Bosco Kongolo M.

Juriste et Criminologue / Coordonnateur Adjoint de DESC

Jean-Bosco Kongolo est le Coordinateur adjoint de DESC, chargé des aspects juridiques et institutionnels. Juriste et criminologue de formation, M. Kongolo a été magistrat de cour d’Appel en RDC avant de démissionner volontairement, refusant de cautionner la corruption et les anti-valeurs qui rongent cette institution censée incarner l’Etat de droit en RDC.

Références

[1] Radio Okapi, 22 octobre 2016 : «En attendant la mise en place d’une structure de coordination, des voix s’élèvent dans les états-majors de quelques partis politiques de l’opposition signataires de l’accord pour exiger des postes au sein du prochain gouvernement.                                                                                                                            Au niveau de l’Union pour la nation congolaise (UNC), l’option levée est claire : Vital Kamerhe est son candidat premier ministre. De son côté, Steve Mbikayi de l’opposition nationaliste se dit candidat à n’importe quel poste ministériel. », In http://www.radiookapi.net/2016/10/22/actualite/politique/course-la-primature-lopposition-reclame-la-mise-en-place-dune.

[2] Article 149 alinéa 3 de la Constitution : « La justice est rendue sur l’ensemble du territoire national au nom du peuple. »

[3] L’article 1er de l’Ordonnance-Loi n° 82-018 du 31 mars 1983 portant Statut des magistrats, exigeait entre autre comme condition de recrutement d’ « être un bon militant du Mouvement Populaire de la Révolution… »

[4] Article 158 alinéa 1er de la Constitution : « La Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. »

[5] Pour leur dernier verdict, rendu le même jour que se clôturait le dialogue (théâtre national), la Cour constitutionnelle n’a siégé qu’avec 5 de ses membres, violant délibérément et manifestement loi, juste pour faire plaisir à Joseph Kabila.

[6] JB Kongolo, 2015. Défaillance du système d’enseignement et ses conséquences sur l’administration de la justice en RD Congo, inédit.

[7] JB Kongolo, 2015. Pouvoir judiciaire en RDC : avec quels hommes et quelles femmes?: « Pas étonnant que, selon des sources concordantes et vérifiables, de plus en plus de jugements prononcés en audience publique, même par certains « Hauts magistrats » (au niveau des Cours d’appel), sont rédigés par leurs subalternes hiérarchiques ou par des avocats impliqués dans la cause (nous savons de quoi nous parlons et entre eux, les magistrats se connaissent et sont au courant de ces pratiques). In http://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=13476:pouvoir-judiciaire-de-la-rdc-avec-quels-hommes-et-quelles-femmes&catid=90&Itemid=511.

[8] JB Kongolo, 2014. Justice congolaise, le secret du délibéré, In http://www.lephareonline.net/justice-congolaise-le-secret-du-delibere/.

[9] Idem.

[10] Ibidem.

[11] Les prisons et les cahots au Congo sont remplis des détenus dont les dossiers ne contiennent aucun élément à charge mais qui moisissent sans procès et même sans interrogatoire.

2

2 Comments on “La justice, premier chantier à réaliser après le régime de Joseph Kabila – Jean-Bosco Kongolo”

  • GHOST

    says:

    ¤ LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET LA POLICE*

    Si la RDC devrait innover dans le domaine de la « justice », l´indication la plus fiable serait le renforcement du ministre de la justice qui devrait prendre le contrôle de la police*
    En effet, dans les pays où la démocratie est plus dynamique (comme les pays Nordiques*) le ministre de la justice est non seulement responsable gouvernemental du pouvoir « judiciaire », mais aussi responsable de la police et des services de renseignement*

    Au Congo, une telle innovation va avoir un impact dans le fonctionement de la justice où la police va beneficier d´une attention « juridique » plus efficace car les juges seront plus en Contact avec les « OPJ » de la police et vont avoir plus de contrôle dans le fonctionement quotidien de la police*

    ¤ « DEMILITARISER » LA POLICE ?

    Juridiquement la police n´est pas une « branche » de l´armée au Congo, mais en réalité les officiers de la police continuent á avoir des « grades militaires » où on parle des « généraux », « colonels » ect..de la police quand la loi pourtant indique une autre denomination*
    Ce que la police actuelle est un héritage de la « gendarmerie » et de la « Garde Civile »*
    Cette tentative de « démilitarisation » avait été un echec dans la Garde Civile où les grades ont été « militarisées » á outrance avec Baramoto.
    Pire, la Garde Civile qui devait-être placée sous une juridiction ordinaire s´est retrouvée en toute violation de la loi sous une juridiction militaire*

    Actuellement, les policiers sont aussi sous une juridiction « militaire » bien que n´étant pas membres de l´armée* Faut-il rendre efficace la justice? Placer la police sous le contrôle du ministre de la justice et sous une juridiction civile est une option pratique efficace*

    ¤ L´UNIVERSITE DANS LA FORMATION DE LA POLICE ?

    L´autre innovation serait une implication plus active des universités dans la formation « academique » des policiers congolais. Cette option va accelerer la « démilitarisation » de la police en rapprochant le plus possible les cadres de la police de l´institution academique. Une academie de la police dirigée par un recteur « civil » ayant un solide niveau academique serait sans doute l´approche á appliquer?

    La police sous le contrôle du ministre de la justice, sous une juridiction civile et plus en contact avec les facultés qui enseignent le « droit »? C´est l´une des bases d´un chantier pour la justice post-Kabila.

  • Jean-Bosco Kongolo

    says:

    Belle contribution

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RDC : Jean-Jacques Wondo dépose plainte en Belgique pour menace de mort
Il y a dix jours, un journaliste congolais critique du régime Tshisekedi a été violemment agressé à Tirlemont. “Les menaces… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 12:14:17| 216 0
RDC: Jean-Jacques Wondo témoigne de ses conditions de détention devant le Parlement européen
L’expert belgo-congolais en questions sécuritaires, Jean-Jacques Wondo, a dénoncé les conditions de sa détention en RDC, qu’il qualifie d’inhumaines, devant… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu