Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 07-06-2015 00:50
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États généraux de la justice en RDC : vaste opération de distraction – Jean-Bosco Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

États généraux de la justice en RDC : vaste opération de distraction

Jean-Bosco Kongolo

Comme un fait divers, les états généraux de la justice ont eu lieu à Kinshasa du 27 avril au 2 mai 2015, officiellement pour «  établir un diagnostic complet et sans complaisance et trouver des solutions à ses maux : l’incurie, le clientélisme, le trafic d’influence, la corruption, l’impunité et l’iniquité », selon le ministre de la Justice, Thambwe Muamba. (Source, AFP, 5 MAI 2015, http://7sur7.cd/new/rdc-les-etats-generaux-de-la-justice-recommandent-la-lutte-contre-toutes-les-formes-dimpunite/ )

Etats Généraux Justice

Pour marquer leur passage à ce ministère et faire croire à l’opinion qu’ils étaient déterminés à extirper du pouvoir judiciaire tous les maux qui le rongeaient, plusieurs prédécesseurs du ministre actuel procédaient par des chambardements allant de la mise à la retraite en passant par des révocations et des mutations naïvement applaudies par la population. Les nouveaux textes législatifs ayant conféré ces pouvoirs au Conseil supérieur de la magistrature, il fallait donc trouver quelque chose de frappant destiné à la consommation tant intérieure qu’extérieure : les états généraux de la Justice. En nous appuyant sur des faits et à l’aide de la Constitution et des textes de lois, nous allons démontrer que ces assises inopportunes ne produiront aucun effet significatif dans l’amélioration de la distribution de la justice. Parmi les thématiques abordées, nous avons choisi de n’en illustrer que trois, à savoir le clientélisme, l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’impunité, des matières déjà traitées dans nos analyses antérieures.

Inopportunité et inefficacité des états généraux de la justice

Plusieurs états généraux ont été déjà organisés au Congo-Kinshasa dans différents domaines de la vie nationale (ex. : les états généraux de l’ESURS en 2005 initiés par le Ministre Kamanda wa Kamanda dans le gouvernement 1+4). En matière de la justice, les dernières assises de ce genre remontent à 1996, peu avant la chute du régime Mobutu, sans que les mêmes maux dénoncés aujourd’hui connaissent un début de traitement de choc. Plutôt que de s’appuyer sur des recommandations issues de ces assises ou de celles de la Conférence nationale souveraine, le pouvoir « révolutionnaire » de l’AFDL s’était cru plus suffisant pour passer outre en décapitant, par la mise à la retraite, toute la Cour suprême de justice et pratiquement tout le Parquet général de la République de tous leurs magistrats chevronnés dont le pays avait encore grandement besoin pour former professionnellement la relève. Toujours en violation des textes légaux en vigueur et sous-couvert du Conseil supérieur de la magistrature qui ne s’était pourtant pas réuni, 315 magistrats furent révoqués en 1998, du plus bas au plus haut, donnant l’impression que les choses sérieuses avaient commencé ou allaient enfin commencer. Il n’en était rien car, en réalité, ce fut le début de l’exacerbation du clientélisme, de l’impunité et de la violation de l’indépendance du pouvoir judiciaire (nous y reviendrons plus loin).

L’avènement de la Troisième République et les textes législatifs plus novateurs n’ont rien changé à la situation malgré les dénonciations des organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine de la justice et de la sécurité ou des déclarations d’intention, reprises maintes fois et sans conviction dans des discours officiels soit pour « siffler la fin de la recréation » ou pour « décréter la tolérance zéro ». « Avec les élections dernières, la République Démocratique du Congo(RDC) a désormais les institutions élues. Toutefois, bien que ces élections aient mis fin à la longue période de transition politique connue par le pays, elles ne constituent qu’une étape vers une démocratie stable. En effet, la transition est toujours un processus et non un évènement. Car, pour avoir une démocratie stable, il est impérieux que la RDC ait une justice qui garantisse les attributs d’un État de droit. A cet effet, le souci de l’instaurateur d’un État de droit s’est déjà manifesté à travers la volonté politique transparaissant le long des différents discours tenus par les deux hautes personnalités de la République à savoir le Président de la République, Joseph Kabila qui a déclaré la fin de la recréation et le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamhere qui a promis la chasse à l’impunité et à la corruption. » (Dieudonné Weti Djamba dans Pambazuka News, 21-02-2007, http://www.pambazuka.net/fr/category.php/comment/39956).

S’attaquant plus aux effets qu’aux causes de la débâcle de la justice congolaise, plusieurs Ministres de la Justice qui se sont succédé à la tête de ce ministère ont souvent cherché à présenter les magistrats comme étant les seuls responsables de cette débâcle. Ignorant les résolutions des forums antérieurs, les participants aux concertations nationales en 2013 s’étaient eux aussi penchés au chevet du pouvoir judiciaire en proposant leurs remèdes : « Renforcer la répression des auteurs d’abus de pouvoir, de trafic d’influence, de corruption, de concussion, de détournements des deniers publics et ériger en circonstances aggravantes la commission de ces infractions par les hauts responsables politiques, administratifs et judiciaires(député national, sénateur, membre du gouvernement central, haut magistrat civil et militaire, haut fonctionnaire, responsables des institutions d’appui à la démocratie, député provincial, gouverneur de province, ministre provincial, gestionnaires des entreprises du portefeuille de l’État et des régies financières…) ».(Recommandations des concertations nationales, http://bukavuonline.com/2013/10/concertations-nationales-recommandations-etats-generaux-gouvernance-democratie-reformes-institutionnelles/)

Sans aucune justification de la non application des recommandations ci-dessus issues des concertations nationales convoquées par lui, sans exprimer le moindre désaveu des autorités judiciaires nommées également par lui, le Président de la République signe une ordonnance débauchant de la Cour constitutionnelle un membre qui n’avait même pas encore prêté son serment, ancien Ministre de la justice également nommé par lui, pour le nommer conseiller spécial chargé de la Bonne gouvernance, de la Lutte contre la corruption et le Blanchiment des capitaux et le Financement du terrorisme. Ce tout nouveau conseiller a pris activement part aux états généraux de la justice, à l’issue desquels il a déclaré que la RDC enregistre chaque année une fraude fiscale évaluée à 15 milliards de dollars américains, presque le double du budget national. « C’est un véritable pavé que vient de jeter le conseiller spécial du Chef de l’État en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Luzolo Bambi est, en effet, monté au créneau le 4 mai pour dénoncer la fraude fiscale tendant à prendre des proportions inquiétantes au grand dam de la population qui en est la principale victime. ». (Source : Agence d’information d’Afrique centrale, 5 mai 2015, http://www.adiac-congo.com/content/lutte-contre-fraude-fiscale-une-nouvelle-strategie-elaboree-31848

La nomination de ce conseiller et les déclarations de ce dernier appellent de notre part et de tous les intellectuels des observations et des questions suivantes : 

-C’est curieux et intrigant de constater qu’un juge de la très prestigieuse Cour constitutionnelle(du moins sous d’autres cieux) se laisse débaucher de son poste avant même son entrée en fonction plutôt que de songer à laisser son nom dans les archives nationales en tant que pionner aux côtés de ses collègues. Quels sont les avantages personnels qu’il tire de cette nomination par rapport à ce que toute la nation était en droit d’attendre de lui à la Cour constitutionnelle?                                                                                                        

-le nouveau conseiller spécial a fait plusieurs années à la tête du Ministère de la Justice et à ce titre, il avait légalement droit d’injonction sur les magistrats du parquet pour traquer tous les criminels quel que soit leur domaine d’activité criminelle (corruption, blanchiment des capitaux, financement du terrorisme…). En vertu de l’article 70 du code de procédure pénale, « Les officiers du Ministère Public sont placés sous l’autorité du Ministre ayant la justice dans ses attributions. Celui-ci dispose d’un pouvoir d’injonction sur le Parquet. Il l’exerce en saisissant le Procureur général près la Cour de cassation ou le Procureur général près la Cour d’appel selon le cas sans avoir à interférer dans la conduite de l’action publique ».

Maintenant qu’il est dépourvu de ce pouvoir, que pourra-t-il faire, qu’il n’a pas pu accomplir à la tête du Ministère de la Justice avec l’appui de tous les magistrats du parquet sur qui il avait ce droit d’injonction et avec le concours des services de sécurité? Devient-il plus puissant que le Ministre de la justice et tout l’appareil judiciaire du simple fait d’être Conseiller spécial du Président de la République, chargé de la Bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme? Si tel pourrait être le cas, en vertu de quelles dispositions constitutionnelles ou légales aura-t-il à exercer ses fonctions de « policier de la République »? Ne serait-ce pas alors la preuve supplémentaire qu’il existe à la présidence un gouvernement parallèle, qui a en réalité l’effectivité du pouvoir? Sinon quel est le champ de collaboration entre ce conseiller spécial, le Ministre de la Justice et les autorités judiciaires ? 

-Il est triste de relever que sans analyse ni esprit critique, même la presse s’en mêle naïvement pour le présenter comme le détenteur providentiel des solutions qu’attend la justice congolaise: « Luzolo Bambi Lessa, ancien ministre de la Justice et membre de la Cour constitutionnelle jusque hier, vient d’être élevé, par ordonnance présidentielle, au rang de Conseiller spécial du Chef de l’État chargé de la Bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et du blanchiment des capitaux. Ce policier de la République (c’est nous qui soulignons) chargé de la traque des opérations mafieuses qui gangrènent plusieurs secteurs de la vie nationale, est très attendu sur le terrain pour démontrer que la tolérance zéro n’est pas un slogan. » (Source, Le Phare, 1er avril 2015, http://www.lephareonline.net/luzolo-bambi-nomme-conseiller-special-pour-la-bonne-gouvernance/).

En tout cas, il n’y a qu’au Congo-Kinshasa où l’on considère qu’un juge de la Cour constitutionnelle est élevé à un rang supérieur lorsqu’il est nommé conseiller à la présidence de la République. Cela traduit également le peu de considération que même la classe politique a envers les membres du pouvoir judiciaire. Avec les pouvoirs exorbitants lui reconnus par la loi lorsqu’il fut Ministre de la Justice, combien de criminels à col blanc (Kuluna cravatés) ce « policier » de la République a-t-il laissés dans les geôles du pays et combien de millions de dollars américains avait-il pu récupérer et réorienter vers le trésor public, grâce à son pouvoir d’injonction? Et pourquoi pendant ce temps-là il n’avait pas pu remarquer cette vaste fraude fiscale? Si le Président de la République avait réellement la volonté de combattre ces crimes, pourquoi ne l’a-t-il pas carrément nommé Procureur général de la République en remplacement de celui qui ne serait pas à la hauteur de sa tâche? En tant que professeur titulaire du cours de Procédure pénale à la Faculté de Droit de l’Unikin., avec à la clé un livre intitulé ‘’Manuel de procédure pénale’’, le Conseiller spécial n’ignore pourtant pas que dans la distribution de la justice, le code de procédure pénale ne réserve aucun rôle à un Conseiller à la présidence.

Il est donc temps que les Congolais cessent de se laisser distraire par des opérations de charme, destinées à les endormir. Et voici quelques cas qui illustrent l’inopportunité et l’inefficacité des états généraux de la justice ainsi que des résolutions qui en ont résulté.

Le clientélisme                                                                                                                                                     

Il ne serait honnête d’affirmer que le clientélisme dans la magistrature n’a pas existé antérieurement dans notre pays. Ce qui, par contre est incontestable c’est qu’il a pris de l’ampleur depuis l’avènement de l’AFDL., plus précisément à partir de la révocation des 315 magistrats et la nomination à des postes de responsabilité de plusieurs magistrats swahiliphones souvent sans profil et en violation flagrante du statut des magistrats de l’époque (nous en parlons avec beaucoup de peine étant donné nos affinités diverses avec les uns et les autres). En effet, le statut des magistrats de l’époque, qui n’était pas abrogé et auquel le Président Laurent-Désiré Kabila s’était référé, disposait ce qui suit en ce qui concerne la nomination à un grade supérieur : 

Article 13 : « Pour être nommé à un grade supérieur, le magistrat doit avoir accompli au moins trois années de service dans le grade inférieur et avoir, pendant cette période, obtenu au moins deux fois la cote’’ Très Bon’’. » Tels des conquérants, on vit débarquer de partout des jeunes magistrats sans aucune expérience, avec une expérience insuffisante et /ou douteuse pour occuper tous les postes vacants laissés par les malheureux révoqués. La plupart d’entre eux n’avaient pour mérite que la même appartenance « cotérique » avec le Ministre de la Justice (aujourd’hui opposant) ou avec ses conseillers. Certains parmi eux, qui n’en étaient qu’au début de leur carrière comme substituts du Procureur de la République ou juges de paix, se virent confier sans scrupule des postes et grades de Président du tribunal de grande instance, de Procureur de la République, voire même de Conseiller à la Cour d’appel. Nous avons eu à en encadrer d’autres qui ne savaient pas par où commencer pour ne fût-ce que déclarer l’audience ouverte, lire l’extrait du rôle ou dans quel ordre accorder la parole aux avocats lors des plaidoiries.

L’avènement de la Troisième République, avec de nouveaux textes législatifs tels que la Loi organique no 06/020 du 2 octobre 2006 portant statut des magistrats, avait suscité beaucoup d’espoir au sein du pouvoir judiciaire et même des observateurs neutres pour changer cet état de choses. L’exposé des motifs du nouveau statut des magistrats affirme par exemple que : «  L e statut actuel des magistrats fixé par l’ordonnance-loi no 88/056 du 29 septembre 1988 ne cadre plus avec l’esprit et l’ordre constitutionnels nouveaux qui proclament l’indépendance du Pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs législatifs et exécutifs. Conformément à l’article 150 de la Constitution, il s’est avéré indispensable d’élaborer un nouveau texte de loi organique aux fins de rencontrer le vœu du constituant.

Cette indépendance édictée dans toutes les constitutions que notre pays a connues jusqu’à ce jour, mais jamais suivie d’effets, doit, en cette période où la bonne gouvernance constitue le soubassement de toute action étatique, être comprise dans toutes ses implications conséquentes et traduite effectivement dans les actes ». Tout en rendant obligatoire le signalement annuel du rendement des magistrats (art. 9), le nouveau statut des magistrats dispose à l’article 11 qu’ « Est nommé à un grade immédiatement supérieur, le magistrat qui a accompli au moins trois années de service dans un grade et qui a obtenu au moins deux fois la cote « très bon » pendant cette période.

Le Président de la République a seul le pouvoir de promouvoir le magistrat sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. »

Or dans les faits, nos cours et tribunaux ainsi que les parquets qui leur sont attachés, sont en majorité remplis ou dirigés de la base au sommet par des bénéficiaires du clientélisme cotérique, qui ont enjambé plusieurs grades au détriment des magistrats plus expérimentés ou plus compétents dont l’obstacle majeur est d’être originaires des provinces non étroitement associées au pouvoir en place. Pour quiconque serait tenté de douter de nos affirmations, nous mettons le Conseil supérieur de la magistrature au défi de publier en toute transparence les mises en place et le parcours professionnel des responsables judiciaires de ces quinze dernières années. Alors, de deux choses l’une, ou bien les états généraux de la justice n’ont été qu’une vaste opération de distraction ou bien le Président de la République qui les a organisés va jusqu’au bout et prouve sa bonne foi en commençant par annuler toutes les ordonnances « qu’on  lui a fait » illégalement signer, afin de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Et ce sera un début d’instauration de l’État de droit.

L’indépendance du pouvoir judiciaire

Ce serait rêver tout en étant éveillé que d’attendre d’un pouvoir judiciaire totalement inféodé au pouvoir politique d’être indépendant. Envers ou contre qui ces bénéficiaires du clientélisme seraient indépendants, eux qui n’ont entre autres préoccupations que de protéger leurs positions illégalement acquises? Ainsi, dans une espèce de deal non autrement défini, les détenteurs du pouvoir politique et leurs clients du pouvoir judiciaire se protègent mutuellement, les uns fermant les yeux sur les égarements des autres pour ne pas scier les branches des arbres sur lesquels ils sont assis, ou simplement se mettent cyniquement d’accord pour mener la vie dure à tous ceux qui tentent de leur mettre les bâtons dans les roues, en les empêchant de jouir paisiblement de leur pouvoir. Comment parler de l’indépendance du Pouvoir judiciaire lorsque pour son recrutement et pour son avancement en grade tout au long de sa carrière, le jeune magistrat apprend à compter plus sur les relations tribales et ethniques que sur ses capacités intellectuelles et son rendement professionnel? Comment un tel magistrat, qui réussit à enjamber plusieurs grades pour devenir chef de ceux qui l’avaient autrefois encadré comme stagiaire, lorsqu’il était étudiant, ou précédé de plusieurs années dans la carrière, réussira-t-il à être impartial pour rendre une justice équitable en faveur des adversaires politiques de ses parrains qui le soutiennent et le protègent? Comment parler de l’indépendance du Pouvoir judiciaire lorsqu’en cas de maladie ou de décès, ses membres sont abandonnés à eux-mêmes et ne peuvent compter que sur la solidarité des collègues et autres bienfaiteurs(justiciables généreux et reconnaissants), contrairement aux musiciens qui sont rapidement pris en charge par la Présidence de la République et par tous les politiciens pour leurs soins appropriés à l’extérieur du pays ou qui sont enterrés avec tous les honneurs nationaux pour avoir contribué à la dépravation des mœurs? A quoi aura donc servi l’adoption des lois organiques mettant, sur papier, le magistrat à l’aise lorsqu’on refuse délibérément de les appliquer?

Art. 25 du statut des magistrats :

« Les magistrats bénéficient d’une rémunération suffisante à même de conforter leur indépendance.

Les avantages sociaux suivants sont accordés aux magistrats :                                                                                                    1. les allocations familiales pour le conjoint du magistrat et les enfants à charge;

  1. les soins de santé pour lui-même, son conjoint et les enfants à charge;
  2. l’indemnité de logement, à défaut d’être logé par l’État;
  3. les allocations d’invalidité;
  4. les frais funéraires pour lui-même, son conjoint et ses enfants à charge;
  5. les frais de transport, à défaut d’un moyen de transport de l’État;
  6. les frais de rapatriement;
  7. les pécules de vacances »

Pour ne considérer que les points 3 et 7, dans des grandes villes du pays, plusieurs magistrats sont incapables de se procurer un logement décent et sont contraints de vivre avec leurs familles dans les dépendances(annexes) des grandes maisons, à la merci des bailleurs plus exigeants et des voisins plus curieux et plus commères. D’autres sont séparés de leurs familles depuis des années faute de moyens financiers pour le regroupement familial consécutif à leurs mutations successives. Les plus entreprenants s’arrangent avec les politiciens ou les hommes d’affaires du lieu de leur affectation qui acceptent de prendre tous ces frais à leur charge moyennant la protection judiciaire à assurer à leurs membres de familles ou à leurs affaires. Vive le clientélisme!. Le Président de la République et le Ministre de la Justice avaient-ils vraiment besoin des états généraux pour résoudre ces problèmes qui ne relèvent que de l’application de la loi?

L’impunité

Aucune loi congolaise ne consacre l’impunité, bien au contraire la Constitution affirme en son article 12 que « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ». Sur terrain cependant, l’impunité est une des causes majeures de la paralysie de la justice congolaise. Un vieil adage permet de bien comprendre cette situation afin d’identifier ceux-là qui échappent à la justice : « Les lois sont comme les mailles d’un filet. Les petits poissons s’échappent en les traversant, les plus gros les cassent et seuls les moyens y sont étranglés ».

Dans le contexte congolais, les petits poissons sont tous ceux qui troublent l’ordre public au quotidien en commettant des infractions « mineures » (injures publiques, coups et blessures simples, adultère, tapage nocturne ou diurne, vol simple, attentat à la pudeur, outrage public aux bonnes mœurs, diffamation, mauvais stationnement, voie de fait…), qui ne sont pas lourdement réprimées et par conséquent, ne suscitent aucun intérêt financier et matériel pour les magistrats. Exceptionnellement, certains auteurs de ces infractions sont rangés dans la catégorie de gros poissons compte tenu de leur hostilité au pouvoir en place ou tout simplement de leurs activités considérées comme dérangeantes. Les exemples abondent qui illustrent nos propos et nous n’en citerons que les plus médiatisés:

-L’opposant Gabriel Mokia Mandembo, qui a fait à la prison centrale de Makala plus de trois ans de prison pour coups et blessures simples, une infraction pourtant punie de six mois de servitude pénale principale au maximum ou d’une amande seulement (art.46 al.1er du code pénal);

-Fidèle Babala, député et cadre du MLC, poursuivi pour subornation de témoins par la Cour pénale internationale, dont la collaboration et l’implication du Procureur général de la République ont battu tous les records de célérité pour son transfert à la Haye alors que cette infraction pouvait être jugée au pays;

– Jean Claude Muyambo Kyassa, ex membre de la majorité présidentielle, qui croupit sans jugement à la prison centrale de Makala depuis les évènements de janvier 2015, officiellement poursuivi pour stellionat, une infraction punie de cinq ans de servitude pénale principale au maximum ou d’une amande seulement (art.96 du code pénal) et ce, malgré son état de santé considéré comme préoccupant par son médecin traitant;

-Vital Kamhere, ancien Président de l’Assemblée nationale et actuellement un des leaders de l’opposition parmi les plus actifs, dont le dossier de diffamation à l’égard de Wivine Moleka a été exhumé par la Cour Suprême de Justice parmi les plus scandaleux dont elle se tait (déni de justice), qui tient à connaître du fond de cette affaire apparemment pour écarter de la course un futur candidat à la présidentielle de 2016. Dans le même temps, plusieurs dossiers plus importants gisent dans les tiroirs de la Cour Suprême de Justice depuis des années, sans possibilité d’être examinés avant le changement de régime. C’est notamment le cas des recours en annulation introduits par 96 magistrats (pères et mères de famille) révoqués en juillet 2009 en violation du statut des magistrats. Pour sa part, le Parquet général de la République ferme les yeux et n’ose pas sortir ses griffes dans de nombreux cas graves de trouble à l’ordre public dans lesquels les dignitaires (civils et militaires) du régime sont impliqués.

Les poissons de taille moyenne sont tous les citoyens ordinaires, fonctionnaires de l’État ou opérateurs économiques sans aucune relation avec des magistrats ni aucun parapluie protecteur de la part des détenteurs du pouvoir politique. Ce sont eux qui s’affrontent quotidiennement devant les cours et tribunaux et dont la capacité de prendre en charge la cupidité de certains juges pèse lourd dans le délibéré et le verdict à rendre. Régulièrement des magistrats encore honnêtes et des amis avocats nous font part des scandales inimaginables qui n’épargnent aucun échelon de la pyramide judiciaire mais que nous taisons délibérément, mort dans l’âme, pour sauvegarder ce qui reste de l’image du pays et de nos relations dans le secteur. Les concernés savent de quoi nous parlons.

Les gros poissons, qui cassent les mailles du filet, sont tous ceux qui ne se sentent pas concernés par les lois en raison de leur position politique, de leur rang social et/ou du rôle qu’ils ont joué ou sont susceptibles de jouer dans le recrutement et la carrière de tel ou tel magistrat. Par leur position et leur capacité d’instrumentalisation de la justice, ils sont capables d’influer sur les décisions de celle-ci en la rendant complètement aveugle ou sourde devant des cas les plus flagrants de violation de la constitution, d’atteinte à l’économie de l’État ou à l’intégrité et à la sécurité du territoire national. Ces Gros poissons sont à rechercher notamment parmi ceux qui accèdent au pouvoir et qui font main basse sur les caisses de l’État qu’ils sont censées gérer ou renflouer. On les retrouve aussi nombreux à la tête des entreprises du portefeuille de l’État ainsi que dans les régies financières. «Les observateurs notent une certaine pratique peu honteuse qui consiste pour certains Congolais qui accèdent au pouvoir de s’enrichir de manière illicite, et c’est patent. Ils ont des biens meubles et immeubles qui ne correspondent pas à leurs revenus. Un tel enrichissement, lorsqu’il se généralise, n’entretient pas le développement. ». (Source : Zoomeco, 19 mars 2015, http://zoom-eco.info/rdc-les-missions-assignees-a-luzolo-bambi/).

Et pourtant la Constitution de la Troisième République a merveilleusement réglé ce genre de cas en son article 99 qui dispose qu’ « Avant leur entrée en fonction et à l’expiration de celle-ci, le Président de la République et les membres du Gouvernement sont tenus de déposer devant la Cour constitutionnelle, la déclaration écrite de leur patrimoine familial, énumérant leurs biens meubles, y compris actions, parts sociales, obligations, autres valeurs, comptes en banque, leurs biens immeubles, y compris terrains non bâtis, forêts, plantations et terres agricoles, mines et tous autres immeubles, avec indication des titres pertinents.

Le patrimoine familial inclut les biens du conjoint selon le régime matrimonial, des enfants mineurs et des enfants, mêmes majeurs, à charge du couple.

La Cour constitutionnelle communique cette déclaration à l’administration fiscale.

Faute de cette déclaration, endéans les trente jours, la personne concernée est réputée démissionnaire.

Dans les trente jours suivant la fin des fonctions, faute de cette déclaration, en cas de déclaration frauduleuse ou de soupçon d’enrichissement sans cause, la Cour constitutionnelle ou la Cour de cassation est saisie selon le cas. »

Depuis 2006, plusieurs compatriotes ont fait leur entrée au gouvernement et plusieurs autres en ont été débarqués sans que la justice exige d’eux une déclaration des biens à la sortie ni ne diligente la moindre enquête de vérification se basant sur les indices d’aisance matérielle contrastant avec leurs revenus. Qui ne souvient pas des dénonciations documentées et imagées faites courageusement par l’ancien député Pprd, Gérard Mulumba Gécoco, concernant l’enrichissement scandaleux de l’ancien Premier ministre Muzito.? Il en est de même de toutes les opérations de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme quotidiennement perpétrées à l’Est du pays et qui, non seulement saignent l’économie nationale, mais endeuillent des milliers de familles congolaises sous la barbe des personnes légalement chargées de les réprimer. Que fait-on de la Loi no 04/016 du 19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, dont l’exposé des motifs dit notamment : « En dépit de cette initiative aux résultats encore modestes, il va de soi qu’au plan national, les objectifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ne sauraient être efficacement atteints sans une base légale appropriée. La présente loi se propose de définir un cadre juridique permettant la prévention, la détection et, le cas échéant, la répression des actes constitutifs de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Elle s’inspire, tout en respectant les réalités nationales, de textes juridiques et réglementaires internationaux. ». Voici quelques dispositions de cette loi qui montrent que la justice congolaise de la Troisième République a tous les instruments juridiques qui lui faisaient défaut auparavant pour traquer ce genre de crimes :

Article 1er : Au sens de la présente loi, sont considérés comme constitutifs de l’infraction de blanchiment de capitaux, les actes ci-dessous, commis intentionnellement, à savoir :

1° la conversion, le transfert ou la manipulation des biens dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la commission de l’infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;

2° la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels des biens ;

3° l’acquisition, la détention ou l’utilisation des biens par une personne qui sait, qui suspecte ou qui aurait dû savoir que lesdits biens constituent un produit d’une infraction. La connaissance, l’intention, ou la motivation nécessaires en tant qu’élément de l’infraction peuvent être déduites des circonstances factuelles objectives. » Article 2 : Constitue l’infraction de financement du terrorisme le fait d’une part, de fournir, de collecter, de réunir ou de gérer par quel que moyen que ce soit, directement ou indirectement, des fonds, des valeurs ou des biens dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, en vue de commettre un acte de terrorisme indépendamment de la survenance d’un tel acte.

Article 3 : Au sens de la présente loi :

1°. L’expression « produit de l’infraction » désigne tout bien ou tout avantage économique tiré directement ou indirectement d’une ou de plusieurs infractions. Cet avantage peut consister en un bien tel que défini au point 2 du présent article ;

2°. le terme « bien » désigne tous les types d’avoirs, corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, tangibles ou intangibles, fongibles ou non fongibles ainsi que les actes juridiques ou documents attestant la propriété de ces avoirs ou des droits y relatifs, y compris sous forme électronique ou numérique ;

Article 17 : Une Cellule des Renseignements Financiers, dotée d’une autonomie financière, d’un pouvoir de décision propre et placée sous la tutelle du Ministre des Finances, est créée et organisée dans les conditions fixées par un décret présidentiel. La mission de la Cellule des Renseignements Financiers est de recueillir et de traiter les renseignements financiers sur les circuits de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. A cet effet, la Cellule des Renseignements Financiers collabore avec le Ministère de la Justice.

Article 34 : Seront punis de cinq à dix ans de servitude pénale et d’une amende dont le maximum est égal à six fois le montant de la somme blanchie, ceux qui auront commis un fait de blanchiment. Le complice du blanchiment est puni de la même peine que l’auteur principal.

Article 42 : Est punie d’une amende en francs congolais pouvant aller de l’équivalent de 100.000 à 500.000 dollars américains, toute personne morale impliquée, de quelque manière que ce soit dans le financement d’activités terroristes, sans préjudice de la responsabilité pénale individuelle des dirigeants ou agents éventuellement impliqués.           

Malgré ce cadre juridique suffisamment dissuasif, les rébellions naissent les unes après les autres ayant pour activité principale le pillage des ressources naturelles avec la complicité et la complaisance des autorités administratives, militaires, policières et judiciaires du pays. En lieu et place de toutes ces sanctions dissuasives énumérées ci-dessus, les auteurs de ces crimes sont amnistiés et/ou intégrés dans l’armée avec rang d’officiers supérieurs comme prime de leur « bravoure ». Certaines des organisations criminelles, maintes fois citées dans les rapports de l’ONU, des organisations de la société civile et même des commissions parlementaires, sont même autorisées à se transformer en partis politiques et à signer des alliances (CNDP-PPRD) politiques avec le parti au pouvoir. D’où la question : « De qui se moque-t-on en organisant des états généraux de la justice ayant entre autres pour thématiques ‘’le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme?’’ ».

Conclusion

Au sein de l’État ou simplement de la société, la justice est un phénomène qui s’insère dans l’ensemble des phénomènes sociaux dont les solutions débordent inévitablement le cadre spécifique en présence. Lorsqu’aucun effort n’est fourni pour saisir la situation dans sa globalité, le risque est grand de s’attaquer aux conséquences plutôt qu’aux causes réelles de la crise. Depuis l’avènement de l’AFDL, en passant par le régime de la transition 1+4 jusqu’à la Troisième République, plusieurs textes législatifs ont été adoptés pour doter le pouvoir judiciaire d’instruments juridiques novateurs destinés à corriger les erreurs du passé, à renforcer son indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs, à faciliter et à accélérer la marche du pays vers la démocratie et l’État de droit.

Dans la pratique cependant, aucun de ces nouveaux textes de loi n’est venu améliorer la situation et ce, malgré le changement de régime et la nomination de nouveaux animateurs du secteur judiciaire. Les lois, peu importe le régime, ne peuvent produire leurs effets que si elles sont respectées par tous et bien appliquées par ceux qui en ont la charge.

Les exemples cités ci-dessus, tirés des faits réels démontrent malheureusement que le problème c’est l’Homme congolais et non les lois. Il manque à la classe politique la volonté réelle et sincère de doter le pays d’une justice efficace tandis que par toutes sortes de compromissions, les hommes de lois se sont laissés instrumentaliser jusqu’à l’anéantissement des pouvoirs que leur confèrent la Constitution et les lois de la République. C’est pourquoi nous soutenons qu’il est hypocrite de la part des uns et des autres de faire croire à l’opinion publique que les états généraux de la justice, organisés dans le même contexte politique, viendraient changer quelque chose aux maux dont souffre ce secteur, pilier de la démocratie. Si c’était le cas, il aurait suffit de se référer aux résolutions de forums antérieurs et de bâtir de nouvelles prisons pour accueillir tous les criminels à col blanc, présents et à venir, qui se croient au dessus des lois. Combien en a-t-on déférés devant la justice depuis la fin des états généraux? Faut-il, pour respecter la Constitution ou appliquer les lois de la République, qu’il y ait chaque fois concertations nationales, dialogues, consultations, manifestations de la rue suivies de violentes répressions, états généraux de la justice? Les derniers états généraux de la justice n’auront servi à rien si le Président de la République, « Magistrat suprême », et toute la classe dirigeante ne reconnaissent pas leur part de responsabilité et ne s’assument pas. Objectivement, ce n’est pas d’eux qu’il faut attendre la solution, car ils font partie du problème.

Par Jean-Bosco Kongolo
Juriste&Criminologue

 

 

 

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