Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 14-05-2020 12:30
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Former l’intime conviction du juge : noble et lourde tâche – Cas du procès Kamerhe et consorts – JB Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Longtemps instrumentalisé et marginalisé par rapport aux autres pouvoirs institutionnels, le Pouvoir judiciaire congolais avait rarement fait l’objet d’une considération aussi élevée que celle suscitée par le procès qui vient de s’ouvrir en chambre foraine sous une tente érigée au sein de la prison de Makala. Politiciens, médias publics et privés, partisans des partis politiques, Congolais de la diaspora, intellectuels et hommes de la rue, tout le monde était branché et souhaiterait savoir, dès le premier jour de ce procès, quel sera le sort de ces prévenus spéciaux qu’en lingala on qualifie de miyibi (voleurs) du fait de la synonymie en cette langue entre détourner et voler. De différentes questions qui nous sont adressées pour comprendre certains aspects techniques du langage et des méandres judiciaires, nous avons pu retenir et regrouper en trois grandes catégories toutes les opinions que les gens se font de l’issue de ce procès.

La première catégorie est constituée de ceux qui se méfient radicalement de la justice congolaise et qui estiment que ce procès n’est qu’une distraction destinée à se moquer du peuple congolais et à blanchir le prévenu Kamerhe, sous prétexte qu’il n’aurait pas  « volé ».

La deuxième opinion est celle, exagérément optimiste, constituée aussi bien des partisans de l’UDPS que de ceux qui croient que la justice congolaise a résolument pris un tournant irréversible vers l’état de droit. Pour eux, Kamerhe et ses avocats gesticulent pour embrouiller inutilement les juges alors que, selon eux, les faits mis à charge des accusés sont tellement clairs qu’il est impossible d’envisager leur acquittement.

La troisième et dernière catégorie est constituée des partisans politiques et ethniques du prévenu Kamerhe. Dans cette catégorie, certains pensent que le Président de la République ne peut pas se permettre d’abandonner son principal allié sans scier l’arbre sur lequel il est assis : la coalition CACH. D’autres, confondant la politique et la justice, considèrent que Vital Kamerhe est suffisamment « intelligent » et « orateur » pour dérouter et prouver à la face du monde qu’il ne s’agit que d’un acharnement destiné à l’écarter de la course présidentielle en 2023. Selon eux, c’est pour cette raison que le prévenu Vital Kamerhe aurait exigé que son procès soit retransmis en direct à la télévision.

Les uns et les autres ignorent que dans la pratique, l’intime conviction du juge ne se forme pas aussi légèrement qu’on l’imagine. En matière pénale, comme c’est le cas, « L’intime conviction est une notion juridique qui illustre la subjectivité de toute décision pénale s’agissant de l’appréciation de l’ensemble du litige par le juge chargé de rendre justice. Cette règle démontre qu’en matière pénale la subjectivité de la conviction personnelle du juge guide sa décision. Le rôle de l’intime conviction est de permettre au juge d’apprécier les faits et les preuves qui lui sont soumis aux débats. »[1] Il en résulte que pour le juge, l’intime conviction est un processus qui va de la lecture du dossier venu du parquet en passant par les débats à l’audience jusqu’au délibéré. Pour le dossier en présence, nous avons choisi d’éclairer l’opinion sur cette notion qui fait la noblesse même du juge dans sa mission de dire le droit.

1. Le dossier du parquet

Il convient de rappeler que l’action publique a été déclenchée par l’injonction adressée aux Procureur généraux près les Cours d’appel de Kinshasa/Matete et Gombe par le Ministre de la Justice réagissant probablement aux multiples dénonciations tant de la société civile, de certaines personnalités du monde politiques que de la population au sujet de l’arrêt non justifié des travaux sur les chantiers du programme présidentiel de cent jours. Dans leurs enquêtes, les magistrats ont eu à consulter et à rassembler des documents, à interroger et à confronter plusieurs intervenants impliqués directement ou indirectement dans la mise en œuvre de ce programme. Au bout du compte, des indices sérieux de culpabilité ont été retenus à charge de Vital Kamerhe, Sahib Jamal et Jeannot Muhima Ndoole inculpés pour détournement des fonds publics. Ceux qui ne connaissent pas la division du travail au sein du pouvoir judiciaire et qui appellent tous les magistrats juges ou procureurs, se demandent sans doute pourquoi l’œuvre du parquet doit subir des débats et que viennent faire les avocats alors que les prévenus ont été arrêtés, preuve « qu’ils sont coupables. » A l’occasion de ce dossier et au fur et en mesure que de procès pareils seront retransmis en direct, l’opinion publique apprendra peu à peu à découvrir, parfois avec révolte, que la mission de dire le droit revient aux magistrats du siège, appelés juges. Selon que le dossier du parquet est bien constitué ou non, les juges se font déjà une première impression avant l’audience en parcourant les procès verbaux d’audition ainsi que les pièces à convictions qui y sont rattachées. Mais c’est au cours des audiences, grâce à l’interaction entre les juges, les prévenus, le représentant du ministère public et les avocats de la défense que les choses deviennent de plus en plus claires et que le procès devient plus intéressant aussi bien pour les juges que pour le public.

2. L’avantage des débats à l’audience

Les débats à l’audience ont un double avantage pour toutes les parties, particulièrement pour les juges qui siègent au prétoire avec le ministère public, accusateur principal, qui interagit avec le tribunal ou la cour pour éclairer davantage sa lanterne. En face d’eux, il y a les prévenus qui sont confrontés à leurs déclarations faites au parquet dans le plus grand secret. Cette fois-ci, les juges ont le loisir et le pouvoir de poser toutes les questions qu’ils jugent utiles et de revenir en profondeur sur d’autres déjà posées par le magistrat instructeur, tout cela, dans le but de former leur intime conviction. Pour éclairer leur opinion ou former davantage cette intime conviction, le tribunal ou la cour peut même ordonner certains devoirs qui n’avaient pas été accomplis par le parquet et auxquels ne pouvait guère s’attendre le prévenu.

Autant il est désagréable, quel que soit le rang social qu’on occupe, de se trouver devant la barre dans le statut de prévenu, autant il est noble pour le juge de se rendre compte et de réaliser que lorsque la séparation des pouvoirs est effective, le pouvoir judiciaire est le dernier rempart pour rétablir l’ordre et l’équilibre sociaux là où ils ont été rompus. Le fait d’être perché au prétoire, d’incarner la loi qui a été violée et qu’on doit appliquer aux faits de la cause donne au juge une sensation de bonheur incomparable aux biens matériels. Par sa décision et sa signature au bas du jugement, le juge a l’immense pouvoir d’anéantir le parcours d’un leader politique ou l’empire économique et financier d’un homme d’affaires. Ce n’est pas pour rien qu’au Congo et en Afrique en général, les politiciens et les opérateurs économiques sont les premiers ennemis de l’indépendance du Pouvoir judiciaire. Agacé par l’arrestation et la détention de Vital Kamerhe, comme si son tour d’être poursuivi était proche, André Atundu, porte-parole du FCC, a récemment déclaré : « C’est au magistrat de nous dire pourquoi il a jugé opportun de mettre à Makala une personnalité aussi importante, qui est toujours directeur de cabinet »[2].

Au cours de notre carrière, il nous est arrivé de voir certains prévenus perdant le contrôle de leurs facultés mentales au point d’obliger le tribunal à interrompre l’audience parce que la tension artérielle était brusquement montée du fait de comparaître pour la première fois devant un juge. Peu importe le nombre et la durée des audiences, l’attitude du prévenu est un élément non négligeable dans la formation de l’intime conviction du juge. Cette attitude dépend du système de défense mis en place par lui, avec ou sans le concours de ses avocats, le plus souvent sous l’influence des détenus plus anciens ou des condamnés rencontrés à la prison. En effet, le système carcéral du pays, favorisant la promiscuité des détenus sans égard des crimes commis et de leur dossier probatoire, a permis l’éclosion dans toutes les prisons d’une « école spéciale de droit » dont les professeurs ne sont autres que les anciens détenus ou les condamnés qui apprennent aux nouveaux venus la manière de se défendre, mettant en place un système basé sur la négation des faits. Comme avec des patients qui ne disent pas tout à leurs médecins, nombreux sont des prévenus qui mettent en difficultés leurs avocats en leur cachant la vérité. Selon les cas, le système de défense d’un prévenu peut consister à tout nier en bloc ou à coopérer totalement ou partiellement.

3. Les risques de tout nier en bloc

Malgré certaines flagrances et preuves irréfutables que pourrait contenir le dossier physique, il arrive plus souvent que des prévenus adoptent un système de défense quasi suicidaire qui consiste à tout nier en bloc donnant ainsi du fil à retordre aux juges, qui doivent solliciter à la fois leur savoir faire et leur savoir être pour leur tirer les vers du nez sans avoir à craquer et à s’énerver. Sachant que ceux qui les jugent sont des humains comme eux, les prévenus de cette catégorie sont souvent des personnages narcissiques ou de criminels de haut niveau qui se fient tellement à leur égo qu’ils s’imaginent que les juges ne sont pas assez intelligents pour leur arracher des aveux. Ce genre de procès tirent inutilement en longueur car, au bout du compte et grâce à leur expérience et aux autres éléments du dossier, les juges arrivent toujours à leur fin mais alors, avec une conviction très négative sur le prévenu. En effet, pour la plupart des infractions dites intentionnelles, c’est-à-dire celles qui ne peuvent être établies que par la réunion des éléments matériels et de l’élément intentionnel, les juges sont aussi conscients d’avoir en face d’eux un semblable difficile à convaincre. C’est pourquoi, sans se contenter des procès verbaux ou du dossier du parquet, ils procèdent par le jeu des questions parmi lesquelles certaines sont des pièges qui finissent par surprendre et attraper le prévenu dans son orgueil et écrouler tout son système de défense. Tous ceux qui ont suivi l’audience d’ouverture du procès de détournements des fonds alloués au programme présidentiel de cents jours ont tôt remarqué que Vital Kamerhe, réputé intelligent en politique et qui aurait réclamé un procès public pour prouver son innocence, a été déséquilibré et désorienté par une banale question du juge président cherchant à savoir s’il connaissait ses co-accusés Samih Jamal et Jeannot Muhima. Confondant un meeting politique, composé des partisans attroupés pour l’applaudir, avec le prétoire et oubliant surtout que la police des débats appartient au juge président, Vital Kamerhe s’est permis de faire observer à ce dernier que c’était une question tendancieuse et que « nous sommes tous des intellectuels. » Pareille attitude a été observée chez son co-accusé Samih, qui a prétendu ne pas parler le français malgré l’insistance du juge président lui faisant remarquer que c’est en français que s’est déroulée toute son audition au parquet.

Nier tout en bloc est davantage préjudiciable au prévenu qui en fait recours dans un procès où plusieurs prévenus sont poursuivis comme co-auteurs, une sorte de division du travail criminel où chacun a joué un rôle déterminant dans la commission de l’infraction commune. Il suffit qu’un seul craque ou décide de coopérer pour que les systèmes mis en place par les autres, de tout nier en bloc, soient démolis.

4. Les avantages pour un prévenu de coopérer

Il arrive aussi de temps en temps qu’un criminel coopère totalement ou partiellement depuis l’instruction préparatoire au parquet jusqu’à l’audience. De mémoire de juge, nous n’avons pas eu à rencontrer des prévenus coopérant tous à la fois. Il y en aura qui vont réaliser qu’il est inutile d’engager un bras de fer avec le tribunal disposant de tous les moyens matériels et intellectuels pour former son intime conviction. Ceux-là peuvent facilement coopérer, totalement ou partiellement pour espérer bénéficier d’une quelconque clémence de la part du tribunal. C’est toujours payant. La surprise désagréable contre le prévenu récalcitrant peut aussi surgir des témoins appelés à la barre par le tribunal. Dans ce cas, en plus de l’opinion que les juges se feront sur l’ensemble du dossier sous examen, pour dire établis ou non établis les faits mis à charge des prévenus selon le rôle joué par chacun, ils auront en même temps une opinion distincte sur chacun des accusés en rapport avec son comportement et ses attitudes tout au long du procès.

Conclusion

Le procès de Vital Kamerhe et ses co-accusés ne fait que commencer et déjà son attitude outrageant envers le tribunal a été remarqué et largement commenté en sens divers par les téléspectateurs et les internautes qui ont suivi en direct la première audience. L’intime conviction des juges se formera tout au long de ce procès et sera principalement basée sur les faits sous examen en les confrontant à la loi. L’aspect humain et subjectif qui n’est pas à exclure dans la formation de l’intime conviction des juges dépendra également de l’attitude et du comportement individuels des prévenus. Si ce procès continue comme il a commencé, les téléspectateurs seront bien servis en incidents et seront curieux et impatients de voir comment le tribunal se prononcera. Faire valoir devant les juges son statut de leader politique, de riche entrepreneur, de vedette sportive ou de haut fonctionnaire peut donc se retourner contre le prévenu au moment lorsque les débats seront clos et que les juges auront la lourde et noble tâche de sonder leur intime conviction pour trancher. Pour rappel, «  L’intime conviction est une notion juridique qui illustre la subjectivité de toute décision pénale s’agissant de l’appréciation de l’ensemble du litige par le juge chargé de rendre justice. Cette règle démontre qu’en matière pénale la subjectivité de la conviction personnelle du juge guide sa décision. Le rôle de l’intime conviction est de permettre au juge d’apprécier les faits et les preuves qui lui sont soumis aux débats. »

Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
Juriste & Criminologue

Références

[1] In https://www.legavox.fr/blog/maitre-anthony-bem/intime-conviction-juge-penal-18136.htm.

[2] Radio Okapi, 10/04/2020, In https://www.radiookapi.net/2020/04/10/actualite/justice/andre-atundu-il-appartient-la-justice-dexpliquer-la-pertinence-de.

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