Félix Tshisekedi, un président en liberté sous surveillance de Kabila ?
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
En droit pénitentiaire ou d’exécution des peines, la liberté sous surveillance, ou la liberté conditionnelle, est une mesure de faveur de liberté octroyée à une personne détenue, moyennant le respect des conditions qui lui sont imposées par le magistrat pendant un délai d’épreuve déterminé. Cette métaphore juridique et judiciaire pourrait s’appliquer à la posture actuelle du président de la République en RDC au regard des contraintes politiques et juridiques qui semblent restraindre son action présidentielle. C’est ce que tente de démontrer cette analyse au départ de quelques illustrations des faits constatés en son début de mandat. Toutefois, l’analyse essayera également de proposer quelques pistes, légales et/ou politiques, que le président Félix Tshisekedi pourrait exploiter pour tenter de s’émanciper de la tutelle encombrante de Kabila, qui risque de plomber à la fois son action et son avenir politique ainsi que celui de son parti, l’UDPS, en proie aux contradictions internes depuis la disparition de son leader charismatique, Etienne Tshisekedi.
Un président protocolaire ?
Les récents événements consécutifs à la corruption flagrante des cadres de l’UDPS aux sénatoriales illustrent un peu plus la fragilité du pouvoir présidentiel. Dans une analyse publiée en septembre 2018, l’administrateur adjoint de DESC, le juriste-criminologue Jean-Bosco Kongolo, avait posé la question qui projetait de manière prédictive la situation actuelle : Félix Tshisekedi à la présidentielle du 23 décembre 2018 : pour gagner ou pour accompagner Ramazani Shadary ?[1] Dans son analyse, M. Kongolo attirait l’attention de l’opinion sur le stratagème de Kabila consistant à se servir de Félix Tshisekedi et de l’UDPS pour crédibiliser un processus électoral intentionnellement biaisé.
L’analyste et coordonnateur de DESC, Boniface Musavuli, avait, dans l’analyse intitulée : « Que sera l’institution ‘Président de la République’ sous Félix Tshisekedi ?[2], relevé les concessions accordées par le candidat Félix Tshisekedi, pour accéder à la présidence de la République, et le raz-de-marée de la majorité sortante aux législatives, qui lui confèrent une présidence atrophiée que d’aucuns décrivent déjà comme simplement honorifique. « Félix Tshisekedi est ainsi annoncé pour être un président qui sera dépourvu de l’essentiel des moyens de l’Etat, et dont le rôle sera limité à quelques initiatives marginales sans impact significatif sur la vie de la nation. Il devrait évoluer à l’ombre d’un tout puissant Premier ministre, chef de la majorité parlementaire ».

Un baptême diplomatique qui donne des ailes au Président
Après sa première tournée en Angola et en Namibie, consécutive à sa reconnaissance par les Occidentaux, le président Félix Tshisekedi semble décidé d’exercer le contrôle effectif du pouvoir politique en RDC. A ses homologues de la région et aux Occidentaux, il devait prouver que c’est lui qui est le véritable Chef et que l’ère de Joseph Kabila était révolue. Pour les Occidentaux, c’est dans sa capacité à s’émanciper de la tutelle de Kabila qu’ils conditionnaient leur soutien au président Félix Tshisekedi. C’est ce qui lui a été rappelé par le président Français, Emmanuel Macron, en marge de la première édition africaine du One Planet Summit à Nairobi consacré à la lutte contre le changement climatique. La radio française RFI parle d’un alignement diplomatique entre Emmanuel Macron et Uhuru Kenyatta qui « ont demandé à leur homologue congolais de prendre son indépendance vis-à-vis de l’ancien président Joseph Kabila », au moment où on attend toujours la nomination d’un premier gouvernement. « Il faut un cabinet d’ouverture, qui donne de la place à l’opposition et aux camps de Martin Fayulu et Moïse Katumbi notamment », selon RFI qui cite une source diplomatique[3].
Malgré le volontarisme et la bonne foi affichés de changer effectivement les choses dans la gouvernance du pays, notamment via son programme des 100 jours qui recueille un avis positif de la population, le chef de l’Etat congolais ne semble sans doute pas avoir mesuré les conséquences du « deal secret »[4] qu’il a conclu avec Kabila avant d’être proclamé par la CENI, puis confirmé par la Cour constitutionnelle. Un arrangement politique qui semble rendre pratiquement prisonnier le président Tshisekedi car ayant largement sous-estimé les conséquences de son acceptation inconditionnelle – ou presque à part d’être président – des résultats des élections. Avait-il d’autres choix au vu des circonstances houleuses et décriées de sa proclamation par la CENI et sa confirmation par la Cour constitutionnelle ? Je pense que le président Félix Tshisekedi, vu la débâcle électorale de son parti, voulait d’abord sauver les meubles en espérant renverser le rapport de forces à son profit par la suite. Ce qu’il a tenté par moments avec des résultats mi-figue mi-raisin.
Pourtant, chercher à neutraliser Kabila, c’est mal connaitre celui qui fait de la corruption des politiciens congolais, du recours à la violence et aux intimidations diverses, ainsi que de l’interprétation des dispositions constitutionnelles en sa faveur par un juridisme sophistique que lui assure une Cour constitutionnelle caporalisée et pervertie.
Un président aux pouvoirs juridiques limités, qui tente de s’émanciper
Dans une tribune publiée sur DESC, le juriste Engunda Ikala a décortiqué les limites du pouvoir du chef de l’Etat en cas de cohabitation. Il a rappelé qu’un Président sans majorité parlementaire propre est un Chef d’Etat certes pas « protocolaire » mais dont le rayon d’action est fort limité[5]. Le même analyste est revenu dans une nouvelle analyse juridique pour démontrer les limites de l’action du nouveau Chef de l’Etat qui sera sensible dans le domaine des finances publiques dont deux obligations constitutionnelles peuvent être source de grave crise institutionnelle au regard de son obligation constitutionnelle d’appliquer scrupuleusement les dispositions de l’article 175 de la Constitution qui stipule que « la part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source ». Un mécanisme que son futur partenaire de la coalition, le Front commun pour le Congo (FCC), la coalition des partisans de Joseph Kabila, tentera d’exploiter en sa faveur avec pour conséquence la baisse des recettes annuelles du pouvoir central qui en résulterait et qui affaiblirait considérablement les capacités financières du pouvoir central de l’Etat, fragilisant encore un peu plus, l’action du Chef de l’Etat[6].
Alors que le président Tshisekedi avait promis de nommer un Informateur pour se donner une majorité parlementaire à même de soutenir son ambitieux programme présidentiel, un document atypique viendra mettre fin aux ambitions présidentielles. En effet, FCC et Cap pour le changement (CaCh), la plateforme politique du président Félix Tshisekedi, vont déclarer « leur volonté commune de gouverner ensemble dans le cadre d’une coalition gouvernementale ». Et le communiqué précisera que cette option vise à préserver « les acquis de l’historique passation pacifique du pouvoir qui a eu lieu le 24 janvier 2019, de conforter le climat de paix ainsi que la stabilité du pays (…) et de faciliter la mise en place rapide d’un gouvernement de plein exercice »[7]. Ceci illustre qu’une tentative présidentielle de se donner une majorité présidentielle hors du FCC, allait créer un climat belliqueux délétère. Pour des observateurs de la vie politique en RDC, ce communiqué est un indice de la forte influence politique que continue d’exercer Joseph Kabila en RDC, malgré son retrait officiel du pouvoir. Un communiqué qui a été publié quelques jours après que Kabila ait convoqué le président Tshisekedi dans sa ferme privée pour « mettre les points sur les i », nous souffle un collaborateur de Kabila.
Le président engrangera un point politique non négligeable lorsqu’il parviendra enfin à gracier partiellement quelques prisonniers politiques, dont Firmin Yangambi et Franc Diongo, considérés comme des prisonniers personnels de Kabila. Un épilogue heureux pour le président Tshisekedi après un bras de fer avec son ministre de la Justice, le très kabilophile Alexis Thambwe Mwamba. Des libérations qui interviennent après l’échéance du délai des dix jours initialement promis par le Président. Là aussi la pression populaire médiatisée – exprimant une certaine frustration face à une alternance de feutrée – sur cette promesse du président, couplée avec l’intervention diplomatique de Paul Kagame, chez qui Tshisekedi a dépêché son Directeur de cabinet et son Conseiller spécial en matière de sécurité, selon une source diplomatique, ont fini par contraindre Kabila à lâcher du lest. Ainsi, Kabila et Tshisekedi semblent rentrer dans une dialectique stratégique subtile consistant à montrer à la face du monde qu’ils expérimentent une alternance pacifique alors qu’au fond chacun tente de damer le pion à l’autre. Jusqu’à quand ?
Un domaine crucial où Kabila ne veut pas céder la main à son successeur est la défense et la sécurité où le président Tshisekedi est marqué à la culotte par les sécurocrates de Kabila
Selon des sources sécuritaires, lorsque j’ai publié l’article intitulé « Comment Kabila compte asphyxier militairement Félix Tshisekedi »[8], un article où j’ai mentionné un certain nombre de mesures prises par Kabila pour affaiblir son successeur, particulièrement dans le domaine de la défense et de la sécurité, ce dernier avait convoqué une réunion d’urgence du Haut-Commandement militaire pour en savoir plus. Tous les hauts gradés de l’armée étaient conviés à cette réunion, à l’exception du général John Numbi, Inspecteur général des FARDC, l’armée congolaise. Numbi s’était fait représenter par le lieutenant-général Padiri Buhendwa, Inspecteur général adjoint chargé des opérations et renseignements. Le général de brigade Klein Yav Nawej Klein, responsable de la base de la réserve opérationnelle stratégique de la GR, à Kibomango, ainsi que le général de brigade Kazimoto, commandant de la base logistique centrale étaient conviés à cette réunion à titre d’invités.
Cette réunion qui s’est tenue le 1er mars au palais de la Nation avait pour ordre du jour : « Le Commandant suprême des FARDC veut des détails sur les opérations de mouvements de transfert des matériels militaire entre Kibomango, Mbakana, le Palais de la Nation, Mbanza-Ngungu vers les installations militaires du Katanga et du Maniema (Cf. notre article susmentionné) ». Il s’agissait d’une série de transferts de matériels militaires effectués entre le 3 janvier 2019 et le 30 janvier 2019. Au cours de cette réunion, le Président voulait savoir qui avait ordonné ces mouvements et où étaient stockés ces matériels. Il voulait également avoir des précisions sur la localisation de ces nouveaux dépôts, où sont stockées ces armes et qui les contrôle ? Le Président voulait également savoir pourquoi dans le rapport général dressé à son intention par le ministre de la Défense, le chef d’état-major général des FARDC ainsi que le chef de la maison militaire, ces détails importants ont été omis ?
Il a ensuite demandé au Chef d’état-major général des FARDC, au Commandant Corps logistique, au Commandant Base logistique centrale, au Commandant de la base de la réserve opérationnelle ainsi qu’au Chef de la maison militaire de lui faire un rapport détaillé sur l’inventaire des matériels militaires récemment déplacés, ainsi qu’une proposition de répartition de ces matériels militaires dans les différentes zones de défense du pays.
A ces préoccupations du Président, le Chef d’état-major général des FARDC, le lieutenant-général Célestin Mbala Munsense lui a répondu de discuter préalablement de ces questions sensibles avec l’ancien président de la république, Joseph Kabila, comme c’était convenu dans leurs négociations préalables avant la proclamation des résultats par la CENI.
Du point de vue fonctionnel, c’est le général major Jean Claude Yav Kabej, le chef d’état-major particulier du Président qui, en tant que premier collaborateur militaire direct du président, devait le tenir au courant de cette situation. Il ne l’a pas fait sur ordre de Kabila. A ce jour, il n’a été ni admonesté ni sanctionné et garde encore sa fonction alors que Yav est considéré comme un fervent fanatique de Kabila, l’œil militaire de ce dernier dans le dispositif sécuritaire de Tshisekedi.
Nous avons également appris que le général Camille Bombele, commandant adjoint du Groupement des Ecoles militaires, a été entendu par les généraux Célestin Mbala Musense et Gabriel Amisi Tango Four après une rencontre familiale qu’il aurait eu avec le président Kabila. De même, alors que les partisans de Félix Tshisekedi, à majorité Luba, avaient applaudi la nomination de François Beya, un autre luba du Kasaï-Central au poste de Conseiller spécial du Président en charge de défense et sécurité, là où DESC dénonçait une stratégie subtile de Kabila de faire entourer Tshisekedi par ses anciens collaborateurs loyaux, la nomination de Roger Kibelisa, l’ancien numéro deux de l’ANR, comme Assistant principal de François Beya, le Conseiller spécial en matière de sécurité du Président, tend à nous donner raison. Pour cause, Kibelisa, sous sanctions de l’UE, a été l’homme-orchestre des répressions brutales et des disparitions des centaines de militants de l’UDPS, notamment à Lubumbashi, dans le quartier Matshipisha considéré comme étant un des principaux fiefs de l’UDPS[9]. Une nomination qui, selon des sources militaires proches de Kabila, semble dictée par ce dernier car il n’y a aucune raison qui expliquerait la présence de Kibelisa dans le cabinet présidentiel.

Il faut tout de même relever la volonté du président Tshisekedi d’affirmer son autorité en tant que Commandant suprême des armées. Sur ce registre, alorsqu’à ce jour, on ne sait pas s’il a déjà présidé une réunion du Conseil des ministres, par contre, en deux mois de son investiture, le Chef de l’Etat congolais a déjà présidé deux réunions du Haut commandement de l’armee pour tenter d’affirmer son autorité. Il a également émis des directives assez appréciés sur le comportement de l’armee tente d’améliorer les conditions de vie des militaires afin de s’assurer progressivement de leur loyauté à son égard.
Il en est de même du remplacement de Kalev à la tête de l’ANR par Inzun Kakiat, son ancien adjoint qui ne semble pas aller dans le sens de la rupture avec l’ancien système. Décrit de discret et professionnel, Kakiat reste tout de même le dépositaire des méthodes ultra répressives de police politique illustrative de l’ANR[10]. A ce titre, il symbolise plutôt un changement sans évolution et non rupture attendue par l’opinion publique, à commencer par les partisans du président qui ont été les premières victimes de l’ANR. Plusieurs « combattants » de l’UDPS sont encore portés disparus jusqu’à ce jour.
Saisir notamment l’opportunité en nommant un nouveau chef de la maison militaire et chef d’état-major particulier du Président
Les attributions légales attributions du chef de la maison militaire du chef de l’Etat sont tellement étendues que la Garde républicaine est placée sous son autorité fonctionnelle. De plus, c’est encore le chef d’état-major particulier du président qui coordonne tous les services de sécurité et de renseignement. Or rien n’interdit au stade actuel au Président de la République de nommer un nouveau Chef d’état-major particulier au même titre que son cabinet. Cette prérogative ne rentre pas dans le cadre de l’article 78 de la Constitution qui impose un contreseing ministériel.
D’autant que contrairement au Chef d’état-major général des FARDC qui est nommé, relevé et, le cas échéant, révoqué de ses fonctions, par le Président de la République, sur proposition du Ministre ayant dans ses attributions la Défense Nationale, délibérée en Conseil des Ministres, le Conseil Supérieur de la Défense entendu, conformément à l’article 67 de la loi organique portant organisation et fonctionnement des forces armées, l’article 78 de cette même loi se limite à préciser que : « Le Chef d’Etat-Major Particulier du Président de la République ainsi que son adjoint sont nommés, relevés et, le cas échéant, révoqués de leurs fonctions par le Président de la République. »[11] Il n’est nullement question ici d’une proposition du Ministre ayant dans ses attributions la Défense Nationale, délibérée en Conseil des Ministres, le Conseil Supérieur de la Défense entendu.
Pour rappel, l’article 75 de la Loi organique sur les FARDC stipule : L’Etat-Major Particulier du Président de la République a pour missions de :
– assister le Chef de l’Etat dans la conception et l’élaboration de la politique de défense et de sécurité ;
– aider le Chef de l’Etat dans la conduite et la coordination de toutes les activités relatives à l’organisation, à l’instruction et l’équipement des Forces Armées ;
– accomplir ou exécuter toutes les tâches qui lui sont confiées par le Président de la République.
Il s’agit ici d’une opportunité que pourrait saisir le président Tshisekedi pour se constituer un cabinet militaire privé en parallèle et hors de toute intrusion malsaine de Kabila vu que la loi ne l’oblige pas à consulter le gouvernement pour constituer ce cabinet hautement stratégique.
Deux mois après l’investiture du Président Tshisekedi, il est incompréhensible que ce soient les proches généraux de Kabila qui continuent de gérer son état-major privé. Voilà déjà une opportunité que peut saisir le président Tshisekedi pour se constituer un cabinet militaire indépendant de l’influence de son prédécesseur. D’autant que sous Kabila, la politique de la Défense nationale, voire de la sécurité, était décidée et gérée directement à partir de sa maison militaire. En effet, sous Kabila, le Chef d’état-major général des FARDC s’est contenté d’une fonction d’apparat alors que le ministre de la Défense est resté sans portefeuille, ne disposant d’aucun droit d’initiative sur l’affectation de ce budget et son contrôle.
De plus, le président Tshisekedi possède un autre atout constitutionnel qui lui offre des prérogatives dans ce domaine dit de collaboration avec le Gouvernement, qui n’est pas un domaine d’exclusivité du Gouvernement. Mais pourquoi n’exploite-t-il pas cette opportunité ? Pour quelles raisons ? Serait-il lié à un accord secret avec Kabila qui lui interdirait les nominations dans l’armée et le secteur de la sécurité ? Voici autant d’éléments qui tendent à montrer que le président serait en quelque sorte en liberté sous surveillance.
Quelles marges de manœuvre possibles pour le Président Tshisekedi dans un « deal » politique qui lui est défavorable?
Musavuli propose quelques pistes que pourraient exploiter le président Tshisekedi. Il avance notamment la jurisprudence politique congolaise de la prééminence de l’institution ‘Président de la République’, une question de droit et de tradition. En effet, énonce Musavuli, « quelle que soit la majorité parlementaire, le président de la République reste le pôle principal de l’exécutif. C’est de lui que le Premier ministre tire sa légitimité par l’acte de nomination (article 78). (…) Il est ainsi inenvisageable que Félix Tshisekedi nomme au poste de Premier ministre un kabiliste querelleur ou aux ambitions débordantes. Son choix portera forcément sur une personnalité consensuelle et tout à fait disposée à faire profil bas en cas de crise avec la présidence de la République et éviter d’en arriver à une dissolution de l’assemblée nationale, par exemple. C’est une question de réalisme. Au-delà du risque de dissolution de la chambre basse du parlement, arme politique entre les mains du président en cas de crise avec le Premier ministre, il y a la tradition ». Et Musavuli de conclure : « Les engagements pris par Félix Tshisekedi avant son accession à la présidence de la République et la majorité pro-Kabila qui se dégage au parlement, sont, de toute évidence, de nature à limiter sa marge de manœuvre en tant que chef de l’Etat. Mais cette situation ne devrait pas durer. Les réflexes politiques et la position stratégique occupée par le président devraient rapidement l’amener à s’affirmer en tant que pilier incontournable du jeu politique et de l’action du gouvernement, quelle que soit la majorité au parlement et la composition de l’équipe gouvernementale. D’ailleurs, si Joseph Kabila a tenu à conclure un deal avec Tshisekedi, c’est parce qu’il est conscient que seul un président, et non un Premier ministre, peut lui garantir la sécurité, l’impunité et la perspective d’un éventuel retour aux affaires. »[12]
Les événements en cours laissent transparaitre l’incompatibilité du caractère antinomique de l’accord de coalition entre le FCC de Kabila et le CaCh du président Tshisekedi. Si cette « coalition » présente une certaine cohérence juridique dans le contexte politique postélectoral, sa projection dans la durée est néanmoins hautement hypothétique et rien ne dit que Kabila pourrait en sortir victorieux au vu de son isolement total. C’est ce que semble avoir compris la base de l’UDPS. Cette base, première victime des actes des Kabila depuis 1997, qui par nature, reste notoirement anti Kabila. Elle découvre progressivement la supercherie dans laquelle les cadres de son parti voulaient l’entraîner. Mais cette base, tant redoutée par Kabila, d’où sa fixation sur son Président Tshisekedi, jugée naïf et manipulable, reste à notre avis le dernier rempart ou l’ « ultima ratio » du Président Félix, s’il veut réellement s’émanciper de la tutelle de Kabila. Le soutien conditionnel que les puissances régionales et internationales veulent lui accorder est également une deuxième arme en sa faveur contre son embrigadement par les collaborateurs de Kabila dans un contexte où sa légitimité pose problème aux yeux de l’opinion nationale et internationale.
Conclusion
Les Congolais acceptent Tshisekedi, non parce qu’il a gagné les élections, dont la CENI est incapable de démontrer objectivement la victoire en publiant les PV détaillés des résultats conformément à la loi électorale congolaise, mais bien parce qu’ils veulent tourner définitivement la page sombre des Kabila. C’est ce qu’ils ont démontré dans les urnes. Et plusieurs Congolais, mêmes ceux de l’opposition, seraient prêts à l’accompagner dans une démarche d’émancipation de la kabilie qui ne lui rendra pas la tâche facile. Pour les Congolais, même ceux de la base de l’UDPS, signer un accord de coalition avec Kabila, c’est pactiser avec le diable. Cela risque de se retourner contre le président Tshisekedi s’il s’obstine à faire de Kabila, le fossoyeur des Congolais, un partenaire politique. Un partenariat confirmé par Jean-Marc Kabund, le président ad interim de l’UDPS au lendemain du saccage du siège du PPRD : « Nous présentons nos excuses au PPRD qui est actuellement en partenariat avec nous »[13].
Les Congolais souhaiteent la rupture et non la continuité feutrée de l’ancien régime où le président Tshisekedi donnerait l’image de jouer le rôle de marionnette de Kabila ou de pantin[14], comme l’a déclaré Martin Fayulu. Cet article démontre que, malgré les contraintes juridiques et politiques attachées à son mandat, le Président Tshisekedi affiche un volontarisme positif et dispose d’une certaine marge de manœuvre et de quelques opportunités pour imprimer une nouvelle dynamique positive dans la gouvernance du pays. La balle est dans le camp du président Tshisekedi qui a tout à gagner à faire de sorte que le peuple gagne toujours.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Références
[1] JB Kongolo, Félix Tshisekedi à la présidentielle du 23 décembre 2018 : pour gagner ou pour accompagner Ramazani Shadary?, DESC, 28 septembre 2018. https://afridesk.org/fr/?p=24304&lang=fr.
[2] Boniface Musavuli, Que sera l’institution ‘Président de la République’ sous Félix Tshisekedi ?, DESC, 28 janvier 2019. https://afridesk.org/fr/?p=24734&lang=fr.
[3] http://www.rfi.fr/afrique/20190314-kenya-rencontre-macron-tshisekedi-rdc-kenyatta-nairobi-ue.
[4] A Windhoek, en Namibie, le président Tshisekedi avait reconnu avoir conclu un accord avec Kabila avant la proclamation des résultats en vue de cogérer l’alternance pacifique.
[5] https://afridesk.org/fr/?p=24727&lang=fr.
[6] https://afridesk.org/fr/?p=25008&lang=fr.
[7] Les deux plateformes ont recommandé à l’ancien président Kabila, en sa qualité du chef du FCC, « d’accomplir les devoirs de sa charge permettant au chef de l’État de procéder à la désignation du formateur du gouvernement ». Elles ont également recommandé au président Tshisekedi « de nommer diligemment ledit formateur du gouvernement », poursuit le texte, mettant ainsi fin aux débats sur la désignation d’un informateur, c’est-à-dire une personnalité chargée d’identifier la majorité parlementaire au sein de laquelle devrait être désigné le formateur du gouvernement.
[8] https://afridesk.org/fr/?p=24875&lang=fr.
[9] JJ Wondo, L’ANR, un État dans l’Etat : la police politique au service de Joseph Kabila. DESC, 20 décembre 2018. https://afridesk.org/fr/?p=24552&lang=fr.
[10] « Inzun Kakiak est un dépositaire de l’ancien système » (Jean-Jacques Wondo) – Deutsche Welle, 20 mars 2019. https://www.dw.com/fr/rdc-inzun-kakiak-r%C3%A9ussira-t-il-%C3%A0-redorer-limage-de-lanr/a-47995383.
[11] Lire l’article 78 de la Loi organique sur les FARDC.
[12] Boniface Musavuli, Que sera l’institution ‘Président de la République’ sous Félix Tshisekedi ? DESC, 28 janvier 2019. https://afridesk.org/fr/?p=24734&lang=fr.
[13] RDC : L’UDPS présente ses excuses au PPRD. Actualite.cd, 18 mars 2019. https://actualite.cd/2019/03/18/rdc-ludps-presente-ses-excuses-au-pprd.
[14] Dans un tweet publié le 4 février 2019 puis supprimé, Martin Fayulu a déclaré que « La RDC est gouvernée par un pantin », une façon de qualifier Félix Tshisekedi.