Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 05-02-2020 07:30
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Félix Tshisekedi peut affirmer concrètement ses prérogatives de Commandant suprême des forces armées de la RDC – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Félix Tshisekedi peut affirmer concrètement ses prérogatives de Commandant suprême des forces armées de la RDC

Une année après sa prestation de serment à la suite des élections chahutées, Félix Tshilombo Tshisekedi, s’affirme légalement dans sa fonction de chef de l’Etat. Malgré son statut légal, l’action présidentielle semble entravée par la coalition contre-nature conclue avec le camp politique de Joseph Kabila.
En effet, les élections présidentielle, législatives et provinciales de décembre 2018 en République démocratique du Congo (RDC) ont résulté, avec tous leurs inconvénients connus, en une première passation de pouvoir politique non violente, sans forcément être une alternance au sens propre du terme telle qu’on l’entend en politique, selon l’analyste Bandeja Yamba. Avec la manipulation des résultats électoraux à tous les niveaux, le président Félix Tshisekedi est contraint de partager le pouvoir avec le camp du président sortant, Joseph Kabila, qui a gardé la mainmise sur presque l’ensemble des institutions de la République[1]. C’est une situation absolument inédite sur la scène politique contemporaine en RDC[2]. Cette configuration implique que le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ainsi que le Premier ministre proviennent du FCC, le camp politique de Joseph Kabila, qui s’octroie la part du lion dans la composition[3] et le fonctionnement du gouvernement. D’aucuns qualifient ce partenariat, qui semble chavirer, voire chavire déjà, d’une cohabitation d’insolite[4]. Cette situation de fait engendre la réalité que Joseph Kabila continue d’avoir la mainmise sur les domaines régaliens que sont la justice, l’armée, la police et les services de sécurité.
La sociologie politique militaire africaine renseigne que le contrôle de l’armée par le Président reste capital pour l’exercice effectif de son« impérium » dans la direction du pays[5]. La présente analyse tentera de relever les opportunités juridiques, politiques et diplomatiques que peuvent exploiter concrètement le président de la République pour assumer de manière efficiente son statut de commandant suprême des forces armées afin d’assoir son autorité politique sur l’armée qui reste encore contrôlée par Kabila.
Le président Tshisekedi salue le chef d’état-major général des FARDC, le général Célestin Mbala Munsense.
Commandant des armées, commandant en chef ou commandant suprême des armées : différentes dénominations des fonctions présidentielles ou royales en matière de défense

Le commandement peut-être défini comme une action de commander, de décider, en vertu de l’autorité que l’on détient ou que l’on s’arroge, ce que quelqu’un doit faire.

Dans l’armée un commandant est un officier militaire qui détient un commandement militaire, quel que soit son grade. Il peut s’agir d’un commandant de compagnie, de bataillon, de brigade, d’une région militaire, d’une unité quelconque ou d’un corps spécialisé de l’armée.

En France, la constitution de 1958 prévoit dans son article 15 : « Le Président de la république est le chef des armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale[6]. »

Aux Etats-Unis, l’article 2 Section 2 de la Constitution prévoit : « Le président sera commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis, et de la milice des divers États quand celle-ci sera appelée au service actif des États-Unis… ».

En Belgique, l’article 167 § 1er dispose  « (…) Le Roi commande les forces armées, et constate l’état de guerre ainsi que la fin des hostilités… ».

Le commandant suprême ou commandant des armées ou encore commandant en chef, tiré de l’anglicisme Commander-in-chief, à ne pas confondre avec le chef d’état-major (général) d’une armée, est généralement le chef des forces militaires d’un Etat, d’une partie significative de ces forces. Dans ce dernier cas, cet élément des forces peut être défini par la localisation particulière de ces troupes ; par exemple: le commandant en chef des troupes de l’OTAN en Bosnie, ou le commandant en chef des troupes de la MONUSCO.

Le mot « commandant suprême des armées » est mentionné une seule fois dans la Constitution de la RDC du 18 février 2006, dans l’article 83 alinéa 1er : « Le Président de la République est le commandant suprême des Forces armées. »

Concrètement, il s’agit d’une fonction politique que revêt l’autorité politique suprême de la Nation. Ce terme fait référence à la légitimité, au sein d’un État-nation, pour le chef de l’État à contrôler les forces armées. Souvent, dans un pays donné, le commandant en chef n’est pas un officier ni même un vétéran, il l’est par statut légal ou constitutionnel relatif au contrôle civil sur les militaires.

La défense et la sécurité sont désormais un domaine des pouvoirs partagés entre le Président et le Gouvernement

L’exposé des motifs de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, au point relatif à l’Organisation et à l’Exercice du pouvoir, dispose que : « Bien plus, les affaires étrangères, la défense et la sécurité, autrefois domaines réservés du Chef de l’Etat, sont devenues des domaines de collaboration. Cependant, le Gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre, demeure le maître de la conduite de la politique de la Nation qu’il définit en concertation avec le Président de la République. »

Une des innovations de la Constitution de 2006 est de faire de la défense nationale un domaine de collaboration entre le Président et le Gouvernement comptable (accountability convient mieux en anglais) de son action devant l’Assemblée nationale qui peut le sanctionner[7]. Il s’agit là d’un point essentiel, souvent ignoré par les juristes, les parlementaires, la classe politique et l’opinion congolaises qui ont une mauvaise conception et interprétation des pouvoirs du chef de l’Etat en la matière.

L’Exposé des motifs de la Constitution précise en outre : « Cependant, le Gouvernement, sous l’impulsion du Premier ministre, demeure le maître de la conduite de la politique de la Nation qu’il définit en concertation avec le Président de la République[8] ».

L’objectif visé par le constituant est d’éviter que la défense nationale soit le domaine de compétence exclusive du chef de l’Etat, ainsi qu’en a abusé Joseph Kabila durant tout son règne. Mais bien plus, comme le stipule lui-même l’exposé des motifs de la Constitution : « éviter les conflits ; instaurer un Etat de droit ; contrer toute tentative de dérive dictatoriale ; garantir la bonne gouvernance et lutter contre l’impunité »[9].

A l’instar de la France[10], cela veut dire qu’en matière de défense, les pouvoirs sont partagés entre le président de la République et le gouvernement.

Entre 2006 et 2018, la question du partage des prérogatives en matière de défense, mais aussi des affaires étrangères, entre le chef de l’Etat et le gouvernement n’a pas posé de conflits. En effet, le président de la République, chef de file et « autorité morale absolue » de la majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat, faisait de la défense l’un de ses domaines réservés, qui d’ailleurs était gérée au sein de sa maison militaire alors que le ministre de la Défense se confinait dans un petit rôle de commis de la défense ne disposant pas de portefeuille.

La configuration politique des institutions actuelles issues des élections de 2018, qui est en réalité une sorte de cohabitation non avouée dans les faits, malgré l’accord de coalition entre le FCC et CACH, avec une majorité parlementaire qui échappe au président, va instaurer à coup sûr une gestion conflictuelle du pouvoir entre le Président et le Gouvernement, particulièrement dans le partage de leurs prérogatives respectives en matière de défense et des affaires étrangères.

La dualité de commandement militaire instaurée par la constitution du 18 février 2006 énonce à l’article 91 que « Le gouvernement définit en concertation avec le Président de la République la politique de la Nation et en assume la responsabilité. Le Gouvernement conduit la politique de la nation. La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le gouvernement. Le Gouvernement dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité ».

Concrètement, ce partage de pouvoir entre le Président et le Gouvernement doit légalement se faire de manière égale et équitable entre le Président et le Gouvernement. En effet, contrairement à la répartition des clés de postes dans le gouvernement et administration, il n’est pas question ici d’un partage selon un quota de représentativité proportionnelle dans la défense. En réalité, le partage du pouvoir se situe dans ce cas entre l’Institution Présidence et l’Institution Gouvernement suivant une clé de répartition de 50 – 50 entre les deux entités.  En plus de la répartition précédente, il faut aussi ajouter au crédit du Président Tshisekedi la quote part de CACH dans la répartition des postes de la défense au sein du gouvernement de la coalition FCC-CACH. Avec plus de subtilité, cela devrait permettre au Président d’inverser les rapports de forces en sa faveur dans un domaine stratégique de la conduite de la politique de l’Etat et de l’affirmation de son autorité en plaçant des hommes-clés qui pourraient lui être loyaux.

Quels sont les pouvoirs constitutionnels et légaux du Président en matière de défense ?

Article 81 : « Sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres : 1.les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires ; 2.les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu ; 3.le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, le Conseil supérieur de la défense entendu; 4.les hauts fonctionnaires de l’administration publique ; 5.les responsables des services et établissements publics… » … de l’Etat dans les entreprises et organismes publics, excepté les commissaires aux comptes. Les ordonnances du Président de la République intervenues en la matière sont contresignées par le Premier Ministre.

Article 83 : « Le Président de la République est le commandant suprême des Forces armées. Il préside le Conseil supérieur de la défense. »

Article 84 : « Le Président de la République confère les grades dans les ordres nationaux et les décorations, conformément à la loi.

Article 85 : Lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres, conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution. Il en informe la nation par un message. Les modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège sont déterminées par la loi. »

Article 86 : « Le Président de la République déclare la guerre par ordonnance délibérée en Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de l’Assemblée nationale et du Sénat. »

Article 91 : Le Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République, la politique de la Nation et en assume la responsabilité. Le Gouvernement conduit la politique de la Nation. La défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement. Le Gouvernement dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité.

Selon le constituant 2006, les actes officiels posés par le Président de la République dans le domaine de défense et de sécurité doivent, selon la règle générale, être contresignées par le Premier ministre, conformément aux dispositions de l’article 81. Cependant, en disposant de la compétence de nommer et révoquer les officiers généraux et supérieurs, le Président de la République peut bloquer certaines nominations ou promotions des officiers supérieurs et généraux qui se montreraient récalcitrants à sa vision de la politique nationale de défense et de sécurité.

L’article 73 de la loi organique nº 11/012 portant organisation et fonctionnement des FARDC confère au président de la république la compétence de nommer et relever de leurs fonctions et, le cas échéant de révoquer, par Ordonnance délibérée en Conseil des ministres, sur proposition du Gouvernement, le Conseil supérieur de la défense entendu : les officiers généraux et supérieurs des forces armées; le Chef d’État-major général, les chefs d’État-major général adjoints et les sous-chefs d’état-major; les chefs d’État-major des forces et leurs adjoints; les commandants des zones de défense (actuellement régions militaires) et leurs adjoints…

Lors de l’examen du projet de loi sur le Conseil Supérieur de la Défense et le projet de loi sur le Statut du militaire des FARDC au cours de la législature précédente, cet article avait fait l’objet des divergences de vues entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Une majorité de sénateurs de la législature écoulée voulait dépouiller le Chef de l’État de ses prérogatives constitutionnelles en matière de défense nationale, notamment de son rôle au sein de la chaîne de Commandement. Le réexamen de cet article, suite à la requête de la présidence de la république, a tranché en faveur de l’option de maintenir au profit du chef de l’État les compétences qu’on voulait lui retirer. C’est-à-dire, il revient en dernier lieu au président de la République de trancher sur la nomination définitive ou la révocation d’un officier dont la nomination à un grade ou une fonction élevée ou la révocation ne rencontre pas son assentiment, quoique proposée par le Conseil des ministres. Il s’agit là d’un droit de véto accordé au Président de la République de bloquer la nomination des officiers délibérée en Conseil des ministres.

Ainsi, le président de la République dispose des instruments juridiques lui permettant désormais de nommer[11], de révoquer par ordonnance délibérée en Conseil des ministres des Officiers militaires et de la police nationale congolaise.

Il s’agit plutôt d’un rôle semi-actif, au regard d’un régime sémi-présidentiel voulu par le Constituant de 2006, qui a été mal interprété par le Sénat de l’époque acquis à Joseph Kabila. Cela avait suscité de vives réactions au sein de l’opinion publique qui craignait, probablement à raison, que le Chef de l’État n’en fasse un pouvoir discrétionnaire et n’instrumentalise les autres organes devant intervenir dans la nomination des officiers susmentionnées, à savoir le Conseil des ministres qui, avant de proposer la liste des officiers à nommer par le Président, doit entendre le Conseil supérieur de la défense. Si ces étapes se déroulent sans interférences politiciennes, il n’y a pas à craindre de la qualité des officiers nommés ou promus. Sauf qu’en RDC, trop souvent, la matière relative à la défense reste un domaine de chasse gardée du Président. Ce qui faisait craindre des dérives politiciennes, clientélistes et ethno-régionalistes comme on a pu effectivement le constater lors des nominations et promotions des généraux en juillet 2013 et juillet 2018.

Mais cela étant devenu désormais une jurisprudence en RDC, le président Tshisekedi peut également s’en référer pour soit bloquer la nomination de certains généraux proposés par le Gouvernement contrôlé par le camp de Kabila ou révoquer des généraux, nommés par ses prédécesseurs, qui présentent des profils qu’il juge incompatibles à sa politique de défense nationale. En réalité, comme on l’a démontré, cette spécificité n’est pas propre à la RDC. Même dans les États dits de vieille démocratie, c’est le chef de l’État qui nomme et révoque « officiellement » les officiers supérieurs. C’est souvent durant les périodes de cohabitation politique, comme en France, que le Président de la République fait prévaloir cette prérogative constitutionnelle pour affirmer son autorité politique sur l’armée et rééquilibrer les rapports de forces en sa faveur alors que le contrôle effectif du gouvernement lui échappe.

Le Président préside également le Conseil Supérieur de la Défense (CSD)

L’article 83 de la Constitution prévoit qu’en sa qualité de commandant suprême des forces armées, le Président de la République préside le Conseil supérieur de la défense. Le Conseil Supérieur de la défense[12] est un des organes hybride (politique et militaire) de la défense, faisant partie des institutions nationales[13], qui intervient notamment dans la nomination des officiers généraux.

Le CSD est institué par la Loi organique n°12/001 portant organisation, portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la défense, promulguée le 27 juin 2012. Cette structure politique a pour mission de décider sur les matières relatives à la défense et émettre des avis sur la proclamation de l’état d’urgence et la formation d’une armée républicaine. Le conseil supérieur de la défense est présidé par le chef de l’Etat[14]. Le Premier ministre, les ministres de la Défense, de l’Intérieur, celui des Affaires étrangères, le chef d’état-major général des Forces armées de la RDC ainsi que les chefs d’états-majors de toutes les forces et l’inspecteur général de la police siègent également au sein de cette structure. Il y a lieu de préciser que cette loi accorde une certaine prépondérance à la voix du chef de l’Etat, surtout en cas d’égalité des voix lors des délibérations[15]. Il s’agit également d’un autre atout stratégique que pourrait éventuellement exploiter le chef de l’Etat pour privilégier ses choix, orientations ou décisions politiques, notamment en cas de nomination, révocation ou promotion des officiers généraux et supérieurs.

Réformer la maison militaire et y placer des officiers non inféodés à Joseph Kabila

La loi organique nº 11/012 portant organisation et fonctionnement des FARDC confère au chef de l’Etat toute la latitude de nommer un chef d’état-major particulier. Ce dernier a pour mission de l’assister dans sa tâche de commandant suprême des armées[16]. Actuellement ce poste est assuré par un kabiliste pur et dur qu’est le général major Jean-Claude Yav. Ce dernier est assisté par le général Augustin Mamba, celui-là même qui avait supervisé l’opération des éléments de la GR qui avaient incendié le siège de l’UDPS en 2016.

En effet, la loi organique sur les FARDC prévoit en son article 78 que « Le Chef d’Etat-Major Particulier du Président de la République ainsi que son adjoint sont nommés, relevés et, le cas échéant, révoqués de leurs fonctions par le Président de la République. »[17] Il n’est nullement question ici d’une proposition du Ministre de la Défense Nationale. Il s’agit plutôt d’une autre prérogative que pourrait saisir le président Tshisekedi pour se constituer un cabinet militaire privé en parallèle et hors de toute intrusion malsaine de Kabila d’autant que la loi ne l’oblige pas à consulter le gouvernement et ne prévoit ni la délibération en Conseil des Ministres ni l’audition du CSD pour constituer ce cabinet hautement stratégique. Les attributions légales du chef de la maison militaire du chef de l’Etat sont tellement étendues que la Garde républicaine (GR) est placée sous son autorité fonctionnelle. De plus, c’est encore le chef d’état-major particulier du président qui coordonne tous les services de sécurité et de renseignement. Selon la jurisprudence sous la présidence de Kabila, le ministre de la Défense Nationale et des Anciens Combattants est resté sans portefeuille. La gestion du budget de l’armée a échappé en grande partie à son contrôle. Tout se décidait au niveau de la Maison militaire du chef de l’Etat[18].

Conclusions et recommandations

Nous venons d’analyser brièvement les instruments juridiques dont dispose le chef de l’Etat dans le secteur de la défense, qui lui permettent de manière concrète d’utiliser ses prérogatives pour pouvoir assurer effectivement et sans conteste sa fonction de commandant en chef des armées et de chef de la politique de défense et de sécurité nationale.

La Constitution congolaise confère au président de la République le statut de commandant suprême des armées. Cependant sur terrain, tout semble montrer que c’est le dispositif mis en place et verrouillé par Joseph Kabila qui semble dicter au président Tshisekedi la conception et la conduite de la politique de défense et de sécurité de la RDC.

Dans une configuration politique factuelle dite de théologie prétorienne africaine où l’armée reste indubitablement la ressource du pouvoir politique et où le sécuritaire prime sur le politique et le juridique, qui, selon Carl Schmitt dans la Théologie politique, « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle », c’est-à-dire de l’issue politique ultime, le président Tshisekedi ne saurait s’imposer politiquement s’il ne parvient pas à affirmer ses prérogatives constitutionnelles en tant que commandant suprême des forces armées.

Une manière intelligente pour le président Tshisekedi de s’y atteler est de mettre sur pied un cellule stratégique d’analyse composée d’experts militaires et de juristes, en dehors de sa maison militaire, qui fonctionnerait comme un shadow cabinet, pour l’accompagner dans la conception et l’élaboration et l’implémentation des stratégies devant lui permettre d’assurer pleinement son rôle de commandant en chef des armées.

Enfin, le Président Tshisekedi dispose de deux autres atouts non négligeables pour l’accompagner dans cette dynamique. Il s’agit de la prédisposition de ses alliés occidentaux, les Etats-Unis et l’Union Européenne ou de l’Angola[19], la puissance régionale militaire tutélaire de l’Afrique médiane[20], qui se sont montré disposés à établir avec lui une alliance stratégique dans ce domaine et du Peuple congolais qui ne veut plus non seulement d’un retour aux affaires de Joseph Kabila, mais qui reste aussi très réfractaire à l’immixtion de Kabila dans la gestion politique en cours. En osant mettre application progressivement l’exercice de sa fonction de chef d’Etat, le président Tshisekedi peut s’assurer que le moindre acte de résistance ou de blocage de Joseph Kabila est susceptible de se confronter à une vive réaction de la communauté internationale et à une grave contestation populaire dont il n’aurait pas la maîtrise de l’issue.

Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Expert des questions militaires et de sécurité / Exclusivité DESC
Références

[1] Le gouvernement, les deux chambres du parlement (le sénat et l’Assemblée nationale), les gouvernements des provinces.

[2] Pour le dire autrement, si Félix Tshisekedi a été élu président de la République, au travers d’un processus chaotique que le Congo a connu en 2018, les autres scrutins ont cependant consacré une victoire massive du Front commun pour le Congo (FCC) de l’ex-président Joseph Kabila. Selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI), le FCC a obtenu 330 des 500 sièges à l’assemblée nationale, 836 députés provinciaux et plus de 80 des 108 sièges au Sénat.

[3] Au niveau du gouvernement composé de 66 membres, 42 sont du FCC alors que la coalition du président Tshisekedi, le Cap pour le changement (CACH) n’a obtenu que 23 postes; un poste ministériel a été confié à un représentant des personnes vivant avec un handicap.

[4] http://afridesk.org/rdc-comment-traiter-des-criminels-du-passe-dans-un-contexte-de-coalition-voire-de-cohabitation-gouvernementale-bandeja-yamba/.

[5] Lire Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’Essentiel de la sociologie politique militaire africaine. Cas des régimes prétoriens au Congo-Kinshasa,  Amazon, 2018.

[6] Constitution de la république française, in http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp.

[7] Exposé des motifs, Constitution du 18 février 2006.

[8] Ibid.

[9] JJ Wondo Omanyundu, Les Forces armées de la RDC : une armée irréformable ? 2015, p.4.

[10] L’article 15 de la Constitution de Ve République française dispose que « le président de la République est le chef des armées » et que celui-ci « préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale ». Le gouvernement lui, « dispose de l’administration et de la force armée » et « détermine et conduit la politique de la Nation », d’après l’article 20 de la Constitution. Lire aussi https://www.la-croix.com/France/Securite/Quels-sont-pouvoirs-president-tant-chef-armees-2018-04-16-1200932071.

[11] Le président nomme uniquement les officiers généraux et supérieurs.

[12] Le CSD fait également partie des institutions et structures politiques nationales de la défense prévue dans l’article 18 de la loi organique portant organisation et fonctionnement des FARDC.

[13] Les institutions nationales du pays sont : Président de la République ; le Gouvernement ; l’Assemblée Nationale ; le Sénat ; le Conseil Supérieur de Défense, l’Ordre judiciaire et le Conseil supérieur de la Magistrature.

[14] En cas d’empêchement du Président de la République, la loi prévoit que le Premier ministre le remplace.

[15] https://www.radiookapi.net/actualite/2010/12/25/parlement-le-senat-vote-le-projet-de-loi-sur-le-conseil-superieur-de-la-defense.

[16] L’article 75 de la Loi organique sur les FARDC stipule que

L’Etat-Major Particulier du Président de la République a pour missions de :

– assister le Chef de l’Etat dans la conception et l’élaboration de la politique de défense et de sécurité ;

– aider le Chef de l’Etat dans la conduite et la coordination de toutes les activités relatives à l’organisation, à l’instruction et l’équipement des Forces Armées ;

– accomplir ou exécuter toutes les tâches qui lui sont confiées par le Président de la République.

[17] Lire l’article 78 de la Loi organique sur les FARDC.

[18] En RDC, dans la pratique, la Maison militaire du chef de l’Etat dédouble en réalité le fonctionnement du ministère de la Défense nationale et des anciens combattants.

[19] Selon les indiscrétions d’une source angolaise, le point sur la sécurisation de Tshisekedi a été un des points à l’ordre du jour de son récent voyage le 5 janvier 2020 à Luanda. En outre, le président angolais Joao Lourenço essaie de renforcer son alliance avec Tshisekedi pour créer un nouveau bloc des réformistes en Afrique centrale et australe dont la lutte contre la corruption serait une priorité.

[20] Luntumbue Michel & Wondo Omanyundu Jean-Jacques, La posture régionale de l’Angola : entre politique d’influence et affirmation de puissance, Note d’analyse, GRIP, 03 Juin 2015.

3

3 Comments on “Félix Tshisekedi peut affirmer concrètement ses prérogatives de Commandant suprême des forces armées de la RDC – JJ Wondo”

  • Eryck Kiro

    says:

    Merci pour vos informations très enrichissante et détail
    Anyway comment faire pour payer les article ? J’ai un compte sur votre web mais j’arrive pas à payer certaines articles

  • GHOST

    says:

    FELIX SOUS CONTROLE ?

    https://www.7sur7.cd/2020/0206/rdc-laccompagnement-de-larmee-dans-la-mobilisation-des-recettes-au-coeur-des-echanges
    Cette information est si étrange…. dans les vielles démocraties où nous résidons, il est pratiquement impossible de voir un « Inspecteur général » d´une armée visiter un membre du gouvernement. John Numbi n´est pas ministre de la Défense ou chef d´état major général de l´armée.. Comment peut-il se retrouver entrain de parler de la « contribution de l´armée dans la mobilisation des recettes ?
    Dans ce pays où l´armée doit faire face á plus de 100 groupes armés, comment imaginer les militaires puissent (aussi) se retrouver dans la mission de la douane ?
    John Numbi est l´un des généraux sous sanctions internationalles á cause des activités « économiques ». Sa visite chez un membre du gouvernement qui ne travaille pas avec la Défense ne peut qu´être une preuve de plus de l´influence nefaste immense que possede ce général.
    Felix qui semble-t-il laisse John Numbi « commander » les FARDC á la place du chef d´EMG devrait agir quand cette information se trouve dans les medias.

  • GHOST

    says:

    S´APRROPRIER LA DEFENSE ?

    Comme mr JJ Wondo le démontre si bien, le président Felix possede un arsenal juridique suffisant pour s´approprier la Défense. Pendant ses visites en Occident, nous tentons de comprendre ses ambitions et sa stratègie.
    Cette ambition n´est pas encore visible même quand Felix affirme de temps en temps posseder un « partenariat » avec les USA.
    Contrairement aux apparences, les relations militaires avec l´Occident offrent des oportunités commenciales importantes.
    Quand Merkel visite l´Afrique, 600 des entreprises á capitaux allemands installées sur le continent se trouvent en Afriqud du Sud. BMW, VW ou Mercedes sont basées en Afrique du Sud.
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/06/l-afrique-australe-base-economique-de-berlin-sur-le-continent_6028647_3212.html
    La premère raison de cette présence allemande en Afrique du Sud est « militaire ».
    Lors de la fin de l´apartheid, l´ANC avait endosée un programme militaire qui avait misé sur l´acquisition des équipements militaires de pointe en obtenant une compensation industrielle.
    L´allemagne qui avait livrée 4 fregate Meko A-200SAN devait apporter comme compensation une forte présence industrielle où on retrouve les usines Mercedes ou VW en Afrique du Sud
    Tant que Felix n´adopte pas cette approche ,,, to zali na rond point.

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