L’actualité politique congolaise reste focalisée sur les consultations nationales entreprises par le président Tshisekedi depuis le début de la semaine écoulée. Sur le plan sécuritaire, la situation reste très instable dans la partie orientale du pays. Les massacres des populations civiles se poursuivent à Beni. En Ituri, les FARDC ont lancé une grande offensive militaire terrestre, appuyée par les moyens aériens, contre la milice du CODECO. Cependant, durant la semaine passée, deux généraux des FARDC sont décédés. Il s’agit du général d’armée en retraite Marcellin Lukama et du général de brigade Yav Klein.
Marcellin Lukama Musikani, un ERMiste discret avec un bon parcours militaire
Le général d’armée en retraite Marcellin Lukama était né le 26 Avril 1947 et décédé le 6 novembre 2020 à Kinshasa. Il était originaire du Sud-Kivu. Diplômé de la 106ème promotion Toutes Armes à l’École royale militaire belge, avec notamment le général Denis Kalume et l’ancien président Burundais Jean-Baptiste Bagaza. Il va se perfectionner à l’Ecole des troupes blindées d’Arlon en Belgique. Son retour au Zaïre sera marqué par une bonne carrière à l’état-major de la Force terrestre, à la région militaire à Shaba (Katanga), comme chef de Bureau « Etudes » au sein de l’état-major général des FAZ et comme conseiller au sein du ministère de la Défense. Détenteur d’une licence en sciences sociales et militaires et d’un doctorat en sciences humaines, le général Lukama fut également détenteur breveté d’état-major de l’Ecole de guerre belge (IRSD).

Après la chute de Mobutu, alors colonel, il sera repris par Laurent-Désiré Kabila au sein des FAC[1]. Ce dernier l’envoie comme commandant des opérations au nord de la province du Katanga pour contrer l’avancée des troupes rebelles du RCD-Goma soutenus par le Rwanda.
En septembre 1999, le président Laurent-Désiré Kabila le nomme au grade de général de brigade. Le général Lukama occupera successivement les postes de commandant de région militaire du Bas-Congo et de commandant de région militaire du Kasaï-oriental.
En 2002, il est élevé au grade de général major et est nommé commandant adjoint de la Force terrestre. Il occupe ensuite le poste de commandant de la force navale, avant de se voir confier, peu avant la fin de la transition, le poste de commandant du Groupement supérieur des écoles militaires (installé sur le site du Centre supérieur Militaire de Binza). En 2008, le général LUKAMA est nommé commandant des opérations des FARDC dans le Nord-Kivu. Il sera ensuite rappelé à Kinshasa pour être promu Inspecteur général des FARDC.
En 2013, Kabila élève le général Lukama au grade de lieutenant-général. En avril 2015, le gouvernement congolais lève l’option de dissoudre la Société commerciale et industrielle d’explosifs (SOCIDEX), située à Likasi dans la province du Haut-Katanga, au profit de la création d’une nouvelle société parastatale dénommée AFRIDEX (Africaine d’explosifs) dont l’État demeure l’actionnaire unique. AFRIDEX détient le monopole de production de tous les explosifs, munitions civiles et militaires, armes et autres produits analogues et connexes. Il sera remplacé par le lieutenant-général Liwanga en avril 2017, année à partir de laquelle AFRIDEX développe le projet de fabrication de la version congolaise du kalachnikov avec le concours de la firme d’armement chinoise NORINCO. Mais en juillet 2018, Kabila élève Marcellin Lukama au grade de général et l’admet en même temps à la retraite et en le nommant de nouveau au poste de directeur général de l’AFRIDEX. Ce sera son dernier poste en activité avant sa mort. On nous dit que sa santé aurait été très affectée par les disparitions récentes et successives de ses deux filles.
Pour conclure, voici le témoignage que lui fait le général en retraite Eluki Monga : »
Le général de Brigade Klein Yav Nawej, un des généraux de confiance de Joseph Kabila
Le général Yav Klein Nawej était un Rund du territoire de Sandoa dans la province de Lualaba. Il est décédé le 7 novembre 2020 des suites de problèmes d’hypertension artérielle. Yav Klein faisait partie des descendants des anciens gendarmes katangais exilés en Angola qui ont appuyé la rébellion de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila. En Angola, Klein Yav comme ses autres cousins Philémon et Jean-Claude Yav ont fait partie du bataillon du 24ème régiment des Troupes spéciales auxiliaires commandé par les généraux Delphin Mulanda et Daniel Kamboyi dans les maquis situés dans les provinces de Lunda Sul à Saurim et de Lunda Norte à Dondo. Lors de la Deuxième guerre du Congo, Klein Yav était le responsable des opérations (T3) des FAC sur l’axe Boende -Befale-Waka dans l’ex-province de l’Équateur contre les troupes de la brigade C (Charlie) du MLC de Jean-Pierre Bemba, dirigées par le défunt général major Gabby Mustapha Mukiza.
Ses anciens collègues le qualifient comme étant un officier plutôt discret et travailleur bosseur selon les personnes qui ont travaillé avec lui. Après la création de la Garde républicaine, il deviendra le responsable de logistique (T4) de la 11ème brigade spéciale d’infanterie de la garde républicaine stationnée au camp Kimbembe à Lubumbashi.

Le général Klein Yav était le commandant du Centre d’instruction des éléments de la Garde républicaine (GR) de Kibamango, dans la périphérie est de Kinshasa. Un site qui abrite également la base logistique stratégique de la GR et où est entreposé l’armement acheté par Joseph Kabila pour la GR, souvent en violation avec l’embargo sur les armes imposé par les Nations unies car non notifiées à la MONUSCO. Selon plusieurs informations reçues par DESC, c’est le général Klein Yav qui était chargé d’encadrer les éléments de la Garde républicaine incorporés dans la Police nationale congolaise après les répressions violentes de janvier 2015. Il jouait un rôle important dans le dispositif sécuritaire de Joseph Kabila qui se reposait principalement sur plusieurs généraux katangais dont plusieurs continuent d’assumer actuellement des fonctions stratégiques au sein des FARDC[2].
Il sied de rappeler que l’Ukraine, la Serbie, la Biélorussie, la Chine, l’Egypte, Israël, le Soudan, le Zimbabwe, la France et les Etats-Unis d’Amérique restent les plus grands fournisseurs de matériels militaires de la RDC de ces dernières années[3]. Alors qu’une grande partie des militaires reste faiblement armée, la plupart de ces matériels militaires sont stockés dans les bases logistiques autour de Kinshasa, à Kibomango et à Mbankana, dans la partie périphérique Est de la capitale congolaise. Sous Joseph Kabila, ces armes étaient destinées aux unités spéciales de la police et de la GR dans le cadre des interventions répressives contre les manifestations populaires.
Ainsi, sentant la fin de son mandat s’approcher, Joseph Kabila s’est arrangé à construire de nouveaux hangars d’entreposage d’armes à la base de Kamina, dans la province du Haut Lomami et à Kalemie dans la province du Tanganyika où son frère cadet Zoé Kabila est gouverneur. En 2018, une firme serbe CPR IMPEX DOO BEOGRAD a livré au profit de la GR, via le port de Boma, un lot de 22.000 fusils d’assaut M-92 de 5,56mm, 120 canons anti-aériens M-55 de 20 mm qui sont tous entreposés au centre logistique de Kibomango, qui faisait office de la réserve militaire stratégique exclusive de Joseph Kabila. Une autre société serbe d’armement PRIVI PARTIZAN avait livré pendant le premier trimestre 2018 (janvier -Mars 2018), via les ports de Boma et de Matadi, environ 5 000 000 pièces de cartouches diverses pour les fusils d’assaut M-70, M-92, AKM et pour fusils mitrailleuses M-84. Ces munitions étaient entreposées notamment à la base logistique militaire présidentielle de Mbankana, vers le Bandundu, dont le contrôle semble encore échapper à l’actuel président congolais. La firme chinoise Chinese Technology Company avait livré dans le courant du mois de février 2018 une dizaine de drones d’observations de type PHANTOM DJI dont la mission principale consistait en la surveillance aérienne des grandes villes congolaises (Kinshasa, Lubumbashi et Goma). Ces drones étaient gérés par la direction des renseignements des forces aériennes des FARDC et sous la supervision directe du défunt général Delphin Kahimbi [4].
Avant de quitter le pouvoir, Joseph Kabila avait également acheminé des matériels militaires stratégiques vers les sites militaires du Katanga (Manono, Kambove, Kamina, Kalemie et Kasenga) et du Maniema (Lokandu) avec l’aide des experts russes qui ont mis à contribution une flotte d’avions de transport Iliouchine 76 Candid, Antonov An-124 Ruslan ‘Condor’ et des Antonov An-225 Ruslan, en attendant son comeback en 2024[5].
Le remplacement du général Klein Yav pourrait nous donner des indications intéressantes sur le rapport de forces auquel se livrent le président Tshisekedi et Joseph Kabila pour le contrôle de l’armée au moment où les relations entre les deux personnalités sont très tendues. Klein Yav était l’un des rares officiers-généraux des FARDC à rencontrer Joseph Kabila à tout moment sans audience et sans rendez-vous.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Références
[1] Forces armées congolaises, l’armée loyaliste qui a succédé aux FAZ.
[2] JJ Wondo, Remaniement du commandement des FARDC par Félix Tshisekedi : attentes et désillusions. DESC, 31 juillet 2020. https://afridesk.org/remaniement-du-commandement-des-fardc-par-felix-tshisekedi-attentes-et-desillusions-jj-wondo/.
[3] Jean-Jacques Wondo, Joseph Kabila continue à suréquiper militairement son régime en vue des échéances politiques à venir. DESC-WONDO, 9 avril 2018.
[4] Voir les détails dans mon article intitulé « Joseph Kabila continue à suréquiper militairement son régime en vue des échéances politiques à venir », DESC-WONDO, 9 avril 2018.
[5] JJ Wondo, Comment Joseph Kabila compte asphyxier militairement Félix Tshisekedi ? DESC, 27 février 2019. https://afridesk.org/comment-joseph-kabila-compte-asphyxier-militairement-felix-tshisekedi-jj-wondo/.