Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 28-05-2017 22:04
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Évasion de la prison de Makala : autre aspect du bilan négatif de J. Kabila – Jean-Bosco Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Évasion de la prison de Makala : autre aspect du bilan négatif de Joseph Kabila

Par Jean-Bosco Kongolo

Au-delà de fabuleuses ressources du sol et du sous-sol, œuvre de la divine providence, le Congo, sous le règne de Joseph Kabila, a atteint d’autres records jusque là inégalés dans l’histoire du pays et des nations : record des mouvements rebelles; des partis et plates-formes politiques; des vagabonds et des négociations politiques (conséquence de ceci); des massacres; des déplacés internes; des fosses communes; d’ONG’s à vocation humanitaire; du nombre de ministres dans une seule équipe gouvernementale; d’infiltrés étrangers dans les institutions publiques; d’officiers supérieurs de l’armée et de la police; d’enfants de la rue et d’enfants sorciers; de pasteurs et d’églises au km²; d’établissements d’enseignement supérieur et universitaire non viables; de viols…et, aujourd’hui, record du nombre d’évadés dans une même prison.

Malgré tous ces tristes et indéniables records, les propagandistes/flatteurs du régime prennent tous les Congolais pour des imbéciles, en présentant un bilan positif de l’AFDL et des 16 ans de gouvernance de Joseph Kabila. Selon Henri Mova Sakanyi, Secrétaire général du PPRD : « Il y a 20 ans, nous marchâmes. 20 ans après, nous marchons encore et toujours ! Des jeunes pousses nous ont rejoints. Les rangs s’allongent encore plus compacts. La détermination s’exhausse. Sous le commandement de notre Général, nous sommes prêts pour de nouvelles batailles et de nouveaux succès! À luta continua, victoria certa ! »[1]

Dans la présente analyse, il est question pour nous de démontrer que contrairement à l’orgueil inutile du ministre de la Justice et aux extravagances de son collègue de la Presse et Médias, les évasions enregistrées récemment à la prison centrale de Kinshasa et dans d’autres maisons d’arrêts du pays ne sont en réalité que la résultante du manque de vision de nos dirigeants politiques et du dysfonctionnement de la justice congolaise. Mais avant d’aborder ces thèmes, il est important pour l’opinion publique congolaise de comprendre le rôle de la prison.

Un véhicule blindé protégé de la police incendié par les évadés de Makala. Ces véhicules sont vulnérables. En ciblant les réservoirs de carburant, leurs habitacles se transforment en prison.

1. Le rôle de la prison

La prison, en tant que lieu où les criminels doivent purger leur peine pour les torts causés à leurs victimes ainsi qu’à la société, n’était pas du tout connue en Afrique avant la colonisation. En effet, nos ancêtres pratiquaient déjà la justice alternative que les sociétés occidentales d’aujourd’hui essayent d’introduire et d’expérimenter dans leurs systèmes afin de corriger les lacunes de la répression classique. Appelée également justice réparatrice ou justice transitionnelle, la justice alternative implique la communauté tout entière en mettant en présence plusieurs acteurs de la société dont l’objectif est de restaurer l’équilibre rompu. Dans le respect de la victime, le criminel est invité à reconnaître publiquement ses torts et à les réparer tout en évitant qu’il devienne à son tour victime. D’après Fabrice Hourquebie, professeur de Droit public à l’Université de Toulouse : « Aussi, loin de s’ériger en justice de substitution, les mécanismes de justice transitionnelle doivent s’envisager dans une logique de complémentarité avec ceux existants. Complémentarité avec la justice pénale d’abord. En effet, la justice transitionnelle repose sur une vision plus vaste et plus profonde de la justice, qui n’est pas basée sur la seule fonction punitive. Ainsi, si les Commissions Vérité et Réconciliation émettent des recommandations, c’est dans l’optique de jouer un rôle à côté des poursuites judiciaires et non dans le but de remplacer les poursuites et la responsabilité judiciaires »[2].

Dans son analyse intitulée « Repenser le pénitentiaire et promouvoir les sanctions communautaires », le criminologue Jean-Jacques Wondo en arrive à la constatation suivante: « Ainsi, dans un pays, la RDC, où la pratique de la justice classique est inculturée du modèle judéo-chrétien, la gestion  pénitentiaire occidentale trouve ses limites dans son fonctionnement (ressources et conditions de travail insuffisantes, règles de droit occidentocentriques inadaptées aux us et coutumes des sociétés traditionnelles congolaises/africaines), et au moment où les sociétés occidentales exploitent les pratiques qui ont fait preuve dans nos cultures traditionnelles, il est plus qu’urgent de penser à encourager d’autres alternatives à la justice pénale napoléonienne en faisant recours aux modes de gestion des conflits utilisés dans nos sociétés ancestrales précoloniales ou rurales. »[3]

En effet, pendant que plusieurs pays du monde occidental s’efforcent de moderniser leur système carcéral en mettant plus l’accent sur la réinsertion sociale, au Congo, la société et même les acteurs de la justice n’ont gardé de la prison que son rôle punitif qui consiste à enfermer le malfaiteur le plus longtemps possible, souvent en deçà de la dignité humaine et parfois au-delà de la durée légale, sans se soucier de la réparation des torts qu’il a causés par son acte.

2. Qu’en est-il du régime carcéral congolais?

A. Au niveau de la législation

Malgré bientôt 60 ans d’indépendance et l’évolution du monde, la législation pénitentiaire congolaise demeure celle laissée par la colonisation. L’exécution de la peine est toujours à charge de l’officier du ministère public (magistrat du parquet) qui, en plus d’appréhender le suspect, d’instruire le dossier, de l’introduire devant la juridiction compétente et de requérir devant celle-ci la peine prévue par la loi, c’est toujours lui qui doit surveiller et assurer l’exécution du jugement pénal. C’est ainsi que dans ses multiples tâches et en l’absence d’agents correctionnels qualifiés et d’agents de libération conditionnelle ou de probation, l’officier du ministère public est tenu d’effectuer régulièrement des contrôles au sein de la prison afin de s’assurer que les peines sont bien exécutées. La gestion administrative et financière des prisons est, quant à elle, confiée au Ministère de la justice qui, comme nous le savons, ne s’en occupe vraiment pas. Voici quelques dispositions du code de procédure pénale relatives à l’exécution des jugements :

Art. 109. – L’exécution est poursuivie par le ministère public en ce qui concerne la peine de mort, la peine de servitude pénale, les dommages-intérêts prononcés d’office et la contrainte par corps; par la partie civile, en ce qui concerne les condamnations prononcées à sa requête; par le greffier, en ce qui concerne le recouvrement des amendes, des frais et du droit proportionnel.

Art. 110. – Si le jugement ne prononce pas l’arrestation immédiate, le ministère public avertit le condamné à la servitude pénale qu’il aura à se mettre à sa disposition dans la huitaine qui suivra la condamnation devenue irrévocable.

Sur la décision du juge ou du président de la juridiction qui a rendu le jugement, ce délai

pourra être prolongé.

À l’expiration du délai imparti au condamné, le ministère public le fait appréhender au corps.

Art. 111. – Même dans le cas où l’arrestation immédiate n’a pas été ordonnée par le juge, le ministère public peut à tout moment après le prononcé du jugement, faire arrêter le condamné si, à raison de circonstances graves et exceptionnelles, cette mesure est réclamée par la sécurité publique ou s’il existe des présomptions sérieuses que le condamné cherche et qu’il peut parvenir à se soustraire à l’exécution du jugement.

Le condamné peut adresser un recours contre son incarcération au juge ou au président de la juridiction qui a rendu le jugement. La décision sur ce recours n’est pas susceptible d’appel.

B. Dans la pratique

Comme on peut le constater et vu le volume des dossiers qu’il gère, en plus des problèmes quotidiens de survie, il est humainement et matériellement difficile à un magistrat congolais d’accomplir les tâches que le législateur lui assigne. Cela est d’autant plus difficile que, faute d’informatisation, les magistrats congolais ne sont pas outillés pour suivre le parcours judiciaire d’un dossier au sein d’un même ressort juridictionnel, dossier qui a commencé par le tribunal de paix pour aboutir, quelques années plus tard, à la Cour de cassation. A l’exception de quelques dossiers dont les prévenus croupissent déjà en détention préventive, la plupart des jugements de condamnation au pénal sont prononcés en dehors des délais légaux et, le plus souvent, en l’absence des prévenus en liberté. Sauf dans des rares cas de condamnation avec arrestation immédiate ou lorsque la victime peut mettre à la disposition de l’officier du ministère public et des forces de l’ordre des moyens conséquents « de motivation », plusieurs jugements de condamnation à une peine privative de liberté demeurent non exécutés. C’est ce qui fait que la plupart des prisons congolaises sont plus peuplées des détenus illégaux que des condamnés. Ces détenus illégaux se répartissent en deux groupes :

  • ceux, nombreux, devenus otages des magistrats du parquet et dont les dossiers sont interminablement instruits soit parce que le magistrat instructeur n’a pas été ou pas suffisamment « motivé » pour lui accorder la mise en liberté provisoire, soit parce que la victime (disposant des moyens conséquents) a négocié auprès du Procureur la prolongation de sa détention.
  • Ceux, tout autant nombreux, dont les procès ont même été tenus et les causes prises en délibéré mais qui attendent interminablement le verdict bien au-delà des délais légaux, tout simplement parce qu’à leur tour, les juges attendent de « voir clair» soit du côté du prévenu lui-même, soit encore du côté de la partie civile. Dans l’un comme dans l’autre groupe, il convient de ranger les détenus politiques et d’opinion (journalistes et activistes des droits humains), victimes de l’intolérance politique et du zèle des services de sécurité. Il arrive même que le dossier d’un détenu disparaisse carrément et sans explication au greffe de la juridiction ou au parquet. C’est le cas du dossier de l’avocat et activiste des droits de l’homme, Me Firmin Yangambi, disparu mystérieusement au greffe de la Cour Suprême de Justice alors que la cause avait déjà été prise un délibéré sur réquisitoire favorable du ministère public.[4]

 2. La gestion archaïque et chaotique des prisons congolaises

Dans bon nombre de pays, dont le Canada, la gestion des établissements pénitenciers relève du Ministère de la sécurité publique. La raison en est que le juge ayant terminé son job de dire le droit, la sécurité des citoyens doit être assurée par le ministère qui en a les attributions afin de veiller à ce que les criminels ne s’échappent pour aller troubler la tranquillité et l’ordre public. Dans ces pays, l’accent est mis sur la réinsertion sociale non seulement pour minimiser les risques de récidive mais surtout pour permettre au condamné qui, lorsqu’il aura fini de purger sa peine, peut être en mesure de se reclasser dans la société sans beaucoup de difficultés.

Au regard des dossiers personnels des prisonniers, leur répartition au sein de ces établissements (dans les pavillons et cellules) tient compte de leur degré de dangerosité tandis que plusieurs programmes sont prévus en leur faveur, par groupe et selon la durée de la peine, aussi bien pour leur divertissement interne que pour leur réinsertion après la sortie de prison (alphabétisation, instruction scolaire ou même académique, démarche d’emploi, etc.).

Au Congo, non seulement de nouvelles prisons n’ont pas été construites depuis l’indépendance, celles laissées par les colons ne sont pas entretenues et continuent de recevoir le nombre sans cesse croissant de pensionnaires sans tenir compte de leur capacité d’accueil. Certaines d’entre elles se retrouvent avec un nombre de détenus dix fois plus élevé qu’il en faut pour respecter un minimum de dignité humaine. Dans une promiscuité totale, des prisonniers sont indistinctement entassés, mineurs et adultes, civils et militaires sans aucune considération d’intimité et sans aucune préoccupation de leur réinsertion sociale. Au contact quotidien des criminels de grand chemin, les victimes d’injustice, les mineurs ainsi que ceux qui y entrent pour des faits bénins ne nécessitant en principe qu’une peine d’amende ou une légère peine de servitude pénale, en sortent plus dangereux qu’ils n’y étaient entrés. A partir de la prison, se forment ainsi ou se renforcent de groupes de malfaiteurs qui, une fois la peine purgée, diversifient leur criminalité et perfectionnent leur mode opératoire de manière à échapper aux forces « de l’ordre » ou à faire de ces derniers leurs meilleurs collaborateurs (complices).

S’agissant de l’approvisionnement des prisons congolaises en denrées alimentaires, il n’est un secret pour personne que c’est depuis plusieurs années que l’État a pratiquement démissionné de ses responsabilités. A ceux qui déplorent les conditions inhumaines des détenues de la prison centrale de Kinshasa, le ministre de la Justice, Thambwe Mwamba a répondu avec mépris et arrogance que « la prison centrale de Makala n’est pas un hôtel cinq étoiles où l’on peut mieux vivre. »[5]

Sans l’apport substantiel des organismes non gouvernementaux et des églises, les prisons congolaises seraient de véritables mouroirs. Même les familles qui sont en mesure de prendre en charge l’alimentation de leurs membres détenus en prison, sont soumises à l’inévitable contrainte de graisser la pâte des policiers commis à la garde. Ainsi, se sont formées en prison de véritables castes selon qu’on a ou non les moyens d’obtenir l’assouplissement des conditions carcérales auprès des responsables correctionnels. En 2002, lors d’une visite à un journaliste condamné pour délit d’opinion, grande avait été notre stupéfaction (nous [JB Kongolo] avions déjà démissionné volontairement de la magistrature) de trouver un détenu politique recevant la presse, recrutant de nouveaux membres de son parti politique, offrant la boisson à ses visiteurs et haranguant la foule composée d’autres condamnés et détenus sous une tente dressée à l’intérieur de la prison centrale de Makala. Il se raconte vraisemblablement que certains prisonniers privilégiés[6], connus des Kinois, ont même pu avoir deux à trois enfants avec leurs épouses « légitimes » alors qu’ils n’ont jamais bénéficié d’une quelconque libération conditionnelle.

De son vivant, notre compatriote Marcel Kabundi (paix à son âme!), qui avait atteint des hauts sommets de la hiérarchie dans l’administration pénitentiaire canadienne, nous avait confié qu’après la prise du pouvoir par l’AFDL, il s’était rendu au Congo pour proposer aux nouvelles autorités un modèle évolué de gestion des services correctionnels mais que celles-ci l’avaient boudé. C’est finalement à la République Centrafricaine qu’il a pu offrir ses services sous l’égide de l’ONU, peu avant sa mort.

3. L’évasion massive de Makala : une mise à jour de l’incompétence des hommes au pouvoir

A. Ministère de la Justice 

L’évasion massive et spectaculaire de la prison centrale de Makala continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive sans que personne ne soit en mesure d’informer correctement l’opinion sur les véritables commanditaires ni encore moins sur le mobile réel. Pendant longtemps encore, et peut-être pour toujours, les Congolais ne connaîtront jamais la vérité étant donné que le mensonge est institutionnalisé au sommet de l’État comme méthode de gouvernance. Avec son arrogance légendaire, le Ministre de la Justice s’est d’abord précipité d’informer l’opinion publique que seuls cinquante prisonniers s’étaient évadés tandis que le même jour, des sources plus crédibles que celle officielle démentaient ce chiffre: « Les premiers chiffres du nombre d’évadés de la prison de Makala ont été donnés par monsieur Thambwe Mwamba, ministre congolais de la justice : 50 évadés, pas de morts ». Disait-il la vérité ou mentait-il ? Le temps que le soleil se couche, d’autres sources d’information ont éclairé l’opinion :        

Radio Okapi: Évasion à Makala: la Fondation Bill Clinton signale une cinquantaine de morts. 

RFI: Évasion à la prison de Makala en RDC: plus de 4600 détenus seraient en fuite? Durant toute la journée du 17 mai, des témoignages des riverains faisaient état d’un flot ininterrompu de prisonniers qui s’étaient évadés.  

« De sources concordantes et dignes de foi, voici le bilan de l’attaque et l’évasion de la prison centrale de Makala à Kinshasa : plus ou moins 4.600 évadés sur une population carcérale de 8.300 personnes, plus de 300 morts identifiés et plusieurs bureaux et véhicules incendiés. Aucune commune mesure avec les affirmations de monsieur Thambwe Mwamba le 17 mai 2017 au matin. De qui se moque-t-on ? Monsieur Thambwe Mwamba avait donc menti. S’il a menti sur le chiffre, qu’est-ce qui dit qu’il n’en a pas fait de même sur les autres aspects de l’événement ? Par exemple, l’évasion de Ne Muanda Nsemi, ou même à propos des présumés attaquants ? Ce mensonge, c’est celui qui apparaît aujourd’hui. Et ceux des autres jours ? Et dans d’autres dossiers ? »[7]

Rattrapé par ses propres mensonges et n’ayant aucune explication crédible et convaincante à donner aux Congolais, ce ministre à l’injure facile s’est cru en droit de qualifier « d’idiots ceux qui parlent de mascarade ».[8]

C’est pourtant lui qui, tambours battants et grâce au financement de l’Union Européenne, avait organisé les états généraux de la justice en 2015, dont il se révèle lui-même incapable de mettre en œuvre les recommandations. Selon Human Rights Watch : « Le principal défi à venir sera pour le gouvernement congolais de transformer l’engagement de haut niveau durant les états généraux en une véritable volonté politique d’aller de l’avant avec les recommandations et de commencer la mise en œuvre des réformes concrètes. »[9] Il est important de relever qu’au cours de ces états généraux, inaugurés par le Chef de l’État et qui avaient duré du 27 avril au 2 mai 2015, plusieurs thématiques avaient été abordées par les participants, dont l’administration pénitentiaire : « Plusieurs thématiques ont fait l’objet des échanges durant les travaux. Il s’agit entre autres de l’administration pénitentiaire, – la santé, l’alimentation des détenus, l’hygiène et les droits humains-; de la lutte contre l’impunité, de l’indépendance de la Justice, de l’accès à la justice à travers des juridictions de proximité; du barème salarial des magistrats… »[10]

Quelles explications, le Ministre de la Justice peut-il fournir à la nation pour justifier le chiffre de 8300 détenus dans une prison construite pour 1500 places? Le Président Kabila est-il fier de son ministre ou comment peut-il justifier la reconduction de ce dernier et son maintien dans trois gouvernements successifs (Matata Ponyo, Samy Badibanga et Bruno Tshibala), à la tête de ce ministère régalien? Le Premier ministre Bruno Tshibala, peut-il oser interpeller ce professionnel de la politique qui lui a été imposé? Pour un peu d’histoire, c’est à la diligence de ce même ministre que Maître Tshibangu Kalala (aujourd’hui ministre d’État auprès du Premier Ministre), avait été arrêté et détenu illégalement pour avoir exigé, en tant qu’avocat que l’État congolais lui paie ses horaires avant de lui restituer les pièces qu’il détenait, dans l’affaire opposant la RDC à l’Ouganda devant la Cour internationale de Justice(CIJ)[11]. Avec l’évasion massive et spectaculaire de la prison centrale de Kinshasa, ce ministre qui n’a rien de nouveau à proposer, est rattrapé par l’absence réelle de volonté politique, de faire de la justice un pilier de la démocratie. C’est à juste titre que, dans notre analyse du 15 juin 2015, nous avions qualifié ces états généraux de « vaste opération de distraction ».[12] Les faits nous donnent aujourd’hui raison.

B. Le Parquet général de la République

 A la suite du Ministre de la Justice, qui annonçait que les dossiers des évadés étaient intacts, le Procureur Général de la République, Flory Kabange Numbi, s’est contenté à son tour de qualifier « de rumeurs l’absence des dossiers et le manque de procès pour nombreux détenus écroués, soit arbitrairement soit pour des faits bénins depuis des mois ou des années. »[13] Mais comment justifie-t-il alors ce chiffre record de 8300 détenus dans une seule prison et combien d’actions disciplinaires a-t-il déjà ouvertes contre les magistrats, dont lui-même, qui arrêtent arbitrairement et détiennent illégalement des Congolais membres des partis politiques autres que ceux de la minorité présidentielle (MP) ?[14] Lui et son ministre de tutelle, sont-ils vraiment sérieux, lorsqu’ils demandent indistinctement, même aux évadés détenus arbitrairement, de rentrer volontairement à la prison après de longues périodes de tortures et de souffrances injustes? Comment comptent-ils rattraper sans dérapage des milliers d’évadés dans une mégapole comme Kinshasa et, surtout, dans un pays où la carte d’identité nationale a inexplicablement disparu de la circulation depuis l’entrée du conglomérat d’aventuriers de l’AFDL en 1997 ? A ce propos, il convient de faire remarquer qu’à Kinshasa comme dans tout le reste du pays, aucun registre de l’état civil n’est à jour, ceux qui existent contiennent tellement de lacunes qu’ils ne peuvent pas servir à l’identification adéquate de la population.

Voici une vidéo surréaliste montrant la prétendue évasion de Ne Muanda Nsemi, convoyée librement dans les rues de Kinshasa sans aucune intervention policière :

C. Les autorités policières et sécuritaires

L’évasion massive et spectaculaire de la prison centrale de Kinshasa traduit également l’incompétence et des autorités policières et sécuritaires du pays. Tous les témoignages se rejoignent et affirment que depuis quelques années, cette prison était hautement surveillée par les éléments de la garde républicaine, la troupe militaire la mieux équipée du pays et directement attachée à la sécurité présidentielle. En raison de nombreux prisonniers militaires et politiques qui y séjournent, il avait été décidé d’y affecter des militaires comme responsables de l’administration pénitentiaire. Le directeur déchu de cette prison avait le rang de colonel, de même pour celui qui le remplace. D’où la question que de nombreux observateurs se posent, de savoir comment, avec un tel dispositif sécuritaire, l’évasion aussi massive que spectaculaire a pu être possible? Le Ministre de la Justice attendait-il qu’il y ait pareille évasion pour enfin penser à installer des caméras de surveillance?

Avec des autorités politiques, judiciaires, militaires et policières, tous menteurs et qui nous ont habitués à des mises en scène[15], qui aujourd’hui peut vraiment croire à la thèse d’une attaque orchestrée par les adeptes de Bundu dia Kongo d’autant plus que ce n’est pas un mouvement à proprement parler militaire et dans la mesure où, selon les images vidéos qui circulent, les détenus sont sortis allégrement et sans précipitation ? Quel Congolais ignore ou a oublié qu’il n’y a pas très longtemps, Ne Muanda Nsemi était allié politique de Joseph Kabila ? Pour de nombreux torts causés à la population lors de différentes manifestations pacifiques, la police est en tout cas très mal placée pour demander sa collaboration dans la délation des évadés. On se trouve finalement dans un scénario de la réponse du berger à la bergère.

Malheureusement, comme cette police est autant indisciplinée qu’incompétente, d’innombrables cas de dérapages sont signalés dans plusieurs communes de la ville de Kinshasa, où la police s’adonne à son exercice favori d’arrestations arbitraires et d’extorsion d’argent et des biens des paisibles citoyens. « Dans un communiqué reçu mardi à APA, l’ACAJ accuse les agents de l’ordre d’avoir notamment perquisitionné les domiciles de Kinois « en violation des droits fondamentaux des citoyens ». Par conséquent, cette ONG invite le gouvernement à faire cesser ces abus et à ouvrir une enquête pour en établir les responsabilités. Le commandant de la police dans la ville de Kinshasa, le général Célestin Kanyama a cependant rassuré que «la police va arrêter tous les évadés sans dérapage selon le dossier de chacun ».[16]

Conclusion 

Après un mandat de fait (2001-2006) et deux mandats constitutionnels plus ou moins controversés (2006-2011), voici Joseph Kabila en train de glisser subtilement vers un autre mandat à durée indéterminée alors que dans la quasi-totalité des secteurs, son bilan de seize ans d’exercice du pouvoir est largement négatif. Nous en voulons pour preuve, la justice congolaise qui laisse à désirer et qui n’inspire la confiance ni de la population ni des investisseurs étrangers sérieux.

L’évasion massive et spectaculaire de la prison centrale de Kinshasa et de certaines autres du pays (Kasangulu et Kalemie…) n’est qu’un épiphénomène, conséquence de l’incapacité des dirigeants actuels d’assurer au pays un développement harmonieux. A cours d’idées et de vision, ils s’accrochent au pouvoir en multipliant des artifices et des mises en scènes qui ne convainquent plus personne. Sous d’autres cieux, le ministre de la Justice aurait démissionné. Pour mauvaise gestion, pour incompétence, pour usage des mensonges et d’un langage arrogant et irrespectueux à l’endroit de la population et enfin pour sa dignité personnelle, Thambwe Mwamba devrait démissionner.

À l’époque du MPR où Kengo wa Dondo était Procureur général de la République, le professeur Augustin Mampuya avait été démis de ses fonctions de Commissaire d’État (Ministre) à la Justice, jugé et jeté en prison pour moins que ça. Tous ces faits devraient inciter le souverain primaire à s’affranchir en actionnant les dispositions de l’article 64 de la Constitution. Quant aux futures autorités, elles sont désormais prévenues de la nécessité de moderniser les prisons existantes et d’en construire de nouvelles pour accueillir, dans le respect de la dignité humaine, tous ces criminels à col blanc qui ont pris tout un peuple en otage et qui croient que la prison, c’est seulement pour les autres.

Jean-Bosco Kongolo M.

Juriste & Criminologue

Exclusivité DESC

Références

[1] 7sur7.cd, 17 mai 2017, In http://7sur7.cd/new/2017/05/17-mai-1997-20-ans-apres-lentree-de-lafdl-a-kinshasa-henri-mova-et-le-pprd-presentent-un-bilan-tres-positif/.

[2] Consulté sur internet, le 24 mai 2017, à 10h 04

[3] Jean-Jacques Wondo, 2014. In https://afridesk.org/fr/repenser-le-penitentiaire-et-promouvoir-les-sanctions-communautaires-en-rdc-jj-wondo/.

[4] Selon son avocat Me Peter Ngomo : « Il ne restait que le prononcé, parce que le Procureur général de la République avait déjà donné son avis, qui était d’ailleurs favorable pour une cassation sans renvoi dans cette cause là. Mais, jusqu’aujourd’hui, il n’y a aucune information. On ne sait pas ce qu’il en est de ce dossier. Même le dossier  physique est introuvable au niveau de la Cour suprême. », In http://www.radiookapi.net/actualite/2013/01/07/cour-supreme-de-justice-le-dossier-de-firmin-yanganmbi-aurait-disparu-selon-son-avocat/.

[5] Radio Okapi, 18 mai 2017, In http://www.radiookapi.net/2017/05/18/actualite/justice/les-dossiers-des-evades-de-la-prison-retrouves-intacts-rassure-alexis.

[6] Nous taisons leurs noms.

[7] Cheik Fita news, 18 mai 2017, In http://congolaisdebelgique.be/evasion-a-makala-thambwe-mwamba-avait-il-menti-au-peuple-ou-pas/.

[8] Politico.cd, 18 mai 2017, In http://www.politico.cd/encontinu/2017/05/18/evasion-de-makala-parlent-de-mascarade-idiots-affirme-alexis-thambwe.html.

[9] AFP, 2mai 2015, In http://oeildafrique.com/rdc-les-etats-generaux-de-la-justice-recommandent-la-lutte-contre-toutes-les-formes-dimpunite/.

[10] Eventsrdc.com, 2mai 2015, In http://www.eventsrdc.com/apres-les-etats-generaux-de-la-justice-place-aux-actes/.

[11] Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba n’a fourni aucune preuve que le gouvernement a déjà payé des honoraires de Me Tshibangu Kalala. L’avocat de ce dernier, Me Kayembe Mukeny, l’a affirmé jeudi 29 octobre à Radio Okapi. Il réagissait aux propos du ministre qui aurait déclaré devant l’Assemblée nationale que l’avocat de la République incarcéré depuis septembre dernier aurait perçu une partie de ses dus. « Nous le mettons au défi de nous montrer une seule de décharge qu’aurait signée le professeur », déclare Me Kayembe Mukeny., Radio Okapi, 29/10/2015, In http://www.radiookapi.net/2015/10/29/actualite/justice/pour-lavocat-de-tshibangu-kalala-thambwe-mwamba-na-pas-prouve-le.

[12] Kongolo, JB, 2015, États généraux de la justice en RDC: vaste opération de distraction, In https://afridesk.org/fr/etats-generaux-de-la-justice-en-rdc-vaste-operation-de-distraction-jean-bosco-kongolo/?

[13] CONGO SYNTHESE, 18 mai 2017, In http://www.congosynthese.com/news_reader.aspx?Id=20754.

[14] Pour ceux qui ne le savent pas, le Procureur Général de la République a la plénitude de l’action publique sur toute l’étendue de la République.

[15] Lire le décryptage réalisé par Desc sur la vidéo de l’assassinat des deux experts de l’ONU, In http://afridesk.org/fr/desc-investigation-assassinat-des-enqueteurs-de-lonu-les-incoherences-de-la-video-diffusee-par-le-gouvernement-congolais/

[16] APA news, 27 mai 2017, In http://apanews.net/fr/news/rdc-des-ong-denoncent-des-abus-dans-la-traque-des-evades-de-makala.

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5 Comments on “Évasion de la prison de Makala : autre aspect du bilan négatif de J. Kabila – Jean-Bosco Kongolo”

  • nuaka reagan

    says:

    Bonjour!
    Il y a de cela au moins un mois que je ne reçois plus les infos de newsletter sur ma boite electronique.
    Prière de régulariser cette situation.
    Merci!

    • Cher fidèle lecteur de afridesk.org nous vous remercions pour votre observation et vous prions de nous excuser pour le désagrément occasionné par la suspension momentanée de nos newsletters. En effet le succès toujours croissant desc-wondo a fait augmenter le nombre de nos fidèles abonnées et d’autres charges de gestion. Ce qui nous contraint , entre autre, à adapter notre infrastructure informatique en conséquence. Notre service newsletter sera très bientôt à nouveau opérationnel.
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  • Chris

    says:

    Excellent exposé Mr. Kongolo! Selon la théorie dite : « Swiss Cheese Model”, qui, traduit en Français, est le “Modèle de Raison”, sous-entend que “La plupart des accidents sont la conséquence d’une succession de faits et/ou de comportements qui conduisent à l’accident. Si l’on retire un élément de la chaîne, on peut au pire ne pas changer grand-chose, au mieux éviter l’accident.”

    Pour le regime Kabila et incidentalement pour toutes les institutions qui le compose, il y a une multitude des faits qui s’alignent qui vont précipiter très prochainement une avalanche. C’est malheureusement inevitable à ce point. Certains officines, Américains entre autres, suggerent déjà que le pire est certain, et orientent leurs analystes à planifier comment preparer « the aftermath” (l’après-coup). Si seulement les Congolais pouvaient prendre en main leur destin…

  • Christian

    says:

    Quand on est soi-même nul, on fait de gros efforts pour que les illuminés vous couvrent. Pour cela, la corruption est l’arme la plus efficace. Kabila a bien étudié l’homme politique congolais et l’a maîtrisé. Le seul à lui avoir échappé fut le regretté Etienne Tshisekedi. Personne ne va égaler cet homme durant les deux décennies qui viennent. La personne qui va l’égaler n’est pas encore née.
    Passons! Disons que Kabila a réussi à faire de sorte que tous ces politiciens qui vivaient entre autres du vagabondage politique se stabilisent mais à ses côtés. Ils lui dictent quelle attitude adopter et lui à son tour remplit leurs comptes en banque.
    Kabila est incapable d’accorder une interview, car il sera rattrapé comme ce fut après sa réélection frauduleuse de 2011. Ce jour-là, il avait reconnu qu’il y a eu fraudes. Après cette interview, les caciques lui avaient fait des reproches: « un président ne dit pas ça. Vous avez confirmé que vous avez été réélu frauduleusement. Un président, même s’il est fautif, utilise des termes plus vagues pour échapper ». Depuis ce jour-là, il ne parle plus en public, il n’accorde plus d’interview en Français, ne maîtrisant pas cette langue.
    Il prend ses paroles et les mets dans la bouche de Mende et par moment dans celle de Thambwe ou de Minaku.
    Que peut-on attendre d’un tel personnage? Rien du tout.
    Kabila a fait rater aux congolais un virage important de leur histoire. La rattrapage sera difficile car l’enseignement a tout simplement été détruit.
    Ce que moi j’attends de ces évasions est le retour du boomerang. Parmi les évadés, il y a des militaires aguerris. Vont se résigner et laisser Kabila faire? Voilà toute la question.

  • Sulatani la passion du congo

    says:

    Nous apprecions une fois de plus la bonne et efficace analyse du compatriote Kongolo,nous ne cesserons de le dire ce qui manque à notre pays ce ne sont nullement pas de têtes bien faites mais bien au contraire leurs gestions au mieux le système ,Kabila étant un médiocre personnage ne peut pas attirer vraiment les meilleurs fils et filles congolais (es) à la place il se fait entourer de la racaille menteurs et flatteurs à la recherche de l’argent facile mais avec les sanctions grandissante combinée à la préssion interne nous finirons par leurs faire lacher prise et faire souffler un nouveau vent qui apportera l’espoir d’un avenir sérein

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