Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 23-07-2013 07:08
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Etrange ballet diplomatique au moment où les FARDC dominent le M23

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Etrange ballet diplomatique au moment où les FARDC dominent le M23

Kagaùe-Museveni-UhuruLa semaine écoulée a été marquée par deux événements diplomatiques de taille, la visite du nouveau président kenyan, Uhuru Kenyatta, inculpé par la CPI pour avoir incité ses militants aux exactions meurtrières qui ont émaillé les élections kényanes de 2007 et la visite du président Kabila au président Denis Sassou Nguesso à Brazzaville.

Comment interpréter ces événements au moment où sur le terrain militaire dans le nord Kivu, les troupes loyalistes congolaises infligent une série de revers militaires au M23 soutenu par le Rwanda et l’Ouganda, d’après plusieurs rapports d’experts de l’ONU.

Si dans certains milieux politiques congolais, ces activités sont saluées et applaudies comme un succès diplomatique pour le président Kabila, au niveau des analystes, la question qu’on se pose est pourquoi subitement cette effervescence diplomatique au moment où la situation militaire semble favorable au Congo et défavorable au M23 et ses parrains rwandais et ougandais ?

S’agissant de la visite du président kenyan Uhuru, ce qui échappe à la vigilance de certains observateurs est quelques semaines auparavant, en fin juin 2013, les présidents Museveni, Kagame et Uhuru, boudés par Obama lors de sa tournée africaine et devenus progressivement indésirables et infréquentables sur le plan international, se sont rencontrés à la State House de l’Ouganda à Entebbe.  Les trois présidents Une réunion tripartite certes à caractère économique car visant à renforcer le développement des infrastructures et du commerce dans la région de l’Afrique de l’Est. Mais compte tenu de la tension sécuritaire qui agite la région voisine des Grands Lacs dont font partie l’Ouganda et le Rwanda, le trio ne pouvait pas ne pas parler de la crise ni de la situation de la RDC qui préoccupe particulièrement l’Ouganda, confronté par la menace de l’ADF dont on dit être alliée aux islamistes de Al-Shabaab, et le Rwanda menacé d’un côté par les FDLR tout en continuant de l’autre côté à soutenir le M23 en perte de vitesse. Que se sont ils dit à trois à Entebbe?

Conscients qu’une rencontre Kagame, Museveni et Kabila alimenterait plus de suspicions dans les milieux congolais qui avaient très mal accueillis la visite surprise du président Congolais à Kampala, rigolant à fou rire avec ses homologues rwandais et ougandais au lendemain de la prise de Goma et pendant que l’ensemble de la population endeuillée par les exactions du M23 était sous le choc, la stratégie de Kagame et Museveni était sans doute de passer cette fois-ci par un nouvel allié dans cette solidarité négative qu’est Uhuru Kenyatta, relégué lui aussi aux marges des relations internationales pour les faits reprochés contre lui par la CPI.

C’est pour cela, justifiant un retour du Nigeria, Uhuru a fait un passage à Kinshasa où il a eu un tête-à-tête avec Kabila dont peu d’éléments ont filtré, comme d’habitude lors des rencontres similaires. Seules les déclarations s’apparentant à la langue de bois ont alimenté la conférence de presse tenue par le président Kenyan. Et le DESC de se poser la question légitime si Uhuru était porteur d’un message de Kagame et Museveni invitant leur homologue Kabila à la retenue sur le champ des batailles au moment où le M23 subit la contre-offensive militaire des militaires FARDC décidés de laver une fois pour toutes l’affront subi ces derniers temps à la suite des ordres venus de leur hiérarchie à Kinshasa les obligeant de stopper toute offensive militaire chaque fois que nos troupes aveint la supériorité militaire. Et nous étions les premiers, en contact avec des FARDC au front depuis juin 2012, à dénoncer ces actes de trahison car mandatés par certains d’entre eux, avec qui nous continuons à communiquer, à les diffuser au grand public. Depuis, les faits nous ont donné raison par des langues qui se délièrent même au sein des FARDC interrogées par les médias étrangers.

Le constat que l’on peut tirer de ce passage de Uhuru à Kinshasa est qu’au moment où le M23 est militairement très affaibli suite aux raisons évoquées dans notre analyse relative à l’ultime guerre de Goma (http://afridesk.org/faut-il-craindre-une-ultime-bataille-de-goma-en-gestation/), et que l’on perçoit la nette volonté des Fardc et leurs commandants d’unités de combat de poursuivre l’ennemi M23 jusqu’à son dernier retranchement,  en poursuivant des initiatives offensives au lieu de se limiter par des contre-attaques, on observe une étonnante accalmie militaire. Sur le plan tactique, la subtilité opératique adoptée par Kinshasa et nous le tenons des militaires FARDC au front est celle de laisser Kinshasa l’initiative de prise de décision d’ordonner, à plus de 1500 Km du théâtre des opérations, toute action offensive à mener contre le M23. Alors que tactiquement, cette initiative devrait revenir du commandant de la zone d’opérations, qui, généralement, peut-être le commandant de la région militaire concernée, pour le cas des FARDC et  qui est le point focal de ce niveau et de qui dépendront toutes les actions menées par toutes les forces déployées sur les zones de combat du théâtre d’opération concernée.

En effet, au lieu de laisser le niveau opératique – qui reste du domaine ‘exclusivement militaire’ car directement lié au théâtre d’opérations (militaires) – dépendre directement du commandant des opérations mieux placé sur le terrain à Goma pour apprécier l’opportunité d’une action offensive et la liberté de la mener, Kinshasa a décidé de reprendre l’exclusivité de cet échelon. D’où  l’incompréhension de certains officiers déployés sur le terrain qui nous ont fait part de leurs craintes de constater que Kinshasa était cette fois-ci subtilement engagée dans une stratégie de « geler » les actions offensives. Nos contacts nous ont affirmé que Kinshasa leur dit d’  «attendre» leurs ordres. Des ordres qui ne viennent pas ou qui viennent très en retard, permettant à l’ennemi de s’organiser entretemps alors qu’  « il faut battre le fer pendant qu’il est chaud » nous disent-ils.

En effet, le niveau opératif ou opératique reste indispensable pour la conception, la planification, l’organisation du commandement, l’organisation du théâtre des opérations, la définition des mesures de coordination et des règles d’engagement, la conduite générale des opérations, l’articulation des forces et leur coordination sur le terrain, au regard du principe de l’unité de commandement. Ce, en vue de prévenir des interférences hiérarchiques ou politiques contre-productives. (Les armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force publique aux FARDC).

Ceci permettra d’éviter, par exemple, de voir des unités combattantes qui ne répondent qu’aux ordres du président de la République, comme cela s’est passé lors des opérations lors des combats contre la rébellion du M23 en 2012.  Pour aider le commandant de la zone d’opération à accomplir sa tâche, il doit disposer d’un Etat-major dont le rôle est de traduire les directives données par le niveau stratégique en ordres opérationnels qui seront soumis à son approbation avant d’être transmis aux forces. Le commandant de la zone d’opération n’a pas seulement un rôle de concepteur, il ne reste pas en permanence à son poste de commandement, il doit aussi se rendre sur le terrain pour s’assurer du bon déroulement des opérations, apprécier la situation, s’inquiéter du moral des troupes et donner verbalement des consignes à ses subordonnés. Il doit être activement soutenu et accompagné dans la réalisation de cette tâche par le Chef d’Etat-major général des armées et le chef d’état major de l’armée de terre pour la situation concrète actuelle au Nord-Kivu. (Les armées au Congo-Kinshasa – Radioscopie de la Force publique aux FARDC).

Donc, plutôt que donner des ordres d’arrêt des combats ou de repli, il y a une subtile stratégie de ne pas donner des ordres ou de les donner assez tardivement lorsque l’ennemi essaie de se reconstituer alors qu’en laissant l’initiative de l’appréciation des manœuvres et de l’engaement des troupes aux chefs opérationnels déployés sur le terrain, le M23 n’existerait sans doute plus aujourd’hui. C’est la grande crainte ressentie auprès des troupes et l’affaire du Colonel Mamadou Ndala, malgré la rumeur qui en était à sa base est loin d’être anodine. Depuis, nous avons recommandé aux FARDC de s’organiser pour se mettre en contact avec la population et la société civile, chaque fois qu’ils constatent des comportements compromettants de la part de leur hiérarchie. Ainsi, le peuple devenu désormais gendarme de ses politiciens, dont certains jouent à la duplicité, saura quoi faire en multipliant toutes sortes de pression à leur égard. Cela a marché ce 18 juillet 2013 et c’est la ligne de défense commune FARDC-Nation qu’il faille désormais adopter pour éviter les coups fourrés de 2012.

Une autre activité qui a émaillé la semaine dernière fut la visite de Joseph Kabila au président Denis Sassou Nguesso. Une rencontre qui a s’est tenue à Brazzaville, après celle d’Oyo, la ville natale du Président Sassou, a traité questions relatives à la situation sécuritaire dans la partie Est de la RDC, mais aussi du blocage des concertations nationales décidées par le président Kabila en dehors du cadre lui recommandé et des engagements souscrits dans l’accord-cadre. Il est à constater que depuis la veille des élections congolaise de novembre 2011, les relations  bilatérales entre la République du Congo et le Rwanda se sont intensifiées, notamment par des échanges commerciaux et l’ouverture d’une ligne  aérienne Kigali-Brazzaville-Libreville par la Compagnie rwandaise de navigation aérienne, la Rwandair Express. Et le Rwanda a compris qu’une manière de séduire politiquement Brazzaville à défendre sa cause belliciste au Congo, passe par les arguments économiques. En outre, i y a lieu de rappeler que depuis janvier 2013 le président congolais Denis Sassou Nguesso assure la présidence tournante de la CIRGL, une organisation régionale fortement excentrée à l’Est du continent et dominée par le Rwanda et l’Ouganda. Il n’est pas exclu que cette visite à Brazzaville ait été influencée par une diplomatie de l’ombre que tente de déployer Kagame ces derniers temps pour rallier certains dirigeants à sa cause (perdue ?).

Jean-Jacques Wondo

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