Jean-Jacques Wondo Omanyundu
SOCIÉTÉ | 07-08-2013 18:04
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Et si on remettait le Général Kissasse en mémoire … par Iseewanga Indongo-Imbanda

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Et si on remettait le Général Kissasse en mémoire …

Par Iseewanga Indongo-Imbanda, Sociologue/Chercheur indépendant

 

 

 

ImageKissasse (à droite) en compagnie de Iseewanga Indongo-Imbanda (à gauche). Photo prise en 1990 à Berlin, lors d’une réunion convoquée par le PNR après le discours de Mobutu annonçant la « démocratisation » au Zaire.

Je vous présente, dans les lignes qui suivent, un papier nécrologique que j’avais écrit et publié il y a quelques années dernière, à la mémoire de mon camarade de lutte tombé pendant la campagne de l’AFDL (1996-1987)

et dont le nom continue à être un tabou dans les annales officielles de la RD Congo. J’ai nommé, ici, le Général Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke (André) qui avait été successivement Président du Parti National de la Rénovation (PNR, créé en 1985) et du Conseil National pour la Restauration de la Démocratie (CNRD, créé au début des années 90). Le but poursuivi par la présente publication, remise à jour, est, comme l’énonce son intitulé, de l’avoir en mémoire et, surtout, d’exiger qu’on le proclame, nommément et officiellement, un martyr de la lutte pour la démocratie en RD Congo et pour le mieux-vivre du peuple congolais, au même titre que beaucoup d’autres disparus pour la même cause.

Le mois de janvier est indéniablement le mois le plus triste et le plus tragique dans l’histoire du temps présent de la République Démocratique du Congo. Nous en voulons pour preuves :

  • le 4 janvier 1959, de nombreux compatriotes tombaient sous les balles des éléments de la Force Publique, créée en 1886 par Léopold II pour maintenir l’ordre colonial – compatriotes qui, en réponse à l’annulation en dernière minute d’un meeting de l’ABAKO, étaient descendus dans les rues de la capitale (Léopoldville) pour manifester leur exacerbation par rapport aux sévices corporels et moraux dont ils étaient l’objet, pendant de longues années, de la part de l’administration coloniale ;
  • le 17 janvier 1961, M. Patrice Emery Lumumba, premier et unique Premier Ministre congolais élu démocratiquement, M. Maurice Mpolo, Ministre de la Jeunesse et des Sports, puis brièvement Chef d’état-major, et Joseph Okito, Vice-Président du Sénat congolais, étaient, au Katanga, victimes d’un assassinat odieux « dont la Belgique » – comme vient de l’établir le rapport de la Commission sénatoriale belge sur l’assassinat de Lumumba -, « porte la plus grande responsabilité avec la bénédiction américaine de la CIA et l’hypocrite complicité de l’appareil des Nations-Unies » ;
  • le 6 janvier 1997 marque la date de la disparition, dans des conditions mystérieuses et demeurées jusqu’à ce jour sombres, de M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke (André) à qui ce papier est dédié et dont le 5e anniversaire de la disparition doit interpeller toute Congolaise et tout Congolais, épris de paix et de liberté, et, au-delà, nous pousser à combattre sans discontinuer les injustices, les exclusions et la dictature sous toutes leurs formes ;
  • le 16 janvier 2001, 40 ans après l’assassinat de P.E. Lumumba, le Président L.D. Kabila a été abattu par un de ses gardes du corps, selon certaines sources, rejoignant ainsi, dans « l’au-delà », ses compagnons de lutte à la tête de l’AFDL, M. Kissasse Ngandu et Masasu Nindaga.

A ces martyrs qui, d’une façon ou d’une autre, avaient sacrifié leurs vies pour la libération progressive du peuple congolais de ses peurs et des forces d’oppression s’ajoutent les noms des patriotes militants, parfois anonymes, des mouvements de revendications politico-socio-culturelles qui se sont battus ou qui continuent à se battre pour que s’installe sur le sol de nos ancêtres un Congo uni, libre, démocratique et où il fait bon vivre.

Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke, qui était-il ?

Lumumbiste fervent et convaincu de longue date, M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke (André) avait pris le maquis, en compagnie du feu Général Nicolas Olenga, du vaillant camarade Pierre Mulele et d’autres lumumbistes, au début des années 60 du siècle dernier, pour réinstaller, au Congo-Léopoldville, le pouvoir lumumbiste auquel les forces réactionnaires et leurs commanditaires avaient mis fin à travers l’élimination politique et physique de M. P.E. Lumumba et la soumission du gouvernement de la République populaire du Congo (Stanleyville) dirigé par A. Gizenga (Vice-Premier Ministre au sein du premier gouvernement congolais sorti des élections libres, démocratiques et transparentes).

Au vu de l’incapacité des partis et mouvements d’opposition, toutes tendances confondues, à enclencher le mécanisme devant déboucher sur le changement du système et du régime politiques au « Zaïre » de Mobutu et face aux graves dissensions affichées par la famille lumumbiste, déchirée par les choix antagonistes de ses dirigeants, M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke avait créé, en 1985, avec un groupe des « Zaïroises » et des « Zaïrois » aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur – dont l’auteur du présent texte – un parti politique, le Parti National de la Rénovation – PNR en sigle – dont le lumumbisme, repensé et relu en fonction des réalités de l’époque, était le référent conceptuel opératoire.

La « transition » se voulant de plus en plus éternelle dans « l’ex-Zaïre » et pour répondre aux réalités politiques nouvelles de l’époque, il fut, à l’unanimité, décidé, au début des années 90 du siècle dernier, de mettre fin à l’existence du PNR, de créer une nouvelle structure politique – le Conseil National pour la Restauration de la Démocratie, CNRD – et de transférer son siège, pour soins appropriés, non-loin du territoire national, c’est-à-dire dans un pays limitrophe du « Zaïre » où M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke avait aussi élu domicile.

Le PNR et le CNRD – deux organisations politiques lumumbistes dont M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke avait assumé successivement la coiffure -, avaient toujours, en sus de leur projet originel de faire du Congo un pays véritablement démocratique, milité en faveur de la création d’une structure organisationnelle au sein de laquelle les partis et mouvements d’opposition au régime mobutiste, tout en gardant leur autonomie, devaient constituer des pièces d’un dispositif fondé sur la volonté commune de placer l’intérêt national au dessus de tout. Ce projet fut réalisé à travers la création par 4 partis politiques (ADP, Alliance Démocratique des Peuples, D. Bugera ; CNRD, Conseil National pour la Restauration de la Démocratie, A. Kissasse Ngandu ; MRLZ, Mouvement Révolutionnaire pour la Libération du Zaïre, Masasu Nindaga ; PRP, Parti de la Révolution Populaire, L.-D. Kabila), en octobre 1996, de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Kinshasa (AFDL), alliance destinée à mener la guerre de libération pour renverser Mobutu et dont la branche militaire était coiffée par le Commandant Kissasse qui, en plus, avait en charge la Vice-Présidence.

En réponse à un compatriote qui nous avait, à l’époque, posé la question de savoir si l’action initiée par l’AFDL ne serait pas déphasée par rapport aux exigences du moment et aux acquis de la Conférence Nationale Souveraine (CNS), nous avions fait remarquer que, d’un côté, depuis le discours du Président Mobutu du mois d’avril 1990, le « Zaïre » n’en finissait pas de se débattre dans un cycle de crises à répétition et que, de l’autre, la classe politique « zaïroise », dans son ensemble, avait montré, face au malaise social grandissant dont l’actualité témoignait chaque jour davantage, son incapacité à transcender des conflits d’ordre individuel et politicien, à définir la riposte à apporter à la situation précaire, créée par la crise générale de la société, et, surtout, à prendre en compte, dans ses projets et démarches, les aspirations profondes et les intérêts majeurs des populations.

Autrement dit, l’action, à notre avis, de grande envergure engagée en son temps par l’AFDL s’inscrivait dans la dynamique de la recherche des voies et moyens conduisant à l’établissement d’un système véritablement démocratique dont la mise en place posait, au préalable, le problème de l’émergence des valeurs nouvelles et de la modification des comportements, de la cohésion des actes avec les discours.

Pourquoi le Général Kissasse avait-il été assassiné ?

Évitant d’habitude de faire le plein politique avec du vide intellectuel, le Général Kissasse n’avait eu de cesse d’inviter les Congolaises et les Congolais à prendre la barre politique et militaire en mains propres – nous disons bien « Congolaises » et «Congolais ». Ce qui n’était pas sans aller à l’encontre de ceux qui, à partir d’une façade de soutien désintéressé, rêvaient de contrôler les richesses de notre pays. Ce, en cherchant, par le biais de leurs hommes de paille, à garder leur mainmise sur l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre. La suite des événements a donné raison au Commandant Kissasse dont le discours, confirmant le droit du peuple congolais à l’indépendance, constituait un danger imminent pour ceux qui avaient en vue d’exploiter la RD du Congo comme un pays conquis.

Ce qui, de l’avis de plus d’un observateur, devait arriver arriva. Ainsi, le 6 janvier 1997, le Commandant Kissasse était lâchement assassiné au motif qu’il avait pris à temps la mesure du danger de destruction et de nuisance, par rapport à l’avenir de notre pays, que représentaient ceux qui prétendaient nous soutenir comme aussi ceux qui aspiraient au pouvoir pour le pouvoir.

A peine le corps du Général Kissasse, ou ce qui en restait, était-il refroidi que l’on se tirait d’affaires en semant la bonne parole à sa famille, ses proches, amis, connaissances et compagnons de lutte : la bonne parole que l’on prêche après un événement bouleversant et lugubre. On contait qu’il avait trouvé la mort, armes à la main, au cours d’une embuscade tendue par les forces ennemies. Le chemin de son cadavre reste inconnu. Ses funérailles sont l’objet de riches légendes. On contait aussi que les commanditaires de son assassinat avaient ordonné que l’on brûle son corps et éparpille ses restes… Mais de tout cela, ce qui est vrai et ce que nous savons, c’est qu’on avait refusé à ses petits-enfants, à ses enfants, à son épouse, à ses parents et à ses amis de récupérer son corps et d’organiser une mise en terre digne de son rang. Sans forme quelconque de considération, sans cérémonies rituelles et sans parterre des fleurs, il a été expédié dans l’autre monde … Cependant, il s’en est allé avec une grande fierté, celle d’avoir déclenché le mouvement qui avait mis fin à une ère obscure, de tyrannie et de répression, mais … hélas !

Le Général Kissasse, est-t-il apparu très tôt ? A-t-il seulement disparu ? Force nous est de souligner, dans cet ordre des choses, que le facteur temps, en politique, prend d’autres significations. Une façon d’affirmer que le Général Kissasse continue à représenter le reflet de la dignité du peuple congolais – dignité qui doit, à tout prix, être rétablie -, et que son projet nationaliste demeure une source d’inspiration pour les Congolaises et les Congolais.

La question de savoir si M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke aurait mis en application ce qu’il prônait dans ses discours échappe à notre connaissance. Ce qui, cependant, est vrai, c’est que les ennemis de la RD du Congo avaient veillé à ce qu’il n’ait pas la chance de finaliser son projet. Comme Lumumba, Mpolo, Mulele, Okito et beaucoup d’autres, le Général Kissasse a fini sa vie, enfoui dans une tombe anonyme et inexistante.

Par sa mort, le Général Kissasse dont les discours n’étaient pas de vaines paroles, mais constituaient, pour mieux dire, le fil conducteur à l’action, a porté son nom, en caractères indélébiles, sur la liste, déjà longue, des martyrs de l’indépendance, de la démocratie, de la justice, de la liberté et du mieux-être.

Le devoir de la mémoire du passé et celui de la mémoire du futur nous poussent à poser à qui de droit les questions ci-dessous :

  • pourquoi les circonstances de la disparition du Général Kissasse continuent-elles à demeurer obscures ?
  • pourquoi le nom de M. Kissasse Ngandu Pene Lufanyeke (André), Chef de la branche militaire et Vice-Président de l’AFDL, constitue-t-il un non-nom et pourquoi a-t-il disparu des annales du mouvement qui avait conduit à la chute du Président Mobutu
  • pourquoi aucun signe mémorable n’a été érigé, un signe en souvenir de ce combattant de liberté dont le nom avait marqué le début de la lutte de libération de son emprise rigoureuse au point d’être appelé par les compatriotes de l’Est « le vrai Zaïrois » pour le distinguer des autres dont la citoyenneté était douteuse ?

Il va sans dire que les questionnements ci-haut soient, pour des raisons diverses, l’objet de heurts de la part de ceux qui ne cessent de proclamer l’abstention comme forme d’action et refusent de ce fait de comprendre … comprendre signifie, ici, vouloir et agir. A ceux-là qui refusent l’action, nous disons s’abstenir, c’est se jeter aux pieds de ceux qui croient contrôler le réel, c’est aussi rejeter en bloc toute autre forme de pensée…

Que ces lignes concourent à garder jalousement vivante, dans la conscience collective des Congolaises et des Congolais, la mémoire du Général Kissasse, notre ancien compagnon d’armes – ceux qui nous ont connu(s) dans le cadre du combat commun, mené, d’abord, de l’extérieur et, ensuite, à l’intérieur du territoire national, contre le régime mobutiste avilissant et déshumanisant ne nous contrediront pas en relation avec cette caractérisation de nos liens -, le Général Kissasse qui, à l’exemple de Lumumba et de beaucoup d’autres, est mort pour que vive la RDC.

Iseewanga Indongo-Imbanda

 

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