France : Un pays en état d’urgence, à l’épreuve de la guerre hybride
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
A la suite des tragiques événements de Paris du 13 novembre 2015, le président de la République François Hollande a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire français. S’il permet aux autorités administratives de prendre des mesures urgentes de sécurité publique, il implique également la restriction des libertés de la population. La présente analyse vise à éclairer l’opinion sur la notion d’état d’urgence et les implications que cette mesure peut induire, notamment en termes de restrictions des libertés individuelles et de conceptualisation de la menace qui relève de la guerre hybride ou de quatrième génération ou .
Par ailleurs, la situation d’état d’urgence de la France pourrait également induire une récupération politique en Afrique où certains régimes peuvent trouver dans cette formule, un argument (juridique ou légal) pour soutenir la volonté manifestée par plusieurs dirigeants africains de bafouer les constitutions et les institutions en vue de se maintenir au pouvoir. Cela avec le double corollaire que ces mesures accroissent des risques d’une part, d’amener certains jeunes des diasporas africaines, frustrés, en Occident de se lancer dans des actes terroristes dans les pays de leur accueil et d’autre part, de plonger certains pays africains dans des graves crises sécuritaires semblables à la France, en témoigne la situation actuelle du Burundi. Mais cet aspect sera développé dans un article qui sera écrit par Boniface Musavuli, le coordinateur adjoint de DESC : « Le risque de mimétisme des présidents africains ».
L’état d’urgence en France, qu’est-ce à dire ?
Institué en France par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et motivé alors par la situation en Algérie, l’état d’urgence est un régime exceptionnel[1] qui, en cas de la survenance d’une situation exceptionnelle de troubles, « confère aux autorités civiles, dans l’aire géographique à laquelle il s’applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes ». Il renforce les pouvoirs de l’autorité administrative[2].
Il s’agit d’un régime intermédiaire entre l’état de siège et la situation normale. Ce régime exceptionnel organisé par la loi no 55-385 du 3 avril 1955 coexiste avec d’autres modalités de gestion de crise : l’état de siège prévu par l’article 36 de la Constitution, les pouvoirs exceptionnels inscrits à l’article 163 et enfin la théorie des circonstances exceptionnelles. L’état d’urgence peut être déclaré sur la totalité ou sur une partie du territoire métropolitain ou des départements d’outre-mer soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et par leur gravité, le caractère de calamité publique. Déclaré, ainsi que l’indique la loi de 1955, par le seul législateur[3], il ne peut être prorogé au-delà d’une durée de douze jours que par une loi qui fixe sa durée définitive.
Qu’est-ce qu’un état d’urgence en droit ?[4]
Sur le plan juridique, « un état d’urgence est une réaction juridique temporaire, généralement constituée par une déclaration gouvernementale, faite en réponse à une situation grave et exceptionnelle posant une menace fondamentale à la nation ». La déclaration peut suspendre certaines fonctions du gouvernement, prévenir les citoyens de la nécessité de modifier leur comportement habituel ou autoriser les agences gouvernementales à mettre en œuvre des plans de préparation à l’urgence, ainsi qu’à limiter ou suspendre certains droits de l’homme ou libertés civiles. Le besoin de déclarer un état d’urgence peut survenir de situations aussi diverses qu’une action armée à l’encontre de l’Etat par des éléments internes ou externes, une catastrophe naturelle, des troubles internes, une épidémie, une crise financière ou économique ou une grève générale.
Quels sont les principaux éléments constitutifs d’un état d’urgence ?[5]
Les états d’urgence possèdent deux composantes :
Un cadre légal consistant en des bases constitutionnelles et législatives, destiné à réglementer l’état d’urgence, et
Un cadre opérationnel impliquant une structure organisationnelle et des plans stratégiques, destinés à faire face à l’état d’urgence. Bien que distinctes, ces deux composantes doivent être compatibles ; en d’autres termes, le cadre légal doit prendre en compte les exigences opérationnelles, et les exigences opérationnelles doivent respecter le cadre légal, y compris le droit international.
Le régime d’état d’urgence est prévu dans la législation de nombreux pays avec des particularismes aussi bien par rapport aux conditions d’application qu’à la procédure de mise en œuvre et aux effets qu’il induit[6]. Il s’agit, de manière générale, des pouvoirs garantis au parlement pour veiller à ce que ce régime d’exception ne puisse pas porter des atteintes disproportionnées à l’état de droit. Sur le plan international, l’état d’urgence est régulé par l’article 4.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU (1966)[7].
Etat d’urgence – Etat de siège – Etat de guerre : trois notions proches mais différentes[8]
En droit constitutionnel :
L’état d’urgence est une mesure prise par un gouvernement en cas de péril imminent dans un pays. Dans une telle situation, certaines libertés fondamentales peuvent être restreintes, comme la liberté de circuler, la liberté de la presse, liberté de manifestation… Contrairement à la deuxième notion, ces libertés seront sous autorité inhabituelle d’où la définition de l’état de siège[9].http://afridesk.org/wp-admin/post.php?post=15937&action=edit
L’état de siège est un régime exceptionnel et temporaire mettant en place une législation qui confie à une autorité militaire la responsabilité du maintien de l’ordre public. Dans ce cas, nous serons face à un transfert de compétence car les pouvoirs de police normalement exercés par les autorités civiles sont transférés aux autorités militaires, sans que ce transfert soit absolu et automatique, puisqu’il faut que l’autorité militaire le juge nécessaire. Mais en dehors de ces limitations, l’état de siège n’a pas d’autre incidence sur le régime des libertés publiques, qui subsistent, malgré ces restrictions[10].
L’état de guerre est une situation de déclaration de guerre par un Etat à un autre, autrement dit c’est un recours à la lutte armée contre un ou plusieurs adversaires[11].
Quelles conséquences possibles à la suite de la déclaration d’un état d’urgence
Les conséquences directes et indirectes de l’instauration d’un état d’urgence consistent particulièrement en la prise des mesures spéciales axées sur le renforcement des dispositifs de sécurité autour des lieux publics, des points stratégiques, des points vitaux, des sites industriels. C’est le cas de « l’Opération Sentinelle », lancée le 12 janvier 2015, visant à mobiliser de manière permanente 7 000 militaires à travers la France en vue de la protection des sites sensibles.
Il y a aussi le Plan Vigipirate[12]. Il s’agit d’un plan gouvernemental de 300 mesures, qui relève du Premier ministre et associe tous les ministères. Ce plan est un outil central du dispositif français de lutte contre le terrorisme, qui prend acte du maintien durable de cette menace à un niveau élevé. C’est un dispositif permanent de vigilance, de prévention et de protection, qui s’applique en France et à l’étranger, et qui associe tous les acteurs du pays : l’Etat, les collectivités territoriales, les opérateurs susceptibles de concourir à la protection et à la vigilance, les citoyens. Il est alimenté par l’évaluation de la menace terroriste faite par les services de renseignement, et en cas d’attaque terroriste, il peut être prolongé par des plans d’intervention spécifiques qui mettent en œuvre des moyens spécialisés[13]. De 2003 à 2013, le plan Vigipirate a utilisé un code couleur à cinq niveaux[14] allant du blanc au rouge écarlate selon qu’il y a absence d’indication de menace (le blanc) ou que la menace est certaine et qu’il faut prévenir des attentats majeurs (rouge écarlate). Depuis février 2014, Vigipirate n’utilise plus que deux niveaux : la Vigilance permanente et l’Alerte attentat impliquant une protection renforcée face à une menace caractérisée. C’est à ce titre que l’armée a été mobilisée pour mener des patrouilles ou assurer une sécurité permanente sur certains sites sensibles. Des treillis militaires qui, naturellement, suscitent le sentiment que « la nation est en guerre ». Contre qui ?
La France entre-t-elle dans la guerre de « quatrième génération » ?
« Nous sommes en guerre ». La France est « en guerre » et « frappera » son « ennemi » l’organisation Etat islamique pour le « détruire ». « Ce que je veux dire aux Français, c’est que nous sommes en guerre (…) oui, nous sommes en guerre » et « nous agirons et nous frapperons cet ennemi » djihadiste « pour le détruire » en France, en Europe, en Syrie et en Irak. Le tout dans une réponse qui se ferait « au même niveau que cette attaque ». Tels sont les propos tenus le samedi 14 novembre 2015 dans la soirée par le Premier ministre français, Manuel Valls.
Faire allusion à la guerre dans le cadre de la lutte contre les djihadistes signifie faire recours à l’armée pour combattre un ennemi qui ne recourt pas aux mêmes principes (symétriques) de la guerre, mais bien aux actes terroristes. Cela implique de définir les notions de guerre asymétrique (a) et de « terrorisme » (b).
a) La guerre asymétrique
L’évolution de la guerre dans l’histoire a accouché la nécessité pour chaque Etat de développer sa défense nationale. Il s’agit d’une notion qui fait référence à la défense d’un territoire bien délimité géographiquement et organisé en Etat. Et cette défense se fait en principe par une armée qui recourt à la guerre dite conventionnelle, classique ou symétrique. Joseph Henrotin établit trois caractéristiques distinctives d’une guerre conventionnelle (par rapport à une guerre asymétrique)[15] :
D’abord, la guerre classique est le fait d’une armée issue d’un Etat à l’autorité duquel elle est soumise et doit répondre – ce que n’est pas une force irrégulière. Force organisée et structurée de façon précise (un critère qui peut être partagé par certaines forces irrégulière), ses membres portent un uniforme les rendant identifiables de façon claire à l’adversaire. Ainsi, dès le XVIIIe siècle déjà, Jean-Jacques Rousseau précise dans le Contrat social que « la guerre n’est point un rapport d’homme à homme, mais une relation d’Etat à Etat ». Cette définition de la guerre comme conflit armé entre Etats souverains demeure une référence généralement admise par les politologues et polémologues, même si cette notion a vu son interprétation évoluer et changer au cours de l’histoire, au point de susciter une certaine confusion parmi les stratégistes et les experts qui ont élargi la notion de guerre au terrorisme[16].
Ensuite, dans la plupart des cas, les forces régulières menant une guerre classique sont censées s’appuyer sur les règles de la « juste guerre » ou la « guerre juste »[17]. Contrairement à la guerre asymétrique, la guerre régulière est largement balisée. Selon les cultures stratégiques considérées, elle peut s’interdire le recours délibéré aux frappes sur les civils – même si cela n’est pas souvent le cas. Par ailleurs, dans la mise en action des forces, une guerre régulière voit deux armées clairement identifiées s’opposer dans un conflit, qu’il soit limité ou total, où prime la recherche de la soumission de la volonté adverse. Fréquemment, il est question de prise ou de défense d’une zone géographique bien identifiée et déterminée. A l’opposé, la guerre irrégulière a un rapport au territoire différent : si une force irrégulière peut disposer de sanctuaires qu’elle contrôle politiquement, sa mise en action se fait selon une nomadisation : le mouvement fait partie de son identité stratégique[18].
Dans une analyse publiée le 13 août 2015, intitulée « La transformation de la nature de la guerre : Les guerres de quatrième génération »[19], nous avons relevé le fait de la mutation de la nature de la guerre en ce sens que l’Etat perd progressivement son monopole de la violence légitime et par conséquent, la nature de la guerre est en train de changer[20]. Il s’agit des « nouvelles guerres » dites « hybrides » ou « guerres de la quatrième génération », qui voient une transformation significative de la nature de la guerre caractérisée par la diminution du rôle des conflits directs entre Etats[21]. La caractéristique de cette guerre, inspirée de la culture stratégique[22] orientale, est qu’elle sera probablement fortement dispersée et largement indéfinie ; la distinction entre guerre et paix sera brouillée jusqu’au point de quasi-disparition. Elle sera non linéaire, jusqu’à n’avoir pas de champ de bataille ou de front définissables… Les actions viseront les participants dans leur profondeur y compris au sein de leur société même…[23], comme en témoignent les attentats de Paris de janvier et de novembre 2015.
Les attentats de Paris de janvier et de novembre 2015, illustrent cette nouvelle guerre qui vise, non pas à attaquer les armées adverses ou à se battre pour la conquête des territoires, mais bien le mode de vie de la société occidentale : loisir, culture, sport, etc. De la sorte, d’un point de vue de la culture stratégique, la symétrie, associée souvent à la civilisation occidentale, est perçue comme le combat à armes égales, la dissymétrie étant la recherche par l’un des belligérants d’une supériorité qualitative et/ou quantitative. Il s’agit d’une forme de guerre dite asymétrique, qui consiste à la démarche opératique d’exploiter toutes les faiblesses et les points de vulnérabilités de l’adversaire pour être plus nuisible. Cela amène les stratégistes à réfléchir sur la conception et la nature de la menace et sur les moyens d’y répondre, notamment en termes de repenser la doctrine d’emploi des forces armées et de sécurité pour leur permettre une mutation stratégique et opératique qui soit conforme à cette menace de type nouveau.

Jusqu’il y a peu, les armées occidentales étaient friandes des techniques de guerre conventionnelle modélisées par Carl von Clausewitz (le choc frontal avec des armées en ligne). Face à la mutation de la menace, elles abandonnent progressivement cette stratégie quasi obsolète aujourd’hui, pour recourir aux techniques asymétriques. Le Général français Vincent Desportes, commandant du Centre français de doctrine d’emploi des forces, avance : « progressivement, les facteurs classiques de la puissance militaire, telle qu’imaginée au siècle écoulé, se trouvent remis en cause. La résurgence d’une opposition militaire de blocs ne peut, certes, être exclue et il est possible qu’une confrontation majeure se livre encore au cours du demi-siècle à venir sur le mode frontal et classique qu’a forgé le XXè siècle. En revanche, c’est une certitude que les armées auront demain beaucoup plus souvent à intervenir dans des conflits « gris », sans réelles frontières – entre « combattants » et « non-combattants », entre « extérieur » et « intérieur » – des conflits sans « cibles à détruire », sans adversaires clairement identifiables, des conflits où il s’agira davantage de lutter contre la « nuisance » que d’affronter la « puissance », des conflits où les effets à obtenir tiendront autant de l’immatériel que du matériel. Dans ces circonstances nouvelles, les éléments – hier constitutifs à eux seuls de la puissance des nations et du succès de leurs armes – voient leur pertinence se dégrader. Il faut donc repenser les outils et conditions des succès politiques[24] ».
b) Terrorisme, une notion difficilement maitrisable
Le terrorisme est certainement le sujet stratégique le plus souvent traité actuellement dans les médias. Il est présenté comme étant la principale menace pesant sur la sécurité mondiale. Il a, dans l’esprit du public et des médias occidentaux, remplacé comme élément de menace le péril soviétique de la période de la guerre froide. Nous le voyons par exemple dans le cadre de la politique de la Défense de la Belgique où l’intérêt pour l’Afrique est passé de la région des Grands-Lacs vers la zone du Sahel et du Maghreb où règnent respectivement Boko Haram et l’AQMI.
Il n’y a pas de définition unique du terrorisme. Personne n’accepte ce qualificatif. Ceux qui sont décrits comme terroristes par les uns se considèrent eux-mêmes comme des résistants. C’est le cas par exemple des combattants de l’Etat islamique.
Le mot « terrorisme » sert le plus communément à désigner certaines formes de « stratégies d’insurrection » contre un gouvernement que l’on veut affaiblir ou renverser. Le « terrorisme » ayant une connotation péjorative, il convient d’en donner une définition aussi neutre que possible. La définition de Derriennic qui considère comme « terroriste toute action violente qui tente de vaincre un ennemi, non en visant ses moyens d’action pour les neutraliser ou les détruire, mais en tentant de produire un effet de terreur qui agit directement sur sa volonté de poursuivre la lutte ». Cette thèse soutient alors que, en dehors de ses formes gouvernementales, le terrorisme est passé, dans ses grandes manifestations, de l’assassinat politique à l’assassinat de masse ou indiscriminé[25], et que la philosophie de l’histoire qui le sous-tend – si tant est qu’il s’agisse d’une philosophie – a été radicalisée pour donner, par une combinaison de ces deux dimensions, un terrorisme hyperbolique[26].
Il y a pourtant une différence de taille et des idées-reçues qu’il faille ôter de notre compréhension de cette notion : le terrorisme n’est pas une puissance, c’est un moyen d’action. Il y a un grand décalage entre les dégâts causés par le terrorisme et l’ampleur des réactions qu’il suscite. C’est parce qu’un attentat peut survenir en tout endroit à tout moment qu’il suscite autant d’angoisses disproportionnées face à la réalité de la menace. Il peut éventuellement frapper les citoyens de tous les pays dans l’exercice de gestes de la vie quotidienne, dans les transports, les écoles, les magasins, etc. Le terrorisme brise la distinction combattant/non combattant. Il fait du monde entier un champ de bataille généralisé. Pourtant, le nombre de morts qu’il occasionne est relativement limité, mais son territoire éventuel d’action et ses cibles sont illimités[27].
Le combattant asymétrique utilise « harcèlement, embuscades et surprises (pour) instaurer la panique, un sentiment d’’insécurité et contraindre l’ennemi à se retirer ». Le sentiment d’insécurité doit creuser l’écart entre l’occupant et la population. Pour ce faire, il utilise abondamment les armes du pauvre : les milliers d’IED (Improvised Explosive Devices : engins explosifs improvisés), principaux instruments des pertes militaires occidentales, ne sont que l’exemple le plus connu. Toutes les technologies supérieures de l’Occident – la « furtivité », l’« intelligence » des munitions, leur précision – sont retournées contre lui. Le « kamikaze » n’est-il pas un « missile du pauvre », une munition intelligente, précise, puissante, furtive et sans trace ? C’est que si la Guerre selon Clausewitz est la poursuite de la politique par d’autres moyens, la guerre irrégulière est la poursuite de la guerre par d’autres moyens.
Glissement de la rhétorique sécuritaire de François Hollande vers la GWOT de George W. Bush Jr
En déclarant : « La France est en guerre », puis en précisant : “La France n’est pas engagée dans “une guerre de civilisation”, mais contre le “terrorisme jihadiste“, la rhétorique sécuritaire du président français risque de suivre la même dialectique de la réaction de George W. Bush contre les attentats du 11 septembre 2001. A l’époque, Bush avait déclaré livrer la guerre contre « l’axe du mal » qui regroupait l’Irak, l’Afghanistan, la Corée du Nord et l’Iran. Et les Etats-Unis ont répliqué à l’attentat par une déclaration de guerre, la « guerre globale contre le terrorisme », la GWOT (Global War on Terrorism), faisant de lui ce « cow-boy qui a voulu abattre une guêpe avec un revolver »[28] dont les résultats sur le terrain ont été contreproductifs.
Cette analyse est partagée par Joëlle Meskens, envoyée permanente du quotidien belge Le soir à Paris dans un article dressant le portrait de François Hollande intitulé : « Comment le Président est devenu chef de guerre[29] ». La journaliste parle d’ « un François Hollande métamorphosé … mais déterminé ». Elle décrit un chef d’Etat qui a pris l’uniforme de chef de guerre. Mais cette fois plus seulement sur les théâtres extérieurs, comme il l’avait fait pour le Mali, la Centrafrique, l’Irak ou la Syrie. Chef de guerre sur son propre sol ». Et la journaliste de faire référence au livre publié par le journaliste du Monde, David Revault d’Allonnes : Les Guerres du Président, paru aux éditions du Seuil. Ce journaliste ne parle pas d’une transformation de l’homme en réalité, mais bien d’un portrait de double personnalité de Hollande, qui contraste avec sa réputation d’homme de la « synthèse molle » et que l’un de ses propres collaborateurs résume par ces quatre mots tranchants : « C’est un tueur ». Pour David Revault d’Allonnes, la transformation du Président s’est en réalité opérée depuis la guerre du Mali, en janvier 2013. C’est aussi à cette époques seulement que la filière française du Djihad vers la Surie entre dans les radars des autorités. « Ce qui ne fonctionnait pas sur la politique intérieure devient possible avec l’armée ». C’est alors la situation qui commande à Hollande de devenir martial. La situation, mais aussi l’entourage. « Il a autour de lui ses faucons. D’abord le ministre de Défense Jean-Yves Le Drian… » Avec ses autres faucons, le Premier Ministre Valls et celui de l’Intérieur Cazeneuve mais aussi avec Laurent Fabius, la patron du Quai d’Orsay que ses propres diplomates surnomment le « Dick Cheney », en référence (tranchées) à ses positions sur l’Iran et la Syrie, François Hollande s’est révélé. Aéropage auquel il faut ajouter le propre chef d’état-major d président, Benoît Puga, qui était déjà celui de… Nicolas Sarkozy. « Le véritable tournant du quinquennat de Hollande, ce n’est pas sa conversion au ‘libéralisme’. Le vrai tournant, c’est le tournant sécuritaire, assure l’auteur des Guerres du Président ».[30]
La similitude entre Bush Jr et Hollande est tellement frappante au point que pour le premier, quelques semaines après les attentats du 11 Septembre 2001, Bush Jr ordonne à l’aviation américaine, en coalition avec les Britanniques, de mener une offensive aérienne contre les bases des talibans en Afghanistan. Ces bombardements avaient pour but d’appuyer l’action de l’Alliance du Nord qui tente de renverser le régime des talibans, au pouvoir depuis 1996. De même, deux jours après le carnage de Paris, le dimanche 15 novembre 2015, Hollande a ordonné aux chasseurs français du dispositif militaire de la force Chammal, de lancer une série de raids aériens à Raqqa, dans le nord-est de la Syrie. Ces bombardements massifs ont détruit un poste de commandement, un camp d’entraînement et des infrastructures opérationnelles tenues par Daech, selon le ministère français de la Défense.
La lutte contre-terrorisme ne doit pas être ni une croisade ni une guerre
Déclarer une guerre, conçue comme totale en mobilisant toutes les forces et ressources nécessaires contre un moyen de combat, le terrorisme, en nommant un ennemi ou un belligérant – L’Etat Islamique – qui est , à l’instar d’Al-Qaïda, une organisation nébuleuse, difficilement identifiable dans un théâtre d’opérations bien défini et concret, peut relever d’une lecture stratégique erronée de la nature de cette nouvelle guerre. En matière de terrorisme, l’adversaire est « irrégulier », selon le droit international, car il fait recours aux principes de guerre (injuste) jugés non conformes au jus ad bellum et au jus in bello : il se fond dans la population, ne porte pas ouvertement les armes, n’appartient pas à une armée tirant son monopole de la violence légitime de l’Etat.
La lutte contre-terrorisme ne doit pas être et n’est ni une croisade ni une guerre, mais une action combinée et permanente, mêlant la recherche préventive du renseignement et la répression judiciaire. La lutte contre le terrorisme global ne relève pas prioritairement de l’intervention militaire mais de l’action coordonnée de la police, de la justice, des services de renseignement, de la coopération entre Etats et des actions politiques. La France et les Etats-Unis auraient dû, à l’instar de la Grande-Bretagne contre le terrorisme de l’IRA, qualifier d’acte criminel, les attentats du 15 novembre 2015 et les attaques du 11 septembre[31].
Enfin, il convient surtout de retenir qu’il n’existe ni terrorisme aveugle, ni terrorisme fou. Du comportement pathologique de certains exécutants, on ne peut en déduire que ceux qui en font recours sont dépourvus de toute rationalité. Il en va du terrorisme comme de ce que l’on qualifie d’« Etats voyous » : à nier le mode de rationalité de l’autre, on s’interdit de le comprendre, donc de le combattre efficacement[32].
S’il ne faut, certes, pas nier l’apport d’armes plus performantes, il ne faut pas, non plus, tomber dans l’excès inverse, qui consiste à penser qu’elles peuvent apporter la réponse à tous les maux. Plutôt que de se focaliser sur le rôle des opérations militaires, ne voudrait-il pas mieux se concentrer sur des solutions politiques qui, seules, peuvent garantir des succès durables ? s’interrogent Barthémémy Courmont et Darko Ribnikar pour conclure leur livre intitulé, Les guerres asymétriques[33].
Nécessité de revoir la doctrine de défense et d’emploi des forces de la France
Les événements de Paris vont certainement accélérer la réflexion menée actuellement en France sur l’usage des forces armées, de la gendarmerie et de la police. Cette déclaration de Manuel Valls va inévitablement entraîner une remise en cause du concept de menace et restructurer les missions des forces de défense et de sécurité en France et en Europe.
En effet, les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, du 11 mars 2004 en Espagne, de juillet 2005 au Royaume-Uni, les attaques de Charlie Hebdo en janvier 2015 et les récentes attaques du 13 novembre 2015 à Paris, relèguent au second plan la menace traditionnelle qui modelait l’organisation de la Défense nationale.
Sur le plan sécuritaire, ces attentats relèvent du domaine de la police et gendarmerie car ils ciblent la sécurité intérieure et l’ordre public. Cette déclaration de guerre faite par Manuel Valls inaugure l’entrée officielle de la France et de l’Europe dans la guerre de quatrième génération.
Au cœur de cette réflexion, il y a le constat selon lequel les États doivent désormais faire face à des menaces plus évolutives et moins prévisibles dont le périmètre et les capacités d’action sont multiples. Le terrorisme s’impose comme une menace omniprésente. Ainsi, en plus du déploiement des soldats dans la sécurisation du territoire français, l’idée est de remettre la gendarmerie au cœur de la stratégie de la défense du pays. La Gendarmerie en tant que force hybride (militaire et policière) pourra mieux s’adapter à l’évolution de la menace actuelle en France. La polyvalence et la double culture professionnelle de la gendarmerie en feraient un acteur central du dispositif de l’État dans ce domaine[34]. En effet, force essentiellement destinée à assurer, en temps de paix, le maintien et le rétablissement de l’ordre public et, en tant de guerre, des missions combattantes dévolues aux fantassins, la gendarmerie participe à la sécurité nationale intégrale.
Ce postulat stratégique vaut également pour la République démocratique du Congo où, dans une analyse en cours de finalisation, nous allons plaider en faveur de la restauration de la gendarmerie.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Références
[1] En France, le régime d’état d’urgence a été appliqué seulement six fois depuis 1955 : – en novembre 1954 suite à la vague d’attentats perpétrés par le Front de libération nationale algérien (FLN) ; – en mai 1958 après le coup d’État du 13 mai 1958 à Alger ; – en avril 1961 par le général de Gaulle après le putsch des généraux à Alger ; – en décembre 1984 suite aux violences indépendantistes en Nouvelle-Calédonie ; – en novembre 2005 suite aux violences urbaines en France ; et donc – en novembre 2015 après les attentats à Paris et à Saint-Denis.
[2] http://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-d-urgence/.
[3] Mais une ordonnance d’avril 1960 étend ce pouvoir déclaratif et habilite le gouvernement à le prononcer par décret en Conseil des ministres.
[4] Hubert Ledoux, Droit international et national : qu’est-ce qu’un état d’urgence ! https://docs.google.com, 13 janvier 2013.
[5] Hubert Ledoux, Droit international et national : qu’est-ce qu’un état d’urgence ! https://docs.google.com, 13 janvier 2013.
[6] « Étude de législation comparée n° 156 – janvier 2006 – L’état d’urgence », http://www.senat.fr/lc/lc156/lc156_mono.html
[7] « Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale. La proclamation de l’état d’urgence n’autorise pas les Etats à transgresser certains droits ou interdictions absolues : – droit à la vie, – liberté de penser, de conscience et de religion, – interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, – interdiction de l’esclavage et la servitude ».
[8] http://www.maliweb.net/societe/difference-entre-letat-durgence-letat-de-siege-et-letat-de-guerre-trois-notions-voisines-mais-non-identiques-125314.html.
[9] Mamoutou Tangara, Différence entre l’état d’urgence, l’état de siège et l’état de guerre : Trois notions voisines mais non identiques, http://www.maliweb.net/societe/difference-entre-letat-durgence-letat-de-siege-et-letat-de-guerre-trois-notions-voisines-mais-non-identiques-125314.html.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Le plan Vigipirate poursuit trois grands objectifs : – assurer en permanence une protection adaptée des citoyens, du territoire et des intérêts de la France contre la menace terroriste ; – développer et maintenir une culture de vigilance de l’ensemble des acteurs de la Nation afin de prévenir ou de déceler le plus en amont possible toute menace d’action terroriste ; – permettre une réaction rapide et coordonnée en cas de menace caractérisée ou d’action terroriste, afin de renforcer la protection, de faciliter l’intervention, d’assurer la continuité des activités d’importance vitale et donc de limiter les effets du terrorisme. Il repose sur un socle de mesures permanentes qui s’appliquent à tous les grands domaines d’activité de la société (les transports, la santé, l’alimentation, les réseaux d’énergie, sa sécurité des systèmes d’information…), sans induire de contraintes excessives sur la vie économique et sociale. Il prévoit également de nombreuses mesures additionnelles activées en fonction de l’évolution de la menace et des vulnérabilités, et qui permettent d’adapter le niveau de vigilance et de protection, en mobilisant tous les acteurs concernés.
[13] http://www.risques.gouv.fr/menaces-terroristes/le-plan-vigipirate.
[14] Niveau d’alerte 0 – couleur « blanc » signifie absence d’indication de menace ; – niveau d’alerte 1 – couleur « jaune »signifie menace imprécise ; – niveau d’alerte 2 – couleur « orange » signifie menace plausible ; – niveau d’alerte 3 – couleur « rouge » signifie menace hautement probable ; niveau d’alerte 4 – couleur « écarlate » signifie menace certaine.
[15] Joseph Henrotin, Techno-guérilla et guerre hybride. Le pire des deux mondes, Nuvis, Paris, 2014, p.29 – See more at: http://afridesk.org/la-transformation-de-la-guerre-les-guerres-de-la-quatrieme-generation-jean-jacques-wondo/#sthash.7YALNUeK.dpuf.
[16] See more at: http://afridesk.org/ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-partie-5-le-terrorisme-contemporain-est-il-une-forme-de-guerre-jj-wondo/#sthash.qPocnhVk.dpuf.
[17] Il s’agit d’une approche de la guerre conceptualisée par Saint Thomas d’Aquin pour qui une guerre est juste si elle remplit trois conditions : – elle doit être décidée par une autorité légitime (qui ne peut être une personne privée, ni un imam, la guerre est du ressort de l’Etat), – pour une juste cause (punir ou réparer une injustice), et
elle doit être faite avec une « intention droite », c’est-à-dire dans la préoccupation du bien commun et non de son intérêt personnel. Cela donna naissance au jus ad bellum (ou droit de recourir à la guerre) et jus in bello (qu’est-il permis ou non de faire pendant la guerre ?) Le jus in bello a contribué au développement du droit international humanitaire qui réglemente la manière dont la guerre est conduite. Il s’agit d’un corpus de principes éthiques, de normes, de coutumes et de règles à respecter dans le cadre du droit international humanitaire dans le déroulement d’un conflit armé de type conventionnel. L’objectif poursuivi est de limiter les souffrances causées par la guerre en assurant, autant que faire se peut, protection et assistance aux victimes de la guerre ainsi que la protection de leurs droits fondamentaux, qu’elles soient civiles ou militaires, alliées ou ennemies. Le jus in bello vise à protéger la vie et la dignité humaine des personnes touchées pendant un conflit armé. Il s’agit donc d’un ensemble de règles internationales qui restreint les moyens et méthodes de guerre et protège ceux qui ne participent pas ou plus aux combats.
[18] http://afridesk.org/la-transformation-de-la-guerre-les-guerres-de-la-quatrieme-generation-jean-jacques-wondo/#sthash.7YALNUeK.dpuf.
[19] http://afridesk.org/la-transformation-de-la-guerre-les-guerres-de-la-quatrieme-generation-jean-jacques-wondo/#sthash.9hdhZPfF.dpuf.
[20] Jean-Marc Flükiger, Nouvelles guerres et Théorie de la guerre juste, Editions Infolio, Suisse, 2011, p.11. – See more at: http://afridesk.org/la-transformation-de-la-guerre-les-guerres-de-la-quatrieme-generation-jean-jacques-wondo/#sthash.9hdhZPfF.dpuf0
[21] Ibid., p.18.
[22] La notion de culture stratégique est la référence à la culture comme outil d’explication des phénomènes guerriers, stratégiques et de sécurité. C’est l’idée qu’il existe des styles spécifiques, des styles (culturels) nationaux en matière stratégique. See more at: http://afridesk.org/la-transformation-de-la-guerre-les-guerres-de-la-quatrieme-generation-jean-jacques-wondo/#sthash.9hdhZPfF.dpuf.
[23] Ibid., p.21.
[24] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, Les Armées au Congo-Kinshasa…, 2è Ed., 2013, p.385.
[25] Michael Walzer, Guerres justes et injustes (1977, 1992). – See more at: http://afridesk.org/ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-partie-5-le-terrorisme-contemporain-est-il-une-forme-de-guerre-jj-wondo/#sthash.qPocnhVk.dpuf.
[26] Quelques formes et raisons de la guerre, Stephen Launay, http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2004-1- page-9.htm.
[27] Pascal Boniface, La Géopolitique, 2ème Edition, Eyrolles, Parsi, 2014, p.41. See more at: http://afridesk.org/ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-partie-5-le-terrorisme-contemporain-est-il-une-forme-de-guerre-jj-wondo/#sthash.qPocnhVk.dpuf.
[28] Christian Malis, Guerre et Stratégie au XXIè siècle, Fayard, Paris, 2014.
[29] Le Soir, lundi 16 novembre 2015, p.15.
[30] Joëlle Meskens, « Comment le Président est devenu chef de guerre, Le Soir, lundi 16 novembre 2015, p.15
[31] http://afridesk.org/ce-quil-faut-savoir-sur-la-guerre-partie-5-le-terrorisme-contemporain-est-il-une-forme-de-guerre-jj-wondo/.
[32] Thierry Widemann, « Le terrorisme : un phénomène polymorphe », in Comprendre la Guerre. Histoire et notions, Ed. perrin, Paris, 2012, p.50.
[33] Barthémémy Courmont et Darko Ribnikar, Les guerres asymétriques, IRIS, PUF, Paris, 2002, p.261.
[34] GENDARMERIE NATIONALE, Commandement des écoles DE LA GENDARMERIE NATIONALE, Document PDF, mis en ligne www.lagendarmerierecrute.fr/content/download/4389/…/OGDSI+2015.pdf. ÉDITION : janvier 2015.
One Comment “France: A country in a state of emergency, the test of hybrid warfare – Jean-Jacques Wondo”
Daniel Ndyanaho
says:Je trouve la plateforme desc wondo plus intéressante en ce sens que j’apprends beaucoup plus comment fonctionne le secteur de la défense dans mon pays, la RDC