Jean-Jacques Wondo Omanyundu
GÉOPOLITIQUE | 08-07-2013 13:21
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Le Rwanda de Paul Kagamé, une présidence controversée

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Le Rwanda de Paul Kagamé, une présidence controversée

(Le Journal International 05/07/2013 – 15:28)

« Si « effet Kagamé » il y a, c’est parce que les Rwandais croient en Kagamé. Et s’ils croient en lui, ce n’est pas parce qu’il est Kagamé, mais à cause de tout ce qu’ils ont accompli ensemble et qui a changé leur vie ». Dans une interview accordée à Jeune Afrique, Kagamé apparaît comme l’homme providentiel rwandais, le leader charismatique qui a réunifié le pays aux mille collines après sa déchirure en 1994. Cependant, les avis sont partagés. Kagamé ne fait pas l’unanimité. Quid d’un homme à double visage, leader démocratique et dictateur totalitaire ?

Le 19 juillet 1994, le génocide rwandais prend officiellement fin avec la nomination de Paul Kagamé au poste de vice-président. Bien qu’il soit le numéro 2 de l’État, il s’impose vite comme l’homme fort du Rwanda et force le président Bizimungu à la démission en 2000. Une réélection plus tard, Kagamé est encore à la tête du plus petit pays d’Afrique, et au cœur d’une controverse dépassant les frontières du pays des milles collines.

UNE OUVERTURE ÉCONOMIQUE
Depuis le début des années 2000, le Rwanda suit une trajectoire économique stable et soutenue, avec un taux de croissance du PIB supérieur à 7 % depuis 2011. Loin devant ses voisins ougandais (4,4 % en 2012) et burundais (4,3 % en 2012), il s’impose comme un leader économique de la région des Grands Lacs.

Cette expansion économique, le Rwanda la doit à Kagamé. Restructurations, réformes de l’entreprenariat, accès au crédit facilité, tout est mis en œuvre pour faire du Rwanda le poumon économique de l’Afrique des Grands Lacs. Depuis 1994, le président rwandais a su utiliser à bon escient l’aide étrangère qui permet au Rwanda de se reconstruire à grands pas – 40 % du budget national vient de l’étranger.

A ces grandes réformes s’ajoute une population jeune, héritée, d’une part, de la transition démographique terminée, et d’autre part, du génocide de 1994. Ce dernier, ayant fait plus de 800 000 morts sur une population totale de 8 millions d’habitants, laissant le pays à la génération née pendant ou après 1994 (plus de la moitié de la population a moins de 18 ans). Celle-la même qui compte pour beaucoup dans la croissance économique rwandaise. La population jeune insuffle un nouvel élan à la croissance nationale, les entreprises se multiplient, l’agriculture n’a jamais été aussi développée. L’économie est donc jeune, l’entreprenariat encouragé : de ce point de vue là, l’action de Paul Kagamé à la tête de l’État rwandais est à louer.

C’est d’ailleurs grâce à cette expansion économique et à l’ouverture de l’économie aux investissements étrangers que le président rwandais s’est fait connaître des grands de ce monde. Tony Blair, alors en poste, a reconnu en lui un « leader visionnaire » quand Bill Clinton le complimentait sans cesse : la croissance rwandaise était la preuve matérielle que l’aide étrangère pouvait booster l’économie des pays pauvres, avec des résultats probants.

UNE MAIN DE FER SUR LES MILLE COLLINES
Mais tout n’est pas si positif dans le bilan des douze ans de Kagamé à la tête du Rwanda. Des opposants politiques qui disparaissent, des journalistes enfermés en prison : le Rwanda est dirigé d’une main de fer.

Tout se résume en trois lettres. FPR. Le Front Patriotique Rwandais est l’organe politique, militaire, et social de Paul Kagamé. Le parti politique d’abord. Si on ne parle pas de parti unique – la diversité politique existe – le FPR concentre toute la politique et le fonctionnement de l’État rwandais en son sein. Alors que la vie politique rwandaise était très peu développée jusque là, le FPR quadrille depuis son arrivée au pouvoir le terrain politique, parcelle par parcelle, allant jusqu’à étouffer les partis d’opposition. Ceux-ci, justement, sont muselés grâce à une loi votée en 2001 : tout personne morale jugée « divisionniste » est passible de poursuite judiciaire. Le terme est flou, sa signification douteuse. Le Mouvement Démocrate Républicain, principal opposant au FPR après 1994, en a fait les frais en 2003 : accusé de divisionnisme, il a été dissous et son leader Bizimungu, ancien président de la République, emprisonné. Plus significatif encore, un rapport de l’organisation Human Rights Watch établit qu’en 2003, « douze des quinze ministres, les juges de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, le Procureur de la République » étaient affiliés ou membres du FPR. La diversité politique n’est que de façade, dans les faits tous les organes étatiques sont dans les mains du parti présidentiel.

Du point de vue économique, si les réformes lancées par Kagamé sont louables, les relations entre politique et économie sont sujettes à controverse. Le FPR peut en effet s’appuyer sur un bras financier qui ressemble plus dans les faits à une colonne vertébrale de l’économie rwandaise ; le fond d’investissement Crystal Ventures Ltd pèse pour près de 500 millions de dollars et contribue pour beaucoup au développement économique rwandais. La question du conflit d’intérêt est posée : l’attribution des marchés publics entre entreprises du FPR et entreprises privées peut vite poser problème ou, du moins, soulever un débat.

Enfin, preuve que la mainmise de Kagamé sur le pays est omniprésente, ce sont les clubs Police FC et Armée Patriotique Rwandaise FC qui survolent le championnat de football rwandais. Mais cela relève de l’anecdote.

INGÉRENCE ET POLITIQUE RÉGIONALE
C’est peut être lorsque l’on dépasse les frontières rwandaises que la politique de Kagamé devient le plus discutable. On pourrait remonter les quinze dernières années et faire un bilan des relations entre la République Démocratique du Congo et Rwanda – invasions, pouvoir renversé, pillage institutionnalisé – mais les évènements de ces derniers mois restent sans doute le tournant politique des mandats de Kagamé. Accusé d’aider le mouvement rebelle M23 par un truchement d’armes, de munitions et surtout de combattants, le Rwanda de Kagamé s’est mis à dos le monde occidental. L’ingérence est le terme qui revient le plus, le Rwanda profitant de l’instabilité politique pour s’assurer l’extraction des richesses minières (coltan, cuivre, étain, or) présentes dans la région congolaise frontalière du Rwanda. Et les sanctions sont tombées : la tant aimée aide internationale au développement a été suspendue il y a quelques mois par beaucoup de ses contributeurs (Etats-Unis, Grande-Bretagne, UE), obligeant le Rwanda à anticiper un lourd déficit budgétaire.

« EN AUCUN CAS, NUL NE PEUT EXERCER PLUS DE DEUX MANDATS PRÉSIDENTIELS».
Le futur du Rwanda semble incertain. La pression internationale exercée via le levier financier est-elle suffisante ? Visiblement non, le Rwanda continuant ses exactions en sous-main en violant impunément l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, visant à rétablir la paix en RDC. La seule véritable sortie de crise réside sans l’alternance politique au Rwanda, dure à imaginer sans la Constitution de 2003. L’article 101 limite en effet à deux mandats la durée maximum d’un homme à la tête de l’État ; en 2017 donc, Paul Kagamé devra se retirer. Ce qu’il en pense ?
« J’encourage […] le débat sur le fait de savoir si la porte du maintien de ma contribution sous sa forme actuelle doit restée fermée ou être ouverte. ». Le débat est ouvert.

AMAURY HAUCHARD

– See more at: http://fr.africatime.com/rwanda/articles/le-rwanda-de-paul-kagame-une-presidence-controversee#sthash.pdqBAqNc.dpuf

 

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One Comment “Le Rwanda de Paul Kagamé, une présidence controversée”

  • Marie-Grace Mwenga

    says:

    Une analyse qui merite des discussions sur ce blog.
    Le phenomene Kagame n’echappe pas aux critiques qui sont d’ailleurs fondees.Mais qu’on analyse
    le parcourt de ce petit pays,meurtri qui a peine sort de ses cendres.S’l n’y avait pas la volonte des Rwandais eux-meme de prendre leur destin en mains,Kagame n’allait rien apporter.Et l malheureusement les pays d’Afrique ne suivent pas ce bel example de ce petit pays.

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