L’Afrique et l’équation insoluble de l’alternance démocratique au pouvoir ?
Par Jean-Jacques Wondo
Cet article a été publié pour la première fois le 13 août 2013.
Nous le republions pour rendre un vibrant hommage à l’ancien président béninois, Mathieu Kérékou, un des pères de la démocratie africaine, disparu le 14 octobre 2015, date d’anniversaire d’un autre féroce dictateur qui s’est montré très allergique à la culture démocratique, Joseph Mobutu en RD Congo.

En Afrique, depuis les années 1990, on peut distinguer progressivement deux Afriques contradictoires, évoluant à deux vitesses opposées. Celle, minoritaire, où la culture démocratie s’installe et prend progressivement corps ; et l’autre, majoritaire, récalcitrante et verrouillée par les dictatures et les présidences à vie (vieux comme jeunes) qui se servent des rituels démocratiques en copiant et collant aveuglement le modèle étatique occidental, son angle institutionnel et surtout organisationnel sans pour autant assimiler son esprit fonctionnel, la démocratie.
Le déficit d’alternance politique pacifique en Afrique est un fléau qui attise la déception des populations africaines à l’égard de l’importation de la démocratie à l’occidentale. Hormis quelques rares cas, comme nous le verrons ci-dessous, l’alternance au pouvoir en Afrique reste marginale au point que dans certains pays, seul un coup de force reste le recours ultime pour y parvenir. Les évènements récents en Guinée, au Mali, en RDC (1997, 2001), en RCA… nous rappellent cette triste réalité. Les Africains, notamment leurs élites intellectuelles, avaient vainement nourri l’espoir que le discours de François Mitterrand à La Baule, appelant les dirigeants africains à une libéralisation politique par la démocratisation de leurs institutions et le multipartisme ; et que la chute du mur de Berlin allait permettre à leur continent de connaître un glissement institutionnel des dictatures vers des régimes démocratiques. Hélas, ils sont allés un peu vite en besogne, malgré quelques îlots d’espoir et d’optimiste recensé ça et là.
1. Les Etats modèles où l’alternance démocratique au pouvoir devient une culture politique
Il y a une réalité politique africaine qui veut qu’il est quasiment impossible d’aboutir à une alternance au pouvoir de manière démocratique, à quelques exceptions près. En parcourant l’Afrique, l’on constate que l’alternance au pouvoir ne s’était réalisée que dans les pays suivants (la liste n’étant pas exhaustive):
En Zambie : (1990 et 2011) où les présidents sortant Kenneth Kaunda et Rupiah Banda ont respectivement perdu les élections en 1991 et 2011 au profit des cadidats issus de l’opposition.
Au Benin : En 1989, confronté à une grave crise économique et à des tensions sociales et politiques internes, le Président Mathieu Kérékou, sur les conseils de ses collaborateurs, convoque en février 1990 la toute première conférence nationale organisée sur le continent noir en vue d’engager le pays sur la voie de la démocratie et de la libéralisation de l’économie. Durant la conférence, il demande pardon au peuple et rassure les délégués sur le caractère « souverain » des assises et des résolutions qui en sortiront. « Les décisions issues de cette conférence, opposables à tous, seront appliquées à la lettre. Mais de grâce ne nous demander pas de démissionner. Vous pouvez nous destituer. ». A l’issue de cette conférence nationale souveraine, le pays, la République populaire du Bénin (RPB) sera baptisé la République du Bénin (RB), l’ancien drapeau multicolore reprend sa place, la constitution est votée et des institutions républicaines mises en place, ainsi qu’un régime semi-présidentiel conduit par le Premier ministre Nicéphore Dieudonné Soglo. Les premières élections présidentielles pluralistes et démocratiques sont organisées en 1991 et c’est l’opposant Nicéphore Soglo qui remporte le scrutin. Le Président Mathieu Kérékou se retire alors de la scène politique, mais cinq années plus tard, à la surprise générale, il prend sa revanche sur le président sortant, et est élu Président de la république avec 52% de voix. En mars 2001, le Président Kérékou est réélu pour un second mandat qui a pris fin le 5 avril 2006 à minuit. Alors que ses pairs africains modifient ou se taillent sur mesure la constitution pour s’accrocher au pouvoir ou que les successions politiques se déroulent parfois dans le plus grand chaos, le Président béninois, Mathieu Kérékou, frappé par la limite d’âge fixée par la Constitution, va à nouveau céder sa place à Boni Yayi, le 6 avril 2006.
Au Congo-Brazza : En 1991, face à la pression venue du discours de la Baule et au vent de l’est voyant des régimes communistes s’effondrer dans l’ex-Europe centrale, confronté également à son tour aux tensions sociopolitiques internes, le président Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir en 1977, décide d’organiser une conférence nationale qui eut lieu de février à juin 1991 en vue de réinstaurer le multipartisme au pays. En 1992, le pays connut une situation de troubles politiques et ethniques qui se traduit par des guérillas dans les banlieues de la capitale. Les élections générales seront organisées la même année. Le président sortant, Sassou Nguesso en classé en troisième position, est battu à plate couture par l’opposant Pascal Lissouba, allié à Bernard Koléla arrivé second à ces scrutins. Lissouba sera proclamé président en juillet 1992.
Une élection contestée par le clan de Sassou, qui va replonger le pays dans un cycle infernal de guerre civile à répétions. En 1997, de violents combats opposent pendant cinq mois les miliciens de Denis Sassou Nguesso aux partisans du président élu Pascal Lissouba et du premier ministre Bernard Koléla, transformant la capitale et les environs en un affreux champ de bataille. Soutenu par l’armée angolaise et fort de son contrôle à distance de l’appareil militaire et sécuritaire et soutenu par le groupe pétrolier français Total-Final-Elf, Françafrique oblige, accusée par la suite par Lissouba d’avoir financé l’achat de matériel militaire ayant servi aux combats puis à la répression menée par le régime en place, Denis Sassou va chasser du pouvoir par les armes, le 5 juin 1997, son rival démocratiquement élu, Pascal Lissouba. Le bilan est lourd : environ dix mille morts et de multiples exactions, attribuées aux deux camps, sans compter des centaines de milliers de déplacés, Il dirigera depuis le pays sans discontinuité en se taillant la constitution et organisant les élections sur mesure. Pour légitimer son pouvoir conquis par les armes, Sassou Nguesso est proclamé Président de la république le 13 mars 2002, au premier tour d’une parodie d’élections organisées le 10 mars 2002 et contrôlée de part en part par le ministère de l’Intérieur. Il va rééditer le même exploit le 15 juillet 2009 où le candidat Denis Sassou Nguesso sera déclaré par la Cour constitutionnelle acquise à sa cause, vainqueur au premier tour avec 78,61des suffrages exprimés, au terme des scrutins boudés par les électeurs et qui, selon plusieurs sources concordantes, ont connu un taux de participation inférieure à 40%. Mais l’essentiel était ailleurs : la légitimation de sa fonction présidentielle personnifiée et non la légitimité de son pouvoir. Le même Sassou Nguesso se bat bec et ongles aujourd’hui pour faire passer en force un référendum en vue du changement de la constitution dans le but de briguer un nouveau mandat, l’actuel constitution ne le lui permettant plus.
Le Ghana : Ce pays, devenu désormais pionnier en Afrique en matièred’alternance démocratique pacifique au pouvoir a connu deux alternances politiques en moins d’une décennie, en élisant un chef de l’Etat issu de l’opposition. D’abord en 2000 avec l’arrivée au pouvoir de l’opposant John Kufuor qui a battu John Atta-Mills, vice-président du capitaine Jerry Rawlings de 1997 à 2000. John Kufuor va battre à nouveau Atta-Mills en 2004. En 2008, John Att-Mills, docteur en droit fiscal formé en Grande-Bretagne et surnommé «prof», prendra sa revanche sur son rival, Nana Akufo-Addo, leader du parti de John Kufuor, le président sortant. Il va le battre avec 50,23 % contre 49,77 % des suffrages, soit seulement 40.000 voix d’écart, selon les résultats définitifs livrés par la commission électorale. Tandis que le vainqueur proclamait sa volonté d’être «un président pour tous», le vaincu le félicitait aussitôt et s’engageait à jouer un «rôle constructif pour l’avenir de la nation». Malgré quelques irrégularités ponctuelles pointées par le perdant, ce dernier ne contestera cependant pas sa défaite. Un fair-play politique salué par tous. Une success story propre à ébranler les convictions des afro-pessimistes les plus farouches et qui tend à mettre en évidence la valeur ajoutée de l’alternance démocratique au pouvoir. Une alternance réussie et saluée par le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon en ces termes: « exemple admirable »
Au Sénégal où Senghor cède le pouvoir à son Premier ministre Abdou Diouf en 1981, puis après une première alternance au pouvoir en 2000 entre Abdou Diouf et l’opposant, l’avocat Abdoulaye Wade. En mars 2012, le Sénégal a consolidé son ancrage de la tradition pacifique en matière de transmission démocratique du pouvoir et réussit une nouvelle fois une alternance démocratique au pouvoir avec l’élection du président Macky Sall avec 65% contre le président sortant, Wade. A une époque d’incertitude et de violences liées aux élections dans d’autres parties d’Afrique, il est réconfortant de voir que le peuple sénégalais, les hommes politiques, la société civile ont donné une bonne de leçon démocratique au Continent. Un succès exemplaire selon plusieurs analystes qui n’appelle qu’à faire des émules sous d’autres tropiques.
2. La Côte d’Ivoire, un cas d’école inédite !
Ce pays a connu en 2012 une alternance forcée, dans des conditions que nous connaissons et qui se passe de commentaire, qui accoucha dans la douleur d’une longue guerre civile, de plus de 10 ans, qui a vu le Président Alassane Dramane Ouattara succéder à son ennemi juré, Laurent Gbagbo, au terme d’un scénario électoral surréaliste et digne d’une tragicomédie macabre que seule l’Afrique, terre de toutes les convoitises des grandes puissances, est encore capable d’offrir en ce 21ème siècle.
3. Quelques pays allergiques à l’alternance démocratique
Une Vieille, règle africaine veut qu’« on n’accepte les élections que si l’on est sûr de les gagner». Une autre : « on n’organise pas les élections pour les perdre » (Omar Bongo).
Le Kenya, autrefois considéré comme le modèle du développement africain est plongé vers la descente aux enfers à la suite de l’élection présidentielle du 27 décembre 2007. En 2007, la suspicion de fraude avérée permet au président sortant Mwai Kibaki de se maintenir au pouvoir au détriment de son rival, l’opposant Raila Odinga. Les partisans de Raila Odinga Raila, considérant que leur leader est le véritable vainqueur des élections, contestent la réélection de Kibaki en raison de fraudes massives. Le Kenya s’enflamme, dès le 29 décembre, dans une guerre civile atroce dans plusieurs villes du pays où les partisans des deux hommes s’entretuent, avec un bilan de plus de 1 500 morts selon les sources policières et d’environ 300 000 déplacés selon la Croix-Rouge. Malgré, les nouvelles élections tenues en mars 2013, ce pays éprouve du mal à se relever et à se réconcilier avec lui.
La RD Congo, ce pays reste l’épicentre de l’alternance politique (et non démocratique) par les armes. Un pays qui a vu l’espoir suscité par la vague de la conférence nationale souveraine convoquée par Mobutu, pressé par ses soutiens occidentaux et la population, mais qui s’enlisa par la suite car le pouvoir étant resté hostile à ouvrir et jouer le franc jeu démocratique. C’est par les armes que le régime sera chassé en 1997 pour être dirigé des mains de fer par Laurent désiré Kabila, qui à son tour, sera assassiné en janvier 2001. Depuis sa succession par Joseph Kabila, le pays ne connaître plus jamais d’alternance au pouvoir, malgré deux parodies d’élections organisées avec l’appui de la communauté internationale en vue d’assurer le statu quo. Le changement par l’alternance étant vu comme une évolution incertaine vers l’inconnue dont les paramètres pourraient échapper au contrôle des soutiens occidentaux et régionaux du régime, selon les dires de deux diplomates de l’Union européenne. Dans ce cas, certains analystes estiment que seule une alternance forcée, à la centrafricaine où la Séléka a chassé Bozizé du pouvoir, reste la seule thérapie possible dans ce pays, démocratiquement anachronique, où l’on suppute déjà à l’éventualité d’un troisième mandat anticonstitutionnel du président Kabila, avec le silence ahurissant de ses alliés occidentaux. Au moment où on attend d’eux qu’ils donnent leur position diplomatique à titre préventif ! Que nenni ! Ils attendront que la forfaiture soit commise pour, dans un langage diplomatique soporifique, soit « prendre note » ou « prendre acte », en se limitant à exprimer juste leurs regrets ! Du déjà entendu qu’on réentendra sans doute…
Le Zimbabwe, le pays de l’expérimentation de l’’éternisation’ (ou ‘mugabê-tisation’) au pouvoir. Ainsi, les dernières élections viennent d’apporter une nouvelle recette à la machination électorale africaine qui fera certainement des émules sous peu : comment gagner des élections en planifiant des fraudes flagrantes mais difficiles à prouver juridiquement. Telle est la nouvelle tâche, selon des sources bien introduites au Palais de la Nation Congolaise, attribuée à l’irréductible Malu-Malu.
4. Le Burundi, une transition démocratique délicate et laborieuse mais volontariste qui nécessite un accompagnement accru de la communauté internationale. Pourquoi ne pas expérimenter en RD Congo une période de transition à la burundaise durant laquelle l’opposition et le pouvoir s’alterneront successivement au pouvoir avant d’aller aux élections ? Voilà un sujet de débat soumis aux ‘partagistes’ du pouvoir convoqués aux concertations made in Kabila. Au moins cette formule montrerait la bonne foi du régime actuel au Congo qu’il ne cherche pas à s’accrocher au pouvoir ! Pour l’instant, Pierre Nkurunziza s’est maintenu au pouvoir en flagrante violation des prescrits de l’Accord de pais d’Arusha et de la Constitution burundaise.
5. Le Burkina Faso, le Tchad, le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, le Congo-Brazzaville : les mauvais élèves démocratiques du continent mais des fins tacticiens diplomatiques
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces pays qui sont classés parmi les mauvais élèves en termes de démocratie, Etat de droit et respect des droits humains, connaissent une relative stabilité sociopolitique et quelques avancées économiques. D’autre part, dans un subtil jeu de calculs politico-diplomatiques, les présidents quasi à vie de ces États sont parvenus à contrebalancer ou à troquer leurs déficits démocratiques par la plus-value qu’offrent leurs rôles diplomatiques d’agents stabilisateurs internes et régionaux respectifs en faveur de leur maintien au pouvoir pour des raisons géopolitiques qui rencontrent les intérêts géostratégiques de l’Occident, le Faiseur de roitelets africains.
- Dos Santos en Angola qui mise sur son rôle stabilisateur de gendarme dans les deux Congo.
- Denis Sassou Nguesso, le médiateur attitré des différentes crises qui secouent depuis 1996 son grand voisin comateux RD Congolais.
- Blaise Compaoré au Burkina devenu le sage et le démineur incontournable de toutes les crises qui ravagent l’Afrique de l’Ouest. Il profite de ce statut pour légitimer son maintien à vie au pouvoir à partir de l’appui diplomatique que lui garantit la France. Malheureusement, face à une population déterminée, boostée par une société civile active et dynamique, Compaoré regrette aujourd’hui de ne pas avoir suivi l’exemple de Kérékou.
- Idriss Déby Itno au Tchad, grâce à une reconversion géopolitique in extremis et spectaculaire avec son rôle pionnier dans don engagement militaire au Mali, et le soutien à la Séléka en RCA où Bozizé s’est allié avec la RSA qui mène une guerre géostratégique régionale à distance contre la France. Ce, juste au moment où François Hollande le mettait dans sa liste noire.
Museveni et Kagame arrivant au terme de leurs mandats présidentiels constitutionnels respectivement en 2016 en Ouganda et en 2017 au Rwanda, qui, malgré leurs rôles néfastes au Congo, continuent (encore jusqu’à quand ?) à profiter du bénéfice du doute leur accordé par les lobbies anglo-saxons actifs dans les déprédations des ressources naturelles en RD Congo et dans la région. On ne mange pas la démocratie dit-on !
6. La succession dynastique par la pseudo-démocratie héréditaire surfant sur l’alibi de la modernité
Le Togo de Faure Gnassingbé, élu démocratiquement à l’issue d’un scrutin scellé depuis le Quai d’Orsay et l’Elysée, a ouvert le bal de chauves du mirage démocratique. La Françafrique a horreur des ruptures politiques et par un reflexe naturel de résistance au changement, on préfère reprendre les mêmes, soit presque les mêmes noms pour assurer la continuité. La nouvelle de la mort du président, à peine confirmée le 5 février 2005, tous les états-majors politiques se réunissent chacun pour analyser et arrêter des stratégies que ont convoqué des réunions et le Premier ministre Koffi Sama annonce la fermeture de toutes les frontières du pays. La première réaction internationale ne pouvant venir naturellement que de la France. Dans son message des condoléances, le président Jacques Chirac exprime sa « grande tristesse » et regrette la disparition soudaine « d’un ami de la France et un ami personnel ». Alors que la Constitution prévoit qu’en cas de vacance du pouvoir, « la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président de l’assemblée nationale », qui doit convoquer le corps électoral pour l’élection d’un nouveau président dans les 60 jours qui suivent la constatation officielle de la vacance du pouvoir par la Cour constitutionnelle, le Haut commandement militaire, qui n’a aucune prérogative constitutionnelle, annonce à la télévision nationale que le fils du président, Faure Gnassingbé, devient le nouveau président du Togo. En effet, prétextant que le président de l’Assemblée nationale est absent du pays, l’armée convoque à la hâte le parlement qui élit Faure Gnassingbé comme président de l’Assemblée nationale, et modifie la constitution afin de prolonger son mandat jusqu’au terme constitutionnel de celui de son père. La première réaction viendra d’Addis Abéba, le siège de l’Union africaine, où le président de la Commission, Alpha Oumar Konaré, dénonce un coup d’État militaire et déclare que « l’UA n’acceptera jamais de mesures anticonstitutionnelles » pour la succession du président défunt. Le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Anan, exige le strict respect la Constitution. Les ONG des droits de l’homme dénoncent la « dictature héréditaire » dans un communiqué. Les pressions internationales vont contraindre le jeune Faure Gnassingbé à renoncer provisoirement à la présidence. Le temps de rafistoler sa légitimation par des formalités électorales virtuelles dont le verdit est scellé depuis la France. Faure sera élu (pour ne pas dire nommé) le 4 mai 2005 à la suite des élections très contestées et émaillées de fraudes invraisemblables, images à l’appui. Le Togo va frôler la guerre civile.
La recette ingénieuse sera appliquée, à quelques épices près, dans un autre domaine de chasse gardée de la France, le Gabon en 2009 lorsque Ali, assez impopulaire, va succéder de manière démocratico-dynastique à son défunt de père. Ainsi, sans attendre le verdict des contentieux électoraux introduits par l’opposition, Le président français Nicolas Sarkozy va s’empresser à adresser ses « félicitations » et « vœux de succès » à Ali Bongo Ondimba pour son élection à la tête du Gabon, dans une lettre transmise par le gouvernement gabonais : Je suis heureux de vous adresser mes félicitations et mes vœux de succès pour l’exercice des hautes responsabilités qui vous attendent« , écrit Nicolas Sarkozy, ainsi pour mettre le monde devant le fait accompli car sous la Françafrique, vox France (Dei), vox populi », n’en déplaise aux électeurs africains, les vrais dindons des farces électorales africaines.
Il y a lieu de rappeler que les montages pseudo-démocratiques héréditaires ci-haut décrits n’ont été possible que parce qu’il y eut en 2001, des prémices en RD Congo où Joseph Kabila succéda de manière inattendue à Laurent Désiré Kabila, avant d’être confirmé en 2006 par les élections contestées par Jean-Pierre Bemba. Ce dernier fut contraint à l’exil en mars 2007 après de violents combats armés dans les rues de Kinshasa. Le même Kabila se maintient au pouvoir depuis les élections frauduleuses de 2011. Une RD Congo qui se retrouve, en matière de modèle électoral ou d’alternance politique démocratique, presque dans tous les cas de figure négatifs des grilles de lecture sombres et des indicateurs impurs. Pour ce cas de figure de la démocratie héréditaire, il y a un bémol qui peut être mise en évidence : Le fait que ces jeunes présidents héréditaires essayent de compenser leurs déficits démocratiques, leur impopularité ainsi que la faiblesse de leur légitimité par la poursuite d’une politique privilégiant les projets de société axés sur la modernisation et reconstruction économique. Comme dirait Machiavel dans l’art de la guerre, : « l’acte accuse mais le résultat excuse« .
7. Les bienfaits de la démocratie ou de l’alternance démocratique paisible au pouvoir
Dans des pays où s’installe l’expérience démocratique positive (Bénin, Zambie, Tanzanie, Ghana, Sénégal), les analystes sont d’avis que la consolidation de l’apprentissage de la culture démocratique et de l’alternance au pouvoir constituent un facteur structurel indéniable qui favorise la stabilité politique durable et encourage l’émergence économique par l’instauration d’un Etat de droit, la lutte contre la corruption et une justice sociale plus équitable. C’est également un facteur de confiance pour les citoyens (envers leurs gouvernants). Le souverain primaire qui, par ce jeu de la démocratie participative, se sent valorisé, du fait que son vote compte et qu’il peut travailler ensemble – sans aucune barrière sociale entre le peuple et le « boss », son « excellence », « l’honorable » politicien – pour l’intérêt général, avec les gouvernants qu’ils se sont librement choisis et non imposés par des élections téléguidées depuis l’extérieur.
Un autre facteur est l’aspect sécuritaire qui fait que plus l’alternance se fait de manière démocratique et transparente possible, moins il y a des contestations pouvant déboucher à des violences post-électorales (Kenya, Côte d’Ivoire, RD Congo, Zimbabwe…). D’autant que les élections africaines sont parfois ethniquement instrumentalisées par les élites africaines. Le cas en cours des élections du 11 octobre 2015 en Guinée-Konakry nous rappelle cette triste réalité africaine!
Ainsi, lorsqu’on analyse les processus électoraux dans des pays dits instables en Afrique, on constate généralement qu’il y a des manipulations des processus et des résultats très flagrants, parce que le président en exercice a derrière lui l’Etat, l’administration, les finances de l’Etat, la presse, la communauté internationale mafieuse, et surtout les forces de sécurité et l’armée qu’il instrumentalise pour assurer son maintien au pouvoir.
Pour l’Afrique, les élections sénégalaises, zambiennes et ghanéennes montrent l’exemple que l’alternance démocratique transparente et pacifique est une bonne feuille de route qui montre les effets bénéfiques de la démocratie et que celle-ci peut fonctionner là où certaines officines néocolonialistes estiment que la démocratie est un luxe pour les africains, les bonobos !
L’alternance démocratique apaisée et crédible en Afrique reste un impératif aux effets structurels stabilisants des institutions étatiques en Afrique. Le Bénin, le Ghana et le Sénégal sont les rares pays ouest-africains que Freedom House, une ONG américaine œuvrant pour la défense des droits politiques et des libertés civiles, considère comme des Etats « libres » et politiquement stables. Depuis l’instauration de la démocratie au Bénin, l’image du Bénin s’est appréciée à travers le monde. Le Bénin participe à plusieurs missions de maintien de la paix de l’Onu à travers le continent africain. Dans un message à la nation du 31 juillet 2005 dernier, veille du 45ème anniversaire de la fête de l’indépendance, l’ancien président Kérékou, le père de la démocratie au Bénin, a déclaré : « Après 15 années d’expérience démocratique, notre pays vit en paix. Les institutions de la République fonctionnent régulièrement. Les Béninoises et les Béninois jouissent des libertés fondamentales. La liberté de la presse est garantie. L’environnement juridique est assaini. Les dispositions constitutionnelles favorisent l’alternance au pouvoir et la succession au sommet de l’Etat. Ces prescriptions fondamentales de notre constitution du 11 décembre 1990 doivent pouvoir résister à toute révision opportuniste, d’autant plus que par delà toutes les préoccupations conjoncturelles et subjectivistes qui la motivent, elles constituent en fait la référence basique et le test d’authenticité de la nouvelle culture démocratique dont les acteurs politiques doivent désormais faire preuve ». Cela vaut également pour le Ghana, la Zambie et le Sénégal.
Peut-on en dire autant pour la RD Congo et peut-on croire que Joseph Kabila, atteint par la limite constitutionnelle, pourra suivre l’exemple de son aîné Kérékou et entrer dans l’Histoire de la RD Congo ? 2016 sera sans doute une année de vérité. A moins que les concertations taillées sur mesure confirment la résistance au changement et à l’alternance démocratique qui s’enracine en RD Congo. Cet aspect sera peut-être l’objet d’une prochaine analyse intitulée : « Pourquoi faut-il éviter le piège des concertations/dialogue débouchant sur le partage du pouvoir inhibiteur de l’alternance démocratique ?»