DESC Confidentiel : Le séjour de Kabila à Kasese et à Beni : des signaux inquiétants !
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Le président Kabila a séjourné à Kasese en Ouganda le jeudi 4 août 2016 où il a rencontré le président ougandais Yoweri Museveni. Cette rencontre qui a été au centre de l’actualité congolaise la fin de la semaine du 1er aout 2016. DESC a tenté d’en savoir plus sur les enjeux de cette présence présidentielle dans cette partie du pays et de la région en cette période chahutée politiquement en RDC.
« Le pays vous appartient, mais le commandement nous revient. » Ainsi pourrait-on traduire cette expression. Des officiers ougandais aiment à le rappeler aux Congolais, alliés ou non : rien ne se fait ni ne se décide sans l’accord du parrain ougandais, nomination, arrestation, opération militaire, opération de police… Mieux, tout se fait sur ordre, par procuration ougandaise. Les « gouverneurs » sont donc des « procurateurs » de l’empire ougandais, auprès duquel ils prennent leurs ordres. Ceux qui tombent en disgrâce, malgré leur relative popularité ou le soutien de leurs pairs rebelles, sont relevés de leurs fonctions, au mieux par une convocation à Kampala, au pire chassés par la force militaire[1]. Ce paragraphe de l’article intitulé « La républiquette de l’Ituri » en République démocratique du Congo : un Far West ougandais » écrit par Alphonse Maindo Monga Ngonga, résume bien la situation qui prévaut à l’est de la RDC depuis le 17 mai 1997 lorsque la RDC est tombée sou l’invasion rwando-ougandaise, principalement, avec la bénédiction des puissances anglo-saxonnes et occidentales.
Une rencontre d’apaisement et de réconciliation selon certaines sources
Le président Kabila Il a effectué son déplacement aller avec son avion de transport de type Grumman P-3. Il est retourné en RDC par voie routière suivant l’axe Kasindi (poste frontalier en territoire de Beni en face de Kasese.
Selon les informations recoupées, les présidents Joseph Kabila et Yoweri Museveni entretiennent des relations assez tendues depuis les nombreux incidents frontaliers armés entre les FARDC et l’UPDF (l’armée ougandaise), notamment dans le lac Albert où plusieurs soldats ougandais ont perdu la vie.
C’est depuis le 6ème Sommet Ordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CIRGL à Luanda (Angola), le 14 juin 2016 que les deux présidents ont tenté un premier rapprochement sous la médiation du président angolais José Edourado dos Santos. La même dynamique de réconciliation a été poursuivie lors du sommet de l’Union africaine (UA) à Kigali au Rwanda du 10 au 18 juillet 2016. Kabila était à Kigali du 16 au 18 juillet. Ce sommet a aussi permis le rapprochement des présidents rwandais, Paul Kagame et tanzanien, John Magufuli de la Tanzanie car ces deux pays entretiennent des relations tendues depuis l’implication de l’armée tanzanienne au sein de la brigade d’intervention de la MONUSCO dans la guerre contre le M23 (soutenu par le Rwanda), mais aussi dans la crise burundaise qui a vu les relations entre le Burundi et le Rwanda se détériorer, le Rwanda accuse la Tanzanie de soutenir le président Nkurunziza.
La rencontre bilatérale entre Kabila et Museveni du 4 août 2016 à Kasese s’inscrivait dans la poursuite et le renforcement du rapprochement des deux présidents. Selon nos sources, le président Kabila était allé apporter les preuves d’infiltrations des bandes armées criminelles (faux ADF) depuis le territoire de l’Ouganda qui commettent des massacres en territoire de Beni depuis le mois d’octobre 2014. Il était aussi question de discuter de la mise en place d’une commission mixte RDC-Ouganda dont la mission serait d’évaluer l’opportunité et les conditions de mettre en place une opération militaire conjointe contre RDC- Ouganda contre les présumés ADF qui opèrent en zones frontalières (RDC-Ouganda).
Mais toujours selon les informations recueillies, les deux chefs d’Etat ont convenu que si opérations militaire conjointe il y aura, chaque armée va opérer de son côté de la frontière commune. La RDC a désigné des officiers qui feront partie de cette commission mixte qui va évaluer la faisabilité des futures opérations militaires contre les ADF.
Réaction DESC : Alors que plusieurs rapports d’experts internationaux (ONU ou GEC : Groupe d’étude sur le Congo de Jason Stearns) et nos sources (DESC) doutent de l’existence des ADF, Kabila et Museveni continuent à faire croire qu’ils en existent encore. Les modus operandi des tueurs de Beni ne sont pas similaires à celui identifié par les FARDC dans leur plan d’opération de décembre 2013, mais bien proches du conflit armé rwandais.
Plusieurs sources soupçonnent une stratégie de dépeuplement de cette région (mais aussi de la région de l’Ituri où se trouve le général Akili Mohindo Mundos) au profit des populations rwandophones confrontées à des problèmes de terre dans leur pays. En 2013, alors que les relations entre Kagame et l’ancien président Jakaya Kikweté étaient tendues, la Tanzanie avait expulsé environ 2000 rwandais illégaux de son pays[2]. Plusieurs sources locales du Nord Kivu (ONG et autres agents des organisations internationales) ont signalé la présence des populations identifiées comme étant ces expulsés dans les plateaux du parc Virunga en RDC.
Les enjeux de ces opérations, en cette fin de mandat de Kabila peuvent aussi être un soutien militaire tacite à Kabila lorsque celui-ci sera mis en difficulté politiquement car la situation d’instabilité sécuritaire régionale actuelle de la région des Grands Lacs a été jusqu’à preuve du contraire bénéfiques aux présidents de ces pays : entretenir la guerre permet de renforcer leur position.
Une réunion de sécurité sur le Kivu présidée par Kabila pour quels enjeux ?
Le président Kabila séjournait encore à Beni en début de semaine du 8 août, où il a tenu une réunion sécuritaire avec tout l’ état-major de la 3ème zone de défense élargie aux commandants des secteurs des opérations Sukola 1 (Contre les ADF) et Sukola 2 (Contre les FDLR rwandais), secteur Rudia (Haut-Uélé et Bas-Uélé dans la traque des rebelles ougandais des LOPA et la sécurisation des frontières centrafricaine et sud-soudanaise), secteur de l’Ituri 1 (commandé par le Gen Mundos : Bafwasende, Nyanya, Komanda, Mambasa, Nyakunde, c’est-à-dire Ituri sud ; Ituri 2 au nord commandé par le général rwandophone ou Munyamulenge Bonane : Bunia, Irumu, Aru, Walendu, Pindi, Tchomia et Kasenyi.
Les commandants des différentes régions militaires dépendant de la 3ème zone de défense (Sud-Kivu, Nord-Kivu, Maniema, ex-Province Orientale) ont également été conviés à cette réunion stratégique.
Le président Kabila s’est fait assister pendant cette réunion du Chef d’état-major de l’armée de terre (Le Général Dieudonné Banze), du chef d’état-major général adjoint chargé des opérations à l’EMG/FARDC Le Gen Hamuli Bahingwa (ex-MLC et donc proche de l’Ouganda) ainsi que du chef d’état-major particulier adjoint du président (Maison militaire) chargé des OPS/Rens, le Gen Jean-Claude Yav ainsi que du chef d’état-major des renseignements militaires (Gen Delphin Kahimbi)
Lieu de la réunion : Résidence présidentielle située au Quartier Batunuka
Heure de la réunion : réunion assez longue (17h-21h50)
Nous vous invitons à la lecture de cette analyse publiée dans la revue politique CAIRN sur la « Républiquette de l’Ituri« , une province connexe au Grand Nord du Nord-Kivu. Cela pourrait nous permettre de connaitre les enjeux cachés de ce remue-ménage diplomatique suscité par la rencontre entre Kabila et Museveni.
Le général Mundos serait-il à la base de la planification des massacres de Beni ?
Nous avons déjà évoqué cette piste dans une analyse antérieure intitulée « Joseph Kabila et le général Mundos créent-ils des faux ADF/Nalu? »[3], dans laquelle nous avons relevé le rôle flou joué par ce général, véritable bras armé de Kabila, dans les tueries qui endeuillent Beni-Lubero depuis octobre 2014.
Il sied de rappeler que la région de Beni est confrontée à une série de massacres attribués faussement aux ADF (les multiples articles de DESC d’abord, corroborés par la suite par les rapports du GEC[4] dirigé par le chercheur américain Jason Stearns et de l’ONU réfutent cette thèse) et qui font, selon certaines sources, plus de 1.000 morts. Curieusement, une des personnes mise en cause comme commanditaire de ces tueries est le général Akili Mohindo, connu sous le pseudonyme de « Mundos ». Pour rappel, Mundos est un ancien officier de liaison auprès des ADF sous Laurent-Désiré Kabila. Après avoir été écarté du commandement de l’opération Sukola 1, il a été brièvement muté dans le secteur opérationnel du Nord Katanga à Kalemie, pour faire diversion et calmer la tension qui régnait dans les rangs de l’armée dont les militaires faisaient également les frais de ces faux combattants de l’ADF. Le rapport de mission d’information parlementaire menée par les députés du Kivu en octobre 2014 met également en cause sérieusement son commandement et relevé des cas de trahison et de complaisance du commandement de l’opération Sukola 1 avec les assaillants de Beni. Mais le président Joseph Kabila a vite muté de nouveau le général Mundus à Mambasa, dans l’Ituri, comme commandant du secteur opérationnel ITURI 1, dans le sud de l’Ituri (autrefois lieu de refuge des ADF) : Bafwasende, Nyanya, Komanda, Mambasa, Nyakunde. Son poste de commandement est situé à Komanda, à environ 90 km de Bunia. Curieusement, nous informe une source FARDC, il s’agit d’un secteur opérationnel limitrophe de la région de Beni. Outre le commandement de ce secteur, le général Mundos cumule en même temps la fonction de commandant de la 32ème brigade mécanisée des forces de défense principale.
Par ailleurs, le secteur militaire opérationnel de l’ITURI 2 au nord de la province de l’Ituri, est commandé par le général rwandophone « munyamulenge » Bonane. Ce secteur, lieu de confrontation entre les Hema et les Lendu comprend Bunia, Irumu, Aru, Walendu, Pindi, Tchomia et Kasenyi. Pour rappel, le général Bonane est un ancien rebelle du RCD-Goma appuyé par le Rwanda. Le général Bonane Buhoro Willy (matricule 168906018487) a été l’ancien commandant de la 4ème Brigade en Ituri. Les rapports du GEC et les sources de DESC mettent notamment en cause les régiments ex-CNDP (1006ème et autres) dans les massacres de Beni. Trouvez l’erreur!
En effet, l’instabilité régionale, jusqu’à preuve du contraire, a toujours profité politiquement au trio MKK (Museveni – Kagame – Kabila). Or dans une dynamique d’équilibre systémique instable, la chute de l’un peut entraîner le remodelage du leadership régional, actuellement excentré vers Rwanda et l’Ouganda. Ainsi, tous les actes politiques, diplomatiques et militaires posés par Kabila (et ses alliés rwandais et ougandais), s’inscrivent dans la dynamique de maintien de cet équilibre géopolitiquement incongru!
L’article dont le lien est repris ci-contre et qui parle des ambitions ougandaises de proclamer une « Républiquette de l’Ituri », séparée du Congo et dirigée par les Hema (en conflit avec les Lendu) : https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2003-1-page-181.htm relève 6 causes majeures qui peuvent expliquer cette explosion de violence en Ituri. Ces mêmes causes restent également valables pour la situation dans les deux Kivu :
- la pression démographique,
- les problèmes fonciers,
- l’idéologie ethnique et raciste,
- les enjeux économiques,
- les influences étrangères,
- L’utilisation des milices tribales dans le jeu politique.
Il y a lieu de signaler le général Mundos est également impliqué dans un vaste trafic illicite de bois précieux et d’or, de coltan, cassitérite vers le Golfe persique, mais aussi dans la vente de voitures à partir de Dubaï via Beni. Depuis son poste de commandement à Komanda, il reçoit plusieurs trafiquants arabes et indopakistanais. Pour certaines sources, il n’est pas exclu que certains soldats de la MONUSCO déployés dans cette zone soient aussi impliqués dans ces juteux trafics. Et l’insécurité dans cette zone arrange est une aubaine pour faire fructifier les affaires des personnes impliquées. C’est l’une des raisons de maintien de Mundos à cet endroit par Kabila. Les attaques menées à Beni sont conçues au départ du fief de commandement de Mundos, nous confie une source militaire anonyme. Une zone bien connue par Mundos du temps où il fut l’officier de liaison de Laurent-Désiré Kabila auprès des ADF/Nalu lors de la deuxième guerre du Congo contre le Rwanda et l’Ouganda. Mundos était chargé de recruter les ADF/Nalu opposés à Museveni pour les réinstaller dans la zone situe entre la partie sud de l’Ituri aux prises aux rébellions, dont le MLC et l’UPC de Thomas Lubanga, soutenues par l’Ouganda.
Conclusion
Les multiples réunions présidées par le chef de l’Etat congolais et les promesses tenues n’ont pas évité la poursuite des massacres à Beni et environs.
Le maintien du général Akili Mohindo Mundos dans les postes opérationnels dans l’est de la RDC ne changera nullement la situation macabre que vivent les populations de Beni et des environs. Mundos reste le bras armé du président Kabila dans cette partie du territoire. C’est lui qui planifie les tueries à Beni, avec la complicité des éléments à sa solde, évoluant au sein des FARDC.
La rencontre attrape-nigaud du président Kabila à Goma avec les militants de La Lucha n’apportera pas non plus un changement social, politique et sécuritaire à la situation dans laquelle s’enlise l’est de la RDC. A première vue, il s’agit d’une démarche de pure communication politique qui ne permettra pas de résoudre les problèmes de fond. Le substrat de cette initiative dans laquelle La Lucha semble devenir un enjeu et ressource politique de plusieurs acteurs politiques de la région reste le glissement. La RDC ne pourra évoluer que lorsque tous les acteurs politiques, en commençant par le Président de République, garant de la Constitution et de l’unité du pays, agissent conformément au respect scrupuleux de sa Constitution qui scelle le pacte républicain entre congolais.
Au moment où la RDC arrive à un tournant décisif de sa marche vers la consolidation des acquis démocratiques, le sceptre de son embrasement reste suspendu sur son avenir comme une épée de Damoclès. DESC appelle tous les patriotes militaires et civils congolais à l’extrême vigilance. C’est l’avenir de la RDC, particulièrement de sa partie nord-est qui est en jeu en cette période de fin de mandat du président Kabila. L’heure est grave et chers frères d’armes au Kivu et dans l’Ituri, travaillez pour la défense de votre patrie et refusez les opérations militaires qui ne servent pas le Congo et désobéissez aux ordres illégaux de vos supérieurs. La Nation congolaise est en péril. Kabila et son régime ne mérite nullement aucun sursis politique à l’échéance de son dernier mandat constitutionnel. Que les Congolais ne se laissent pas distraire par des manœuvres politiciennes en cours.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu/ Exclusivité DESC
Références
[1] https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2003-1-page-181.htm.
[2] http://www.jeuneafrique.com/149638/politique/immigration-ill-gale-pr-s-de-2-000-rwandais-ont-fui-la-tanzanie/.
[3] Joseph Kabila et le Général « Mundos » créent-ils des faux ADF/Nalu ? – JJ Wondo
[4] Groupe d’études du Congo attaché à l’Université de New-York.
One Comment “DESC Confidentiel : Le séjour de Kabila à Kasese et à Beni : des signaux inquiétants !”
Sulutani la passion du congo
says:Merci Compatriote Jj wondo,nous ferons de notre mieux pour faire large diffusion de votre analyse ainsi nous serons toujours vigilent car nous,n’avons pas un autre pays d’échange à part celui qui nous avons, nous aieux nous l’étant legué entier nous aussi nous,nous devons de le leguer à la prostèrité entier qu’il en deplaise à Museveni-Kagame-Kabila comme ils ont échoué dans 15 ce n’est pas dans 4 mois qu’ils réussiront