Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 28-10-2014 14:49
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Des jeunes officiers formés à Kananga abandonnés à Kinshasa – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Cérémonie de remise de brevet à l'AcaMil Kananga

Des jeunes officiers formés à Kananga abandonnés à leur sort à Kinshasa

 Par Jean-Jacques Wondo  Omanyundu

Cérémonie de remise de brevet à l'AcaMil Kananga Cérémonie de remise de brevet à l’AcaMil Kananga

Selon une dépêche qui nous vient d’une source diplomatique à Kinshasa, des dizaines de jeunes officiers issus de l’Académie militaire de Kananga, qui venaient d’achever leurs phases académique (en mai 2014) et militaire (en juin 2014) sont laissés à l’abandon à Kinshasa.

Ces jeunes officiers, issus de la 26ème promotion, ont fait partie des 220 élèves-officiers (26ème, 27ème et 28ème promotions) de l’Académie militaire de Kananga qui ont défilé le 30 juin 2014 à Kinshasa.

Pour rappel, après plus de 20 ans de fermeture à la suite de la rupture de la coopération technique militaire belge au Zaïre en 1990, l’Académie militaire (AcaMil) a ré-ouvert ses portes en 2011grâce au soutien de la Mission de conseil et d’assistance de l’Union européenne en matière de réforme de l’armée congolaise l’EUSEC-RDC. L’AcaMil de Kananga forme en trois ans des officiers avec un niveau de graduat en sciences sociales. L’Ecole est organisée en bataillon-élève de trois promotions : 26ème, 27ème et 28ème. Son organisation est composée de trois directions : Direction d’études, Direction d’instruction et la Direction centrale d’enregistrement et d’archivage. L’année académique commence en principe en septembre et se termine en juillet. Les cours commencent de huit heures à dix-sept heures. A la tête de chaque promotion, il y a un commandant de promotion qui est un major technicien d’état-major (TEM).

Au terme de trois années de formation académique et militaire à Kananga, les élèves-officiers deviennent officiers-élèves. Ils iront par la suite parfaire leur formation dans une école d’application pour se spécialiser avec une arme : artillerie, blindée, infanterie…).

C’est dans ce cadre que des dizaines de jeunes officiers-élèves, attendent désespéramment leur départ pour Kitona, prévu depuis la mi-septembre. Depuis, ils sont toujours en attente à Kinshasa. Plusieurs d’entre eux, originaires des provinces sont pratiquement devenus de gueux, selon notre source diplomatique. Ils ne sont ni logés ni encadrés par l’état-major général de l’armée, encore moins par le ministère de la Défense. Laissés-pour-compte, sans encadrement, plusieurs sont obligés de se débrouiller en squattant des logements ici et là comme ils peuvent.

Les militaires congolais devenus la risée du monde entier

Un soldat rwandais soigne son frère d'armes congolais à Bangui Envoyé sans équipe de soutien médical, un soldat rwandais soigne son frère d’armes congolais à Bangui

Alors que la presse propagandiste présidentielle a montré récemment des images des quelques 414 sous-officiers congolais brevetés de la Tanzania Military Academy (TMA) à Arusha, en même temps qu’on nous montrait les photos des militaires congolais dépêchés en RCA se faisant soigner par leurs collègues rwandais. Des militaires envoyés en mission à l’étranger sans équipe médicale d’appui.

Pendant que le ministre des Médias crie à la souveraineté de l’Etat, c’est au travers d’abord de la constitution d’une armée forte, bien formée et surtout bien entretenue et encadrée que l’on peut espérer un jour rendre la souveraineté de la RDC effective et surtout sa dignité. Pas la souveraineté d’un pays avec une armée pour qui la MONUSCO, qui plus est un bataillon de nos frères ghanéens, a construit 12 blocs des latrines (toilettes à trous) pour que les militaires de l’Etat déclaré souverain par Kabila et Mende y fassent leurs besoins physiologiques (https://twitter.com/MONUSCO/status/486521468164259842).

S’agissant de l’AcaMil de Kananga, l’assistanat militaire va jusqu’à la mise à la disposition de cette école des supports de cours, des kits scolaires, du matériel informatique et de la rémunération des indemnités des professeurs civils. Maintenant que ces jeunes officiers ne sont plus à la disposition des « blancs » de l’EUSEC, leurs frères noirs, pour qui ils doivent verser leur sang, les abandonnent dans la rue. Ceux qui me posent la question de savoir pourquoi vous mentionnez toujours le manque de volonté politique dans le chef des autorités congolaises dans le cadre de la réforme de l’armée, auront ici des éléments de réponse.

Hier encore l’armée congolaise était enviée par touts tous

Aujourd’hui, nous sommes fiers de former nos militaires dans des Etats croupions qui, il y a 25 ans, rêvaient de former leurs militaires en RDC (Zaïre), c’est simplement infâme !

Dans le livre Les Armées a Congo-Kinshasa, souvent évoqué par plusieurs mais très peu lu en profondeur, on y écrit :

« Il est consternant, voire révoltant, de constater que la RDC, malgré son potentiel stratégique de premier plan, ne dispose pas d’une armée à la hauteur de sa grandeur et de ses ambitions. Pourtant hier encore, les officiers des troupes blindées des seize pays francophones d’Afrique étaient formés à Mbanza-Ngungu à l’Ecole de Formation des Troupes Blindées (EFATBL) dans le Bas-Congo sous le commandement du feu général Somao, décédé en mars 2012.Le Centre Supérieur Militaire de Kinshasa (CSM, créé en 1969 par le Général belge Paul Paeclink, devenu plus tard notre commandant à l’ERM) a vu des officiers supérieurs américains venir s’y former pour décrocher les titres de Technicien d’Etat-major (TEM). Tout comme le mythique centre de formation Commando de Kotakoli dans la province de l’Equateur a formé la plupart des commandos des autres pays d’Afrique centrale (Rwanda, Burundi, Tchad, RCA, Togo) alors que les paras belges de Schaffen ou encore de Marche-les-Dames se précipitaient pour aller y parfaire les techniques commandos dans un milieu sauvage et hostile, plus vrai que nature. De plus, bon nombre d’officiers des pays africains ont été formés à l’Ecole de Formation des Officiers de Kananga (EFO)

Alors que dans les années 1980 au Tchad dans le conflit de la bande d’Aouzou et le début des années 1990 au Rwanda, les militaires zaïrois, sous le commandement du Général Ambroise Malu-Malu, étaient constamment envoyés sur le Continent pour participer dans des opérations de rétablissement ou de maintien de la paix. « 

A ce propos, le professeur Trudon Tshiyembe Mwayila affirme clairement : « On peut reprocher à Mobutu une chose mais sur ce plan, il avait une vision. Il a fait en sorte que les soldats fussent reconnus lorsqu’il avait envoyé Mahele piloter les forces de l’Organisation de l’union africaine (OUA) au Tchad. Tout le monde a reconnu, y compris les Nations Unies, que cet officier supérieur a mené ses hommes avec dignité, compétence et intégrité. » (Le Potentiel, 22 juillet 2009).

D’autre part, la force de frappe des FAZ se fit également remarquer par sa flotte aérienne qui comprenait des avions de reconnaissance Cessna, des hélicoptères de combat Alouette III, et d’un hélicoptère Puma servant de transport et d’évacuation des blessés de guerre en 1997. A cela, il fallait ajouter sur le compte de la FAZA (Force Aérienne Zaïroise) une dizaine d’avions de chasse italiens de type Macchi dits « sukisa ». La coopération technique militaire avec la France permettra au groupe aéronautique Dassault de vendre en 1974 au Zaïre 17 avions Mirage. Il s’agit d’un avion de chasse militaire multirôle capable aussi bien de missions de reconnaissance que de chasse et/ou d’interception, suivant les versions. Le transport des troupes se faisait grâce à huit avions gros porteurs C-130 Hercules.

Aujourd’hui, c’est le contraire qui se produit. Toute l’Afrique qui, après s’être battue en RDC lors de la Première guerre mondiale africaine de 1998 à 2002, vient au chevet du grand malade qu’est devenu le Congo. Il s’agit notamment des pays que l’ex-Zaïre avait assistés militairement.

Pis encore, « les FARDC sont devenues aujourd’hui, la seule armée au monde où le premier venu peut être nommé général et se voir confier un poste de commandement stratégique. C’est également la seule armée au monde où peuvent se créer une dizaine de brigades d’infanterie en quelque mois sans que les militaires qui les composent n’aient été soumis à une formation de base sérieuse. C’est la seule armée au monde où des policiers se retrouvent à la tête de grandes unités de combat et décident des opérations militaires de grande envergure, et des officiers d’administration militaire en train de s’occuper des opérations spéciales au moment où des commandos et spécialistes de la lutte anti-terroriste bien formés et aguerris sont affectés dans la circulation routière dans la capitale ou à des tâches administratives. La RDC dispose d’énormes ressources humaines de haute facture dont la majorité est marginalisée et en déshérence, c’est simplement une question de volonté politique et d’organisation« . (Lokasokola N’Koy Bosenge, 2009).

Le feu Général Célestin Ilunga Shamanga (Saint-Cyr, DSP, ..), cité dans mon ouvrage, a écrit :

« Il est temps que nos hommes politiques sortent de leur tête l’idée qu’une défense au moindre coût (Ndlr JJW : au rabais) serait possible ou payante. Pour un pays conscient de ses valeurs à protéger, avoir une bonne armée est une assurance. Comme toute assurance, elle coûte cher à la souscription; mais, on est bien content de la posséder en cas de sinistre. Une bonne armée signifie une armée casernée, nourrie, habillée, soignée, régulièrement payée, bien équipée et surtout régulièrement entraînée. Tout cela a un prix. Cela coûte cher et même très cher.»

Former un Officier c’est bon, mais l’encadrer c’est mieux‘ nous a dit un autre jeune officier dépité, fraîchement envoyé en opération à l’est du pays en alignant deux mois d’arriérés de salaire. Ainsi, sans une volonté politique des échelons le plus élevés de l’Etat congolais dans un domaine de chasse gardé de la présidence de la République et en l’absence de stratégie d’appropriation (local ownership) de l’expertise étrangère, rien ne se fera dans ce domaine. C’est bien d’acheter des armes sophistiquées en Russie ou en Ukraine mais aussi longtemps qu’on oublie que derrière ces armes ce seront les hommes qui vont les manipuler afin de l’adapter à sa vision spécifique de l’Etat pour affirmer sa puissance militaire et que si ces hommes ne sont pas convenablement pris e charge par l’Etat, tout l’échafaudage sécuritaire qu’on esaie de bâtir autour d’une hypothétique montée en puissance des FARDC risque de tomber comme un château de cartes. Plus que tout, il faut absolument investir sur l’homme, le militaire congolais, par la formation, l’encadrement, l’entretien qui doivent constituer le socle de la nouvelle armée de la RDC.

Cela doit permettre aux forces armées congolaises de mettre intelligemment en application sur le terrain les grands principes du concept d’emploi des forces armées, notamment la cohérence entre le moyens et les buts, la maîtrise permanente de la force, la supériorité militaire dans la région. DESC y travaille sérieusement. C’est pour cela que nous lançons cet appel aux autorités congolaises de prendre en charge ces jeunes militaires abandonnés à Kinshasa, qui ont décidé de verser leur sang pour sauver la nation congolaise. Et nous écrivions récemment dans un réseau social :

« La noblesse du métier des armes pour un soldat, c’est sauver la vie d’une nation (des vies humaines) en livrant son corps. D’où l’attention particulière qu’un État doit accorder aux conditions de vie et de travail du soldat pour ne pas en faire un gueux. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’armée ne doit pas être un repaire pour des bandits, des brigands, des violeurs, des assassins, des illettrés, des trafiquants… de pires espèces. On doit y envoyer ce que la nation a de meilleur parmi ses filles et ses fils (Cf. ‘Officier and Gentleman’). Je paraphrase le feu Gen Donatien Mahele: « Armée ezali ekunde te » (l’armée n’est pas un dépotoir, une poubelle). »

Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
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5 Comments on “Des jeunes officiers formés à Kananga abandonnés à Kinshasa – JJ Wondo”

  • Tonton MACOUTE

    says:

    Pour une fois, JJ WONDO analyse et prend position. C’est encourageant. Notre pays traverse des moments d’une extrême gravité. Rester neutre et intello est coupable.

    Nous aurons besoin toujours des analyses de haut niveau exclusivement consacrées à la défense nationale congolaise, mais il est temps pour JJ WONDO de sortir de ta neutralité pour contribuer à la libération comme un acteur. Tonton Macoute

  • Aimerto

    says:

    Bonjour,
    Demande d’enquête : ou sont passée les avions militaire aperçu dans le ciel Congolais au défilé du 30 juin 2014.
    Paraît-il, ils sont stationnés soit au Rwanda ou en Ouganda.

    Merci pour les infos

  • Jan

    says:

    Bonsoir,j’ai eu l’honneur de participer à la formation des élèves Offr en 2013. La 28 Prom a du potentiel, mais … il faut les suivre: surtout dans les domaines tentation de corruption, manque d’équipement, assez de professionnalisme .. .Selon moi,il sont le futur de votre pays fantastique..mais ils ont besoin des exemples,des moyens et des patrons qui sont aussi exemplaires.Donc,la même chose que nos jeunes officier ici en Belgique…Prayons…;;

  • yayote

    says:

    Notre pays a de probléme sérieux,nous avons la volonté de faire membre de notre armée mais quand nous contanctons nos prédecesseurs ils nous disent que c’est unitile d’y aller car ils sont difficulté.Si tout parent veux que sont enfant devienne prêtre n’est-ce pas parcequ’il voit que le prêtre a une bonne vie?Un militaire comgolais a quelle vie enviable pratiquement?misere,vole,…?

  • Losque j’observe la vie militaire d’un congolais aujourdhui,c’est vraiment regrétable,je dis bien c’est regrétable. Les gens disent que c’est vieu Mobutu qui a tué le Congo,vraiment que Dieu leur pardonne. Qui oublie que c’est sous le règne du maréchal Mobutu que notre pays congo (zaïre)a connu son appogée? Vraiment qu’on organise bien notre armée (formation des cadres militaires à l’intérieur comme à l’étranger avec des spécialités bien déterminées,affectation aux différents postes après la formation,dotation et équipement en matériels, allocation d’un salaire consistant,prise en charge de certains avantages…)cela permettra et ferra à ceque les jeunes comme nous,nous puissions nous engager dans l’armée mais aussi pour rendre notre armée éffective et éfficace.J’ai dis.

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