DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 06-02-2024 22:30
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Des enquêtes de sécurité par l’ANR : moyen efficace de filtrer les nominations en RD. Congo

Auteur : Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
Le siège de l'ANR à Kinshasa

Comme cela se passe un peu partout à travers le monde, l’État congolais est le plus gros employeur des ressources humaines. En effet, de centaines de milliers de la fonction publique, des établissements publics, de la magistrature, du corps médical et paramédical constituent toute une armée à laquelle est confié le destin du développement national. Dans toutes ces structures, c’est le Président de la République qui nomme et révoque les responsables une tâche pas du tout aisée dans la mesure où il doit se référer lui-même à ses collaborateurs. En son temps, Joseph Kabila s’était plaint de ne pas avoir quinze personnes pouvant l’aider à développer le pays. Avec le temps et au regard des détournements et autres comportements immoraux de certains responsables étatiques sous la mandature écoulée, il y a lieu de dire qu’il n’avait pas du tort, le problème étant de savoir comment vérifier les dossiers personnels des candidats à nommer à différents postes. Sous Mobutu, les services de renseignements étaient très actifs pour mener discrètement ce genre d’investigations.

Une enquête de sécurité ou de loyauté dans certains pays permet d’évaluer la fiabilité, la compatibilité d’une personne donnée et sa loyauté par rapport à une fonction stratégique à laquelle elle est appelée à occuper dans un secteur de l’Etat bien précis. Cela comprend le recueil de renseignements personnels de l’intéressé ainsi que la collecte de l’information provenant des agences d’application de la loi, de renseignements ou d’autres sources.

Avant d’examiner le bien-fondé des enquêtes de sécurité, objet de notre analyse, voyons d’abord l’étendue des pouvoirs du Président de la République en matière de mobilisation des ressources humaines.

L’étendue des pouvoirs de nomination attribués au Président de la République   

Le siège de la matière se trouve dans les dispositions des articles 78, 81 et 82 de la Constitution.

Article 78(alinéa 1)   

Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.     

Article 78 (alinéa 2) 

Le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre

Article 81  

Sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres :

1. les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires ;

2. les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le Conseil supérieur de la défense entendu ;

3. le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, le Conseil supérieur de la défense entendu ;

4. les hauts fonctionnaires de l’administration publique ;

5. les responsables des services et établissements publics ;

6. les mandataires de l’État dans les entreprises et organismes publics, excepté les commissaires aux comptes. Les ordonnances du Président de la République intervenues en la matière sont contresignées par le Premier Ministre.

Article 82(alinéa 1)

Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature.

La question que tout le monde est en droit de se poser est de savoir comment il s’y prend, autrement dit qui sont ses hommes de confiance qui lui proposent des noms qu’il n’est pas censé connaître et comment procède-t-il pour vérifier à son niveau? La pertinence de cette question réside dans le fait qu’il est déjà arrivé que des personnes décédées figurent sur des listes de nominations ou de révocation tandis certaines autres nominations choquent l’opinion publique au regard des sales casseroles que traînent derrière elles des personnes concernées. Il n’est pas non plus rare que l’identité de certaines personnes nommées soit incomplète et prête à confusion. De quoi se demander à quoi sert le cabinet présidentiel. D’où nous pensons qu’il y a lieu de restaurer les enquêtes de sécurité avant toute nomination à certaines fonctions.

Le bien-fondé des enquêtes de sécurité  

Après les élections, c’est maintenant le deuxième mandat du régime de Félix Tshisekedi. Logiquement et naturellement l’on s’attend à des séries d’ordonnances de nominations dans tous les secteurs, à commencer par le cabinet présidentiel, dont tout le monde souhaite la réduction de la taille, en passant par la composition du gouvernement jusqu’à la fonction publique où plusieurs responsables sont arrivés à la fin de leur carrière en 2023. C’est du travail pour le Président de la République, qui devra faire face à beaucoup de pressions des courtisans et surtout des alliés.

Le peuple, quant à lui, a des attentes qui lui ont été exprimées durant la campagne électorale et dans son discours d’investiture, qui sont différentes de celles des politiciens. Si donc il tient à soigner son image, à corriger ses erreurs et à être à l’écoute du peuple, il n’a pas de choix que de s’entourer de bonnes personnes, qui ne manquent. Pour y parvenir, il y a lieu de recourir à des enquêtes de sécurité comme cela se fait dans beaucoup de pays et même sous le règne de Mobutu.

Grâce aux enquêtes de sécurité, une organisation, cas de l’Agence nationale de renseignements (ANR), peut être autorisée à accéder aux données personnelles des candidats proposés à la nomination à un poste stratégiquement important. L’objectif est avant tout de s’assurer qu’il s’agit de la bonne personne, identifiable par son nom, ses qualités et ses compétences. Dans le contexte congolais, plusieurs raisons justifient ce recours aux enquêtes de sécurité, voici quelques-unes :

1) Depuis 1997 il n’existe plus de carte d’identité nationale. À cause de cette situation, des institutions de la République sont infiltrées par des personnes qui peuvent facilement se procurer une carte d’électeur valant pièce d’identité et se prévaloir de la nationalité congolaise.

2) Certains postes exigent une qualification scientifique avérée, or la facilité avec laquelle on peut se procurer une pièce d’identité (carte d’électeur), permet à certaines personnes de commettre le faux en écriture pour falsifier à leur profit des documents académiques et des CV.

3) Depuis plusieurs années, de nombreux compatriotes ont aliéné leur loyauté nationale au profit des puissances étrangères mettant constamment en péril l’intégrité du territoire et la souveraineté du pays. Il est arrivé plusieurs fois que des acteurs politiques soient suspectés d’entretenir des milices pour la sécurisation de l’exploitation illégale des ressources naturelles. Mais ce sont les mêmes qu’on retrouve dans la restructuration des regroupements politiques dans le seul objectif de mieux se positionner pour arracher des postes stratégiques dans le gouvernement dans des entreprises juteuses.

4) Dans la magistrature, la majorité des propositions de nomination et de promotion soumises à la signature du Président de la République de la République ne proviennent pas du Conseil supérieur de la magistrature comme l’indique abusivement la formule ‘’Sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature’’. Nous le savons et tous les magistrats le savent, même s’ils n’osent le dire à haute et intelligible voix. C’est en violation de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature que quelques membres du bureau de cet organe qui se réunissent discrètement et se substituent à l’ensemble du corps pour abuser aussi bien de la confiance du Chef de l’État que de tous les magistrats pour promouvoir ceux qu’ils veulent, sanctionner ceux qui ne leur plaisent pas et surtout fermer les yeux sur de nombreux scandales qui jonchent les carrières des magistrats.

Conclusion 

Le pays tout entier est quasiment pris en otage par une classe politique et dirigeante qui ne se soucie guère de l’avenir de toute la nation. Les combines politiciennes et les compromissions qui ne débouchent presque jamais sur des sanctions, ni disciplinaires ni judiciaires, laissent croire qu’il est effectivement difficile de trouver en République au moins quinze personnes sérieuses sur qui compter pour sortir le pays du fossé dans lequel il git.

Pour toutes les raisons, et pour tant d’autres non invoquées dans cette analyse, nous sommes convaincus que si l’Agence nationale de renseignements est utilisée de manière classique et selon les standards internationaux, elle pourrait servir à mener des enquêtes de sécurité préalables à toute nomination à des postes stratégiques de l’Etat. Toute est question de volonté politique.


Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend
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