Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 04-06-2020 08:15
6694 | 0

Décès en cascade à la Présidence de la RDC : l’urgence d’une approche sécuritaire globale – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Cet article est une libre réflexion étoffée, tirée d’une publication Facebook de Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Mondialisation de la pensée sécuritaire

Confrontés au besoin sécuritaire au sortir de la seconde guerre mondiale, la plupart des Etats se sont lancés dans la logique de la construction des systèmes de sécurité, basés uniquement sur le renforcement de leurs capacités militaires.

On peut définir laconiquement la sécurité comme étant la tranquillité sociale ou absence de la guerre ou des conflits. Selon Edward Carr, la sécurité est devenue la « maladie du corps politique international ». Dans son livre, Traité de stratégie, Hervé Coutau-Bégarie a mis en évidence l’aspect de la mondialisation de la pensée sécuritaire[1]. Le concept de sécurité occupe la priorité des politiques étatiques et internationales et est un enjeu politique universel. La sécurité est aussi un service rendu au public, attendu de toute gouvernance politique[2].

Considérant la notion de sécurité comme étant une réalité beaucoup plus complexe, pour ne se limiter qu’à la seule composante militaire, certains théoriciens des relations internationales, à l’instar de Barry Buzan de l’Ecole dite de Copenhague, Richard Ullman, et Tuchman Mathew, respectivement au Royaume-Uni et aux États-Unis d’Amérique, vont se positionner en faveur de l’élargissement de la notion de sécurité à d’autres domaines.

Ainsi, en 1983, Buzan, politologue et polémologue britannique, dans un ouvrage intitulé : « People, State and Fear : An agenda for international security studies in de Post-Cold War Era », évoquera la nécessité d’appliquer le concept de sécurité à d’autres domaines tels que le politique, l’économique, le sociétal et l’environnement. Dans la pensée de Barry Buzan : le secteur politique englobe tout ce qui a trait à « la stabilité organisationnelle des États, des systèmes de gouvernement et les idéologies qui leur donnent la légitimité ».

Le concept de sécurité va au-delà de la notion de défense. La sécurité ne se limite donc plus qu’aux seuls aspects militaires, mais s’étend aux domaines politique, économique, sociétal et environnemental[3]. Des logiques différentes entre défense et sécurité. La défense est fondamentalement militaire, la sécurité est une préoccupation qui touche tous les secteurs de la vie étatique. La défense repose sur la force, facteur objectif (elle procure ce que l’on appelait autrefois la sûreté), la sécurité repose sur des facteurs subjectifs (sentiment d’insécurité). La sécurité quant à elle est une composante essentielle de la bonne gestion des affaires publiques et des initiatives en faveur de la paix.

La Palais de la Nation, siège officiel des bureaux de la présidence de la république en RDC

Les défaillances sécuritaires graves au sein de la présidence de la république en RDC

En RDC, on assiste depuis quelques mois à plusieurs cas inquiétants de décès dans l’entourage présidentiel attribués au coronavirus selon la déclaration du porte-parole de la présidence. En même temps, un peu partout dans le monde, les gouvernements déclarent la guerre contre cette pandémie. On met en place des stratégies étatiques et on déploie des moyens appropriés pour mettre fin à cette menace. Le fait qu’en RDC, la présidence de la république, le centre stratégique névralgique du pays, soit le premier grand foyer de propagation du Covid-19, montre des failles sécuritaires graves qui peuvent compromettre la sécurité nationale, en commençant par la sécurité physique ou sanitaire du président.

Le conseiller spécial du président en matière de la sécurité est le premier responsable des stratégies sécuritaires nationales et de la présidence. A ce titre, sa responsabilité est largement engagée dans les tragiques évènements qui secouent actuellement la présidence. Rien n’est fait aujourd’hui par ses services pour sanctuariser la présidence et protéger sanitairement son personnel, peu importe les causes des décès à répétition des collaborateurs et proches du président.

Selon nos sources de la présidence congolaise, il y a un foisonnement de services de sécurité aux compétences floues au sein de la présidence au point qu’il y règne une sorte de guerre des « services » entraînant un grave dysfonctionnement dans la sécurisation des installations de la présidence, voire la protection présidentielle. On nous parle même de certains responsables de ces services dont la seule expérience professionnelle était d’être des vigiles dans les supermarchés en Occident ou des portiers dans des discothèques en Europe.

Pire encore, malgré les cas élevés de contamination au coronavirus en RDC, ni les services de santé présidentiels ni les responsables de la sécurité présidentielle ne pensent à édicter des directives prophylactiques à l’attention de l’ensemble du personnel de la présidence pour éviter d’être victime des cas de contamination à la COVID-19, d’empoisonnement ou d’autres menaces pouvant attenter leur sécurité.

La Cité de l’OUA, une des résidences présidentielles congolaises

Le Conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité et le Conseil national de sécurité : centre névralgique de la sécurité présidentielle et nationale

On ne doit pas se voiler la face et il faut cesser de croire aux mythes et aux fantasmes sur le concept de sécurité qui aujourd’hui va au-delà du simple cadre restreint du renseignement. Il y a une certaine tendance profane africaine à confondre la sécurité civile, la sécurité militaire et la sécurité globale.

En RDC, le Conseil national de sécurité (CNS) est une structure qui chapeaute l’ensemble des services de sécurité congolais, civils et militaires. Son origine remonte des années 1980, à l’époque de Mobutu qui crée le Centre National d’Intelligence (CNI) dont l’innovation était qu’il fusionnait les deux départements intérieur et extérieur du défunt Centre National de Documentation (CND). Fin 1979 et début 1980, Mobutu décide de mieux assurer la coordination des « services » – civils et militaires. Il crée le Conseil National de Sécurité (CNS) directement rattaché à la présidence de la République et dont le Conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité était le Secrétaire Général[4]. « Le Conseil National de Sécurité constitue un cadre de concertation de tous les services ayant un objet en rapport avec la sécurité et le renseignement »[5]. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Tshisekedi, le CNS, dirigé par François Beya, devient l’état-major stratégique politique et sécuritaire du président congolais. Tout se passe actuellement au sein du CNS qui détrône progressivement l’ANR et qui joue de plus en plus un rôle de contrôle des services de sécurité et de renseignements congolais, selon une source de la présidence de la république en RDC.

De ce qui précède, un bon conseiller spécial en sécurité doit avoir une maîtrise des aspects de la sécurité civile (services des renseignements civils, immigration…), militaire (armée et la question laborieuse de sa réforme dévoyée), policière, numérique, de la réforme de la justice ainsi que des enjeux sécuritaires géoéconomiques, sanitaires, environnementaux, etc. Le concept de sécurité a énormément évolué avec le temps. Certaines approches sécuritaires brutales d’hier semblent aujourd’hui obsolètes et doivent être revisitées.

Sécurité et stratégie à la présidence de la RDC : savoir anticiper pour ne pas subir les événements

Ceux qui veulent réellement aider le président Tshisekedi à réussir son mandat, dans un contexte politique très difficile, doivent cesser d’applaudir frénétiquement tout ce qui se fait autour de lui. Ils doivent aussi arrêter de manifestèrent une autosuffisance ostentatoire et arrogante alors que sur le terrain le bilan présidentiel est jusque-là plutôt négatif en toute objectivité. Ils doivent plutôt commencer à développer un sens élevé de remise en question de ce qui s’est fait durant le premier tiers du mandat présidentiel. Ils doivent développer et opérationnaliser une méthodologie rigoureuse dite de retour d’expérience (RETEX). C’est-à-dire tirer les enseignements positifs et négatifs de la situation actuelle afin de promouvoir ou créer des réflexes, des procédures et des références dans une perspective de prévention des risques et d’amélioration des réponses et des pratiques de fonctionnement de la présidence. Le retex ne s’improvise pas.

Par ailleurs, la stratégie est la dialectique des intelligences pour mieux orienter et maîtriser l’avenir. Il s’agit de « l’intelligence situationnelle » qui consiste en la faculté de prendre la décision la plus adaptée selon les circonstances présentes avec les éléments à disposition. Cela exige de l’anticipation. Pour anticiper le stratège doit disposer d’informations pertinentes et être bien renseigné, puis faire appel à son intuition rationnelle. Cela ne s’improvise pas ni ne se fait avec complaisance. D’où l’importance de l’étude de la « stratégie » dans les écoles de guerre ou dans les hautes écoles de sécurité et de stratégie. Le commandement/la stratégie est un art qui exige en premier de l’intelligence créatrice (Fuller). Le stratège n’est plus celui qui combat à la tête de ses hommes, comme le faisait Alexandre, c’est celui qui définit et dirige son armée avec une vue d’ensemble.

Napoléon : « A la guerre, rien ne s’obtient que par calcul. Tout ce qui n’est pas profondément médité dans les détails ne produit aucun résultat ».

Clausewitz : « Rien ne réussit à la guerre (Ndlr en politique) que ce qui a été mûrement réfléchi et conçu avec une forte volonté ».

En stratégie, la proactivité qui crée l’effet de surprise chez l’adversaire est une des clés de la réussite. Ainsi, dans le domaine de la stratégie militaire/politique, on avance que l’on peut être battu (militairement/politiquement) mais on ne peut pas être surpris par l’adversaire. La surprise est le fruit de la négligence et de manque de professionnalisme.

Ainsi, la proactivité – la prospective – permet d’avoir l’initiative des actions et de garder la main. L’enjeu, le défi c’est de PRO-AGIR au lieu de REAGIR en se limitant à gérer vaille que vaille les crises en courant toujours derrière l’adversaire et les situations. Quand on réagit, on est à la merci de l’adversaire qui dicte les jeux et les règles du jeu et l’adversaire reste toujours un cran de bataille en avance, on court derrière lui souvent de manière inespérée.

L’objectif ultime est d’accompagner efficacement le Président de la république à prendre des décisions adéquates et bien réfléchies en amont, pour lui permettre d’inverser le rapport de forces en sa faveur. Sinon, l’hémorragie qui frappe actuellement la présidence congolaise ne s’arrêtera pas de sitôt.

« Le chef sans stratégie qui prend son ennemi à la légère se retrouvera inévitablement captif. »

Comprenne qui pourra !

Jean-Jacques Wondo Omanyundu/Exclusivité DESC

Références

[1] Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Economica, 2011, 1000 pages.

[2] JJ Wondo, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine, Amazon, 2019. https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.

[3] Barry Buzan, People, State and Fear: An agenda for international security studies in de Post-Cold War Era, Harvester Press Group, Brighton, 1983.

[4] Jean-Jacques Wondo Omanyundu, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine : des indépendances à nos jours, Amazon, 2019, p. 330. https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.

[5] Article 2 de l’Ordonnance N°86-306 portant organisation et fonctionnement du Conseil National de sécurité, Journal Officiel de la République du Zaïre, n°23 du 1er décembre 1986.

0

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

This panel is hidden by default but revealed when the user activates the relevant trigger.

Dans la même thématique

DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 19:25:48| 230 0
Deuxième Forum Scientifique RDC-Angola
REGISTER Invités d’honneur: Ambassadeur B. Dombele Mbala, Ambassadeur J. Smets, Ambassadeur R. Nijskens Programme : Introduction par M. Jean-Jacques Wondo, Afridesk… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 19:25:48| 219 0
RDC: Jean-Jacques Wondo témoigne de ses conditions de détention devant le Parlement européen
L’expert belgo-congolais en questions sécuritaires, Jean-Jacques Wondo, a dénoncé les conditions de sa détention en RDC, qu’il qualifie d’inhumaines, devant… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 19:25:48| 446 1
RDC-conflits : Pourquoi les accords de paix échouent
Depuis trois décennies, la RDC est le théâtre de l’un des conflits armés les plus meurtriers et les plus longs… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23 Sep 2025 19:25:48| 1195 0
L’ombre structurante de Heritage Foundation sur la RDC : Une paix minée par des intérêts stratégiques et personnels
Résumé: Cet article examine l’accord tripartite signé le 27 juin 2025 entre les États-Unis, la République démocratique du Congo (RDC)… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK