Elève-officier de la toute première promotion congolaise à l’Ecole royale militaire belge (ERM)
Le colonel Georges Vuadi Zinga ne Palata est décédé ce mardi 14 juillet 2020 à Kinshasa, selon une communication reçue du Général Ambroise Malu-Malu. Il faisait partie de la toute première promotion des Congolais admis à la prestigieuse académie militaire belge ERM en 1960, après un passage à l’Ecole des cadets ou des pupilles de l’Ecole centrale de Luluabourg (Kananga) pour la majorité d’entr’eux[1]. Cette promotion comprenait les futurs généraux et colonels Eluki Monga Aundu (Tito), Paul Mukobo Mundende, Jean Ipoma, Ilela Bakatamba, Sasa Muaka, Raymond Omba Pene Djunga, Timothée Ngomba, Jean Kasongo, Samuel Ndjate, Paul Elela, Théo Kabengele, Jean Lemans. C’était la 100ème promotion toutes armes de l’ERM qui comprenait aussi des élèves-officiers rwandais Mukuza et Fabien Ndayimano et burundais : Jérôme Ntongombuani, Charles Kakerolo et Michel Micombero qui deviendra plus tard président du Burundi. Deux autres congolais, Dominique Kalonga et Mpundu feront partie de la 115ème Promotion Polytechnique de l’Ecole royale militaire en 1960.

Selon le général d’armée Eluki Monga que nous avons eu en entretien téléphonique ce jour, le Colonel Vuadi, comme lui, se sont spécialisés en infanterie au terme de leur formation à l’ERM. Quelques temps après leur retour au Congo, ils seront promus capitaines et envoyés au Centre d’Entraînement Infanterie de Kitona (CEKI) comme commandants de compagnie. Le CEKI, créé en 1964, s’occupait de la formation de recrues, de chefs de peloton (adjudants), des moniteurs et aide-moniteurs d’éducation physique etc[2]. Vuadi demeurera fantassin pendant qu’Eluki suivra une formation commando.
En 1967, Vuadi sera envoyé au quartier général (QG) de l’état-major général de l’ANC pour occuper la fonction de G3, c’est-à-dire responsable des opérations et de l’instruction.


Les exploits de Vuadi lors de la Première guerre du Shaba
Cette partie est illustrée notamment par le récit du feu général Paul Mukobo Mundende dans mon ouvrage : Les Armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC.
Durant la deuxième moitié des années 1970 le Zaïre (Congo) fut face à deux conflits armés majeurs. L’interventionnisme effréné et tous azimuts de Mobutu, le watch-dog des Occidentaux en Afrique médiane, en dehors des frontières du Zaïre, dicté par les intérêts géostratégiques de l’OTAN et encouragé par la CIA, le conduit à partir de 1975 à s’impliquer sans ménagement dans la guerre civile qui sévissait en Angola. Ainsi, Mobutu envoya des troupes des FAZ soutenir le Front National pour la Libération de l’Angola (FNLA) et l’Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola (UNITA) dirigée par Jonas Savimbi, qui se battaient contre les forces loyalistes et marxistes du Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA), dirigé par le Président, le Dr. Agostinho Neto. Le retour du feu provoqua la création d’un mouvement insurrectionnel, le « Front pour la Libération Nationale du Congo » (FNLC), créé en 1968 et dirigé par Nathaël Mbumba[3], un ancien commissaire de police à Kolwezi et président d’une association culturelle des Lunda, l’ethnie majoritaire au Katanga[4]. Ce mouvement était composé principalement de combattants zaïrois d’origine katangaise appelés « Tigres » (Troupes d’Infanterie et de Guérilla Révolutionnaires) ou Gendarmes katangais, qui se sont exilés en Angola après l’échec de la Sécession Katangaise et l’assassinat de Moïse Tshombe[5].
L’agression (Première guerre du Shaba ou Shaba I) débute le 8 mars 1977, lorsqu’environ 2000 membres du FLNC, partis de l’Angola, franchissent les frontières congolaises de province du Shaba (Katanga), au sud du Zaïre, avec le soutien gouvernemental de l’Angola, du MPLA et l’implication des troupes cubaines. Les gendarmes katangais envahissent le sud de la province du Shaba (Katanga), suite à une faible résistance des FAZ. Ils en occupent facilement plusieurs localités[6].
Les ex-gendarmes katangais envahissent la commune frontière, Zaïre-Angola, le 8 mars 1977. En peu de temps, ils atteignent leurs premiers objectifs qui sont les localités situées le long de la frontière, à savoir, Dilolo, Kisenge-Manganèse, Sandoa, Kapanga et progressent très rapidement car ils ne rencontrent pas une grande résistance de la part des unités de gendarmerie installées dans différents localités. Cette agression est considérée par tous les responsables tant politiques que militaires comme une surprise. En réalité, il ne s’agissait pas d’une surprise. Car l’invasion était connue des services de renseignements. Mais, les informations transmises par les échelons inférieurs à leurs hautes hiérarchies n’étaient jamais exploitées, déclare le général Mukobo.
Dès le premier mois des attaques, le commandement opérationnel militaire zaïrois, dirigé par le Chef d’état-major général des FAZ, le Capitaine général[7] Bumba Moaso Ojogi, était vite dépassé par les événements. Pour faire face à l’agression ennemie, les chefs militaires restent fidèles à leur principe de scruter le passé pour préparer la dernière bataille. La nouvelle est diffusée par les médias du monde entier. Plusieurs unités d’infanterie, para commandos, blindées, etc. se retrouvent au front et chaque fois elles sont repoussées par l’ennemi. Il faut relever jusqu’à cet instant précis, on ignore celui qui donne l’ordre aux unités pour se lancer dans la bataille, précise le général Mukobo. Au moment où le pays est attaqué par les troupes venues d’Angola, le président Mobutu se trouve à Gbadolité, sa ville natale, devenue la seconde capitale du pays. Informé de la situation, il ordonne au colonel chef d’état-major de la force terrestre de prendre directement le commandement des opérations et le chef d’état-major de son cabinet est désigné officier de liaison. Les deux officiers supérieurs font directement mouvement vers Kolwezi où ils seront rejoints par le capitaine-général (chef d’état-major général) des FAZ[8]. Le général Eluki était le chef d’état-major particulier du président Mobutu.
Dès son arrivée à Kinshasa, le président Mobutu convoque les chefs d’état-major des forces et de la gendarmerie pour examiner la situation tragique que connaissait la nation. A cette réunion seront adjoints tous les responsables des services de renseignements. Elle se tient à huis clos. Ce n’est que quinze jours plus tard depuis l’attaque des ex-gendarmes katangais que les mesures opérationnelles seront prises. D’abord, le président décide de la création d’un conseil de guerre opérationnel pour des raisons faciles à deviner. Mais la grande décision qui est sortie de toutes les réunions tenues par le président de la République est évidemment la composition des unités pour les opérations et communiquée aux officiers de tous les grades réunis au quartier général des FAZ. C’est le chef d’état-major de la gendarmerie nationale qui sera chargé de la communiquer[9]. Mobutu décide de restructurer le commandement et les troupes opérationnelles. Il rappelle le général Bumba Moaso Ojogi à Kinshasa le 15 avril 1977. Il est remplacé par le Colonel Mampa. Après que le général Bumba Moaso eut quitté la zone opérationnelle, le département de la défense décide de renforcer le bataillon Vuadi Na Palata (avec une compagnie en provenance de Kitona. Le 20 avril, le colonel Dikuta Ebilansang, commandant de la 13e brigade de la division de Kamanyola, est désigné commandant des unités du nord.

En effet, pour des raisons inconnues et difficiles à comprendre, le chef de l’Etat a composé personnellement les unités qui doivent aller en opérations contre les insurgés qui ont attaqué la nation zaïroises. Voici ces unités :
– Bataillon Lieutenant-Colonel Vuadi : deux compagnies venant de la division Kamanyola en formation à Kitona, une compagne du 1er bataillon d’infanterie de Kisangani, et deux compagnies constituées des militaires de la 13ème brigade de Kalemie.
– Bataillon Lieutenant-Colonel Mukobo : deux compagnies de la division Kamanyola, deux compagnies de vélites[10] et une compagnie venant du bataillon de Watsa.
– Compagnie Commando Capt Tshibangu.
– Compagnie Commanddo Capt Shabani.
En dehors de deux capitaines qui étaient commandants de leurs compagnies, les deux lieutenants colonels Vuadi et Mukobo étaient des officiers exerçant des fonctions de chefs de section dans les états-majors des forces. Avant cette désignation pour des raisons opérationnelles, ces deux officiers n’avaient pas exercé les fonctions de commandant d’unité.
Pour encourager les commandants d’unités dans leurs missions opérationnelles, le chef d’état-major de la gendarmerie leur dit : “Le président vous a désignés commandants d’unités de combat, parce qu’il connaît vos capacités et il a confiance en vous. Il vous souhaite bonne chance et compte sur votre esprit d’abnégation et votre patriotisme. ”
La progression du bataillon du lieutenant-colonel Vuadi vers Sandoa ne commence qu’au 11 mai 1977, soir deux mois après l’agression des gendarmes katangais, faute de rations et de munitions. Le major Kabangu et son bataillon vont rejoindre le lieutenant-colonel Vuadi à Kafakumba. Le bataillon de Vuadi a occupé la ville de Samuyemba le 12 mai. Un camion a été détruit 4 kilomètres avant Samuyemba par une mine antichars et 6 hommes ont été blessés. Pendant que le bataillon de Vuadi préparait les défenses, un peloton du bataillon Kabangu s’est dirigé vers Naso, sur l’axe Tshipao-Kasaji, pour assurer la sécurité arrière du bataillon de Vuadi en dégageant la zone entre Tshipao-Pwelete et Kashileshi avec les unités du major Ikuku surnommé « Serpent des rails ». Le même jour, le bataillon de Kabangu a reçu l’ordre de se déplacer vers Sandoa. Le 18 mai, le bataillon de Kabangu a été pris en embuscade par les gendarmes katangais à Samaki, mais aucune victime n’a été signalée. Le bataillon de Vuadi a poursuivi sa progression le lendemain.
Le bataillon Kabangu sera de nouveau surpris dans une embuscade à Sandumba le 20 mai 1977 dans une contre-offensive des gendarmes katangais. Le bataillon Kabangu sera quasiment en débandade totale. Il subira d’énormes pertes et abandonnera des munitions et des armes aux rebelles katangais dans sa fuite. C’est alors que les éléments tactiques du PC du colonel Dikuta Ebilansang du bataillon Vuadi viendront au secours de ce qui reste du bataillon de Kabangu. Après une heure, l’offensive vers Tshitibalanga sera lancée par le bataillon Kabangu, le PC tactique du colonel Dikuta et les unités du bataillon Vuadi[11]. Le 25 mai, avec l’appui de l’aviation de combat, les unités des FAZ vont progresser vers Sandoa. À 12 h 10, les éléments de la première ligne de combat feront leur entrée dans Sandoa et à 13 h 30, rejointes par les autres unités pour occuper Sandoa et la reprendre des mains de l’ennemi.
Comme dans d’autres secteurs opérationnels et fronts militaires, les localités de Kapanga et Muswiba seront reprises sans résistance par les forces régulières commandées par le colonel Mulimbi Mabilo, commandant opérationnel de la zone de Kapanga. Kapanga est reprise le 26 mai. Le colonel Mabungu Soko Kombe, commandant du bataillon du 1er Commando va nettoyer par la suite la zone entre Kapanga et Luiza.
Avec le concours de la France, Mobutu viendra finalement à bout de cette rébellion en mai 1977 en repoussant les Tigres Katangais hors des frontières du Shaba à la faveur de l’Opération Verveine montée par le Maroc[12], qui envoie 1500 hommes aérotransportés à bord d’avions Trassall, gros porteurs français. En une semaine, les Marocains reconquièrent le terrain perdu par les FAZ. Face à cet adversaire trop fort, les rebelles préfèrent se replier sans combattre[13]. Giscard d’Estaing s’intéresse vivement à l’immense Zaïre, pourtant en dehors du pré-carré traditionnel de Paris[14]. Les pertes des forces régulières lors de la première guerre du Shaba ont été de 247 soldats tués, 343 blessés et 8 disparus.
Selon les éléments d’analyse de la thèse du major Malutama à l’US Army, la première invasion du Shaba aurait dû servir d’avertissement aux services de renseignement zaïrois. Au lieu de cela, les services de renseignement, à la fois civils et militaires, ont échoué une fois encore à accomplir leurs missions. Nous connaissons le déclin tragique des FAZ, 20 ans après.
Une fin de carrière en demi-teinte
Après l’exploit du Shaba, le lieutenant-colonel sera promu colonel. Il sera nommé par la suite Commandant de la 13ème brigade des FAZ à Kalemie, puis Commandant du Corps Logistique. Il tombera en disgrâce auprès de Mobutu après une affaire de commande de sacs de riz des militaires dont il sera accusé de détournement, selon le général Eluki. Officier très brillant et intelligent, sa carrière militaire connaitra brusquement alors un frein.
Au nom de DESC et de tous les militaires congolais, nous présentons nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches pour cette grande disparition pour la nation congolaise.
Paix à l’âme du vaillant Colonel Vuadi et un tout Grand Merci pour les loyaux services rendus à sa mère-patrie avec bravoure, patriotisme et fidélité.


Jean-Jacques Wondo Omanyundu/ Analyste et expert des questions de défense et de sécurité
Exclusivité DESC
Références
[1] Seuls Mukobo, Omba et Ipoma proviendront de l’Ecole d’éducation physique de Kinshasa. La plupart des cadets issus de l’Ecole de Cadets étaient fils des soldats de la Force publique et quelques fonctionnaires.
[2] JJ Wondo, L’essentiel de la sociologie politique militaire africaine, 2019 : p.250 Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Lessentiel-sociologie-politique-militaire-africaine/dp/1080881778.
[3] JJ Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2ème édition, octobre 2015, p.83. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Armées-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[3] Jean-Pierre Langellier, Mobutu, Ed. Perrin, Paris, 2017, p.264.
[4] Isidore Ndaywel è Nziem, Nouvelle histoire du Congo ? Des origines à la République démocratique, Le Cri, Afrique Editions, 2009, p.559.
[5] JJ Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2ème édition, octobre 2015, p.81. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Armées-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[6] Ibdi.
[7] Une nomenclature ou grade fantaisiste inventé par Mobutu.
[8] JJ Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2ème édition, octobre 2015, p.428. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Armées-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
JJ Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2ème édition, octobre 2015, p.428. Disponible sur Amazon : https://www.amazon.fr/Armées-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.
[9] Témoignage du Général Mukobo dans le Livre Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC.
[10] Les vélites sont les fantassins légers.
[11] JJ Wondo, Le Général Dikuta Ebilasang, héros de la guerre du Shaba, n’est plus : Récit spécial des guerres du Shaba – DESC, 13 septembre 2018. http://afridesk.org/le-general-dikuta-ebilasang-heros-de-la-guerre-du-shaba-nest-plus-recit-special-des-guerres-du-shaba-desc/.
[12] JJ Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2ème édition, octobre 2015, p.89.
[13] Jean-Pierre Langellier, Mobutu, Ed. Perrin, Paris, 2017, p.264.
[14] Jean-Pierre Langellier, Mobutu, Ed. Perrin, Paris, 2017, p. 263.