Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 29-02-2020 14:35
10522 | 0

Corruption et impunité : un cocktail mortel pour la nation congolaise – JB Kongolo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Corruption et impunité : un cocktail mortel pour la nation congolaise

Il n’y a aucune nation qui n’ait inscrit dans son code pénal l’infraction de corruption, l’un des plus grands fléaux des relations sociales, des échanges commerciaux, de gestion du pays et du climat des affaires. Pour en dissuader les auteurs, certains pays la punissent même de peine de mort[1] tandis que par la volonté politique de leurs dirigeants, certains autres pays en renforcent les méthodes de lutte pour ne plus figurer parmi les nations les plus corrompues.

Bien que prévue et punie par notre code pénal, la corruption s’est tellement enracinée dans tous les secteurs qu’elle en est presque tombée en désuétude. Selon le service à rendre ou à obtenir, la corruption est si banalisée au Congo-Kinshasa qu’elle est même aujourd’hui assimilée à un pourboire normal tel que pratiqué dans des restaurants au profit des serveurs et des serveuses, sans que cela choque la conscience populaire. Et pourtant, son impact néfaste sur l’existence de l’État, justifie la place de cette infraction ainsi que d’autres infractions connexes, dans la catégorie des infractions contre l’ordre public.

Grâce aux réseaux sociaux, spécialement l’amplification sur les réseaux sociaux des affaires de 15 millions de dollars des pétroliers et des 200 millions de dollars de la Gécamines, l’opinion publique congolaise semble se réveiller et crier au scandale pour exiger que la lutte contre la corruption et l’impunité soit effective et que des sanctions exemplaires soient prises à l’encontre de quiconque sera reconnu coupable. Mais par où commencer et avec qui mener cette bataille dès lors que non seulement la corruption est presqu’institutionnalisée, elle s’est même confortablement installée dans les mœurs ainsi qu’au sein du pouvoir judiciaire, qui a pour mission de moraliser la vie publique? Dans l’analyse de ce jour, la contribution de DESC consiste d’abord à expliquer pourquoi le législateur a placé la corruption dans la catégorie des infractions contre l’ordre public. Après avoir défini la corruption et la concussion, infraction qui lui est directement associée, nous verrons comment les modes opératoires se sont perfectionnés et diversifiés au fil du temps dans certains secteurs de la vie nationale.

1. Importance de la notion d’ordre public

L’ordre public est une notion que l’opinion publique n’entend souvent et régulièrement que des autorités administratives et policières. Au Congo, c’est surtout lorsqu’il s’agit des manifestations organisées par des partis politiques ou des associations de la société civile. L’argument maintes fois utilisé pour interdire ces manifestations est invariablement le risque de troubler l’ordre public. Mais la notion d’ordre public va au-delà de ce qu’on peut qualifier de trouble de la paix ou de la tranquillité. « L’expression « Ordre public » désigne l’ensemble des règles obligatoires qui permettent la vie en société et l’organisation de la nation. Sans ces règles édictées dans l’intérêt général, les sociétés humaines ne sauraient survivre. L’ordre public couvre des notions générales comme la sécurité, la morale, la salubrité, la tranquillité, la paix publique» [2]

Dans le Dictionnaire du droit privé, Serge Braudo, ancien conseiller à la Cour d’appel de Versailles dit à peu près la même chose : « Il s’agit de l’ensemble des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu. Dans notre organisation judiciaire les magistrats du Ministère Public sont précisément chargés de veiller au respect de ces règles, ce pourquoi ils disposent d’un pouvoir d’initiative et d’intervention.»[3] 

Autant il devient aisé de comprendre pourquoi le législateur a classé la corruption dans titre réservé à l’ordre public, autant il y a lieu de s’étonner qu’une infraction aussi destructrice de la société soit si banalisée qu’il est difficile d’en trouver la jurisprudence dans les annales judiciaires nationales et ce, malgré le rythme et le degré de scandales en cette matière.

2. Les faits que le législateur congolais qualifie d’infraction de corruption

Pour raison d’économie d’espace et de technicité, seuls les articles 147 et 149 ter, qui parlent respectivement de la corruption et de la concussion, seront reproduits à titre d’information générale. L’article 147 parle «  De la corruption des fonctionnaires publics, des officiers publics, des personnes chargées d’un service public ou parastatal, de toutes personnes représentant les intérêts de l’État, des arbitres ou des experts commis en justice. »

« Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou parastatal, toute personne représentant les intérêts de l’État ou d’une société privée, parastatale ou d’économie mixte en qualité d’administrateur, de gérant, de commissaire aux comptes ou à tout autre titre, tout mandataire ou préposé des personnes énumérées ci-dessus, tout arbitre ou tout expert commis en justice qui aura agréé des offres, des promesses, qui aura reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction, de son emploi ou de sa mission, même juste mais non sujet à salaire, sera puni de six mois à deux ans de servitude pénale et d’une amende de cinq à vingt zaïres. La peine prévue à l’alinéa précédent pourra être portée au double du maximum, s’il a agréé des offres ou promesses ou s’il a reçu des dons ou présents, soit pour faire, dans l’exercice de sa fonction, de son emploi ou de sa mission, un acte injuste, soit pour s’abstenir de faire un acte qui rentre dans l’ordre de ses devoirs. » Comme en ce qui concerne l’adultère, l’on ne peut parler de la corruption qu’en mettant en présence le corrupteur et le corrompu. L’on parle de la corruption passive, lorsque le prestataire des services ne fait qu’agréer ce qui lui est offert pour accomplir un acte de son devoir et de la corruption active lorsque c’est lui qui sollicite. Dans ce dernier cas, il s’agit de concussion.

Article 149 ter : « Tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou parastatal, toute personne représentant les intérêts de l’État ou d’une société étatique au sein d’une société privée, parastatale ou d’économie mixte en qualité d’administrateur, de gérant, de commissaire aux comptes ou à tout autre titre, tout mandataire ou préposé des personnes énumérées ci-dessus, tout arbitre ou tout expert commis en justice qui aura sollicité directement ou par personne interposée des offres, promesses, dons ou présents, pour faire un acte de sa fonction, de son emploi ou de sa mission même juste mais non sujet à salaire, sera puni d’une servitude pénale de trois mois à un an et d’une amende de deux zaïres cinquante makuta à dix zaïres ou d’une de ces peines seulement. »

Sans Les usagers des services publics congolais sont presque tous familiarisés aux faits décrits par le législateur à travers ces deux dispositions. Quel que soit le secteur d’activités, il est difficile de dire s’il en existe encore où les prestations sont exécutées au-delà de ce qui est légalement requis. Passive ou active, la corruption est tellement ancrée dans les mentalités congolaises que ne pas solliciter des dons pour accomplir son devoir ou ne pas offrir quelque chose pour obtenir ce à quoi on a droit, est perçu comme une violation des règles « non écrites » de convivialité. Pour en comprendre les ravages sur le plan des mœurs, tout magistrat ou tout agent des régies financières qui n’aurait pas à ce jour une voiture de luxe ou qui serait locataire est considéré comme un idiot « Yuma ». Dans son entourage comme dans sa famille, il fait l’objet de moquerie : « mutu ya ba logique » (inutilement rigoureux).

Alors que soixante ans après l’indépendance, le Congo aurait pu profiter de sa dimension continentale et de ses ressources naturelles et humaines pour se hisser au rang des pays émergents, où la justice distributive permettrait l’éclosion d’une nombreuse classe moyenne, c’est plutôt le déclin qui est déjà amorcé, avec la complicité de ses propres fils et filles qui se rejettent la responsabilité de cette descente aux enfers. Tél un cancer métastasé qui a fini par atteindre les organes vitaux, la corruption n’épargne aucun secteur de la vie. Pour la présente analyse, nous avons choisi de ne parler que de l’enseignement, des mines, des régies financières et des institutions publiques, dont la justice.

3. Les dégâts de la corruption dans certains secteurs de la vie nationale
3.1  Les dégâts de la corruption dans l’enseignement

Pour faire face à la compétition, devenue impitoyable dans les échanges industriels, technologiques, économiques et commerciaux, plusieurs pays ont compris qu’il faut massivement investir dans l’éducation et la recherche scientifique. Pour cela, les budgets alloués à ce secteur sont chaque année revus à la hausse tandis que le contrôle est devenu rigoureux sur leur utilisation.

Au Congo, n’importe qui peut obtenir en quelques jours l’agrément d’un établissement d’enseignement primaire, secondaire et même universitaire sans se soucier des infrastructures et de la qualité de la formation. Non seulement on parle des points sexuellement et politiquement transmissibles, la célébrité de certains professeurs se mesure à leur capacité d’imposer aux étudiants l’achat des syllabus dont le contenu reste le même des années durant faute de recherches et de mise à jour. Ceux qui devraient être considérés comme cadres de demain pour prendre la relève, sortent ainsi de ces universités scientifiquement non viables avec des titres académiques semblables aux passeports sans destination. Leur rendement étant nul sur le terrain professionnel, des entreprises, surtout à capitaux étrangers, préfèrent recruter des jeunes Congolais sortis des universités occidentales, indiennes, chinoises ou d’autres pays africains

A de degrés divers, nous participons ou assistons tous à la mort lente et certaine de notre pays. Car, pendant des générations, ce sont ces « diplômés » d’université, eux-mêmes produits de la corruption, qui seront déversés par corruption dans tous les secteurs de la vie nationale. Par conséquent, on aura des enseignants mal formés qui vont transmettre leurs insuffisances à leurs apprentis, des médecins incapables de poser un diagnostic, des infirmiers ne sachant pas prelever des signes vitaux, des agronomes et vétérinaires fouillant la campagne et ne sachant pas encadrer des fermiers, des architectes et ingénieurs incapables de concevoir un plan ou de conduire des travaux, etc.

3.2. Les dégâts de la corruption dans les services publics et les institutions

La corruption dans les services et entreprises publics du Congo est aujourd’hui pareille à la peste dont avait parlé Jean de la FONTAINE comme un mal qui répand la terreur : « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés; ». Ils, ce sont tous ces services où les usagers ne se sentent plus choqués de verser à chaque étape du traitement d’un dossier des frais que rien de légal ne peut justifier et qui disparaissent dans les poches de ceux, agents et hauts fonctionnaires, qui ont la charge de servir la nation. A ce sujet, le peuple a hâte de connaître les résultats des enquêtes que mènent les Parquets généraux de Kinshasa/Gombe et Matete. Voici quelques exemples de la manière dont la corruption est intégrée dans les habitudes administratives et de gestion:                                                                                                                                 -Du chef de quartier au géomètre arpenteur, en passant par le chef de bureau de cadastre, les démarches pour l’obtention d’un contrat de concession perpétuelle avec certificat d’enregistrement peuvent coûter quelques milliers de dollars selon les cas, sans que cela ne garantisse la sécurité juridique du titre de propriété. En effet, le risque reste permanent de tout perdre, sinon de se retrouver involontairement dans un onéreux conflit judiciaire dès que surgit un voisin plus offrant convoitant le même terrain ou voulant obtenir l’élargissement du sien. Nombreux sont ceux qui ont déjà vécu le déplacement des bornes ou découvert, au tribunal, des termes et expressions plus techniques de stellionat, faux et usages de faux, inattaquabilité du certificat d’enregistrement ou encore des adages comme « le pénal tient le civil en état. »[4] ;

– Sauf si les mœurs ont positivement changé, ce qui serait surprenant au vu de la dégradation des conditions sociales, il faut « motiver » les professionnels de la santé dans un hôpital de l’État, cas de l’ex-Mama Yemo, pour que le cas de votre parent malade soit traité avec empathie et diligence. Plus est consistante la motivation, plus la compétence et le dévouement des membres de l’équipe soignante valent l’admiration.[5] Dans ce pays où il n’existe pas d’assurance maladie, des malades dont les familles logent le diable dans les poches, n’ont que la foi pour attendre la guérison miracle. Sinon, il faut se contenter de l’activisme débordant des pasteurs et des intercesseurs qui se relaient, parfois avec zèle et intérêt, aux chevets des patients pour implorer la survenance du miracle ;

-Pour la célébration ou l’enregistrement d’un mariage civil devant l’officier de l’état civil, plus personne ne se pose la question de savoir comment l’État  peut exiger aux fiancés ou à leurs familles, « comme condition de forme », de donner des chaises en plastic, des bouteilles de vin ou de champagne, des caisses de bière, tout cela en plus des sommes d’argent dépassant de loin les frais administratifs. A la commune de Barumbu, en 2002, un agent se présentant comme responsable communal de la DGM, avait même osé nous exiger de l’argent pour avoir l’autorisation de prendre des photos de la cérémonie de mariage d’un cousin. Grâce à notre vigilance et à la carte de magistrat que nous avions exhibée après une petite discussion, nous n’avions payé au service de l’état civil que les frais légalement exigés.

-Alors que l’État congolais se fait humilier pour obtenir des bailleurs de fonds de prêts souvent insignifiants pour arrondir chaque année son budget, des agents des régies financières se font proclamer des héros dans leurs quartiers grâce à l’argent amassé dans des opérations de retro-commissions faites en complicité avec des contribuables pour déposséder l’État de ce qui lui revient. Le redressement fiscal est l’arme fatale entre les mains de cette catégorie d’agents de l’État pour placer le contribuable devant un fait accompli : ou il paie à l’État des sommes exorbitantes et souvent extrapolées, ou il accepte de collaborer au maquillage des chiffres au détriment de l’État. Il y a à peu près deux ans, nous avions surpris un inspecteur chef de division de la DGI, bien connu de nous, s’adressant maladroitement à son ami sur son compte public Facebook pour demander à ce dernier, affecté à l’Est du pays, d’identifier quelques entreprises juteuses pour que lui sollicite auprès de son chef une mission officielle qui allait profiter à tout le monde. Dieu seul sait si cette mission avait eu lieu et surtout combien d’argent avait échappé au trésor public ;

Dans des provinces minières et aux postes frontaliers comme Kasumbalesa, la corruption se porte à merveille. En plus des carrières minières accordées au rabais à des exploitants étrangers, même non en règle avec l’immigration, des agents de l’État et des services douaniers ferment volontairement leurs yeux sur la quantité et la qualité de minerais exportés quotidiennement. Selon nos sources, des ordinateurs et scanneurs sont même manipulés pour brouiller le contrôle, pendant que des embouteillages sont artificiellement créés pour faciliter la fraude ;

-Plus subtile et plus désastreuse pour l’économie du pays est la corruption des détenteurs du pouvoir d’État au niveau national, particulièrement les ministres. Pour contourner la rigueur réelle ou de façade des agents de l’État, certains opérateurs économiques traitent en amont avec des membres du gouvernement fraîchement nommés au profit de qui ils déposent des sommes faramineuses dans des comptes ouverts au nom des membres de leurs familles. Le plus souvent, ce sont des dons en nature qui sont offerts, des voitures de luxe bâchées dont certaines sont gardées en toute discrétion chez des amis ou chez des membres de familles pour ne pas attirer l’attention des curieux ou faute d’espace. Un collègue juge, nous avait confié qu’il avait parmi ses contacts un Libanais qui assurait l’approvisionnement de sa famille en vivres et en équipements électroménagers, en échange de son intervention dans des affaires judiciaires auprès d’autres collègues. Certains de ces opérateurs choisissent de traiter avec des officiers supérieurs, eux-mêmes impliqués dans l’exploitation illicite des ressources naturelles, à qui ils assurent une rétribution consistante au détriment de l’État;

-Dans les entreprises publics, les contrats de passation des marchés, de sous-traitance et surtout de fourniture des équipements se font en fonction de la capacité pour le cocontractant d’élever la hauteur des rétrocommissions.

Les « élus du peuple » ne sont pas en reste.

Sous l’apparence patriotique durant les deux législatures écoulées, certains députés avaient trouvé un moyen de se remplir les poches auprès des ministres et des mandataires des entreprises publiques. Leur « drone » consistait à savoir articuler une question orale ou à brandir la menace d’interpellation plus vite abandonnée en échange des espèces sonnantes et trébuchantes pour ne pas humilier publiquement leur cible. Même chose pour maintes missions de contrôle parlementaire dont les rapports accablants ont été étouffés au moyen de l’argent du contribuable. Au cours des deux précédentes législatures, un député avait confié à un ami qu’il enviait ses collègues juristes, eux qui savaient jongler avec le français et le droit pour se faire de l’argent en faisant chanter les ministres et les PDG grâce aux questions orales et aux interpellations. C’est pourrait expliquer cette ruée des politiciens congolais vers les études de droit. Empêtré lui-même dans des inimaginables scandales de corruption dont certains membres n’ont rien à envier aux hommes d’affaires, le Pouvoir judiciaire est paralysé et ne parvient plus à moraliser la vie publique, à dissuader les criminels et à sanctionner sévèrement les malfaiteurs.

3.3. Les dégâts de la corruption au sein du pouvoir judiciaire

A l’exception de certains de ses membres, noyés dans la marre infestée, c’est depuis très longtemps que le Pouvoir judiciaire a cessé de se faire respecter. Pour ester en justice ou pour se défendre, les justiciables qui en ont les moyens affûtent leurs arguments financiers, plus éloquents et plus convaincants que les arguments de droit, pour dénaturer les faits et orienter le délibéré. Même la veille du prononcé du jugement, le délibéré peut complètement basculer en faveur de la partie la plus diligente et ce, après avoir perçu de l’argent des deux côtés. Quelle que soit la banalité ou la gravité des faits, grâce ou faute d’argent, les délais « légaux » de traitement du dossier peuvent être allongés ou raccourcis, de même que la sentence du juge peut scandaliser positivement ou négativement. Ceux des avocats qui sont encore fiers de leur profession ont depuis longtemps cessé de fréquenter les Palais de justice pour ne pas se contenter de jouer le rôle de commissionnaires entre leurs clients et les magistrats.

En effet, des magistrats ne se gênent plus de persuader leurs justiciables en leur disant que le meilleur avocat, c’est le juge lui-même et qu’il vaut mieux remettre l’argent destiné aux honoraires au juge plutôt qu’à l’avocat. En dehors des justiciables ou de leurs avocats qui négocient directement ou indirectement, des magistrats eux-mêmes agissent discrètement par le biais des greffiers et autres agents de justice. A leur tour, ces derniers en profitent pour monter les enchères, en plus de ce qui leur est rétribué. Par toutes sortes de pratiques aussi illicites qu’anti déontologiques, des juges et des magistrats du parquet ont transformé le pouvoir judiciaire en un juteux business consistant à contraindre, peu importe la clarté des faits et du droit, tout justiciable à négocier la décision par crainte de voir l’adversaire l’emporter. Il y en a qui s’enfermeraient pendant très longtemps sans le courage d’apparaître en public si nous publiions tous les scandales que nos sources nous révèlent régulièrement. Il ne s’agit nullement des allégations gratuites mais des faits réels que nous ne pouvons étaler ici faute d’espace :

-Arrêter quelqu’un en fin de semaine, sans indices sérieux de culpabilité et/ou le détenir illégalement même si sa fuite sa fuite n’est pas à craindre. Les opposants politiques et les activistes des droits de l’homme en ont fait souvent les frais sous le régime précédent. Dans le même temps, des dossiers les plus scandaleux de blanchiment d’argent et de détournement « reposent en paix » dans des cabinets des magistrats. Durant tout le règne de Joseph Kabila, aucun ministre ni aucun mandataire public n’ont été inquiétés par la justice, comme le Congo était devenu un exemple de bonne gouvernance;    -Dans une volumineuse affaire qui requiert une étude approfondie du dossier et un avis écrit, le magistrat du parquet se précipite à donner son avis sur les bancs (à l’audience) parce qu’il a été préalablement motivé. Si ce n’est pas le cas, le dossier est gelé durant plusieurs mois pour contraindre les parties à négocier l’avis afin d’en finir.       -Refus par des juges de se récuser dans une affaire où le conflit d’intérêt ne fait l’ombre d’aucun doute. C’est pareil pour un juge, bien motivé et pressé de rendre service plutôt que de dire le droit, qui passe audacieusement outre toutes les exceptions d’ordre public soulevées à la barre et qui décide de les joindre au fond, obligeant les parties à plaider;

-Il arrive plus fréquemment qu’à cause de l’argent déjà perçu ou pour ne pas rater des sommes promises en bonus, des juges refusent aux parties « moins entreprenantes » le droit légal de communiquer les pièces dans un dossier civil.

-Informé de sa promotion et de sa mutation lors des dernières mises en place avant les élections, un magistrat du parquet général près la Cour d’appel de Matadi s’était précipitée à produire son avis le lendemain des plaidoiries dans un dossier complexe et très volumineux où la loi lui accordait un mois pour son avis écrit. Craignant d’être notifiés alors qu’ils étaient eux aussi déjà motivés par la même partie, ses collègues de la Cour lui avaient emboîté le pas en rendant précipitamment leur verdict de la honte. A ce jour, la partie victime de ce banditisme judiciaire attend que la Cour de cassation remette le dossier sur la voie du droit.

– Ce n’est un secret pour personne que c’est l’argent qui a permis à beaucoup de candidats aux dernières élections d’être proclamés élus à la suite des recours ou de rectification d’erreurs matérielles. En complicité avec la CENI, la Cour constitutionnelle et les Cours d’appel ont même permis à certaines familles de politiciens (parents et leurs enfants) de rafler les différents sièges des institutions délibérantes (Assemblée nationale, Sénat, Assemblée provinciale).

Conclusion

Le Congo n’est pas le premier pays à être gravement atteint par la corruption. L’histoire ancienne et récente nous apprend comment les autres ont pu puiser dans leurs ressources morales pour s’en sortir. Nous avons à la fois l’obligation et l’intérêt de combattre la corruption. Avec quelques exemples puisés dans le vécu quotidien de quelques secteurs de la vie nationale, chacun peut se rendre compte de la manière dont les fabuleuses richesses ne profitent qu’à une poignée d’individus. Pareille situation éloigne le décollage économique et hypothèque la souveraineté nationale. En effet, grâce à ses immenses et multiples ressources naturelles du sol et du sous-sol, le combat contre la corruption épargnerait le pays de se faire humilier pour des prêts ridicules en vue d’arrondir son budget et réaliser les vrais projets de développement.

Mais comment y parvenir lorsque tous les secteurs sont touchés comme les animaux malades de la peste? C’est pourquoi nous pensons, comme nous l’avons toujours soutenu dans nos abondantes analyses, qu’un grand travail reste à réaliser au niveau du pouvoir judiciaire. Mais comme les membres de cette noble institution ont endossé et développé à leur profit et à leurs manières toutes les pratiques de corruption, en consacrant l’impunité, il va falloir qu’un corps indépendant, rigoureusement sélectionné, s’occupe des récalcitrants au changement. Sur ce sujet, nous alertions déjà l’opinion publique en 2015 : « Comme la peste, même si elle en épargne quelques éléments résistants et à forte personnalité, la corruption ravage tout l’appareil judiciaire, du plus haut magistrat au plus jeune nouvellement recruté. Elle se manifeste par la marchandisation, aux enchères, des décisions de justice à la tête du client, sommé de débourser en dizaines de milliers de dollars américains un montant parfois non négociable pour obtenir une décision de justice favorable. L’argent ayant voix prépondérante dans le délibéré, les faits de la cause sont examinés selon l’intérêt que peuvent en tirer les juges tandis que malgré leurs conclusions et notes de plaidoiries, des avocats se prêtent à ce jeu en acceptant d’être réduits au rôle de garçons de course(commissionnaires) des juges et des clients, pourvu qu’ils y gagnent quelque chose. »[6] La corruption et l’impunité sont un cocktail mortel pour la nation, il faut les combattre avec le bâton et non avec la carotte. La balle est dans le camp du Président de la République.

Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend , Juriste & Criminologue
Excleusivité DESC
Références

[1] Cas de la Chine

[2] La Toupie, In http://www.toupie.org/Dictionnaire/Ordre_public.htm.

[3] In https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/ordre-public.php.

[4] « Le pénal tient le civil en état est un ancien adage du droit français. Il consiste en ce que le procès civil soit suspendu en attente du jugement pénal, quand il est jugé de la même affaire devant les deux juridictions. », In https://www.doc-du-juriste.com/blog/conseils-juridiques/dissertation-juridique-exemple-penal-tient-civil-etat-18-12-2018.html.

[5] Cas vécu lors de l’hospitalisation de notre géniteur en 1998

[6] Kongolo, JB. 2015, Pouvoir judiciaire de la RDC : avec quels hommes et quelles femmes?, In https://afridesk.org/pouvoir-judiciaire-de-la-rdc-jb-kongolo/.

0

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

This panel is hidden by default but revealed when the user activates the relevant trigger.

Dans la même thématique

DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 08:28:11| 191 0
13 septembre : une journée sombre pour la justice congolaise
Il y a exactement un an jour pour jour, le tribunal militaire de garnison de Kinshasa/Ndolo me condamnait à mort,… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 08:28:11| 164 0
RDC : Jean-Jacques Wondo dépose plainte en Belgique pour menace de mort
Il y a dix jours, un journaliste congolais critique du régime Tshisekedi a été violemment agressé à Tirlemont. “Les menaces… Lire la suite
Par La Rédaction de AFRIDESK
DROIT & JUSTICE | 23 Sep 2025 08:28:11| 215 0
RDC: Jean-Jacques Wondo témoigne de ses conditions de détention devant le Parlement européen
L’expert belgo-congolais en questions sécuritaires, Jean-Jacques Wondo, a dénoncé les conditions de sa détention en RDC, qu’il qualifie d’inhumaines, devant… Lire la suite
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu