Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 23-12-2021 09:30
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Coopération policière RDC – Rwanda : un protocole d’accord illégal et dangereux – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

La Police nationale congolaise (PNC) et la Rwanda national police (RNP) ont signé le 13 décembre 2021 à Kigali au siège général de la police nationale rwandaise à Kacyiru un protocole d’accord pour officialiser la coopération bilatérale transfrontalière dans diverses questions urgentes de maintien de l’ordre. Cet accord a été matérialisé par les signatures du commissaire général Dieudonné Amuli Bahigwa et  son homologue rwandais, l’inspecteur général de police (IGP) Dan Munyuza.

Très peu d’éléments du contenu de ce protocole d’accord sont connus par le public, si ce ne sont les allégations répandues sur les réseaux sociaux faisant état de la possibilité pour les éléments de la police rwandaise de venir opérer en territoire de la RDC, sans savoir si les policiers congolais peuvent également intervenir dans le territoire rwandais. Cela a poussé la population de Goma de manifester énergiquement avec un bilan macabre de deux morts (dont un policier) et six blessés[1].

Cependant, selon les déclarations publiques des autorités policières concernées, le protocole d’accord signé oblige les deux institutions policières à unir leurs efforts contre la criminalité transnationale organisée et le terrorisme ; la contrebande et le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes ainsi que de leurs précurseurs ; la contrefaçon de monnaie et la prolifération des armes légères et de petit calibre. D’autres domaines de partenariat incluent l’expertise et le partage de renseignements, la conduite d’opérations conjointes ou simultanées, la lutte contre la cybercriminalité, la traite des êtres humains, le trafic d’organes et la fraude documentaire.

Aussi, la police rwandaise a réitéré l’engagement du Rwanda à travailler avec la police de la RDC et d’autres institutions policières régionales pour établir une unité opérationnelle conjointe à Goma afin de collecter des informations sur les activités terroristes dans la région.

La coopération policière interétatique doit se conformer aux principes de droit international et de droit interne des Etats concernés

La criminalité organisée et le terrorisme sont de nouvelles menaces qui s’internationalisent et ne connaissent plus de frontières en raison de tendances telles que la mondialisation croissante et l’imbrication des organisations criminelles internationales dans la société. La coopération internationale des services de sécurité est devenue au fil des années une composante absolument indispensable de la prévention et de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. La coopération policière internationale requiert également un besoin crucial de coordination et de clarification pour une meilleure efficacité, ainsi qu’une attention permanente pour garantir non seulement le respect des libertés et droits fondamentaux des citoyens, mais aussi la souveraineté et l’intégrité territoriale des États concernés.

Cela doit absolument se réaliser dans un cadre bien réglementé à la fois par le droit international et le droit interne de chaque État concerné. Cela exige des accords de coopération clairs et précis pour éviter des zones d’ombre.

Les matières relatives à la défense et à la sécurité sont tellement sensibles en ce qu’elles concernent la souveraineté, l’intégrité territoriale, et l’indépendance d’un Etat ainsi que les droits et libertés de ses citoyens qu’elles ne peuvent être traitées avec légèreté et en toute irresponsabilité.

Dans le cadre de la coopération policière transfrontalière interétatique, la doctrine internationale requiert qu’il n’y ait pas de coopération policière interétatique sans accord de coopération étatique signé par les autorités politiques habilitées et ratifié par les parlements nationaux respectifs des deux États concernés.

C’est le cas des accords de Schengen dans l’Union européenne, qui permettent notamment la possibilité de l’observation des passages de frontières des polices des Etats concernés ou de poursuite d’une personne suspectée d’infraction sur le territoire d’un autre Etat signataire ayant un frontière terrestre contiguë avec l’Etat de la police poursuivante.

Dans le cadre des accords de Schengen, l’observation transfrontalière[2] permet aux officiers de police d’un pays, dans le cadre d’une enquête judiciaire, de continuer sur le territoire d’un autre pays Schengen la surveillance et la filature d’une personne présumée avoir commis des faits d’une certaine gravité ou d’une personne à l’égard de laquelle il y a de sérieuses raisons de penser qu’elle peut conduire à l’identification ou à la localisation de la personne susmentionnée.

La police d’un État Schengen peut franchir les frontières nationales terrestres pour poursuivre une cible, si elle n’est pas en mesure de prévenir à l’avance la police du deuxième État avant l’entrée dans ce territoire, ou si les autorités du deuxième État sont dans l’incapacité d’atteindre le lieu de la poursuite à temps. Chaque Etat membre définit dans une déclaration les modalités d’exercice de la poursuite sur son territoire pour chacune des parties contractantes avec laquelle il a une frontière commune[3].

Le protocole d’accord entre la RDC et le Rwanda est illégal, nébuleux et dangereux

Le mémorandum qui vient d’être signé entre la RDC et le Rwanda présente les atours caractéristiques d’une diplomatie occulte. Sur le plan du droit international, il viole l’article 102 de la  charte de l’ONU. En effet, l’Article 102 stipule que tout traité ou accord international conclu par un État Membre après l’entrée en vigueur de la Charte doit être enregistré auprès du Secrétariat; à défaut, il ne pourra pas être invoqué devant un organe de l’Organisation des Nations Unies.

Par ailleurs, sur le plan du droit public interne congolais cet accord viole l’article 213 de la Constitution congolaise. En effet, cet article prévoit que seul le président de la république ou le gouvernement central sont autorisés à négocier, ratifier ou conclure les traités et les accords internationaux (article)[4].

En effet, de tels accords ne peuvent se faire en principe qu’au moyen des traités et des accords de coopération policière bilatéraux ou multinationaux permettant aux services de police de mener des actions sur le territoire de ces pays voisins (patrouilles mixtes, poursuites transfrontalières, etc.).

Derrière ces accords, il y a le principe de réciprocité qui veut que, pour le cas sous analyse ici, si la police rwandaise est appelée à mener des opérations sur le territoire congolais, les éléments de la PNC doivent également être autorisés à opérer sur le territoire rwandais. Rien n’est dit sur cet aspect.

Par ailleurs, les accords de coopération policière doivent être strictement encadrés sur la délimitation du périmètre territorial d’action des polices concernées, la définition précise des modalités d’exercice de la poursuite sur son territoire pour chacune des parties contractantes avec laquelle il a une frontière commune contiguë et surtout sur l’usage des moyens de contrainte. Nous n’avons non plus aucune information sur ces aspects opérationnels.

Conclusion

En allant conclure un accord de coopération policière bilatérale entre la RDC et le Rwanda, le Général Dieudonné Amuli Bahingwa a violé la Constitution congolaise. Même s’il s’est défendu devant la presse que sa visite au Rwanda ne concernait pas l’invitation de la police rwandaise à venir opérer en RDC. Le général Amuli a été incapable d’exhiber devant la presse le document reprenant le contenu complet de ce mémorandum pour lever toute équivoque et tout soupçon sur les finalités de ce mémorandum.

Sachant que par le passé les autorités congolaises avaient permis aux éléments de l’armée rwandaise d’opérer en tenues militaires des FARDC, rien ne nous garantit aujourd’hui qu’en cas d’intervention des éléments de la police rwandaise, ceux-ci ne seraient des militaires rwandais déguisés en policiers.

Enfin, nous nous questionnons sur les intentions réelles derrière cette précipitation de vouloir conclure ce mémorandum flou avec le Rwanda, dont on ne connait pas la teneur, juste au moment où l’armée ougandaise, dont le pays est en conflit ouvert avec le Rwanda dans leurs frontières communes, intervient en RDC dans une zone confrontée également par le Rwanda.

Enfin, si la volonté est de créer une unité de coordination opérationnelle régionale, nous conseillerions le président Félix Tshisekedi à œuvrer pour ressusciter la CEPGL[5]. Ainsi, les autorités des Etats-membres de cette organisation sous régionale peuvent installer à Gisenyi, le siège de la CEPGL, le centre régional de l’unité opérationnelle conjointe avec l’Ouganda, le Burundi & la RDC, élargie à la Tanzanie. Au cas contraire, les Congolais doivent rejeter avec énergie ce qui s’apparente à une forme de réoccupation militaire déguisée de la RDC par le Rwanda. D’autant plus que le fameux accord semble avoir été signé sans associer les ministères des Affaires étrangères et de la Coopération régionale ni les ministres de l’Intérieur des deux pays concernés.


Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Criminologue ;  Diplômé de l’ex-Ecole Royale de Gendarmerie (Belgique) ;
Diplômé de l’Ecole Royale militaire et breveté des Hautes études de sécurité et de défense.

Références

[1] https://cas-info.ca/2021/12/goma-les-manifestations-contre-la-pretendue-arrivee-de-la-police-rwandaise-font-2-morts-et-6-blesses/.

[2] Cette possibilité est cependant très encadrée. L’observation est en effet soumise, sauf urgence, à l’autorisation préalable de l’Etat sur le territoire duquel elle s’effectue, sur la base d’une demande d’entraide judiciaire. Si l’autorisation préalable de l’Etat concerné n’a pu être obtenue en raison de l’urgence, l’observation doit prendre fin dès que l’Etat sur le territoire duquel se déroule l’observation le demande et au plus tard, en cas de silence de ce dernier, cinq heures après le franchissement de la frontière.

[3] http://www.espaces-transfrontaliers.org/ressources/themes/securite-police/securite-police-2/.

[4] Article 213 de la Constitution RDC : Le Président de la République négocie et ratifie les traités et accords internationaux.

Le Gouvernement conclut les accords internationaux non soumis à ratification après délibération en Conseil des ministres. Il en informe l’Assemblée nationale et le Sénat.

[5] Communauté économique des pays des Grands-Lacs.

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