Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 10-01-2021 16:05
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Congo-Kinshasa : Les aberrations de la République – Ndjoku Bokungu

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Cette tribune est une libre réflexion de l’Ir. Ndjoku Bokungu

Introduction

La RDC est une jeune République dont les fils ont pris en main la destinée à partir du 30 juin 1960. Plus de soixante ans après, le pays tarde toujours à prendre l’envol souhaité. La République cherche sa voie. Le mieux que l’on puisse en dire, c’est qu’elle avance à pas de tortue. En réalité, elle semble avancer en reculant. Les raisons de l’échec sont diverses et peuvent faire l’objet de plusieurs études. Ce n’est pas l’objectif de ce document. Ce texte a pour objectif de présenter un angle de vue différent sur des faits bien connus par le public afin de mettre en évidence des incohérences et des aberrations qui peuvent s’en cacher.

Cette perception des inconsistances peut également générer des réflexions sur les raisons d’être et les points communs des aberrations, bases de travail pour ceux qui devront mener des solutions durables pour la République.

1. Médecins-Directeurs transformés en supra-juges

Un des fondements principaux de n’importe quelle démocratie est la liberté de mouvement. La République démocratique du Congo ne fait pas exception en cette matière. Sa constitution, en son article 17 (1er alinéa), dispose que « la liberté individuelle est garantie. Elle est la règle, la détention l’exception ». D’autres textes légaux dessinent les contours de cette exception. Sauf cas particuliers clairement définis et précisés par des dispositions légales (garde à vue par exemple), il existe une seule institution habilitée à restreindre la liberté individuelle, c’est la justice. En outre, elle le fait de sorte à respecter scrupuleusement les droits de la défense.

Pourtant, les maternités de la ville de Kinshasa se transforment parfois en centre de détention pour femme n’ayant pas payé tous les frais de maternités [1]. Les dirigeants de la maternité se seraient donc investis des prérogatives reconnues à la justice.

Ce phénomène est pourtant bien connu dans la capitale si bien que le 04/08/2020 lors d’une visite à la maternité Mwinda, la fondation Denise Nyakeru Tshisekedi peut-on lire dans Actualité.CD [2] « a apuré les factures de prise en charge des femmes retenues à la maternité ainsi que celles des enfants bloqués à la pédiatre à cause de non-paiement des frais relatifs aux soins ». L’association : « Fondation Grâce Monde»[3] quant à elle, a pour objectif notamment, de « Lutter contre la séquestration dans des maternités des femmes et enfants après l’accouchement».

C’est donc d’une aberration déconcertante que dans la république, les dirigeants d’une entreprise de biens ou de services, privée ou publique, puissent s’octroyer des droits exclusivement réservés aux juges. Bien plus, ils surpassent les dispositions légales exigées aux hommes de la Loi. Ils se comportent en « Supra-juges ». Ce qualificatif tient du fait qu’entre autres, la peine qu’ils prononcent, n’est soumise à aucun recours en seconde instance, dépourvue de date de fin et ne possédant aucun caractère réparateur de la cause reprochée.

2. Gouverner un Etat sans avoir d’Etat à gouverner

Trois invariants se retrouvent dans la définition que la majorité des auteurs donne à un Etat : Il s’agit d’un territoire délimité par des frontières dans lequel un ensemble de personnes y vivant, est soumis à des lois. L’élément central en relation directe avec les deux autres est « l’ensemble des personnes », c’est-à-dire la population. Elle vit dans le territoire et c’est sur elle que s’applique les lois. Contrôler l’Etat à gouverner passe non seulement par la maitrise du territoire et des lois, mais aussi et surtout par la parfaite connaissance de sa population.

Dans les pays qui ont compris, le premier contact avec un bureau de l’état civil se situe pour une personne, à sa naissance (ou à son arrivée dans le territoire pour les personnes nés en dehors du pays). En RDC, pour ceux qui ne demandent pas un passeport auparavant, la première fois où on se confronte à l’administration civile se situe d’une manière générale, à l’âge de 18 ans. C’est lorsqu’on a besoin de recevoir sa carte d’électeur ou son permis de conduire. Malheureusement, à cet âge, le bureau de l’Etat civil ne connaît rien de l’administré. L’administration est incapable de savoir si la personne en face est bien celle qu’elle prétend être, si la date de naissance, l’adresse ou la nationalité qu’elle dit avoir correspondent bien à la réalité. A ce niveau-là déjà, le représentant de l’Etat civil doit faire soit confiance à l’administré, soit faire preuve de beaucoup de qualité pour dénicher le faux du vrai.

Répondre à des questions simples exige de l’administration de mener des enquêtes quasi judiciaires. Les réponses à « Qui a acheté cette maison et combien de personnes y vivent » ou bien « quelle est et quelles ont été les adresses de telle personne » ne prennent qu’une poignée de minutes dans d’autres pays. Mais en RDC, cela peut prendre plusieurs mois d’enquêtes. Une perte colossale d’énergie et de budget qui auraient pu être affectés depuis une cinquantaine d’années déjà, à l’incitation à l’enregistrement de toutes les naissances et les entrées en territoire congolais. En outre, comme tous les documents administratifs et judiciaires ne peuvent subir des enquêtes rigoureuses et énergivores, le risque d’erreur devient très grand avec comme conséquence que des documents officiels n’aient d’officiels que le cachet et la signature du représentant de l’Etat.

Si répondre à des questions simples est déjà pénible, cet exercice devient quasi impossible quand il s’agit des questions plus complexes, bases d’une bonne gouvernance. On ne peut donc faire aucune anticipation sur l’évolution de la population encore moins sur leurs besoins en école, routes, hôpitaux, eau potable, … puisqu’on ne sait pas combien ils sont et comment se répartissent-ils dans la république. C’est une aberration que d’imaginer déployer des bonnes décisions de gouvernance de l’Etat sans se pencher sérieusement sur la construction d’un Etat. Même si les effets d’un investissement sérieux sur l’état civil ne sont visibles qu’indirectement, le pays se dotera d’une facilité année après année, de connaître sa population. On arrêtera alors de « jouer au football sans ballon » ou comme disent d’autres analystes, de « naviguer à vue ».

3. Mandataire public non suffisamment représentatif

Dans une démocratie, le pouvoir est exercé par le peuple. Pour ce faire, il peut élire des représentants et leur confier la mission d’exercer en son nom, le pouvoir qui lui revient. En toute logique, le mandataire à qui ce pouvoir est confié, doit l’avoir reçu par plus de 50% de votants. Ainsi, il parlera au nom de la majorité, donc du peuple.

En pratique, lorsqu’aucun mandataire n’a reçu la confiance de plus de 50% de votants, diverses techniques sont alors utilisées pour respecter l’exigence fondamentale de la démocratie dont :

  • L’accumulation de plusieurs voix afin de constituer une plateforme ayant plus de 50% de représentation : C’est ce que l’on fait par exemple, dans l’assemblée nationale en RDC pour dégager la majorité qui portera la voix du peuple ;
  • Un deuxième tour d’élection opposant uniquement les deux meilleurs élus du premier tour : C’est ce qui est utilisé par plusieurs pays démocratiques lors des élections présidentielles.

Il est prévu en RDC, qu’un mandataire aussi important que le président de la République puisse exercer le pouvoir au nom du peuple alors même qu’il n’a pas reçu la confiance de plus de 50% de votants. Selon les résultats de la Commission électorale nationale indépendante (la Ceni), le président Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo a été voté par 38,6% des électeurs. Donc sur base des résultats officiels 61,4 % des congolais s’étant exprimés dans les urnes n’ont pas donné mandat au président actuel d’exercer le pouvoir en leur nom. Dans ces conditions, il m’est très difficile de comprendre quelle a été cette raison primordiale qui a poussé le législateur congolais à torpiller le mot démocratie, limitant ainsi sa portée à un simple ornement du nom du pays.

Limiter donc les élections présidentielles à un seul tour alors qu’il y a plus de deux candidats sur la liste est une aberration dans une république dite démocratique.

4. Succession ouverte à des personnes hors ménage

Le terme succession est utilisée pour désigner la substitution d’une personne à la tête de ses biens, quand son décès survient [4]. Si le défunt n’a pas établi de testaments de son vivant alors la part, l’ordre ainsi que les personnes devant succéder au défunt sont scrupuleusement définies dans la législation [5]. La loi n°87-010 du 1er août 1987 en son article 758, repartit les héritiers probables en diverses catégories. Dans la première, ce sont les enfants du défunt qui s’y retrouvent. La 2ème catégorie est quant à elle, séparée en trois groupes distincts comprenant le conjoint, les père et mère ainsi que les frères et sœurs du défunt.

La première aberration de cette loi sur la succession est qu’elle impose au défunt via son article 758, de considérer son conjoint survivant avec la même valeur et le même égard que ses frères et sœurs ou les enfants de ceux-ci. Cela est d’autant plus contradictoire que la même loi [5], au travers de ses articles 445 et 446, impose au conjoint, pas à ses frères ni à ses sœurs, seulement au conjoint, en cas d’absence de son époux « d’assurer seul, la direction morale et matérielle du ménage ». Difficile donc d’imaginer que dans la même loi, un article impose au conjoint seul de subvenir aux besoins morales et matériels du ménage en cas d’absence de l’autre époux mais lui impose également de jouir à la même hauteur et dans le même ordre que les frères et sœurs, du patrimoine net, en cas d’absence définitive de l’autre époux (la mort).

En outre, la loi définit en ses articles 759 et 760, les quotités réservées aux différentes catégories. Les héritiers de la première catégorie reçoivent 75% de l’hérédité et ceux de la deuxième catégorie, 25% de l’hérédité. La 2ème aberration que l’on peut observer est que la loi impose au défunt qui n’a pas laissé de testament, d’allouer le quart de son patrimoine à ses frères et sœurs alors que de son vivant, cette obligation n’existe pas à moins qu’ils ne « demeurent régulièrement dans la maison conjugale et soient inscrits au livret de ménage » (article 443 [5]).

La 3ème aberration que l’on peut constater en parcourant cette loi sur la succession sans testament est la discrimination qu’elle peut générer entre héritiers de même rang. Pour faciliter la compréhension, prenons le cas d’une fratrie composée uniquement de deux frères A et B, orphelins, veufs de leur état et ayant chacun un fils A1 et B1.  Supposons que les deux frères A et B avec un patrimoine net évalué à 100$ chacun, succombent à la suite d’un accident de la route. Les deux cousins A1 et B1 sont (article 758 [5]), les seuls héritiers de 1ère catégorie de leurs pères A et B et les seuls héritiers de deuxième catégorie de leurs oncles B et A.

Dans la mesure où les deux cousins ont une relation équivalente l’un par rapport à l’autre et que leurs pères avaient le même patrimoine, leur situation est tout à fait symétrique. La logique voudrait qu’ils héritent à part égal. Ce n’est pas le cas. A cause de la complexité introduite par notre législation, l’ordre de décès du père (respectivement de l’oncle paternel) transforme une situation simple à comprendre en une aberration.

Cas (a) : A et B décèdent sur le lieu de l’accident

Au moment du décès de A et B, A1 hérite de 75$ de son père et de 25$ de son oncle paternel, soit 100$ su total. De la même manière, B1 hérite de 100$ en tant qu’héritier de 1ère catégorie de son père (75$) et héritier de 2ème catégorie de son oncle (25$).

Cas (b) : A décède sur le lieu de l’accident et B décède 3 mois après suite à ses blessures

Au moment du décès de A : A1 hérite de 75$ et B hérite de 25$ (articles 759 et 760 [5]). B dispose désormais d’un patrimoine net de 125$.

Trois mois après, au moment du décès de B :  B1 hérite de 75% du patrimoine de son père, soit 93,75$. A1 en tant qu’héritier de 2ème catégorie, en hérite le solde, soit 31,25$. Si on rajoute les 75$ que A1 avait hérité il y a 3 mois, au moment du décès de son père, A1 se retrouve avec 106,25$.

Pourquoi est-ce que pour le cas (b), A1 hérite de 6,25$ de plus qu’en cas (a) et son cousin B1 de 6,25$ de moins que lors du cas (a) ci-haut ? La loi a tout simplement discriminé les 2 cousins. Elle a pensé n’avoir réservé que 75% du patrimoine de A à son fils A1. Mais en réalité, elle lui a réservé un peu plus encore. En effet, le solde de l’hérédité de A, soit 25% alloué à B reviendra encore à A1, 3 mois après en tant qu’héritier de 2ème catégorie, avec une quotité de 25%. Ce qui donne 6,25% (=25% * 25%). B1 est discriminé par la loi par rapport à A1.

5. Transmettre le fouet à l’enfant et attendre l’amour de l’adulte qu’il deviendra

Le fouet est cet instrument de soumission que le congolais recevait matin, midi et soir, comme le décrit Patrice Emery Lumumba, premier ministre de la République du Congo (aujourd’hui RDC) entre Juin et Septembre 1960, autour de la 3ème minute de son discours historique du 30/06/1960.

Au lendemain de l’indépendance, le congolais n’a pas seulement hérité d’un pays à diriger. Il a également été confronté à des structures et des méthodes dont il n’a pas été impliqué lors de leurs conceptions. L’une des méthodes qui a traversé les temps depuis l’époque coloniale est le fouet. Pourtant, l’enfant naît vierge de toute procédure et appréhension. Catherine Gueguen [6] compare l’enfant à une éponge qui absorbe toute l’eau. Son petit cerveau s’imprègne des méthodes qu’il rencontre autour de lui. Si c’est le fouet qu’on lui présente en lieu et place de l’amour et de la compassion, il est aberrant d’attendre qu’à l’âge adulte, il reproduise de la compassion. Pour très peu, il aura une facilité à frapper, empoisonner, voire tuer son prochain.

Conclusion

En plus des illustrations ci-haut, Il existe encore nombre de pratiques en RDC qui ne peuvent subsister, sans générer au minimum quelques questionnements quant à leurs raisons d’être et leurs cohérences. On peut citer entre autres :

– Attendre d’un fonctionnaire (policier, douanier, enseignant) de l’incorruptibilité alors que sa rémunération ne couvre pas les besoins primaires ;

– Politique de taxation, arme à double tranchants ;

– Libéralisation du marché de l’Assurance pendant que l’Etat ne rassure pas en tant que premier pilier.

– Hauts fonctionnaires de la République : Contradiction entre rémunération et rendu de travail

Néanmoins, il existe des éléments communs qui se retrouvent dans la majorité de ces contradictions. On peut en citer notamment la superficialité dans la prise des décisions, l’utilisation des solutions conçues par d’autres et pour d’autres, la non-prise en compte des spécificités propres, l’incapacité d’une lecture transversale et temporelle des faits, le traitement des symptômes visibles pensant à tort, que c’est moins couteux et plus efficace qu’un traitement basé sur un diagnostic approfondi et bien réfléchi.

Avec ceci, s’il faut choisir un seul mot qui puisse conclure ce texte sans trop le distordre, ce serait la profondeur.

N’djoku BOKUNGU
Ingénieur civil, ingénieur financier et Actuaire – Actuarial Manager, Bâloise

Sources :

[1] Réportage TV5 14/09/2020, témoignage femme séquestrée en maternité : https://www.facebook.com/tv5mondeafrique/posts/3495940817094430

[2] Actualité.CD : https://actualite.cd/2020/08/06/rdc-denise-nyakeru-tshisekedi-visite-la-maternite-don-bosco

[3] Fondation Grâce Monde : https://gracemonde.org/apropos/

[4] : TERRE, F. et LEQUETTE, Y., (1988), Précis de droit civil français, les successions, les libéralités, 2ème édition Dalloz, Paris.

[5] La loi n°87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille

[6] GUEGUEN, C. Pour une enfance heureuse : repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau, Robert Laffont, 2014

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