Conditions de refondation de l’Etat congolais après Joseph Kabila
Par Jean-Bosco Kongolo M
L’après Kabila, puisque c’est maintenant qu’il convient déjà d’en parler, va certainement ressembler à la fin d’une catastrophe naturelle dont les dégâts causés individuellement et collectivement au sein de la communauté sinistrée vont exiger, de la part des futurs dirigeants, que soient identifiées, examinées et corrigées sans complaisance les causes d’origine humaine afin d’éviter qu’elles continuent, à l’avenir, de produire les mêmes effets. Sans avoir la moindre prétention d’identifier exhaustivement toutes ces causes, nous en attribuons néanmoins et principalement la responsabilité à la classe politique, à la justice et aux forces de sécurité (l’armée et la police). L’armée et la police étant des secteurs qui échappent à notre domaine d’expertise, c’est la classe politique et la justice qui feront l’essentiel de notre analyse ce jour. Toutefois, qu’il s’agisse de la classe politique, de la justice ou des forces de sécurité, des critères doivent être élaborés permettant de distinguer les acteurs extrémistes, les jouisseurs dans l’ombre, les indécis et les bons éléments étouffés. La refondation de l’État congolais est, d’après nous, à ce prix.
1. Les caractéristiques de la classe politique congolaise
Contrairement à la plupart des pays africains, la classe politique du Congo-Kinshasa souffre énormément de la présence remarquable, en son sein, des politiciens des premières années de l’indépendance ainsi que ceux, plus nombreux, de la longue période (trente deux ans) mobutienne.[1] A cause de l’indépendance négociée et accordée plutôt que conquise, tous traînent avec eux les tares et la culture des négociations (Coquilatville, Tananarive, Luluabourg, Conférence Nationale Souveraine, Palais de Marbre I, Palais de Marbre II, Lusaka, Gaborone, Sun City, Dialogue entre Congolais, Concertations nationales…) qu’ils transmettent de génération en génération et qui leur permettent de créer et d’entretenir des crises pour mieux se positionner, sans se préoccuper du petit peuple, superbement ignoré.
Les mobutistes, recyclés par leurs aînés et mieux formatés à l’école du parti unique, constituent une caste de jouisseurs faisant de la politique par ordonnances, une carrière et non un service. Habitués aux coups-bas et à la vie facile, grâce aux mains longues constamment plongées dans les caisses de l’État et aux crédits jamais remboursés, ils ne tolèrent aucune contradiction et redoutent l’alternance politique, synonyme de la perte de leurs privilèges et éventuellement des poursuites judiciaires. Ce n’est en tout cas pas sur eux qu’il faut compter pour que se tiennent des élections libres, transparentes et démocratiques dans notre pays.
Les premiers et les seconds se sont mêlés à la nouvelle génération d’acteurs, apparemment vierges politiquement, mais témoins de l’embourgeoisement de leurs aînés qu’ils cherchent à imiter, sinon à dépasser. Parmi ceux-ci, certains (notamment ceux de notre génération) ont fait leurs premiers pas dans la politique active avec l’arrivée des faux libérateurs de l’AFDL en créant de nouveaux espaces ou en occupant ceux disponibles (Boshab, Kikaya bin Karubi, Muzito, She Okitundu, Luzolo Bambi, Kimbembe Mazunga, Mova Sakanyi, pour ne citer que ceux-là) . D’autres, plus jeunes encore, se recrutent au sein de l’« élite intellectuelle », spécialement parmi ceux qui ont vu débarquer au pays et dans la politique, jusqu’au sommet de l’État, des gens jusque là inconnus du grand public et sans aucune qualification ni compétence pouvant justifier les lourdes charges étatiques qu’ils se sont confiées. Ils sont actuellement nombreux dans tous les rouages de l’État : parlement, cabinets ministériels, services de sécurité, administration et entreprises publiques, etc. Insouciants de la misère du peuple et même de leurs géniteurs et autres parents abandonnés dans l’arrière pays, leur préoccupation primordiale consiste à amasser davantage de richesses pour eux-mêmes profitant de l’impunité généralisée.
En face de ces trois catégories, se présente une autre dite « opposition » (tous âges confondus) qui, en réalité, est majoritairement composée des laissés-pour-compte qui n’ont pas pu s’insérer dans ce microcosme politique infesté. Trainant eux aussi les mêmes tares que les autres, ils ne comprennent pas qu’en s’appuyant intelligemment, sincèrement et stratégiquement sur le peuple, ils peuvent constituer une alternative sûre et crédible pour la refondation de l’État. Opportunistes et tenant officiellement un discours apparemment mobilisateur, emballant et frisant même l’insurrection, ils n’hésitent guère, à la moindre occasion et sous prétexte que « la politique de la chaise vide n’a jamais payé », à effectuer un virage à 360 degrés pour occuper une place vacante ou créée à cet effet à la mangeoire nationale. Les Loseke, Oly Ilunga, Lumbala, Olengankoy, Samy Badibanga, Lucien Mbusa, Bruno Tshibala, Justin Bitakwira, Stève Mbikayi, Lisanga Bonganga, Fidèle Babala, Okundji, José Makila, Thomas Luhaka… sont des exemples malheureux à enseigner à la postérité[2].
Ce qui choque les analystes de la société congolaise, c’est que le déficit de cette classe politique ressemble en tout point à celui que Mabika Kalanda, alors âgé seulement de 33 ans en 1965, avait dénoncé dans son livre « La remise en question. Base de la décolonisation mentale »[3]. Le peuple et les vrais opposants, à compter sur le bout des doigts, s’en trouvent désabusés et déboussolés.
Dans cette jungle politique, Joseph Kabila, à la fois lion (qui impose sa loi) et renard (le plus rusé), est plus le problème que la solution. Profitant des forces et des faiblesses des uns et des autres, il laisse les plus habiles dévorer les plus faibles et n’hésite pas un seul instant à signer et à faire des alliances contre-nature avec et entre des espèces que rien ne devrait mettre en commun.[4] Le cas le plus récent et le plus choquant est celui de l’alliance entre la MP et le criminel sanguinaire Gédéon Kyungu. Qui, au Congo comme dans la communauté internationale, est dupe pour imaginer que cette alliance imposée par Joseph Kabila entre la MP et Gédéon Kyungu est destinée aux œuvres caritatives?[5] C’est de la même manière et suivant les mêmes modes opératoires que, se comportant comme une épouse docile vis-à-vis de son mari macho, la MP n’avait d’autre choix que d’accueillir sous le toit familial les enfants incestueux ou adultérins introduits d’autorité par son conjoint : le CNDP, l’amnistie des « rebelles » du M23 ou encore l’intégration de plusieurs miliciens criminels dans l’armée et dans la police. Pour tous ces cas, aucun membre de ce conglomérat politique ne s’en est offusqué pour dénoncer le scandale et la trahison.
2. Comportement de la classe politique congolaise
L’on conviendra qu’à partir des caractéristiques ci-dessus décrites de la classe politique congolaise, il n’est pas aisé, même pour les spécialistes en Sciences politiques, de distinguer les simples opportunistes des acteurs qui aiment réellement le pays et qui œuvrent pour le bien-être de la population. Dans l’opposition comme dans le camp du pouvoir, tout le monde cherche à créer son parti politique et ce, peu importe s’il n’a pas les moyens de l’implanter dans tout le pays conformément aux prescrits de la loi sur les partis politiques. L’article 5, a) de la loi portant organisation et fonctionnement des partis politiques dispose ce qui suit : « Dans leurs création, organisation et fonctionnement, les partis politiques veillent :
à leur caractère national et ne peuvent ni s’identifier à une famille, à un clan, à une tribu, à une ethnie, à une province, à un sous-ensemble du pays, à une race, à une religion, à une langue, à un sexe ou à une quelconque origine, ni instituer toutes discriminations fondées sur les éléments ci-dessous ; ». Plus loin, l’article 21 du même texte de loi impose à chaque parti politique l’obligation de :
déclarer chaque année auprès du Ministère ayant les Affaires Intérieures dans ses attributions, au plus tard dans la quinzaine qui suit la date anniversaire de son enregistrement, les noms, professions et domiciles de ceux qui, à titre quelconque, sont chargés de son administration centrale;
déposer, chaque année, auprès du Ministère ayant les Affaires Intérieures dans ses attributions, au plus tard le 31 mars, le compte financier de l’exercice écoulé.»
Appliquées sans complaisance, comme c’est le cas actuellement, ces deux dispositions suffisent à elles seules à mettre fin à la distraction consistant pour plus de 99% des partis politiques sans assise populaire réelle, à trouver refuge dans des plates-formes, elles-mêmes objet des déstructurations-restructurations au gré des enjeux. En conséquence de ce phénomène et des crises qui n’en finissent pas, des alliés ou partenaires d’hier, deviennent des ennemis intimes d’aujourd’hui et vice-versa et ce, exactement comme les politiciens de l’ère préindépendance.
C’est ainsi par exemple que l’avocat et professeur constitutionnaliste Tshibangu Kalala, qui avait pourtant claqué la porte de la MP pour adhérer au Rassemblement, se retrouve en peu de temps dans le même gouvernement que son ancien « bourreau » Alexis Thambwe Mwamba. Lorsque les plus rusés accèdent à la mangeoire, ceux qui restent crient au scandale, décrètent leur auto-exclusion ou font semblant de se radicaliser dans l’opposition juste pour mieux se positionner en attendant leur tour (un autre enjeu). Il n’est surprenant pour personne que la bande à Roger Lumbala, oubliée ou roulée par Bruno Tshibala, exige sa part dans la distribution du gâteau. « Dans une correspondance adressée à Joseph Olengankoy considéré comme Président du Conseil des Sages du Rassemblement Kasa-Vubu, Roger Lumbala, Thacher Lusamba et consorts, dénoncent le mauvais partage des postes et accusent Bruno Tshibala et Joseph Olengankoy de népotisme. Par ailleurs, ce groupuscule du Rassemblement/Kasa-Vubu se dit inquiet et très déçu de voir que plusieurs cabinets ministériels sont presque déjà constitués sans que les membres n’ayant pas été nommés au gouvernement ne soient intéressés ni affectés quelque part »[6].

Étant donné, malheureusement, que les services de renseignements sont privatisés au seul profit du Chef de l’État, des crises sont délibérément provoquées ou entretenues tandis que des stratégies sont sans cesse montées pour débaucher ceux qui s’affichent comme plus résistants mais qui ne se font pas prier devant les espèces sonnantes et trébuchantes. Pour des raisons de survie, les vrais patriotes du camp du pouvoir, eux, adoptent trois attitudes : se taire pour ne pas risquer de tout perdre ou protester du bout des lèvres pour éviter d’être qualifiés d’indisciplinés ou encore faire croire que le débat y est admis ou toléré. C’est le cas du député Thomas Henri Lokondo, qui joue en singleton sur deux tableaux sans jamais tirer les conséquences de ses interventions, qui finissent par énerver au lieu d’attirer son admiration. « La corruption, l’évasion fiscale, les malversations financières, le coulage des recettes, l’insécurité généralisée à travers les provinces ne sont pas des faits nouveaux pour nous au niveau de l’Assemblée [nationale]. Qui peut nier aujourd’hui que le pays va mal tant sur le plan politique, économique et social ? Pour M. Lokondo, la RDC « se trouve présentement à la croisée de chemins ». Il a appelé à accepter avec « humilité, patriotisme le constat juste des évêques qui résume d’ailleurs le point de vue de la majorité du peuple Congolais». Le député a demandé au Chef de l’État «d’être attentif» au message des évêques de l’Église catholique «qui est l’église la mieux implantée en RDC. »[7]
Que dire de Vital Kamhere, signataire des deux accords (de la Cité de l’UA et de la CENCO) et de l’arrangement particulier décrié par la majorité des Congolais. Avec deux membres dans le gouvernement Samy Badibanga et un dans celui de Bruno Tshibala, l’auteur du livre « Pourquoi j’ai choisi Kabila » continue de se proclamer opposant et, à ce titre, de proposer sa collaboration avec le Rassemblement/Aile Félix Tshisekedi et Pierre Lumbi, sous prétexte d’unir les forces. Il faut être naïf ou aveugle pour croire à la bonne foi de ce politicien le plus inconstant et le plus versatile qui refuse d’accepter qu’il a énormément perdu de sa crédibilité à cause de ses choix ambigus dont il ne veut pas assumer les conséquences.
Aux acteurs politiques, il faut assimiler toute l’élite intellectuelle éparpillée dans l’administration publique, les entreprises privées et publiques. Parfois plus dangereux que les politiciens « carriéristes », certains d’entre eux n’affichent qu’un apolitisme apparent. Dans les coulisses, ils sont les espions à la solde du pouvoir et les relais des leaders tribaux, ethniques ou des partis politiques. Ils n’ont en commun que leur appartenance à des plates-formes de ces derniers mais dans la pratique, ils s’entremangent, chacun convoitant le poste le plus juteux occupé par l’autre, non pas pour servir mais pour se servir. D’où la méfiance et la suspicion généralisées qui ont élu domicile dans les milieux de travail faisant craindre, à tort ou raison, les empoisonnements et affectant le rendement professionnel. Ces cadres de la « classe moyenne » sont d’autant plus dangereux que du jour au lendemain, ils se retrouvent conseillers ou membres de cabinets de ceux qu’ils ont combattus la veille.
Ceux qui veulent bien servir ou qui en ont les compétences requises, sont combattus et choisissent de se taire, de se contenter du peu qu’ils gagnent ou de se refugier dans d’innombrables églises dites « de réveil » espérant que le Christ reviendra pour agir à leur place. Dans ces conditions, la grande majorité de l’élite intellectuelle est, pour notre population, incapable d’« unir ses savoirs et savoir-faire pour récupérer la gestion politique et administrative du territoire national délaissée depuis l’accession du pays à l’indépendance entre les mains des autodidactes de tous genres, sans aucune vision, sans aucun projet de société. »[8]
A notre avis, une des voies incontournables pour refonder l’État et rétablir son autorité, consistera à non seulement écarter de la gestion de la chose publique mais aussi et surtout à traduire en justice, nationale et internationale selon les cas, les principaux acteurs qui, par leurs actes, ont substantiellement contribué à trahir la nation et à liquider l’État congolais.
3. La justice à la croisée des chemins
Issus du même moule sociétal, les magistrats congolais ont connu les mêmes soubresauts que leurs frères et sœurs politiciens. Faute de juristes autochtones suffisants lors de l’accession du pays à l’indépendance, ce sont les magistrats belges qui ont d’abord continué d’animer ce secteur régalien avant d’être remplacés progressivement, d’abord par des coopérants onusiens, pour la plupart des Haïtiens, puis par des Congolais diplômés du secondaire formés précipitamment sur le tas. A notre entrée en fonction peu avant 1990, nombreux de ces juges auxiliaires, versus magistrats de carrière, étaient encore opérationnels dans la plupart des tribunaux de paix et de grande instance. Fiers d’être magistrats et de côtoyer leurs « collègues » universitaires sans en avoir reçu la rigueur de la formation académique, eux et ces aînés ont été tellement formatés à la pensée unique du MPR qu’ils nous trouvaient audacieux et téméraires lorsque nous nous prévalions de l’indépendance de la magistrature.
En effet, notre arrivée dans ce corps noble fut vite remarquable par le caractère osé et révolutionnaire de certaines de nos décisions judiciaires, vérifiables dans des greffes, si les archives sont encore bien tenues. Mais cet élan de redonner à la justice ses lettres de noblesses fut brutalement interrompu par le Conglomérat d’aventuriers de l’AFDL.
Plusieurs de nos analyses, dont celle intitulée « La justice : premier chantier à réaliser après le régime de Joseph Kabila »[9] ont été consacrées au pouvoir judiciaire, institution de l’État devenue simple service d’appui à la pérennisation du pouvoir personnalisé et à la répression de toute velléité de revendication démocratique. Ça fait mal d’en parler, mais il faut que quelqu’un en parle tout de même, depuis 1998, les autorités judiciaires sont majoritairement originaires des provinces de l’Est, avec l’ancien Katanga en tête (nous savons de quoi nous parlons), comme si c’était devenu un domaine réservé. Pas étonnant que le Pouvoir Judiciaire, instrumentalisé, forme avec l’armée, la police et les services de renseignements, un redoutable bloc de répression au sein duquel les bonnes compétences sont difficiles à remarquer, sinon complètement étouffées.
Il s’ensuit que faute de débouchés disponibles pour les absorber en cas de démission, ces compétences rares se résignent à demeurer dans le corps côtoyant leurs anciens stagiaires ou leurs subalternes, devenus leurs chefs grâce au clientélisme. Trois grandes caractéristiques de magistrats congolais se dégagent sur base de leurs comportements vis-à-vis du pouvoir politique, des justiciables en général et des opposants en particulier.
A. Ceux qui ont choisi de troquer leur indépendance contre les biens matériels
Ce sont pour la plupart d’anciens magistrats, académiquement formés à la bonne école et tous aujourd’hui hauts magistrats, auxquels se sont joints quelques parvenus des générations récentes. Parmi eux, ceux qui occupent des postes de commandement ne sont pas nécessairement ceux qui le méritent, car nombreux sont ceux qui ont enjambé plusieurs échelons pour des raisons bien connues des praticiens du droit. L’exemple venant d’en haut, ils n’ont pour préoccupation que d’assurer leurs arrières en faisant de la justice un business sur le dos et dans les poches des justiciables.
En contrepartie de cela et, surtout, du silence volontaire de celui qui a pouvoir de les nommer, de les promouvoir et de les révoquer, ces magistrats se sentent à l’aise pour en faire voir de toutes les couleurs aux opposants, aux journalistes et activistes des droits par des arrestations arbitraires, des détentions illégales, des parodies de procès et de scandaleuses décisions judiciaires confectionnées ailleurs ou dictées d’en haut et qui ne reflètent en rien l’indépendance de la magistrature (nous savons de quoi nous parlons)[10].
Ne tirant aucune leçon du grand nettoyage opéré en 1998 par Laurent-Désiré Kabila, qui avait révoqué de manière cavalière 350 d’entre nos collègues, ils ne s’imaginent pas que du jour au lendemain, ils peuvent se retrouver à leur tour dans la même situation, mais cette fois alors, avec des dossiers bien documentés à leur charge.
B. Les résignés et les frustrés
Sont concernés dans cette catégorie, tous les magistrats plus anciens dans la carrière, compétents et moins compétents, parmi lesquels certains ont choisi la magistrature par conviction et par vocation. Malgré leur bonne volonté, pour les uns, ou leur détermination de s’améliorer au cours de la carrière, pour les autres, tous sont victimes des réalités et des pratiques sur terrain qui consistent à observer leurs collègues, voire leurs subalternes, monter de grade ou accéder à des fonctions de commandement de manière fulgurante et sans aucun mérite particulier, en violation flagrante du statut des magistrats.[11] Comme ils ne peuvent pas démissionner et mettre en péril le train de vie quotidien déjà fragile de leurs familles, ils n’ont d’autre choix que de demeurer dans le corps en faisant comme tout le monde ou en se contentant, péniblement, du peu qu’ils peuvent recevoir comme rémunération. C’est ainsi que :
- Malgré les vicissitudes, il y en a encore qui s’efforcent de dire le bon droit et qui font l’objet d’admiration des habitués des palais de justice. Dans certains dossiers jugés « sensibles ou suivis par la hiérarchie»[12]
, ils sont malheureusement victimes des sanctions disciplinaires (nous connaissons des cas), du fait notamment d’avoir relâché, acquitté quelqu’un poursuivi par des autorités politiques ou de lui avoir accordé une mise en liberté provisoire contre la volonté de ces dernières. Ces bons magistrats sont identifiables par la sobriété de la vie qu’ils mènent refusant de se lancer dans la course vers l’embourgeoisement et, par conséquent, s’attirant les moqueries de leurs collègues et de la société. C’est sur eux qu’il faudra compter pour rebâtir l’appareil judiciaire digne d’un pays qui se veut démocratique.
L’on trouve des magistrats, bien que théoriquement compétents et professionnellement expérimentés, qui estiment qu’il ne sert à rien de redresser un arbre longtemps courbé. Plutôt que de mourir pauvres en observant les autres s’enrichir, ils profitent du laisser-aller du Conseil supérieur de la magistrature, organe de discipline du Pouvoir judiciaire, pour poser des actes et prendre des décisions contraires à leur devoir. Un tri va s’avérer nécessaire pour séparer le bon grain de l’ivraie mais à la seule condition que le Conseil supérieur de la magistrature soit profondément restructuré et débarrassé des fossoyeurs de l’état de droit[13].
Les incompétents et les parvenus
La plupart d’entre eux sont des jeunes, victimes du niveau de l’enseignement qui laisse à désirer. Recrutés avec une légèreté déconcertante, généralement sur base clientéliste ou sur recommandation, nombreux sont ceux dont l’entrée dans le corps n’est justifiée que par des raisons de survie plutôt que par vocation. Faciles à identifier par leur médiocre usage (verbal ou écrit) du français, langue de travail, ils ont déjà de la misère à interpréter les textes de lois qu’ils sont censés appliquer quotidiennement et, plus inquiétant, à concevoir, à rédiger et à motiver correctement des actes et décisions judiciaires convaincants et non susceptibles d’être tout le temps cassés au niveau supérieur. Conscients de leurs limites, des juges inexpérimentés et incompétents recourent régulièrement à la sous-traitance qui consiste à faire rédiger leurs jugements par les avocats des parties qui les « motivent » conséquemment.
De la sorte, la magistrature que beaucoup de juristes de notre génération évitaient de choisir comme carrière « pour ne pas mourir pauvre », est subitement devenue de nos jours un secteur qui attire et fait rêver beaucoup de jeunes. Pour corriger cet état de chose et espérer avoir une magistrature responsable, compétente, indépendante et socle de la démocratie et du développement, il faudra, en amont, repenser le système d’enseignement en général et universitaire en particulier en plus de remettre, en aval, de l’ordre dans l’appareil judiciaire en commençant par respecter et appliquer rigoureusement les textes existants en matière de recrutement, de promotion et de discipline. Nous ne cachons pas notre disponibilité à prêter main forte aux futures autorités du pays.
Conclusion
Depuis longtemps, des analyses pointilleuses de Congolais et des étrangers ont tiré la sonnette d’alarme pour prévenir le chaos qui se profilait en cas de non tenue des élections pouvant faciliter en douceur l’alternance politique. Ne tenant qu’à leurs privilèges acquis, à leur capacité de répression par la justice et les forces de sécurité interposées ainsi que par le débauchage des esprits faibles, ceux qui nous gouvernent par défi considèrent le Congo et ses richesses comme un butin de guerre à dépecer et à distribuer sans état d’âme. Ils ont fermé leurs yeux et bouché leurs oreilles au risque qu’ils courent d’entraîner toute la nation dans la véritable inanition. A ce jour, tous les paramètres sont au rouge au point qu’il n’est pas exagéré de constater que c’est l’État lui-même qui est liquidé : pas d’institutions éligibles légitimes, des autorités provinciales contestées un peu partout, l’évasion massive dans plusieurs prisons du pays, l’insécurité généralisée, des salaires impayés dans bon nombre d’entreprises publiques et même à l’Agence nationale de renseignements, etc.
Si les extrémistes font semblant d’ignorer les signes de temps, nous pensons que l’heure a sonné de réfléchir déjà sur les moyens à mettre en œuvre pour la refondation de l’État. Celle-ci passe notamment par l’ordre à mettre dans la vie politique, principal foyer du désordre et des crises récurrentes, la justice et les forces de sécurité. En renvoyant nos lecteurs aux analyses déjà faites par les experts du secteur sécuritaire[14], nous avons mis l’accent sur les deux premiers en faisant l’état des lieux et en proposant ou en répétant quelques pistes de solutions sans lesquelles, si Kabila quitte le pouvoir, le pays risque de se retrouver toujours au point de départ. D’où, la nécessité pour les esprits visionnaires d’identifier d’ores et déjà les compétences patriotiques disponibles et de mettre en commun leurs expertises de manière à placer l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.
Jean-Bosco Kongolo M.
Juriste &Criminologue
Références
[1] Ils sont toujours là et omniprésents : A. Gizenga, L. Kengo wa Dondo, Mokolo wa Pombo, A. Thambwe Mwamba, L. Mende Omalanga, etc.
[2] Les historiens devraient déjà se mettre au travail.
[3] Mabika Kalanda, 1965. La remise en question. Base de la décolonisation mentale. Éditions «Remarques Africaines». Collections «Études Congolaises», No 14, 16, rue aux Laines, Bruxelles I (Belgique), 205 p.
[4] Lire Kongolo. JB, 2014. Quel Avenir pour les partis politiques du Congo-Kinshasa?, In https://afridesk.org/fr/rdc-radioscopie-des-partis-politiques-mode-demploi-et-prospective-jb-kongolo/.
[5] Lire : Joseph Kabila- Gédéon Kyungu : une alliance criminelle à dénoncer, In http://afridesk.org/fr/joseph-kabila-gedeon-kyungu-une-alliance-criminelle-a-denoncer-jb-kongolo-m-20747-2/.
[6]7sur7.cd. In https://7sur7.cd/new/2017/07/ca-chauffe-dans-le-camp-olengankoy-r-lumbala-t-lusamba-et-consorts-accusent-b-tshibala-et-olengankoy-de-nepotisme-et-reclament-des-postes/.
[7] Radio Okapi, 26/06/2017, In http://www.radiookapi.net/2017/06/26/actualite/politique/pour-le-depute-lokondo-le-constat-de-la-cenco-resume-le-point-de-vue.
[8] Tshibwabwa, S, 2016. Les scientifiques congolais et la remise en question, base de la décolonisation mentale de Mabika Kalanda. In Tshisungu wa Tshisungu (eds), 2016. De la décolonisation mentale. Mabika Kalanda et le XXIème siècle congolais. Editions Glopro, Toronto. 301 p.
[9] Kongolo, JB. 2017. In https://afridesk.org/fr/la-justice-premier-chantier-a-realiser-apres-le-regime-de-joseph-kabila-jean-bosco-kongolo/.
[10] Ce qui a été dénoncé la juge Ramazani au sujet du dossier Moïse Katumbi reflète les réalités de la justice congolaise.
[11] L’article 18 de la loi portant statut des magistrats est clair à ce sujet : « L’ancienneté des magistrats dans le grade est déterminée par la date de nomination à celui-ci. Lorsque deux magistrats exercent des fonctions distinctes dans la même catégorie, le plus ancien est le premier nommé à ces fonctions. S’ils ont été nommés le même jour, le plus ancien est celui qui a été nommé à la fonction qui, suivant l’ordre de présentation de leurs grades, lui accorde une préséance sur l’autre ».
[12] Expression généralement utilisée dans les milieux judiciaires congolais et qui traduit mieux le trafic d’influence et l’instrumentalisation de la justice.
[13] Article 20 : Le Conseil supérieur de la magistrature est la juridiction disciplinaire des magistrats.
Article 21 : Le pouvoir disciplinaire est exercé par la chambre nationale et par les chambres provinciales de discipline.
[14] De nombreuses analyses de Jean-Jacques Wondo Omanyundu, disponibles sur le site Desc-wondo.org, sont consacrées à ce secteur, en plus de ses deux ouvrages sur les forces armées congolaise.
One Comment “Conditions de refondation de l’Etat congolais après Joseph Kabila – JB Kongolo”
Makutu Lidjo
says:La refondation de l’état congolais dépendra beaucoup de la qualité de l’individu et de l’équipe qui entourera celui-ci. Je crains d’être de nouveau déçu. C’est un avis qui n’engage que moi.