Communiqué final conjoint CIRGL-SADC sur les pourparlers de Kampala
Hier dans l’après midi (Ndlr : jeudi 12 décembre 2013) a eu lieu au State House de Naïrobi au Kenya, les pourparlers de Kampala, qui ont permis au Gouvernement de la RDC d’écouter les griefs des mutins du M23, qui avaient mis une partie de la province du Nord-Kivu à feu et à sang pendant près de deux ans, ont eu leur conclusion.
En effet, deux déclarations et un communiqué officiel ont été signés par les protagonistes de ces pourparlers en marge des célébrations du cinquantenaire de la République sœur du Kenya auxquelles avaient pris part notre Chef d’Etat, le Président Joseph Kabila, et certains de ses collègues. La première déclaration a été signée unilatéralement par le défunt mouvement rebelle M23, par la voix de Bertrand Bisimwa, son représentant. Dans cette déclaration, les éléments de cette rébellion font état de leur renonciation au recours à la violence pour articuler une quelconque revendication. Le responsable du M23 a en outre réitéré et confirmé la dissolution de ce groupe armé telle qu’annoncé il y a quelques semaines après l’offensive victorieuse des Forces Armées de la République Démocratique du Congo.
Le Gouvernement de la République Démocratique du Congo, représenté par son Ministre des Affaires Étrangères, a en ce qui le concerne signé pour sa part une déclaration séparée. Dans sa déclaration, le Gouvernement qui a pris acte de l’acte de décès de la force négative M23 a pris les engagements ci-après :
Un Communiqué officiel conjoint de la CIRGL et la SADC a été rendu public après ces deux déclarations. Signé respectivement par Leurs Excellences Monsieur le Président Yoweri Museveni d’Ouganda, en sa qualité de Président en exercice de la CIRGL, et Madame la Présidente Joyce Banda du Malawi, Présidente en exercice de la SADC.
1. Suite à la requête faite par S.E Joseph Kabila Kabange, Président de Ia RDC, et S.H. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies, à S.E. Yoweri K. Museveni, Président de la République de l’Ouganda et Président en exercice de Ia CIRCL ; et suite à la décision du Sommet extraordinaire de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), organisé le 8 août 2012 concernant la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC ; et la Déclaration des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) signée à Kampala le 24 novembre 2012, demandant au Gouvernement de la République Démocratique du Congo d’écouter le M 23, d’évaluer ses doléances et de répondre à celles qui s’avéreraient légitimes, le Président Yoweri K. Museveni a assumé la tâche de médiateur entre le Gouvernement de la RDC et le M23.
2. Les Pourparlers ont formellement débuté le 9 décembre 2012 et ont pris fin le 3 novembre 2013. La facilitation des Pourparlers a été menée au nom du Président Museveni par le Ministre ougandais de la Défense, le Dr Crispus W.C.B. Kiyonga, avec le soutien du Secrétariat de la CIRGL et l’assistance technique de Mme Sahle-Work Zewde, Directrice générale du Bureau des Nations Unies à Nairobi, ainsi que des Nations Unies, New York.
3. Le 5 Novembre 2013, à Kampala, Ouganda, le M23 a fait une Déclaration annonçant qu’il renonce à la rébellion et demandant à ses combattants de se préparer au processus de désarmement, démobilisation et réinsertion sociale. Le 6 Novembre 2013, le Gouvernement de la RDC a fait sa propre Déclaration prenant acte de la renonciation à la rébellion par le M23 et annonçant qu’il allait prendre des mesures afin de faciliter et de rendre irréversible cette renonciation à la rébellion par le M.23.
4. Aujourd’hui, le Gouvernement de la RDC et le M23 ont signé chacun une Déclaration reflétant le consensus atteint au cours des Pourparlers de Kampala concernant les étapes nécessaires pour mettre fin aux activités armées du M23, et les mesures nécessaires à la concrétisation dans l’Est de la RDC d’une stabilité, d’une réconciliation et d’un développement à long ternie. Les deux Déclarations prises ensemble couvrent les onze points négociés et convenus par le Gouvernement de la RDC et le M23. En résumé, les onze points sont :
(i) Amnistie pour les membres du M23 uniquement pour faits de guerre et d’insurrection ;
(ii) Dispositions transitoires de sécurité conduisant au désarmement et a la démobilisation;
(iii) Libération des membres du M 23 détenus par le Gouvernement de la RDC pour faits de guerre et d’insurrection;
(iv) Décision par le M23 de mettre fin à la rébellion et de se transformer en un parti politique légitime;
(v) Démobilisation des anciens combattants du M23;
(vi) Retour des réfugiés et personnes déplacées internes dans leurs foyers ;
(vii) Création d’une commission chargée de la question des biens spoliés, extorqués, volés, pillés et détruits, terres comprises ;
(viii) Réconciliation nationale et justice ; 5Ndlr : quid des résultats des concertations pour la cohésion national?)
(ix) Réformes sociales, sécuritaires et économiques ;
(x) Mise en œuvre des conclusions de la réévaluation de la mise en œuvre de l’Accord du 23 Mars 2009 ; et
(xi) Mécanisme de mise en œuvre, suivi et évaluation pour les positions arrêtées. (Ndlr : Quelles sont ces positions arrêtées? Sont elles connues par le parlement congolais et les populations?)
La Déclaration du Gouvernement de la RDC et celle du M23 sont jointes au présent Communiqué Final respectivement comme Annexes 1 et 2, tandis que les points convenus le sont comme Annexe 3.
5. Il convient de rappeler qu’au terme du Sommet conjoint CIRGL-SADC tenu le 4 novembre 2013 à Pretoria, République d’Afrique du Sud, les Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays de la CIRGL et de la SADC ont dans leur Communiqué conjoint noté que l’ensemble des onze points discutés dans le cadre du Dialogue de Kampala faisaient l’objet d’un consensus et qu’un accord allait être signé.
6. Le 2 décembre 2013, suite à un Sommet entre S. E. le Président Joseph Kabila Kabange et S.E. le Président Yoweri K. Museveni à Entebbe, Ouganda, un Communiqué a été émis appelant à la conclusion des pourparlers de Kampala, dans le but de faciliter le retour pacifique des anciens combattants du M23 et l’aboutissement du processus de démobilisai ion.
7. En conséquence, et en foi de quoi nous, les Présidents de la CIRGL et de la SADC, agissant au nom de nos sous-régions respectives, sommes témoins des Déclarations signées respectivement par le M23 et le Gouvernement de la RDC.
8. Nous saluons la conclusion des Pourparlers de Kampala et félicitons les Parties pour ce résultat. Nous les encourageons à remplir leurs engagements.
9. Nous remercions l’équipe des Envoyés spéciaux, dirigée par Mme Mary Robinson, Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la Région des Grands Lacs, parmi lesquels figuraient :
(a) M. Boubacar Diarra, Envoyé Spécial de la Présidente de la Commission de l’Union africaine pour la Région des Grands Lacs.
(b) M. Russell Feingold, Envoyé Spécial des Etals-Unis pour la Région des Grands bacs;
(c) M. Koen Vervaeke, Coordinateur principal de l’Union européenne pour la Région des Grands Lacs; et
(d) M Martin Kobler, Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO) pour leur engagement diplomatique, qui a apporté un soutien inestimable aux Pourparlers de Kampala.
11. Nous félicitons le Dr Crispus Kiyonga, Ministre de la Défense de la République de l’Ouganda pour les efforts inlassables qu’il a fournis pour faciliter les pourparlers et ainsi les mener jusqu’à leur conclusion logique.
12. Nous félicitons aussi les Secrétariats Exécutifs de la CIRGL, et de la SADC pour leur soutien au processus, et nous les prions de rester engagés dans le soutien à la mise en œuvre des engagements pris par les parties.
13. Enfin, nous prions les partenaires internationaux, notamment les Nations Unies et l’Union africaine, de travailler ensemble et de fournir soutien et ressources au Gouvernement de la RDC pour la mise en œuvre des engagements pris dans le cadre des Pourparlers de Kampala et le processus de suivi, selon qu’il conviendra.
Fait à Nairobi, Kenya le 12 décembre 2013
S.E. Yoweri K. Museveni
Président de la République de l’Ouganda et Président de la CIRGL
S.E. Joyce Banda
Président de la République du Malawi et Président de la SADC
Après les déclarations de Nairobi RDC, appel à la vigilance !
Dans le souci sans doute de ne pas effaroucher le gouvernement congolais ou le M23, la facilitation ougandaise a accepté le principe de la signature, par les deux parties, le 12 décembre 2013 à Nairobi, des déclarations séparées consacrant la conclusion formelle des négociations de Kampala. Une vigilance de tous les instants s’impose aux autorités de Kinshasa, de manière à éviter d’endosser l’entière responsabilité de l’exécution ou non des engagements politiques, militaires, sécuritaires, financiers, économiques et sociaux contenus dans les deux documents.
L’acte posé par Raymond Tshibanda, au nom de la République Démocratique du Congo, est de haute portée politique et diplomatique, dans la mesure où la communauté internationale l’appréhende comme un « Accord » entre parties, conclu sous sa haute surveillance. Il ne s’agit plus d’une simple « Déclaration », comme le laisse croire le terme, mais d’une sorte de « Traité international » qui devrait appeler un comportement conséquent par rapport aux textes nationaux. Sa violation éventuelle, par l’une des parties, pourrait être lourde de conséquences.
L’alerte venue de Kampala
48 heures après la signature du deal politique entre Kinshasa et le M23, une grosse alerte est venue de Kampala. Il s’agit de l’élaboration, par le gouvernement ougandais, d’une liste de 1.500 ex-combattants du M23 candidats au désarmement, à la démobilisation et à la réinsertion sociale. Le chiffre a été vivement contesté par Kinshasa. Effectivement, cet effectif parait exagéré, quand on sait que ce mouvement rebelle, qui comptait moins de 2.000 hommes avant sa défaite militaire, avait éclaté en ailes Makenga et Runiga, ce qui laisse penser à un sérieux dégraissage au sein de son contingent originel.
En comptabilisant les éléments partis avec Runiga au Rwanda et ceux ayant réintégré les FARDC, sans oublier les infiltrés rwandais et ougandais ayant rejoint leurs armées nationales respectives, les résidus du M23 recueillis par le gouvernement de Kampala ne devraient pas dépasser 500. D’où l’on constate, dès le départ, l’intention des autorités ougandaises de maquiller les statistiques, de manière à renvoyer, le moment venu, plusieurs « bataillons dormants » du M23 en RDC, à la faveur de l’amnistie et de la réconciliation nationale. Ces ex-combattants faisant le mort selon l’agenda de leurs parrains, pourraient frapper à loisir dès l’apparition de la moindre faille dans le système de la défense nationale congolaise. Quiconque connaît la « mollesse du ventre » du Nord-Kivu peut deviner la suite.
Réfugiés : congolité à vérifier
En prenant l’engagement d’accueillir et de réinstaller socialement des réfugiés congolais supposés provenir de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi, du Kenya et de la Tanzanie, le gouvernement congolais a-t-il les moyens de déterminer correctement leur nombre et de les identifier clairement en vue de savoir qui est Congolais et qui ne l’est pas ? Il est à espérer que des limiers des services de sécurité et de l’administration publique, avec le concours des autochtones, vont s’employer à remonter l’arbitre généalogique de chaque famille présumée congolaise et candidate au rapatriement et à fouiller les registres d’état civil, de façon à faire échec à une opération planifiée de déversement massif des « ngulu » des Grands Lacs au Nord-Kivu. La vérification de la congolité de chacun des réfugiés s’avère cruciale, si le pays tient à ne pas avoir sur les bras une énième ethnie fabriquée de toutes pièces, à l’instar des Banyamulenge, à partir des déclarations de Nairobi.
Qui a spolié, pillé, volé, extorqué ou détruit quoi ?
A la lecture des déclarations signées par Kinshasa et le M23, l’on est intrigué de noter que la charge d’indemniser les victimes des biens spoliés, pillés, volés, extorqués ou détruits incombe au gouvernement congolais. Mais qui a spolié, pillé, volé, extorqué ou détruit les biens d’autrui ? Où et quand ? Pourquoi seulement Kinshasa pas le M23 ? Nul n’ignore que pendant 18 mois, plusieurs localités du Nord-Kivu était sous la botte du colonel Sultani Makenga et ses hommes, qui s’étaient illustrés dans des tueries, des tortures, des vols, des viols, des pillages, des extorsions, des destructions méchantes, etc.
On suppose que le gouvernement, en acceptant le principe de la réparation des préjudices moraux et matériels causés aux tiers, a mesuré l’ampleur des indemnités à payer aux tiers, sur l’ensemble du pays. Car, à Kinshasa comme dans toutes les provinces de la République, des innocents ont vu leurs biens pillés, détruits ou confisqués, au motif qu’ils étaient en collusion avec le M23.
Mais, une fois de plus, on a parlé de tout, sauf de l’indemnisation des familles ayant perdu des êtres chers à cause des affrontements entre les FARDC et les rebelles du 23, ni des concitoyens rendus invalides à vie à la suite du même conflit armé ? Cette catégorie de victimes est-elle à verser dans le compte des pertes et profits ? Si tel est le cas, comment le pays va-t-il cheminer vers une énième réconciliation nationale avec des dégâts matériels réparés d’un côté et des préjudices humains et moraux non réglés de l’autre ?
Le M23… parti politique
C’est acquis. Le M 23 peut revendiquer son statut de parti politique à tout moment. L’agrément lui est d’office accordé sur pied des déclarations de Nairobi. Le scénario n’est pas nouveau. Chaque rébellion congolaise, après avoir semé mort et désolation, détruit des infrastructures, pillé les minerais et autres ressources naturelles, finit par recevoir en prime son visa pour sa transformation en parti politique, sans frais.
Pour le cas du M23 cependant, l’on assiste à la naissance d’un frère jumeau du CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple), signataire de l’Accord du 23 mars 2009, qui bénéficie du même statut depuis 4 ans et qui a pignon sur rue à Kinshasa. Ainsi donc, une même rébellion vient d’offrir deux partis politiques à la République.
Amnistie ou porte ouverte à l’impunité
Il est assez curieux de voir des insurgés ayant retourné leurs armes contre la Nation pendant 18 mois, mis sérieusement à mal la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale, massacré et sinistré l’économie nationale bénéficier d’une mesure d’amnistie, sur des bases fort controversées. Des faits de guerre et insurrectionnels seraient-ils si banals qu’ils n’exigeraient aucune sanction contre leurs auteurs ou commanditaires ?
En tout cas, l’offre d’amnistie venue de Nairobi en faveur des membres du M23 est perçue par la majorité des compatriotes comme une porte ouverte à l’impunité. Qu’elle soit sélective ou pas, elle sonne très mal dans des oreilles des Congolais qui ont passé dix-huit mois de cauchemar. Les règlements militaires sont clairs au sujet d’actes de rébellion ou d’insurrection. Ne pas les appliquer, c’est créer un fâcheux précédent et laisser la porte ouverte à des rébellions futures.
Réformes institutionnelles et socio-économiques
Le M23 serait-il devenu partie prenante aux réformes institutionnelles, des services de sécurité, de l’administration publique, des finances publiques, de la justice, de la gestion des ressources naturelles et de la décentralisation recommandées aux autorités congolaises dans l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ? A quel titre ce mouvement rebelle est-il associé à la mise en œuvre des réformes imposées à la RDC dans le cadre de ses relations avec ses partenaires membres de la CIRGL (Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs ?
L’exhumation des matières liées étroitement à la souveraineté nationale dans des déclarations entre un gouvernement légal et une rébellion [dont on dit avoir été vaincue militairement] donne au M23 le droit de regard sur la gestion des affaires publiques en territoire congolais. Que signifie tout cela ? Les Congolais aimeraient savoir quel statut Nairobi a réellement réservé à ce mouvement rebelle, car tout porte à croire qu’on a affaire à un partenaire appelé à traiter d’égal à égal avec Kinshasa, tout en donnant l’impression de faire profil bas..
Face à toutes les zones d’ombres qui enveloppent des déclarations qui répondent plus au cahier de charges du M23 et ses parrains ougando-rwandais qu’aux exigences du gouvernement congolais, celui-ci doit faire très attention dans leur exécution sur le terrain. Il suffirait d’une moindre maladresse pour que le pays se retrouve devant une vague incontrôlée d’infiltrés civils et militaires étrangers, à prendre en charge pour une durée indéterminée en vue de leur réinsertion sociale, capables de faire la mort pendant un temps avant de mettre à exécution un nouveau plan de déstabilisation du pays et de sa balkanisation.
KIMP
Le Phare, 17 décembre 2013