Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 09-09-2020 10:00
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Comment comprendre l’imbroglio juridique autour de la question de la mise en accusation du chef de l’Etat ? – Aimé Gata-K

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Kabila, le FCC  et les conséquences de leurs petits pièges : comment comprendre l’imbroglio juridique autour de la question de poursuites et de la mise en accusation du chef de l’Etat

La RDC vit depuis un moment au rythme des débats politico-constitutionnels insolubles.  Tel un cycle journalier de l’aurore qui chasse le crépuscule chaque matin,  à périodicité très faible et régulière, un débat en remplace un autre dans l’espace politique congolais. Ceci renvoie à l’opinion publique  le sentiment que leurs opérateurs politiques ne sont spécialistes que des verbiages en lieu et place de travailler dans le sens de la transformation des conditions de vie de leurs concitoyens.

Le dernier débat en date se trouve être la question de la mise en accusation du chef de l’Etat pour violation intentionnelle de la Constitution telle que soulevée par l’avocat des juges Kilomba Ngozi et Ubulu Mpungu qui contestent la constitutionnalité de l’ordonnance n°20/108 du 17 juillet 2020 qui met fin à leurs fonctions de juge à la Cour constitutionnelle. Selon maître Théodore Ngoie, les mandats de ses clients courraient encore et que le président de la République a intention-nellement violé la Constitution en les nommant, sans qu’ils ne soient consultés, comme juge à la cour de cassation. Comme on pouvait s’y attendre, cette position de maître Théodore Ngoie a été contestée notamment par le professeur Tshilumbayi de l’Udps qui pense que ces ordonnances étaient régulières et que selon l’article 82 de la Constitution le Président de la République n’a qu’une compétence dans la mesure où il nomme, révoque, met en place ou à la retraite les magistrats sur proposition  du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans ces lignes nous n’allons pas analyser le fond de l’affaire pour répondre à la question de savoir si l’ordonnance du Président du 17 juillet 2020 a violé la Constitution ou pas. Nous nous réservons de faire cette démonstration dans le cadre d’une prochaine note d’analyse. Ce qui nous intéresse ici c’est d’éclairer l’opinion quant à la confusion dans laquelle s’est empêtrée, une fois de plus, les constitutionnalistes et les juristes quant à la question de poursuites et de la mise en accusation du chef de l’Etat.

1. Que dit la Constitution au sujet de la procédure de poursuites et de la mise en accusation du président de la République ?

Le constituant de 2005 a prévu des mécanismes suivant lesquels le Président de la République peut être suivi ou mis en accusation. Le siège de cette matière se trouve être les articles 163 à 167 de la Constitution. In extenso, ces articles prévoient, qu’en cas d’infractions politiques de haute trahison (pour violation intentionnelle de la Constitution), d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le Président de la République peut être poursuivi et mis en accusation.

L’article 166 (al.1) de la Constitution précise par ailleurs que « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République (…) sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur ».

Cependant, pour comprendre cette procédure de poursuites et de la mise en accusation du Président de la République, il convient d’examiner la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Cette dernière  loi est celle qui a précisé les dispositions constitutionnelles en la matière.

Au sujet des poursuites contre le Président de la République, cette loi prévoit, en son article 100, que le Procureur général près la cour constitutionnelle est le seul compétent pour ouvrir une enquête contre le Président de la République. Il est aussi le seul à recevoir les plaintes, les dénonciations et à rassembler les preuves relatives aux infractions commises par le Président de la République. Il peut également inviter toute personne dont il juge l’audition nécessaire pour éclairer sa religion. Autrement dit, l’article 100 de la loi organique de 2013 fait du Procureur général près la Cour constitutionnelle le seul maître de l’opportunité de poursuites du Président de la République.

Les articles 101 et 102 de la même loi renchérissent dans ce sens en disant que « si le Procureur général estime devoir poursuivre le Président de la République (…) il adresse au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat une requête aux fins d’autorisation des poursuites. L’autorisation est donnée conformément aux dispositions de l’article 166 alinéa 1er de la Constitution ». Dans ce dernier cas, si le Congrès ainsi réuni « autorise les poursuites, l’instruction préparatoire est menée par le Procureur général ».

Il en est de même pour la mise en accusation. L’article 103 de la loi de 2013 dit clairement qu’à la clôture de l’instruction pré-juridictionnelle, le Procureur général doit adresser à nouveau un rapport au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat, éventuellement accompagné d’une requête aux fins de solliciter du Congrès la mise en accusation du Président de la République. Ce n’est que dans cas et en réponse de cette requête que le Congrès peut adopter la résolution de mise en accusation, avec comme  obligation pour le Procureur général, si le vote est positif, de transmettre le dossier au Président de la Cour constitutionnelle par une requête aux fins de fixation d’audience.

Comme on peut le remarquer, cette loi organique de 2013 est tellement claire au point qu’elle ne requiert aucune autre interprétation. Il fait du Procureur général le patron de l’opportunité des poursuites et de la mise en accusation du Président de la République. C’est de lui et de lui seul qu’émanent la requête aux fins d’autorisation des poursuites judiciaires contre le chef de l’Etat ainsi que la requête aux fins de sa mise en accusation. Le rôle des deux chambres du Parlement réunies en Congrès  se limite en amont avec le vote de l’autorisation des poursuites judiciaires et en aval avec l’autorisation de la mise en accusation du Président de la République. Mais, il faut dire que ce rôle n’est pas moins important dans la mesure où le Congrès peut bloquer les poursuites ou la mise en accusation du Président de la République par un vote contre l’autorisation sollicitée par le Procureur général. Pour autant, il n’est pas dévolu au Congrès l’initiative de déclencher des poursuites ou de mettre en accusation le Président de la République motu proprio.

2. La source de la confusion quant à la procédure de poursuites ou de mise à l’accusation du chef de l’Etat : le Règlement intérieur du Congrès

Rappelons encore ce que proclame l’article 166 (al.1) de la Constitution. Il y est dit que : « La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur ».

Malheureusement, ce règlement intérieur a été écrit en violation de l’article 166 tel qu’explicité dans la loi du la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013. Le problème réside dans les articles 39 et 40 de ce règlement qui consacrent une inconstitutionnalité tendant à faire croire que le Président de la République doit être convoqué devant le Congrès pour présenter ses moyens de défense avant le vote de la décision de sa poursuite ou encore de sa mise en examen. Ces dispositions sont dangereuses en ce qu’elles donnent au Congrès un pouvoir qu’il n’a pas, ce qui peut laisser penser que c’est du Congrès que vient l’initiative des poursuivre ou de mettre en accusation le chef de l’Etat. C’est surement à cause de ces deux dispositions que maître Théodore Ngoie est tombé dans le piège en écrivant aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, pensant qu’il appartient à ces derniers, en qualité des Présidents tournant du Congrès, de fixer un ordre du jour quant à l’opportunité de la poursuite ou de la mise en accusation du Chef de l’Etat.

De plus, l’inconstitutionnalité de ces deux articles (39 et 40) du Règlement intérieur du Congrès tient au fait que, conformément à l’article 77 de la Constitution,  le Président de la République ne « communique avec les Chambres du Parlement (que) par des messages qu’il lit ou fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. Il prononce, une fois l’an, devant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, un discours sur l’état de la nation ». C’est la seule possibilité donnée au Président de se retrouver devant le Congrès par le constituant de 2005. C’est dans cette optique que  la cour suprême de justice, toutes sections réunies, dans son arrêt R. CONST 061/TSR du 30 novembre 2007, avait déclaré inconstitutionnels, les articles 38, 40, 42 et 43 du règlement intérieur du Congrès de 2007 relatifs à la procédure de mise en accusation du Président de la République. Ces articles instituaient une sorte de Commission pour entendre le Président de la République. C’est ce qu’a tenté de ressusciter les articles 39 et 40 de ce nouveau Règlement intérieur de 2019.

Un autre point : Le raisonnement de maître Théodore Ngoie nous parait encore bancal dans la mesure où il tente, en justification de sa démarche, de citer un passage de l’exposé des motifs de la Constitution qui dit: « Réunis en Congrès, l’Assemblée nationale et le Sénat ont la compétence de déférer le Président de la République et le Premier ministre devant la 

Cour constitutionnelle, notamment pour haute trahison et délit d’initié« .

Nous sommes d’accord avec maître Théodore Ngoie que l’exposé des motifs de toute Constitution fait partie intégrante de celle-ci et qu’il peut éclairer s’il faut interpréter une disposition floue ou imprécise. Mais, dans le cas sous examen, la Constitution ainsi que la loi organique de 2013 sont claires.  Il n’y a donc pas besoin de recourir à l’exposé des motifs pour les comprendre.

Conclusion

Vous vous posez forcément la question de savoir où se situe la responsabilité du FCC et de la Cour constitutionnelle  dans ce désordre «interprétationnel» tel que nous l’avons posé dans le titre.

Le désordre installé par le FCC tient au fait que la majorité de l’époque a dénaturé le vrai sens l’article 166 (al.1). Quand on lit minutieusement cette disposition, en combinaison avec le passage de l’exposé des motifs cité par maître Théodore Ngoie, on comprend que l’esprit de cette disposition était celui d’accorder le plein pouvoir au Congrès de déférer le Président de la République devant la Cour constitutionnelle – donc de décider, pas de sa poursuite, mais au moins de sa mise en accusation à l’exemple d’une procédure de citation directe qui n’implique pas l’initiative du parquet, à l’occurrence du Procureur général près la Cour constitutionnelle.

Cependant, comme la plupart de lois étaient confectionnées à la taille de l’ancien Président de la République, monsieur Joseph Kabila, il ne fallait pas faire courir à ce dernier le risque d’être poursuivi ou mis en accusation par un Parlement qui lui deviendrait hostile. Voilà pourquoi, la loi organique de 2013 a sciemment verrouillé ce pouvoir du Congrès le plaçant dans un simple rôle d’entérinement ou non  de la procédure de poursuites ou de la mise en accusation du Chef de l’Etat. C’était pour la majorité de l’époque une soupape de sécurité accordée à Joseph Kabila d’être protéger par le fait de contrôler soit le pouvoir législatif soit le pouvoir judiciaire ou les deux. Cette loi organique de 2013 rendait donc impossible toute velléité de poursuivre ou de mettre en accusation Joseph Kabila. Aujourd’hui, malgré son imperfection, c’est cela malheureusement l’état du droit positif en la matière.

Le désordre installé par la Cour constitutionnelle est ce que nous venons de relever dans le deuxième point de notre analyse. C’est le fait pour la Cour  d’avoir fait un revirement jurisprudentiel en considérant que les articles 39 et 40 du Règlement intérieur 2019 du Congrès étaient conformes à la Constitution alors les dispositions contenues dans ces articles sont les mêmes que celles des articles 38, 40, 42 et 43 du Règlement intérieur de 2007 qui ont été déclarés inconstitutionnels dans l’arrêt R. CONST 061/TSR du 30 novembre 2007.

Comme vous pouvez le remarquer, nous n’avons pas traité ici du fond de l’affaire pour savoir si Félix Tshisekedi a violé la Constitution ou non. Pour cela, nous allons revenir avec une autre analyse. En attendant, vous pouvez avoir une partie de la réponse dans notre article publié  il y a quelques jours sur Desc-wondo.org[1]. Cependant, quant à la forme, il n’y a pas de doute que la procédure de la mise en accusation du chef de l’Etat menée par maître Théodore Ngoie ne se repose sur rien. Elle est donc aconstitutionnelle.

Aimé GATA-KAMBUDI est Diplômé d’études supérieures en Droit public approfondi. Il est également analyste, consultant et expert des questions juridiques et politiques au sein du think tank DESC-WONDO.ORG / Tél. : +33 7 62 02 63 07 ; e-mail : aime.gata22@gmail.com
Références

[1] Aimé Gata-Kambudi, «Le contreseing du Premier ministre au cœur d’un débat sur l’inconstitutionnalité des ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 », http://afridesk.org/le-contreseing-du-premier-ministre-au-coeur-dun-debat-sur-linconstitutionnalite-des-ordonnances-presidentielles-du-17-juillet-2020-aime-gata-k/

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