Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 27-09-2015 07:30
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Chronique de droit congolais – 2016 : entre Mobutu et Lumumba – Marcel Yabili

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Chronique de droit congolais au quotidien

2016 : entre Mobutu et Lumumba

C’est bien que la Cour Constitutionnelle (CC) soit dans toutes les conversations. Elle mérite d’être connue et exploitée, car elle apporte de nouvelles bases de raisonnements et d’expression. L’une des particularités congolaises est que « tout citoyen » peut s’adresser à ce gendarme de l’État de Droit. Ainsi, une loi qui ferait l’unanimité des élus, de la classe politique et de la société civile pourrait être annulée par l’ initiative d’ un simple individu. Cette capacité citoyenne directe n’existe pas dans les grandes démocraties qui filtrent les dossiers examinés en si haut lieu.

Mais il y a deux conditions à cela. L’intrépide citoyen doit exprimer une demande à la CC, parce qu’un tribunal ne descend pas sur le terrain pour corriger les anomalies ; tel le cas d’un mari qui trompe sa femme et qui ne verrait intervenir la justice que si l’épouse le demande. Ensuite, il faut que le citoyen intrépide apporte à la CC la preuve de l’irrégularité de la loi ou de la mesure gouvernementale qui dérange l’État de Droit.

Cette capacité citoyenne du « seul contre tous » a de quoi réconforter. Et de rappeler qu’il n’ est pas nécessaire d’ être plusieurs pour détenir la vérité. Que même, tout le monde : peuple, gouvernement, élus et élites, experts et la fameuse communauté internationale, pourraient se tromper. Et il est bien possible que le vent tourbillonnant des craintes de glissement, un dialogue, des exclusions en direction des échéances de 2016 procède d’une illusion collective. Pour ne pas dire imposture.

Que voit-on ? « les ministres, les gouverneurs, les administrateurs demeurent des personnes décoratives et le bureau de la présidence gouverne et administre le pays… C’est en leur qualité de prisonniers de luxe que (le chef de l’État) s’est accordé la liberté d’élever le népotisme au niveau de l’institution ». Ces propos qui semblent évoquer 2015 décrivaient le régime Mobutu en… 1977, sous la plume de Monguya Mbenge (Histoire secrète du Zaïre, cité par Delly Sesanga dans La voie du changement – L’Harmattan- 2011).

Comment en est-on revenu là ?

 En 1960, l’ instabilité du pays n’ avait pas permis de bien ancrer les devoirs et les mérites respectifs du « président de la République et chef de l’ État » et ceux du « Premier ministre et chef de gouvernement ». Kasavubu avait destitué légalement Lumumba, mais la disparition tragique de ce dernier a légué à la mémoire collective la légitimité d’un Premier ministre « fort » de sa « majorité parlementaire ». En 1965, Kasavubu avait récidivé en déniant à Tshombé les mérites de la majorité des élus. Mobutu prit le pouvoir avec un Mulamba Premier ministre rapidement écarté avec la fonction. Le régime devint « présidentiel » et « personnel ». Et dans l’imaginaire populaire, les deux étaient devenus des synonymes. La chute de Kolwezi en 1978 mena à un parlement qui engendra les fameux « treize parlementaires » et à la nomination d’ un « premier commissaire d’ état ». Au lendemain de la « démocratisation » de 1990, le vocable changea en « Premier ministre ». Mais Lunda Bululu prêta serment en abacost au lieu du costume-cravate réhabilités, et les étudiants virent dans ces signes vestimentaires la poursuite du régime présidentiel ; il y eut des émeutes, l’ épisode du massacre au campus de Lubumbashi, l’isolement international de Mobutu, puis le multipartisme intégral, la conférence nationale souveraine, et les pillages. Appelé au pouvoir, Tshisekedi voulut réincarner, avec son tempérament, un chef de gouvernement à la Lumumba et il refusa de prêter le serment d’allégeance au chef de l’état en 1991. En 1992, il se faisait élire et investir directement par la conférence nationale. Mais la parenthèse fut vite refermée ; jusqu’ à son départ, Mobutu garda les manettes avec des premiers ministres arborant le titre. Vint Laurent Désiré Kabila qui gouverna seul, suivi par Joseph Kabila de 2001 à 2003. Les trois années de la transition firent un partage en 1+4 (un président et 4 vice-présidents). Ces péripéties ont conduit à la constitution de 2006, à la rupture avec le régime présidentiel d’un Mobutu et au rétablissement d’un Lumumba « chef de gouvernement et maître de la conduite de la politique de la Nation » avec le soutien d’une majorité parlementaire.

Mais ceux qui devaient implanter cette réforme étaient d’anciens belligérants et protagonistes. Dans son livre cité ci-haut, Delly Sesanga témoigne. « Des concepts flous définissent les pouvoirs du président de la République tel que : magistrat suprême, commandant suprême des armées, garant de la nation. On fait dire à ces concepts tout ce que la Constitution n’ a pas voulu et, parfois, a écarté expressément… L’ intérêt excessif accordé au scrutin présidentiel comparé à la relative banalisation de la législative donne l’ indication de ce que tous les partis étaient engagés dans la présidentialisation du régime. Chacun a pensé qu’une fois porté à la magistrature suprême, il pouvait par son arbitrage au sein de l’Assemblée nationale arranger à sa guise, et au besoin moyennant finances et distribution des portefeuilles, une majorité de connivence à sa politique ».

Côté population, on avait assisté au sprint final entre Kabila et Bemba. On crut que l’élu était libéré de l’ombrage de l’autre et sortait renforcé pour gouverner. Cette perception a été renforcée par un Premier ministre virtuel, un vieillard affaibli auquel ont succédé deux profils bas. De même, on a inventé le concept de « majorité présidentielle » qui est contraire à la constitution dans la mesure où il porte atteinte au principe fondamental de la « majorité parlementaire » de gouvernement et de responsabilité gouvernementale. Il y a plus grave. La révision constitutionnelle de 2011 n’avait pas seulement supprimé le second tour de la présidentielle, elle proclame le candidat le mieux placé. C’est ainsi que le gagnant de 2011 n’avait pas obtenu 50 %. Mais on parle de « majorité présidentielle » sans fondement institutionnel, ni même arithmétique.

L’Etat de Droit est en mal avec pareilles manipulations. Parce que la question n’est pas d’être pour X et contre Y. Ni de penser qu’un pays aussi vaste que le Congo aurait besoin d’un homme fort et providentiel ou d’un régime présidentiel dans l’une de ses multiples déclinaisons. Des textes existent ; ils ont même le mérite d’être équilibrés, d’avoir des garde-fous et de s’inscrire dans le cheminement historique du pays. La question doit être posée par le commencement : combien ont lu, ne serait-ce qu’une seule fois, les 80 pages officielles et les 229 articles de la constitution ? Combien en ont compris le sens grammatical et l’esprit ? Les interactions des règles ?

Brièvement. En RDC, comme dans plusieurs pays, il n’est pas attribué au chef de l’Etat de gouverner. Et c’est parce que le président de la République ne prend pas de décisions de gouvernement, qu’il ne peut pas être interpellé… De son côté, le gouvernement décide et agit ; à cause de cela, il doit en répondre devant le peuple représenté par ses élus : les parlementaires (députés et sénateurs). On peut se poser des questions ; les réponses sont aisées. Le chef de l’État désigne le Premier ministre ? Comme dans tout régime parlementaire, il prend le Premier ministre dans la majorité des députés, mais c’est le parlement qui investit et qui nomme réellement le premier ministre. Le chef de l’État est élu au suffrage universel ? Ce mode de désignation est coûteux, et n’est pas nécessaire pour sa légitimité. On a bien vu des gouverneurs rayonner de légitimité alors qu’ils avaient été nommés par des députés. La réforme constitutionnelle de 2011 a abouti à l’élection présidentielle avec le quart des voix des électeurs inscrits ; ainsi, le seul suffrage universel n’ apporte plus du tout de la légitimité. La vérité est que le suffrage n’octroie aucune prérogative en plus ou à l’encore des textes. Le président de la République a des fonctions spéciales ? C’est normal, il faut à la tête du pays un chef de l’Etat ; mais il n’a pas de domaine réservé. Il se concerte avec le Premier ministre ? C’est normal, car tous les deux sont des responsables d’un même pays et la moindre des choses est qu’ils dialoguent ; mais c’est le Premier ministre qui a le dernier mot… Imaginons un désaccord, le chef de l’État ne pourrait pas démettre le chef du gouvernement. Celui-ci ne peut être révoqué que par ceux qui l’ont investi et qui le contrôlent, à savoir la majorité des députés. Le chef de l’état peut dissoudre l’assemblée nationale ? Oui, pas pour désaccord entre eux deux, mais en cas de crise grave entre le premier ministre et les parlementaires qui l’ont investi. Etc. Etc.

Les acteurs de l’affabulation le savent très bien. Ils ne manquent pas de l’exprimer clairement. Ils ont décompté, non pas la « majorité présidentielle », mais « la majorité parlementaire » pour affirmer à haute voix qu’elle restait « intacte » … au sein de l’Assemblée nationale où le décompte des députés de la plateforme donne 331 membres contre 359 avant la fronde. De même, les ordonnances présidentielles n°15/069 du 17 septembre 2015 révoquant les ministres frondeurs et n°15/075 du 25 septembre 2015 réaménageant le gouvernement stipulent que ces décisions ont été prises « sur proposition du Premier ministre ».

D’ après les textes, le véritable enjeu pour 2016 est une « majorité parlementaire » qui soutiendrait et accompagnerait le programme de gouvernement d’un Premier ministre, qui le contrôlerait et le sanctionnerait si nécessaire. Sans imposture, le cap sur les législatives ramènerait de l’apaisement.

Voilà un cas concret. L’État de Droit n’est pas une théorie. L’appliquer est vertueux et utile. Mais aussi urgent.

© Marcel YABILI

Juriste, 15e licencié en droit de l’Université Officielle du Congo, en exercice et résidant au Congo depuis 46 ans.
Dernières publications
(*) Etat de droit : les contrôles de constitutionnalité par la Cour Constitutionnelle, les Cours et les Tribunaux – 335 pages, PUL 2012
Les Juridictions Judiciaires – 200 pages – Ed.M.Yabili 2013
Je crois en droit – 45 ans d’ exercice – 240 pages = Ed. BahûBab. 2014. En version Ebook
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