Chronique de droit congolais au quotidien
Assumer, ou enlever la particule « D »
Marcel Yabili
Les écoliers congolais sont désormais obligés d’entamer la semaine avec le salut au drapeau, pour s’initier à « la nouvelle citoyenneté ». On devrait, en effet, leur parler de ce que « RDC » veut dire. À commencer par l’origine de cette particule. Pour se démarquer de la colonie « Congo belge », on avait appelé le pays « République du Congo ». Mais en 1964, avec la Constitution de Luluabourg, l’impératif était de prendre ses marques avec les rébellions soutenues par des pays du bloc communiste. D’ autant qu’à Stanleyville (Kisangani) on avait tout bonnement mimé la Chine et proclamé une République « Populaire » du Congo. La même dénomination fut reprise plus longtemps par le Congo-Brazza, alors marxiste. La particule « Démocratique » est un héritage de la guerre froide.
Chaque 15 septembre ne marque pas seulement la rentrée parlementaire, c’est aussi la « journée internationale de la démocratie ». Dans un pays qui est pratiquement le seul au monde à afficher le sigle de « démocratique », on devrait au moins savoir ce que ce qualificatif signifie, et implique. C’est un système politique aux dirigeants aléatoires qui sont investis et démis par le peuple au nom duquel et pour le compte duquel ils gouvernent. Autrement dit, les élections sont un marqueur de la démocratie. On doit absolument les organiser. Et assumer la particule « D » qui qualifie le pays.
Mais il n’y a pas de signe avant-coureur d’assumer le qualificatif. Un seul exemple. Les villes et les communes attendent depuis près de dix ans des élections pour installer leurs nouveaux organes. La loi de 2008 dit qu’en attendant cela, on applique le régime précédent de 1998 qui encadrait les maires et les bourgmestres avec des chambres consultatives. Ces conseillers, non élus, sont des membres de corps constitués clairement identifiables. Mais on ne les a jamais appelés sous prétexte qu’ « on attend les élections ». La moindre bonne foi aurait été de préparer le paysage de la démocratie de proximité avec ces chambres consultatives et d’empêcher que maires et bourgmestres ne gèrent comme des potentats autocrates, et en toute illégalité.
De plus, chaque échéance électorale majeure soulève des interrogations et de la spéculation. En 2010 déjà, on avait imaginé de vendre des cartes d’identité pour lever les fonds nécessaires à la remise gratuite de cartes d’électeurs. Puis on a revu la constitution pour soi-disant faire l’économie d’un second tour de la présidentielle. Puis le gouvernement a déposé des projets de lois électorales distinctes pour chaque scrutin. Puis, sans s’expliquer, il a proposé de modifier la loi électorale unique, et provoqué les émeutes de janvier 2015 et, dans la foulée, l’adoption de la programmation des nouvelles provinces. Puis il a foncé tête baissée dans un cul de sac. Puis la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI) a fait intervenir la Cour Constitutionnelle (CC). Puis on critique la décision du tribunal, chacun se croyant malin assez pour juger les juges. Depuis, on spécule et on suppute.
Ce que les historiens appelleront un jour « fiasco du démembrement des 11 provinces en 26 entités » est une accumulation de fautes et d’abstentions coupables de tous bords. Selon un député national « nous savions que l’installation précipitée de nouvelles provinces et la programmation peu réaliste de 7 scrutins successifs procédaient de l’aventure et de la témérité… ». La liste des fautes et des fautifs est impressionnante.
L’opposition politique avait parlé de l’inconstitutionnalité aussi bien de la loi électorale que de la loi de programmation des nouvelles provinces. Elle aurait pu réunir 10 % de députés ou 10 % de sénateurs pour saisir la CC et bloquer les promulgations par le chef de l’Etat.
Le 12 février 2015, la loi électorale est promulguée. À partir de ce moment, elle était annulable à la demande de « tout citoyen ». Jusqu’ au 12 août.
Le même 12 février, la CENI a revu son calendrier du 26 mai 2014 pour étendre les élections urbaines et municipales aux scrutins provinciaux, législatif et présidentiel de 2015 et 2016. Cette décision privait du droit constitutionnel de vote les électeurs devenus majeurs depuis 2011. Le calendrier était inconstitutionnel, et « tout citoyen » pouvait en demander l’annulation à la CC. Jusque maintenant.
Deux semaines plus tard, le 28 février, fut promulguée la loi de programmation des nouvelles provinces. Le texte fixait un délai surréaliste de quatre mois pour installer les nouvelles institutions provinciales. Normalement, la présidence de la république aurait pu déceler que le calendrier de la CENI était empiété, et renvoyer la loi au parlement, pour une seconde lecture.
Les critiques contre la programmation des provinces avaient été très nourries. La précipitation et l’impréparation, les inégalités entre les provinces etc en faisaient une règle inconstitutionnelle. Ces anomalies ont été vérifiées par le gouvernement lui-même qui a avoué que l’anarchie s’installait dans le pays. « Tout citoyen » était admis à saisir la CC pour demander l’annulation de la programmation. Jusqu’ au 28 août.
Ayant tardé dans les préalables de la programmation, le gouvernement a bien aperçu le délai butoir du 14 août 2015. Il savait bien que cela était intenable. Il aurait pu en demander la révision au parlement. De leur côté, les députés avaient la possibilité de déposer une proposition de modification de la loi. Ils peuvent encore le faire. Ce réaménagement serait aussi l’occasion pour les uns et les autres de faire rectifier les insuffisances et les incohérences multiples de la programmation. Cela est encore possible.
La CENI a publié le 23 juillet un calendrier parallèle pour les élections des nouveaux gouverneurs le 31 août, ce qui impliquait leur installation effective en novembre, soit deux mois après le délai butoir de la loi de programmation. Ainsi, plus rien ne tenait plus la route.
La Commission Nationale Indépendante (CENI), s’est adressée, à sa manière, à la CC pour demander deux choses : d’interpréter la loi électorale et de donner un avis sur la poursuite des calendriers électoraux de 2015 à 2016 et de l’élection des gouverneurs des nouvelles provinces. C’est elle qui a parlé de force majeure.
Le gouvernement a été convoqué. Il a aussi parlé de force majeure. Mais il a surtout décrit « l’anarchie dans laquelle se trouvent les nouvelles provinces qui ne sont pas actuellement administrées, situation qui frise la mort de l’Etat … Cette situation préoccupante menace l’unité nationale et l’intégrité territoriale du pays… et nécessite des dispositions transitoires exceptionnelles pour faire régner l’ordre public, la sécurité et assurer la régularité, ainsi que la continuité des services publics…
La CC a examiné les demandes et les explications fournies par la CENI et par le gouvernement. Soit deux sons de cloche seulement. Cependant, la convocation inattendue du gouvernement donnait la possibilité à d’autres corps sociaux, justifiant un intérêt, de solliciter d’intervenir au « procès ».
À l’arrivée, la Cour Constitutionnelle a jugé que la CENI donnera priorité aux élections des gouverneurs et reverra son calendrier électoral ; le gouvernement devra sauvegarder l’ordre public dans les provinces concernées. Elle n’a rien dit d’autre.
Y a-t-il des risques de dérapage par la CENI ? En fait, la CC lui laisse son indépendance à revoir son calendrier. La surcharge des scrutins a été sa propre décision entêtée. Il faut attendre le calendrier remanié. Et voir. Si le programme est inapproprié, il pourra être attaqué devant la CC.
Y a-t-il des risques d’abus par le gouvernement ? Objectivement, l’élection de nouveaux gouverneurs coûterait 2 millions de dollars. De plus, ce sont les votes les plus faciles, car ils rassemblent dans des salles quelques dizaines de députés provinciaux. Mais le gouvernement a prétendu que cette somme n’était ni dans le budget, ni dans ses caisses. Il a de suite annoncé qu’« une équipe gouvernementale se rendra au Parlement pour pouvoir obtenir de l’autorité budgétaire ces moyens-là ». Mis selon le dernier rapport de l’ODEP (Observatoire de la Dépense Publique) sur l’exécution du budget de 2012 à 2014, et les constats de la Cour des comptes , il y a toujours eu des dépassements budgétaires, jusqu’ à 99,57 % pour la Primature, et 85,7 % pour la Présidence… Néanmoins, tout acte abusif du gouvernement peut être attaqué devant la CC, « par tout citoyen », en cas de violation de la constitution, ou devant la chambre administrative de la Cour Suprême de Justice (qui officie comme Conseil d’Etat), en cas de violation de lois.
Y a-t-il des fautes de la part de la CC ? Plutôt que d’imaginer, on devrait dire tout haut ce que la CC n’a jamais dit ou suggéré : sa décision n’invite pas à la violation des lois ou de la constitution. Ce qui se passera par la suite sera de la responsabilité de la CENI ou du gouvernement. Et leurs actes seront attaquables, en cas d’irrégularités.
Le procès fait à la CC est étrange. Un juge a ceci de particulier qu’il a son jardin secret, sa part d’intime conviction et d’opinions philosophiques et de sensibilités personnelles lorsqu’ il examine des données matérielles. C’est subjectif, mais c’est la règle du jeu qu’on qualifie souvent de « sagesse ». La seule obligation du juge est d’expliquer le cheminement de sa décision, cela dans deux aspects.
a)- Un jugement a des aspects techniques. C’est un point faible de la CC qui ne bénéficie pas de l’assistance d’experts « conseillers référendaires ». On reproche à la CC de n’avoir pas énuméré toutes les conditions habituelles de la force majeure ; en fait elle s’est contentée de reprendre ce qui a été cité par les plaideurs. On reproche également à la CC des imprécisions qui peuvent ouvrir à des abus ; en fait la CC peut être sollicitée pour interpréter ( non pas une loi) mais sa propre décision, soit par la CENI ou par le gouvernement, ou par « toute personne » qui justifierait un intérêt légitime.
b)- Une décision a surtout des éléments juridiques. C’est cet aspect qui va survivre à la décision. On appelle cela « jurisprudence ».
Négativement, et en ce moment, la CC fait fausse route en vérifiant la conformité à la constitution des règlements d’ordre intérieur des assemblées provinciales. C’ est une méprise de l’extension aux provinces des règles applicables au parlement national, alors que la constitution n’ a pas inclus ce cas dans les formalités extensibles.
Mais positivement, la CC a énoncé trois règles majeures.
D’ une part, elle a rejeté la demande d’interpréter les lois ; cette évidence méritait d’être soulignée après les errements connus sous la juridiction constitutionnelle de la Cour Suprême de Justice.
D’autre part, elle a confirmé que la CC ne donne pas des « avis », mais que chaque cas qu’ elle examine aboutit à un « arrêt ».
Enfin et surtout, la CC a incontestablement outrepassé sa compétence matérielle. Elle a franchi la ligne en usant, selon elle, « de son pouvoir de régulation de la vie politique, du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». L’exercice a sans doute été facilité, en subconscience, par le cadre des débats qui portaient sur le calendrier électoral que la CC peut prolonger. Ce débordement, va désormais caractériser le droit judiciaire constitutionnel congolais qui est maintenant placé dans le camp des constitutionnalistes « maximalistes ». Ce bond consacre aussi l’existence et l’autonomie d’un véritable droit national. Car, cette violation bien réelle est valable.
Ceci mérite explications. Dans ses fonctions expresses, la CC interprète la constitution et vérifie la constitutionnalité des lois avant leur promulgation, ou, par la suite, pour les annuler dans les 6 mois à la demande de tout citoyen ou pour les paralyser dans le cadre d’un procès. Mais un ouvrage de 2012 (*) indiquait déjà que la CC est surtout gardienne de l’Etat de droit. De ce fait, elle ne pourrait exclure le contrôle des hautes autorités et institutions auxquelles la constitution adresse des directives. Personne ne peut échapper aux lois et toute violation de celles-ci doit être sanctionnée. Et on voit tous les jours des cas de « désobéissance constitutionnelle », avec des violations par actes ou par omissions. De tout cela, la CC pourrait en être saisie.
Ce point mérite aussi un exemple. Il est tiré de l’ouvrage de 2012 (*). « Le Chef de l’État est élu au suffrage universel, directement par le peuple. Il est investi et il entre en fonction en prêtant serment devant la Cour Constitutionnelle. La cérémonie est conforme à la Constitution. Mais il y aurait « désobéissance constitutionnelle », notamment : si la cérémonie d’investiture est ouverte par une prière, qui contreviendrait à la laïcité constitutionnelle de l’État ; ou si un chef religieux déclarait dans un sermon que « l’autorité vient de Dieu », par négation du scrutin constitutionnel ; ou si des chefs traditionnels remettent à l’élu des « insignes du pouvoir », en contradiction du pouvoir constitutionnel qui n’est pas coutumier. Cela violerait aussi l’élection par le peuple, seule source du pouvoir … ». Tous ces cas qui débordent de la compétence écrite pourraient être soumis et examinés à la CC qui en constaterait l’inconstitutionnalité.
La Cour Constitutionnelle est une juridiction à nulle autre pareille. Elle surprend, malgré que son avènement avait été préparé depuis 2012 par une étude fouillée (*). Ce tribunal a une chambre unique, et ce sont tous ses membres qui examinent toutes les affaires. Les 9 juges sont nommés une seule fois pour 9 ans, non renouvelables. Un tiers de ceux qui siègent actuellement seront remplacés en 2018, et trois autres, en 2021. Par la suite, on pourra guetter les variations des opinions des juges à chaque remplacement triennal. En effet, même à huis clos, les magistrats de la CC décident à visage découvert. Ces juges ne se cachent pas derrière des décisions prises à la majorité et dans le secret du délibéré. Ici, toutes les argumentations minoritaires qui ont été écartées seront publiées intégralement au journal officiel. C’est vrai ! Avec ces « opinions dissidentes », on saura désormais exactement quel magistrat a voté quoi ou quelles sont les mentalités et la constance de chacun.
Le nouveau droit de cité de « l’opinion dissidente » permet aux chercheurs en droit de construire des analyses peu orthodoxes, audacieuses et même provocatrices, car un membre de la CC pourrait le faire aussi. Ainsi, les difficultés récurrentes à organiser des élections font que la loi électorale est inconstitutionnelle. De même, si les élections sont la première spéculation et le cadet des soucis des politiques, qu’on assume et qu’ on change de nom du pays, en enlevant la particule « D ».
One Comment “Chronique de DESC : Assumer, ou enlever la particule « D » de la R(D)C – Marcel Yabili”
Fabien S. Gombo
says:République Populaire Démocratique d’Algérie, République Populaire Démocratique de Corée ou Corée du Nord .Il y en a encore, probablement le Cap Vert, mais je dois encore chercher. Pour le reste, je partage l’analyse du compatriote Marcel Yabili, même si je ne comprends pas bien la mention « résident permanent en RDC ».