Le 27 décembre 2020, les élections présidentielle et législatives se sont déroulées en République centrafricaine (RCA) dans un climat très tendu marqué par des attaques des groupes armés qui contrôlent un peu plus de la moitié du territoire national. En même temps, la Coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), dont l’ancien président François Bozizé était le chef de file jusqu’à il y a peu et que Bangui accuse de fomenter un coup d’État, exigeait le report des élections jusqu’au rétablissement de la paix et de la sécurité. Finalement, le pouvoir appuyé par le G5+ (groupe de partenaires internationaux de la Centrafrique)[1], a maintenu l’organisation des élections dont j’ai été observateur. Au bout du compte, c’est le président sortant, Faustin-Archange Touadéra, qui a été déclaré vainqueur avec 53,16 % des suffrages. Malgré les recours de ses rivaux, la Cour constitutionnelle a validé le vote, le 18 janvier 2021 d’autant que plusieurs missions d’observation électorale nationales et internationales ont reconnu plutôt dans une large mesure la validité du déroulement de ces scrutins. C’est le cas des observateurs d’organisations africaines, de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) qui, lors d’une conférence de presse, le 30 décembre 2020 s’étaient aussi félicités de la tenue du scrutin. Alors que l’ONU et sa mission en Centrafrique ont mentionné un scrutin « historique »[2].
En effet, dans les zones où nous avons été déployés, nous n’avons relevé d’incidents graves ni d’énormes irrégularités susceptibles de remettre en cause la validité des scrutins. Ce qui nous a particulièrement impressionnés est l’enthousiasme populaire des électeurs dans les bureaux visités. Nous avons également apprécié les conditions de sécurité dans ces bureaux. La police et les forces de sécurité n’ont pas interféré de près ni de loin dans le déroulement des élections. En revanche, ils ont fait preuve d’un professionnalisme impressionnant qui a permis de sécuriser à la fois les électeurs et les bureaux de vote.
Cet enthousiasme populaire constaté d’aller aux urnes reflète plutôt la volonté des Centrafricains de dire non à la guerre et à l’instabilité persistante. Une population, lassée par d’interminables conflits orchestrés par des politiciens, qui, en allant voter, opte pour la paix. Les élections comme symbole de rejet de la guerre, c’est ce que l’on peut retenir comme étant la véritable victoire de ces scrutins, malgré le flou sur le taux de participation électorale.
La MINUSCA, un maillon majeur de la sécurisation de la RCA, appuyée par la Russie et le Rwanda
Malgré les violences qui ont marqué ces élections, empêchant une grande partie de la population d’aller voter, on peut constater que les élections se sont généralement bien déroulées dans les zones où nous étions déployés pour observer leur déroulement. Cela était rendu possible grâce au maintien de la sécurité, quoique dans une mesure limitée, de la présence des forces des Nations Unies (MINUSCA), ainsi que du soutien militaire déterminant de la Russie et du Rwanda. C’est la MINUSCA et la Russie qui tentent aujourd’hui de sécuriser et de stabiliser RCA. En effet, force est de constater que les Russes ont relevé le défi électoral en RCA en gagnant notamment la bataille électorale, tout en continuant de pacifier la RCA, malgré les menaces des rebelles acquis à Bozizé autrefois soutenu par la France. Avec l’appui de leurs troupes au sol, l’aviation russe à qui les drones avaient fourni avec précision les différentes positions des rebelles avait mis en action les SUKHOI SU-34 Fullback Skyhammer[3]. Pour soutenir les autorités centrafricaines, « la Russie a envoyé plusieurs centaines d’hommes des forces régulières, et des équipements lourds » dans le cadre d’un accord de coopération bilatérale, a annoncé à l’AFP Ange Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement centrafricain[4]. Le Rwanda a également renforcé son dispositif militaire local par l’envoi d’un bataillon léger en RCA. Depuis, les Russes, en collaboration avec les militaires rwandais, assurent une certaine sécurité relative qui permettra aux autorités élues de consolider les institutions dans une perspective de stabilisation progressive de ce pays ravagé par près de deux décennies de la guerre.
Un tournant non négligeable pour la stabilisation du pays
Les élections ne sont pas une fin en soi, mais elles participent à un processus dynamique de stabilisation progressive d’un pays post conflit. Certes, la violence va probablement se poursuivre, comme on l’a constaté avec la tentative d’incursion rebelle dans les quartiers du sud de Bangui le 13 janvier 2021, mais les observateurs ne s’attendent pas à une récidive de l’effondrement total du pays dans l’anarchie vécue en 2013[5]. En effet, la sécurité du pays a été renforcée par les éléments de la MINUSCA, forte de 14 000 hommes et une armée, FACA, renforcée par l’armement et des hommes armés russes et des supplétifs rwandais. En début 2020, environ 235 experts militaires russes, sans compter la douzaine de soldats de la paix russe impliqués dans la MINUSCA, ont formé près de 4.000 militaires et environ 500 membres des forces de l’ordre[6]. Selon un diplomate africain en poste en RCA que nous avons contacté, l’action conjointe de la MINUSCA et des Russes en RCA reste déterminante pour la stabilité institutionnelle post-électorale de ce pays.
Il faudrait désormais tenir compte de cette situation de fait accompli et mettre l’effort pour travailler en synergie dans une perspective globale de stabilisation de la RCA. Bien que la RCA occupe une position marginale sur la scène mondiale, il ne faudrait la laisser sombrer dans un nouveau cycle de violence qui pourrait étendre ses tentacules dans la sous-région. L’instabilité de ce pays est une résultante de plusieurs facteurs sociopolitiques endogènes et géopolitiques exogènes. Pratiquement tous les pays environnant la RCA sont en proie aux instabilités sécuritaires : le Cameroun, le Tchad, la RDC, le Soudan et le Soudan du sud et la République du Congo. C’est la raison pour laquelle, à notre avis d’expert en matière de sécurité principalement, il me parait crucial d’aider et d’accompagner efficacement ce pays à surmonter cette dernière crise. Cela passe notamment par la neutralisation de tous les groupes armés qui écument ce pays. Un tel soutien multilatéral affiché aux nouvelles institutions du pays serait une preuve éclatante de l’engagement de la communauté internationale à stabiliser durablement non seulement la RCA mais bien les Etats périphériques qui pourraient bénéficier géostratégiquement des effets de cette stabilisation.
Saisir plutôt la main tendue de Touadéra pour relever le défi du développement et de la paix
La littérature sur la consolidation de la paix suggère que le meilleur baromètre de la stabilité d’un pays sortant d’un conflit réside dans la troisième élection après la fin officielle du conflit. Pour la RCA, on est au deuxième cycle électoral[7]. Ce sera à la fin du deuxième mandat de Touadéra que l’on pourrait bien évaluer la situation en RCA. Cela appelle à ne pas remettre les compteurs à zéro mais à partir de la situation de fait sur le terrain.
A l’heure actuelle, il nous paraît difficile de s’attendre à une amélioration radicale de la situation sécuritaire dans un avenir prévisible, ou à la recherche de solutions négociées (par exemple sous la forme d’un gouvernement provisoire d’unité nationale). Cela affaiblirait le mandat et la légitimité des autorités étatiques et marquera un pas en arrière dans le processus de sa reconstruction. C’est la raison pour laquelle les différents acteurs doivent se réinvestir à accompagner le président Touadéra dont une partie de la population apprécie la constance car n’ayant jamais dévié de sa politique de la main tendue. Un Président qui a tout de même permis d’obtenir une relative indéniable accalmie dans les combats depuis bientôt trois ans, dans un pays lassé par les conflits et qui veut Et lui sait gré de.
Dans son allocution aux Centrafricains après la validation de sa réélection par la Cour constitutionnelle, le président Faustin-Archange Touadéra a exprimé son souhait de « poursuivre la réconciliation nationale »[8]. « Je tends la main patriotique à l’opposition démocratique afin de sortir notre pays du cycle vicieux de violences et de destruction. Au lendemain de mon investiture, nous allons poursuivre la réconciliation nationale afin de décrisper le climat politique pré et post électoral »[9]. La communauté internationale et les partenaires bilatéraux de la RCA devraient saisir cette opportunité pour aider la RCA à affronter les défis du développement durable et de la paix pérenne auxquels aspirent les Centrafricains.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Analyste politique et expert des questions sécuritaires et géostratégiques de l’Afrique médiane
Références
[1] Le G5+ comprend les principaux partenaires bilatéraux et multilatéraux de la République centrafricaine – la France, la Russie, les États-Unis, les Nations Unies, la Banque mondiale, la Union africaine, Communauté économique des États de l’Afrique centrale et Union européenne européenne.
[2] https://www.france24.com/fr/afrique/20201230-en-centrafrique-la-coalition-de-l-opposition-demande-l-annulation-des-élections.
[3] Comment les Russes ont gagné la bataille de Bangui et continuent de pacifier la république centrafricaine, AFRIQUE MOYEN-ORIENT MAGAZINE, N° 559, 25 décembre 2020.
[4] https://www.voaafrique.com/a/la-centrafrique-renforc%C3%A9e-par-des-troupes-rwandaises-et-russes-%C3%A0-six-jours-du-scrutin/5707377.html.
[5] Mamadou Faye, Attaques rebelles à Bangui: ce qu’il faut savoir, https://www.bbc.com/afrique/region-55647963.
[6] https://www.ouest-france.fr/monde/centrafrique/centrafrique-le-president-faustin-archange-touadera-officiellement-reelu-7121850.
[7] Paul-Simon Handy, CAR elections expose the depth of the country’s crisis. https://issafrica.org/iss-today/car-elections-expose-the-depth-of-the-countrys-crisis.
[8] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_centrafrique-le-president-touadera-reelu-appelle-a-la-reconciliation-nationale?id=10676806.
[9] https://www.france24.com/fr/afrique/20210118-centrafrique-réélu-le-président-touadéra-appelle-à-la-réconciliation-nationale.