Cap 2016 : le discours de Joseph Kabila sur l’état de la Nation et
la rencontre du général Kanyama avec les églises de réveil
Par Germain Nzinga Makitu
Le général Célestin Kanyama Cishiku, Inspecteur Divisionnaire Adjoint de la Police Nationale Congolaise (PNC), a conféré le vendredi 5 décembre 2014, avec une trentaine de responsables des églises de réveil de la ville de Kinshasa, autour de deux points inscrits à l’ordre du jour de la rencontre, notamment : le respect des lois du pays et la lutte contre le tapage nocturne et le tapage diurne. Pendant qu’il fixait l’opinion de ses hôtes sur l’interdiction formelle qui incombait désormais aux pasteurs de s’injurier via les ondes de médias locaux, il recadrait aussi les heures auxquelles tous les opérateurs religieux étaient tenus au respect du silence des paisibles citoyens.
Mais en analysant d’une manière plus serrée toute son adresse, il importe désormais de distinguer dans sa communication le coté officiel (ou théâtral) des véritables mobiles qui ont poussé cet officier supérieur de la police de présider cette rencontre qui a tout l’air d’une avant-scène qui précède une seconde action plus décisive. En martelant avec fermeté devant son auditoire que tout rassemblement des fidèles, de quelque groupe de prière qu’ils soient, fût-ce sous forme de veillée de prière sur la place publique, doit faire l’objet d’une information par écrit près de l’autorité administrative compétente et en faisant défiler au journal parlé de 20 :00 de la RTNC des images faisant état d’une maison carcérale en pleine construction dans l’enceinte même du commissariat provincial de Kinshasa, Célestin Kanyama veut faire passer un message dans un message. Derrière ce médium, Marshall Mc Luhan nous conseillerait fermement de lire un autre message plus sibyllin.
Pour nous y prendre, nous allons tout au long de cette réflexion passer en revue la scénographie très médiatisée de cette rencontre en considérant le feed-back des événements antérieurs, contemporains et directement postérieurs à cette rencontre. La conjugaison de nombreux facteurs liés à cette rencontre nous fait comprendre que la communication du général Célestin Kanyama s’inscrit dans un vaste plan d’ensemble et qu’il n’est finalement qu’un maillon d’une chaîne d’événements qui nous portent tout droit vers 2016, l’année cruciale des élections présidentielles, avec le semblant des institutions taillées sur mesure de l’ambition politique du locataire du palais de la Nation et avec l’odeur du souffre de la poudre des fusils braqués contre un peuple sans arme qui réclame l’exercice de sa souveraineté.
Dans le sillage du décret-loi de 31 janvier 2014
Lorsque le général Célestin Kanyama prend la parole devant le parterre d’une trentaine de leaders religieux, nous nous apercevons qu’il veut appliquer dans toute sa rigueur une loi qui date de longtemps. En effet, le vendredi 31 janvier 2014, le gouverneur de Kinshasa, André Kimbuta Yango, signait un décret-loi interdisant formellement toute sorte de tapage diurne ou nocturne sur toute l’étendue de la capitale. Retenons que Kimbuta est loin d’être le premier officiel de la ville de Kinshasa à prendre des mesures en la matière. Son prédécesseur, Jean Kimbunda (16 mars 2004 à 15 novembre 2005), signait de sa propre main une lettre circulaire enjoignant à tous les bourgmestres des 24 communes de Kinshasa de porter réglementation sur le tapage diurne et nocturne. Liant l’acte à la parole, il s’employa à tenir lui-même des réunions avec des tenanciers de bars, des responsables d’églises et d’autres usagers des instruments sonores, demandant avec insistance à ces derniers de réduire le volume de leurs instruments pour préserver un climat favorable à la tranquillité et au travail de leur voisin. Cette disposition devrait être observable de 7h30 à 16h30 et de 17h30’ à 21h30 et une amende transactionnelle de dix mille francs congolais, assortie d’une une peine d’emprisonnement de 7 jours au maximum, devrait être appliquée comme pénalité à l’encontre des récalcitrants tout en prévoyant, en cas de récidive, la saisie des instruments à base du tapage.
Au-delà des frontières de la ville de Kinshasa, c’est-à-dire à l’échelon national, nous nous souviendrons que le gouvernement en place à Léopoldville ou à Kinshasa avait déjà en son temps légiféré en la matière. Outre des dispositions prises par les législateurs du Congo Belge en 1925[1], le président Mobutu signera le 31 mai 1975 l’ordonnance 75/153 allant plus en profondeur de cette problématique en réglementant les heures d’ouverture de débits de boisson et en portant interdiction de night-clubs sur toute l’étendue de la République[2]. Tout le monde connait la suite de l’application déficiente de toutes les bonnes mesures arrêtées par le maréchal président.
Et ce n’est ni Kimbuta ni Kanyama qui dérogeront à la règle. En Rd Congo, tout le monde le sait, ce ne sont pas lois qui manquent. C’est plutôt leur application qui fait défaut. En effet, après qu’André Kimbuta ait instruit les leaders des églises de réveil, le vendredi 31 janvier 2014, quelle ne sera la surprise des kinois de constater que le samedi 1er février 2014, soit un jour après, une des églises opérant dans la commune de Bandalungwa/Kimbondo célébrait son culte matinal avec des chaises qui débordaient la voie publique et avec des bruits sonores plus que perceptibles contre le repos des citoyens d’environ.
Bref, depuis le début de la deuxième jusqu’à la troisième république congolaises, plusieurs mesures ont été prises contre les tapages diurnes et nocturnes et qui sont restées lettre morte. Elles n’ont jamais été suivies ni appliquées. Pas plus tard qu’hier samedi 13 décembre soir, au moment où je rédigeais le présent article, j’ai pris soin d’entrer en contact avec un ami journaliste résidant à Kinshasa et qui a accepté de faire un tour nocturne pour vérifier l’effectivité de la mise en application des mesures arrêtées contre les tapages nocturnes. Le résultat de cette mini-enquête n’a pas été à la hauteur de l’immense espoir soulevé par le gouverneur en fonction. C’est bien triste à dire, mais au Congo-Kinshasa, la loi reste toujours bafouée au nez et à la barbe de ceux qui l’ont promulguée et ces derniers ne s’en souviennent que lorsque la même loi va dans le sens de conforter leurs intérêts politiques. A vrai dire, pour revenir sur le cas particulier de la mise en application de la loi contre les tapages diurnes et nocturnes, les gouvernants de Kinshasa s’accommodent allègrement de sa négligence pour des raisons politiques que nous exposerons dans les lignes suivantes.
Quand l’ivresse de bruits diurnes et nocturnes travaille à l’avantage des autocrates
Dans le cas qui occupe notre réflexion, cherchant une cohérence de sens dans l’action politique et/ou policière du gouverneur de Kinshasa qui prend des mesures réglementaires contre le tapage et qui ne se soucie pas de leur application, nous sommes ahuris de constater qu’il a fallu attendre dix mois (soit du 31 janvier au 5 décembre 2014) pour que l’inspection divisionnaire de la Police nationale se souvienne de faire respecter la loi. Est-ce par simple négligence ? Personnellement, je ne le crois point. Pourquoi alors tout ce temps mort sans que la loi ne soit appliquée dans toute sa rigueur? Parce que justement ce désordre social profite aux autocrates. De toute évidence, reste entièrement soumis à leur manipulation, un peuple noyé dans les bruits de musique, dans la danse frénétique sans pause, dans les séances continues des prières qui ont tôt fait de remplacer le sommeil réparateur ou de se substituer au temps de travail destiné à développer la nation. Ce peuple-là pollué par les bruits et drogué par l’ivresse des prières intempestives, croyez-moi, ne peut guère se rendre capable de contrôler son destin ni contrôler l’exercice du pouvoir de ses mandataires. Ce style de vie là détient une grande puissance domesticatrice qui ôte à tout individu comme à tout un peuple sa capacité critique vis-à-vis de l’action de ses gouvernants[3]. Ce peuple ainsi mis sous coupe réglée d’une vie faite de divertissements ininterrompus se rend lui-même disponible à vivre dans la posture de servitude volontaire.
Le fait que le général Célestin Kanyama ait attendu dix mois avant de chercher à faire respecter la loi édictée par l’autorité provinciale n’est pas un fait du hasard. Les bruits sonores ne le dérangent guère mais bien au contraire lui servent comme instruments de domination. Ils contribuent à lui donner les moyens supplémentaires de dominer et d’asservir un peuple fatigué et pollué. Et comme le confirme la mini-enquête d’hier samedi soir, soit une semaine après le rappel à l’ordre de l’officier supérieur, les bruits sonores continuent à polluer Kinshasa de jour comme de nuit. Nous observons douleur dans l’âme qu’aucune réaction forte de la police n’a pu mettre fin à cette désobéissance civile qui ne dit pas son nom.
Et le fait que le même général ait oublié d’appliquer la mesure directement après avoir ameuté l’opinion publique démontre qu’il y a anguille sous roche. De fait, il suffisait d’observer l’auditoire des hôtes du général. Seuls les leaders religieux des églises de réveil ont été conviés à la rencontre avec l’autorité de la police nationale, alors que le décret-loi du gouvernorat de Kinshasa chargeait une panoplie de catégories socioprofessionnelles comme principales responsables des pollutions et nuisances sonores, en l’occurrence : les tenanciers de bars, des night-clubs et les gestionnaires des églises de réveil. Pourquoi avoir laissé les autres catégories pour ne cibler que les représentants des églises de réveil?
En revenant sur lesdites églises de réveil, il sera aisé de s’apercevoir que les hôtes du général ont été triés sur le volet : seule une trentaine de responsables[4] ont été conviés à la rencontre contre des milliers des responsables des églises qui foisonnent dans la ville de Kinshasa. A base de quels critères ces trente leaders ont été choisis contre les milliers d’autres ? Pourquoi aucune notification écrite n’a été adressée aux nombreux autres responsables religieux qui n’ont pas pu être conviés à la rencontre avec le patron adjoint de la police de Kinshasa ? Autant d’interrogations jusque là sans réponse qui nous font croire qu’il y a quelque chose de louche qui échappe à la logique cartésienne.
Une parenthèse sur le poids politique des églises de réveil
Lors d’une enquête[5] que je menais à Kinshasa en 2005 pour chercher une approche scientifique du phénomène des enfants dits sorciers, j’étais amené à comprendre que ce phénomène sociologique était intimement lié à l’avènement des églises de réveil non point seulement au Congo-Kinshasa mais dans la plupart des pays de l’Afrique où ont prospéré le pentecôtisme ou les églises évangéliques. Aussi me suis-je employé à fréquenter à l’incognito le culte des églises de réveil pour comprendre les mécanismes profonds de leur fonctionnement. J’ai fait un tour de ces églises de réveil, privilégiant les grandes églises de renom dont certaines sont dirigées par des révérends qui ont participé à la réunion de vendredi dernier. Au terme de mon enquête, je suis arrivé à comprendre un fait d’une importance capitale : les radios et les télévisions et parfois les instruments pimpants neufs de musique en usage dans ces églises sont pour la plupart des dons des chancelleries et ambassades en place à Kinshasa.
Cette vérité m’a beaucoup troublé. Je ne comprenais pas pourquoi les ambassades se donneraient-elles à financer des églises de réveil. Est-ce dans l’idéologie de l’aide généreuse Nord-Sud ? Mais alors elle devrait passer par la procédure normale des échanges de gré à gré entre deux Etats, entre l’Etat qui fait don et celui qui en bénéficie pour le redistribuer à qui de droit suivant les termes des bilatéraux? D’où ma seconde question : quel dividende politique les représentations diplomatiques entendent-elles tirer de cette générosité que d’aucuns savent « intéressée » dans les représentations diplomatiques ? Cette étude m’a aidé à mettre le doigt sur la plaie qui gangrène la spiritualité de la plupart des congolais. Elle m’a permis de mettre la lumière sur le poids politique que détiennent les églises de réveil dont le commun des mortels ne voit que la personne des pasteurs qui prêchent sur la Bible. Est passé sous silence le vaste réseau puissant dont ce pasteur n’est qu’une simple composante. Un réseau qui déborde les frontières nationales et continentales pour poser ses tentacules jusque dans les grandes puissances occidentales.
Ce n’est pas en vain qu’Elisabeth Dorier-Apprill planche sur « les églises de réveil protestantes, évangéliques, pentecôtistes, d’origine exogène, qui médiatisent de plus en plus le lien social, générant de nouveaux réseaux de solidarité, à la fois discrets et efficaces au sein de la population citadine »[6]. Cette population citadine, il faut la considérer dans tous ses volets intrinsèques et extrinsèques, dans ses nouvelles dynamiques où les forces exogènes avec celles endogènes se coalisent pour produire un état dans un état, des pans entiers de centre de décision qui échappent au souverain primaire.
L’anthropologue M. Mebiame Zomo dans son étude fouillée « Les églises pentecôtistes et le pouvoir politique » va jusqu’à observer combien les fidèles des églises de réveil représentent plus d’un cinquième du corps électoral et comment les candidats des élections locales et nationales par ces biais peuvent y trouver un vivier d’électeurs[7]. Il tire notre attention sur l’évidence suivante : « derrière l’image de profusion désordonnée des églises de réveil, il existe des connexions, des réseaux, des interactions, au niveau local et international qui peuvent se donner à voir à travers l’organisation de colloques ou des veillées de prières communes »[8]. Ne sous-estimons plus l’intuition de François Thual qui a pris le courage de forger ce concept de géopolitique des religions[9] tout en relevant combien Dieu lui-même se trouve fragmenté par un jeu de nombreux intérêts politiques et économiques qui n’ont plus rien avoir avec la paix et l’amour dont il est évocateur.
Cette parenthèse nous aide à comprendre la face cachée de la rencontre du général Célestin Kanyama avec les leaders des églises de réveil. Elle nous fournit en même temps la grille de lecture d’après laquelle ces églises de réveil sont devenues une partie fondamentale dans les dispositifs de domestication de notre peuple et par conséquent du coup d’état constitutionnel qui s’annonce en 2016 pour pérenniser ce système. Joseph Kabila recourt à Joseph Nye[10] en vue de trouver sa capacité offensive et celle de défense non plus seulement dans son pouvoir coercitif(hard power) via des armements sophistiqués achetés en Ukraine et des milices venues du Rwanda et de Somalie prêts à se fondre sur la population. Non! Joseph Kabila a recours aussi et principalement au pouvoir attractif (soft power). Il a compris comme jadis Joseph Nye que « aujourd’hui, le plus important ce n’est pas l’armée américaine, mais le fait qu’un million et demi d’étrangers vont chez eux suivre des études, que des millions d’autres souhaitent voir des fils américains et adopter l’ « american way of life »[11]. Dans le sillage de l’american way of life prise comme puissance douce, il faut bien compter le foisonnement des églises de réveil et pentecôtistes[12]. Les congolais comme tout homme déraciné contemporain croient qu’ils sont libres de leurs choix, opinions et actes alors que plus que jamais, ils sont la proie des réseaux et des champs de force idéologiques des puissances qui s’entrechoquent et qui ont pour champ de bataille leurs consciences, leurs représentations du monde et leur vision du monde.
Sans le vouloir, sans le savoir, l’individu contemporain devient la victime d’une guerre qui ne dit pas son nom mais qui est clairement théorisée et instrumentalisée par des états-majors. Il s’agit à ce propos de la guerre cognitive et culturelle. Nulle part où fuir, le champ de bataille étant ubique et les azimuts proliférant. Furtivement l’ennemi se dissimule là où l’enjeu est le contrôle des populations par la propagande indirecte.
Allant jusqu’à prendre la place de l’Etat en forte crise en Afrique[13], ces églises imposent une ligne de conduite dans les grandes orientations de politique intérieure pour la simple raison qu’elles se sont transformées en lobbies politico-médiatiques[14] qui exercent un poids énorme sur les équilibres politiques d’un pays. Il y a une connexion telle entre les leaders politiques et les responsables des églises de réveil, un tel échange de bons procédés entre les politiciens et les pasteurs que les fidèles de ces églises deviennent comme une simple « marchandise électorale »[15], avec le risque en contrepartie de la confiscation de l’appareil judiciaire et politique par ces églises qui investissent tous les degrés des sphères du pouvoir.
La rencontre de Célestin Kanyama avec les églises de réveil équivaut à une opération de ranger les armées de César et celles de Dieu dans l’ordre de bataille…
Il sied d’observer que la stratégie politique de Joseph Kabila surfe sur l’arme douce qu’est l’univers religieux. Il l’exploite à fond chaque fois que dans de grands tournants historiques que doit négocier son régime, il cherche via des hommes de Dieu à s’assurer une fidélité absolue par rapport à ses desseins politiques. En plaçant ces serviteurs de Dieu inspirant confiance auprès du peuple, au sommet de la hiérarchie des organisateurs du scrutin, Joseph Kabila vise à obtenir du corps électoral le gage de crédibilité de la part du peuple congolais très croyant et parfois même « trop » croyant contre la volonté même de Dieu et contre ses propres intérêts.
Ce n’est donc pas en vain que Joseph Kabila choisira l’abbé Apollinaire Malu Malu aux élections de 2006 et 2016 et qu’il intronisera le révérend Ngoyi Mulumba en vue justement de donner une caution aux fraudes massives qui entacheront les deux élections.
Pendant qu’il fait régenter la CENI par des hommes de dieu[16], le stratège Joseph Kabila se donne à un second exercice de se servir de ce miroir d’innocence pour donner de lui l’image policée d’un homme doux et prévenant à l’exemple de « transporteur des œufs » ainsi qu’il aime bien se qualifier.
En observant le mode opératoire de Joseph Kabila, nous comprenons plus aisément sa volonté d’organiser à la veille des élections de 2006, son mariage du 16 juin 2006 sous la tutelle de deux poids lourds du monde religieux congolais (Le Cardinal Frédéric Etsou pour le compte de l’église catholique et Monseigneur Marini Bodho pour celui de l’Eglise du Christ au Congo). A cette volonté de séduire, il faut associer l’activisme de la première dame congolaise qui est allée rendre visite au pape François le 12 septembre 2013 ou tout récemment le 1er décembre elle a fait un déplacement officiel à Isiro pour participer activement au jubilé du cinquantenaire de la sœur Anuarite Nengampeta pendant que tout le monde sait son allégeance en temps normal aux églises de réveil.
C’est encore dans le sillage de séduire l’opinion et de se rendre attractif via l’arme douce de la religion qu’il faudra comprendre la nouvelle stratégie du pouvoir de Kinshasa de contrer la fronde de l’église catholique contre la révision de la constitution en s’approchant non des églises de réveil mais de leurs représentants. Et cela selon la loi : « quiconque contrôle la tête d’un corps contrôle en même temps tous ses membres ». Conformément à ce principe, des émissaires ont pris des contacts secrets avec Monseigneur Marini Bodho qui a vite fait de proclamer la légitimité de modification de la constitution et avec le révérend Antoine Bishamba Kijana, autoproclamé archevêque, Représentant légal de la congrégation MIRECO et Président du regroupement des églises de réveil du Congo ( REVC) qui dans son point de presse du 29 septembre 2014 va fustiger l’opposition des évêques congolais contre la révision de la constitution, allant jusqu’à les accuser de terroristes pour la simple raison qu’ils ont osé demander à leurs fidèles chrétiens de se mobiliser contre toute tentative de modifier la constitution.
Poursuivant le même dessein d’affaiblir l’ennemi numéro un du régime Kabila et avec la bénédiction des caciques du pouvoir, les soi-disant jeunes catholiques de la majorité présidentielle (MP) iront vociférer devant la représentation diplomatique du Saint-Siège pour désapprouver à cor et à cri la conférence épiscopale nationale du Congo qu’ils accusent de violer le principe corollaire de la séparation des pouvoirs entre l’Etat et l’Eglise.
Lorsque le général Célestin Kanyama approchera les artistes musiciens ( le 9 octobre 2014) et les leaders des églises de réveil (le 5 décembre 2014), sous le prétexte de faire prévaloir le climat de paix pour le premier cas et dans le second pour faire respecter la loi sur les tapages diurnes et nocturnes, c’est au fond la même stratégie politique de la puissance douce de séduire l’opinion publique qui est mise en jeu. Contrairement au message officiel qui a été libellé dans les médias officiels de l’Etat, en réalité cette prise de contact par un général de brigade s’inscrit dans le calcul de fédérer toutes les forces loyales pour la bataille ultime de 2016 qui doit voir le Raïs rempiler pour la énième fois au détriment de la loi fondamentale et de la volonté souveraine de la majorité des congolaises et des congolais.
Les leaders des églises de réveil que nous avons vus autour de la table avec le général Célestin Kanyama sont des pièces du puzzle de la constellation du pouvoir Kabila. Ces personnes comme leurs ouailles refusent toute démocratie au Congo, car prétendent-ils : « la démocratie est un système politique où il n’y a que lutte et bagarre. Elle apporterait la division car chaque individu tire la couverture à soi (…) La démocratie n’est pas la volonté de Dieu. Si l’homme n’avait pas échoué dans son parcours, nous serions tous dans un régime théocratique. »[17] Régime théocratique ? Le mot magique est lâché. Ils s’appuient sur les Saintes Ecritures pour invoquer 1 Pierre 2, 13-17 et Romains 13, 1 pour imposer une théologie de soumission aveugle aux autorités publiques.[18]
En réalité ces églises et leurs représentants sont dans une position délicate vis-à-vis du pouvoir politique qui à tout moment peut les menacer de fermeture et de cessation d’activité. Par pragmatisme, elles se doivent, si elles veulent perdurer dans leurs activités, de tenir un discours policé et tendant vers les objectifs du pouvoir politique en place.
Et le régime en place le sait et en profite au maximum en instrumentalisant les hommes de dieu à ses desseins politiques. D’où la stratégie de conquête des urnes en 2016 procédant ici et là à contrôler les têtes (leaders religieux) pour exercer une emprise totale sur les membres (foule des fidèles).
Selon les informations en notre possession, la contemporanéité entre la rencontre du général Kanyama avec les leaders églises de réveil triés sur le volet selon l’importance de leur assise populaire et la publication du gouvernement de cohésion nationale où le poste clef du ministère de l’intérieur[19] – celui-là même qui est chargé d’organiser les élections en 2016 – a été attribué au plus dur de PPRD et les autres ministères stratégiques comme celui de la justice appelé à régenter la Cour Suprême de Justice censée proclamer le verdict des urnes soit occupé par un autre très proche de Kabila confirment mes propos. Le clou de ce vaste complot ourdi contre le peuple congolais sera le discours de la Nation du président Joseph Kabila devant les deux chambres ce lundi 15 décembre 2014. Pendant qu’il prend parole devant un auditoire chauffé à blanc pour applaudir chacune de ses phrases, il importe de constater qu’outre la dénonciation musclée contre les ingérences étrangères dans le processus électoral congolais et ses promesses très vagues faites de respecter tout le calendrier électoral de 2014, le président sortant n’a pas effleuré un seul instant le sujet sensible qui fâche, à savoir déclarer clairement devant l’opinion nationale qu’il ne se représentera point conformément à l’article 220 verrouillé par les constituants. Kabila comme à son habitude avance masqué, il procède étape par étape, jaugeant l’opinion nationale et internationale jusqu’à ce qu’il donnera en temps voulu l’estocade finale à la démocratie naissante au Congo.
Cette réflexion veut montrer comment les événements se tiennent ensemble : la rencontre de Kanyama avec les leaders religieux et la nomination du gouvernement de cohésion nationale, servant toutes deux de cadres préparatoires au discours de Kabila qui en forment la clef de voute dans la gradation des événements.
Contrairement à l’agenda de la rencontre entre Kanyama et les leaders religieux, le vrai message que les tenants du pouvoir voulaient faire passer ne figurait sur aucun de deux points inscrits à l’ordre du jour. Le message principal se veut plutôt le suivant : mobiliser les troupes des fidèles chrétiens (soft power) à côté d’une autre mobilisation des troupes militaires (hard power) qui a commencé depuis des mois dans les zones de défense dont Jean-Jacques Wondo nous a fourni force détails[20] et faire accepter de gré ou de force à l’opinion nationale que Kabila n’a fait jusque là que la moitié de son mandat et qu’il doit continuer pour achever son projet de la révolution de la modernité, via les cinq chantiers du reste restés sur des maquettes sans une traduction effective dans la réalité. Ce projet, les caciques du pouvoir sont décidés à le porter à terme quoi qu’il en coute.
Et lorsque le général demandait le 5 décembre dernier à chaque église de réveil qui voudra désormais organiser une séance de prière de s’adresser par écrit près l’autorité administrative compétente, même si en apparence ce prescrit de loi est en conformité avec toutes les dispositions publiées en la matière dans les années 1925, 1975, 2005 et 2014, nous ne devons plus ignorer ce que cache cette mesure : la volonté de contrôler au sens strict du terme tous les mouvements de personnes et la nature de leurs activités individuelles et collectives dans la période qui va nous conduire aux prochaines élections de 2016. Et comme avant d’y arriver, il faille modifier la constitution, toutes les dispositions sont prises pour préparer le terrain. La réunion au plateau de Maluku le 5 décembre 2014, de dignitaires katangais autour de l’ancien conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité, j’ai nommé Jean Mbuyu Luyongola, avec Charles Mwando Simba, Gabriel Kyungu Wa Kumwanza, sans oublier Janet Kabila dans la ferme du général François Olenga pour exprimer clairement le soutien des communautés katangaises à la révision de la constitution et la session parlementaire extraordinaire de ce lundi 15 décembre 2014 avec à l’ordre du jour le vote de la loi électorale concourent toutes dans la même direction de modifier la constitution pour aider le camarade Joseph Kabila à rempiler pour un énième mandat.
Comme nous pouvons le constater, tous les ingrédients sont mis du côté de ceux qui se préparent à rempiler. Il y a cohésion non seulement dans le gouvernement issu de l’ordonnance présidentielle mais aussi et surtout cohésion entre différents registres politique, militaire/policier, religieux, tribalo-ethnique. La cohésion de toutes ces facettes dans la conquête du pouvoir pour 2016 est régentée de main de fer par le général Célestin Kanyama. La prison actuellement en pleine construction dans l’enceinte du commissariat et mise en exergue par les médias de l’Etat pour intimider les derniers téméraires ; l’opération likofi II en gestation pour faire une démonstration des muscles de Goliath contre David ; le passage à tabac des prêtres à Lodja pour bâillonner toute organisation de résistance contre le Rais tout comme celui du journaliste Eliezer trainé comme un malfrat dans les rues de Kinshasa pour décourager ceux qui croient encore à la liberté de la presse au Congo ; l’activisme des Bana Kanyama pour arrêter, séquestrer ou éliminer les opposants politiques etc. sont autant de signes avant-coureurs qui annoncent un climat de terreur dans les prochains jours qui nous rapprocheront du scrutin de 2016. Et contrairement à ce que l’on pense de l’éventuelle inimitié entre les bandes kuluna et le pouvoir en place, ce dernier peut bien se les mettre de son côté comme jadis en 2005 où le banditisme urbain avait poussé à fond le climat de terreur dans la ville de Kinshasa avec le double phénomène de Kata Kata et de la Tramontina[21].
Il nous faudra suivre de très près l’activisme plus politique que militaire de Célestin Kanyama qui arrive à si bien manier la carotte et le bâton. A compter parmi les œuvres de la carotte (séduire les artistes et les hommes de dieu) et celles du bâton, notamment tous les actes d’une férocité impitoyable dont fait état le criminologue congolais, Jean-Jacques Wondo[22] et qui lui ont valu le double qualificatif de « chien méchant » ou de « esprit de mort ».
Dans cette ivresse de la force où le régime nocturne des forces coalisées se conjugue avec la nuit annonciatrice de l’aube des élections de 2016 que le peuple congolais se voudrait désormais libres, transparentes et démocratiques, nous devrions ouvrir les yeux sur ce qu’Achille Mbembe appelle « le processus de mise en ordre du champ dans lequel se dérouleraient désormais les interactions entre dominants et assujettis »[23]. Ce que le régime Kabila s’emploie à mettre en place, c’est une paix coloniale construite sur la crête d’une ligne intense qui est la ligne froide de la force et de la destruction pure. Ce que vise le faux vainqueur des scrutins de 2006 et de 2011, c’est de chercher à prolonger, bien au-delà de 2016, le rapport du conquérant au conquis, en d’autres termes de ranger de son côté tous les atouts des armes lourdes (hard power) et des forces douces (soft power) pour la bataille finale de vie ou de mort pour son régime. Lui et ses sbires sont prêts à tout, même si cette volonté de vaincre semble un pari sur la mort des autres et sur la leur propre. Qui vivra verra !
GERMAIN NZINGA MAKITU, Rome
[1] L’ordonnance-Loi 64/Constitution du 16 septembre 1925 statuait sur le tapage nocturne en punissant d’une amande de 10 à 200 francs quiconque se serait rendu coupable des bruits et des tapages nocturnes de nature à troubler la tranquillité des habitants.
[2] L’article 1er de la constitution limitera les heures d’ouverture de tout débit de boisson quelconque sur tout le territoire de la république : 18h00 à 23h00 du lundi à vendredi, la vente de boisson devant déjà prendre fin à partir de 22h00. Le dimanche et les jours fériés légaux, la vente de boisson devant prendre fin à 23h00.
[3] J’ai longuement développé cette problématique dans ma dernière publication. G. NZINGA MAKITU, Stratégies de domestication d’un peuple. BMW comme armes de distraction massive, Paris, Edilivre, 2014, pp. 547-572.
[4] La Radio Okapi mentionne parmi eux les grandes têtes d’affiche des églises de réveil comme Sony Kafuta de l’Armée du salut ; Pascal Mukuna de l’Assemblée chrétienne de Kinshasa ; de Léopold Mutombo du Ministère Amen et de Godé Mpoy de l’Eglise Image de l’Eternel… De là aussi à comprendre la sortie médiatique fracassante du pasteur Denis Lessie qui ne faisait pas partie des élus de Kanyama et qui s’est soudain employé à accuser ses collègues de tous les maux…
[5] G. NZINGA MAKITU, La sorcellerie des enfants : cinq clefs de lecture, http://www.congoforum.be
[6] E. DORIER-APPRILL, Les enjeux sociopolitiques du foisonnement religieux à Brazzaville dans http:/www.magazine.fr
[7] M. MEBIAME ZOMO, « Les églises de réveil et le pouvoir politique » dans L’expression plurielle du pouvoir politique au Gabon, Revue gabonaise de Sociologie, n°4, janvier 2004, p.13.
[8] Ibid.
[9] F.THUAL, Géopolitique des religions. Le Dieu fragmenté, Laval, Editions Marketing, 2004, 92p.
[10] J. NYE, Soft Power: The means to success in world politics, Publics Affairs, 2004.
[11] P.-A. PLAQUEVENT, L’empire invisible : Soft power et domination culturelle dans http://www.lesnon-alignes.fr/node/195
[12] Parlant de cet american way of life, n’ignorons pas les prédictions d’un stratège américain Samuel P. HUNTINGTON, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000 qui affirmait sous peu que la géopolitique ne se comprenait plus dans l’opposition idéologique comme ce fut durant la guerre froide mais plutôt dans les conflits et les oppositions entre civilisations regroupées par affinités culturelles dont la religion est une des pièces maitresses.
[13] En effet, « toutes ces églises élargissent leur assise populaire en traitant l’infortune par la prière et en proposant le contournement des conflits liés aux accusations de sorcellerie au sein des unités familiales… leur rôle est essentiel dans la prise en charge de certains maux corporels ou mentaux, celui du mal-être d’individus marginalisés comme des femmes seules ou stériles, ou des groupes urbains déclassés et privés de statut social les politiques d’ajustement structurels » Cfr E. DORIER-APPRILL, art.cit., dans http:/www.magasine.fr
[14]C’est le point de vue de F.-M. MBADINGA, Les églises de Réveil en lobbies politico-médiatiques, Paris, L’Harmattan, 2008, 82p.
[15] Nous empruntons la formule de M. MEBIAME ZOMO, Les églises pentecôtistes et le pouvoir politique, p. 124.
[16] Remarquez la minuscule très éloquente dans ce contexte. Il y a d’une part le Dieu de Jésus-Christ opposé à l’exploitation de tout homme et le dieu des idolâtres qui ne trouve sa force que dans l’affaiblissement des tiers. En effet, pour éviter de s’aligner sur le combat chrétien de la libération de tout homme contre l’oppression du puissant, les pasteurs des églises de réveil dont Antoine Bishamba est représentant se contentent de pratiquer la théologie de la prospérité où la quantité de semence de la part des fidèles faites en dons matériels et en espèces sonnantes et trébuchantes équivaut au nombre des bénédictions divines. Pendant que les fidèles vident leurs porte-monnaie, les pasteurs, eux, roulent carrosse et mènent un train de vie de luxe bien étranger au style de vie de Jésus de Nazareth dont ils se déclarent serviteurs et disciples. Pour approfondir le sujet, intéressant de lire André CORTEN et alii, Imaginaires politiques et pentecôtismes Afrique/Amérique, Paris, Karthala, 2000, 368p. et Ingrid CARLANDER, Les stars de Dieu. Le scandale des télévangélistes, Paris, Plon, 1990, 242p.
[17] M. SOIRON FALLUT, Les église de réveil en Afrique centrale et leurs impacts sur l’équilibre du pouvoir et la stabilité des Etats : le cas de Cameroun, du Gabon et du Congo, p. 39
[18] Selon eux, Dieu demanderait que les hommes se soumettent aux autorités en place. Dans cette logique, la Bible dit de respecter toutes les autorités, de même que Dieu ayant établi les rois, il aurait aussi établi le Président. Les convertis se chargent donc de prier pour donner au chef de l’Etat la force de gouverner. Cfr M. SOIRON FALLUT, op.cit., p. 32.
[19] N’oublions pas toutes les déclarations en faveur de la modification de la constitution qu’Evariste Boshab, l’actuel ministre de l’Intérieur du gouvernement de cohésion nationale, n’a cessé de faire depuis la publication de son brûlot E. BOSHAB, Entre la Révision de la Constitution et l’inanition de la Nation, Paris, Larcier, 2013, 440p. Il y défend la thèse selon laquelle les fortifications de toute constitution ne sont pas éternelles et elles sont toujours à refaire pour tenir compte de l’effet corrosif du temps sur tous les monuments.
[20] J.-J. WONDO, Restructuration des FARDC et retour en force du Général Amisi dans http:/www.afridesk.org
[21] G. NZINGA MAKITU, La manipulation des médias congolais en période électorale, Kinshasa, Médiaspaul, 2006, pp.24-28
[22] J.-J. WONDO, Who’s who : L’inspecteur divisionnaire adjoint de la PNC Célestin Kanyama « Esprit de mort » ou encore J.-J.WONDO, Terrorisme urbain dans le district de police du général Kanyama « Esprit de mort » dans http://www.afridesk.org. De là nous comprenons en même temps les raisons pour lesquelles des ONG de défense de Droits de Homme comme Human Rights Watch (HRW) se soient vigoureusement insurgées contre le général Célestin Kanyama face à cette démonstration de la loi de la force.
[23] A. MBEMBE, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Ed. La Découverte, 2013, p. 88.