Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 04-10-2021 09:00
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Burundi : tentative de putsch avortée et risque d’escalade militaire régionale ? – JJ Wondo

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Le Président burunadais Evariste Ndayishimiye à la tribune de l'ONU à New-York

Une attaque au mortier de l’aéroport de Bujumbura a eu lieu le 18 septembre 2021, un jour avant le départ du Président Evariste Ndayishimiye à New-York pour prendre art à l’assemblée générale des Nations unies. Le départ d’Evariste Ndayishimiye pour New-York intervient moins de 24h après des informations faisant état de l’attaque de l’aéroport à l’aide des mortiers. Mais depuis le matin du 19 septembre, la situation était normale. Commentant ces informations après le décollage de l’avion, un des responsables de la sécurité de l’aéroport a ironisé. « Il suffit de se cacher dans la forêt, provoquer une explosion et revendiquer avoir attaqué l’aéroport»[1].Toutefois, on a signalé des attaques à la grenade au centre-ville dans la journée du 20 septembre 2021 avant que la situation ne revienne encore à la normale, nous précise une source sécuritaire burundaise qui a fait la ronde de la ville. Selon cette source, l’attaque est attribuée aux rebelles Red Tabara qui opèrent depuis le Sud-Kivu et à certains colonels nostalgiques de l’époque Pierre Buyoya, l’ancien président putschiste décédé du coronavirus le 17 décembre 2020.

Les présidents Ndayishimire et Tshisekedi à Kinshasa à Kinshasa en juillet 2021

Le Burundi est un pays de l’Afrique centrale familier des coups d’état ou des tentatives de putsch

Pour la petite histoire, Pierre Buyoya d’ethnie Tutsi, fut colonel de carrière, diplômé de l’Ecole royale militaire (ERM) belge. Il a pris le pouvoir par la force une première fois en 1987, en renversant un autre gradé, tutsi comme lui, Jean-Baptiste Bagaza, un ex-officier formé également à l’ERM. La raison de ce coup de force fut l’accueil réservé par ce dernier au président libyen Muammar Khaddafi en 1985. Bagaza avait lui-même aussi renversé en 1966 le capitaine Micombero (ex-ERM), qui s’exila à Mogadiscio en Somalie où il mourut en 1983. En effet, en 1987, pendant qu’il se trouvait en mission officielle au Canada, le président Bagaza fut renversé du pouvoir au Burundi grâce à un coup d’Etat mené par Pierre Buyoya. Il avait bénéficié de l’aide du président Zaïrois Mobutu qui mit à sa disposition, au départ du Zaïre, des agents des services de renseignements et militaires zaïrois. M. André Atundu Liongo, le chef des services de renseignement de l’époque, avait assumé la direction des opérations, en étroite collaboration avec Buyoya pour la concrétisation de ce coup d’Etat. En guise de récompense par Mobutu, Atundu connut une promotion inattendue à la tête de la Gécamines (PDG), Et Buyoya, lui-même, fut invité à Mbuji Mayi par Mobutu qui lui offrit quelques pierres de diamants en guise des remerciements et d’encouragements pour cette mission bien accomplie. Le président rwandais Habyarimana était témoin de cette récompense[2]. André Atundu Liongo, actuellement cadre de la plateforme politique FCC de Kabila.

Par ailleurs, le 21 Octobre 1993, l’assassinat, par l’armée à prédominance tutsie, de Melchior Ndadaye, premier président Hutu démocratiquement élu au Burundi avait été le déclencheur de la crise des Grands-Lacs. Cet assassinat a modifié la donne géopolitique régionale dont les conséquences se font sentir jusqu’à présent.

Après les assassinats successifs du président Ndadaye et de six de ses ministres en 1993, assassinats attribués à Buyoya, selon plusieurs sources au Burundi, et du président Cyprien Ntaryamira, en 1994, le Burundi sombre dans une guerre civile sanglante qui a occasionné entre 150 000 et 200 000 victimes, Pierre Buyoya, avec le soutien de l’armée, renverse le quatrième président de la Troisième République du Burundi, Sylvestre Ntibantunganya, à la suite d’un second coup d’Etat et reprend le pouvoir en 1996. Il jouera un rôle déterminant dans la signature des accords de paix d’Arusha, en 2000, sur le partage du pouvoir entre les Hutu et les Tutsi. Un compromis qui mettra fin aux affrontements et dans lequel Pierre Buyoya s’est engagé malgré les critiques d’une partie de son camp politique[3].

Le 13 mai 2015, une tentative de coup d’état contre le président Pierre Nkurunziza avait échoué. L’attaque a eu lieu dans la foulée de la contestation de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat, alors jugé anticonstitutionnel par une partie de la population. Profitant du séjour de Nkurunziza en Tanzanie, le général Godefroid Niyombare, l’ancien chef d’état-major adjoint de l’armée rwandaise, avait déclaré qu’il destituait le président burundais. Mais les forces loyalistes ont repoussé les assaillants dont une majorité a trouvé exil au Rwanda voisin. Le général Niyombaré s’est enfoui vers le Rwanda où il s’est réfugié. Depuis, les relations entre ces deux pays se sont détériorées, avec des escarmouches militaires de part et d’autre de leurs frontières communes respectives. D’autres assaillants se sont retrouvés de l’autre côté de la rivière Ruzizi en RDC pour aller renforcer les rebellions du FNL et des Red Tabara. Ce dernier groupe est basé à Uvira et est armé par le Rwanda selon plusieurs sources des renseignements des FARDC et des experts de l’ONU.

Les présidents Sassou, Museveni, Lourenço, Kagame et Tshisekedi à Lunada

Crainte de l’escalade de la violence dans la région

Les récentes attaques de Bujumbura risquent de polariser les relations diplomatiques entre le Burundi et le Rwanda, mais aussi avec la RDC où se trouve la base arrière des rebelles Red Tabara. Cette situation n’est pas de nature à apaiser la région en proie aux multiples conflits non consommés depuis bientôt 30 ans.

En effet, la RDC fait face à une montée de violence dans les provinces du Sud-Kivu, Nord-Kivu et Ituri, malgré l’état de siège décrété dans les deux dernières régions. Une cause de ces violences a des origines régionales.

En même temps, la tension diplomatique entre le Rwanda et l’Ouganda est loin de connaitre une désescalade. Les deux pays s’accusent mutuellement de velléités de déstabilisation réciproque. Depuis, leurs frontières communes sont sur pied de guerre. La fermeture par le Rwanda de la frontière de Katuna avec l’Ouganda – le point de passage le plus fréquenté – a réduit les échanges entre les deux pays début 2019. Les points de passage sont restés fermés malgré de nombreux sommets et réunions entre les deux présidents. Les tentatives de médiation initiées conjointement par le président angolais, Joao Lourenço et son homologue congolais, Félix Tshisekedi, n’ont pas produit de résultat positif.

Selon Africa Confidential, les deux pays ont signé un pacte en Angola en août 2019 visant à mettre fin à plusieurs différends, notamment des allégations d’assassinats politiques, d’espionnage et de sabotage commercial. L’Ouganda a invité le Rwanda à une réunion pour discuter de la mise en œuvre de l’accord, mais Kagame a snobé l’invitation de Museveni. Selon Kigali, « les problèmes persistent parce que l’Ouganda continue d’enlever, d’arrêter, de torturer et d’expulser des Rwandais ». Entre-temps, Yoweri Museveni et Paul Kagame ont continué à étendre leur sphère d’influence géostratégique d’autres États de la région, particulièrement en RDC, un pays qui ne cesse de maintenir son statut d’objet des relations de ces deux pays et non d’acteur influenceur décisif.

D’autre part, les armées rwandaises et burundaises se sont affrontées, le 28 février 2021, à la frontière entre leurs deux pays. Mais les deux pays ont tentent de manière laborieuse d’aplanir leurs différends. Dans une récente intervention télévisée, Paul Kagame avait déclaré vouloir améliorer les relations entre les deux pays. Leurs ministres et responsables de la sécurité se sont rencontrés en début septembre 2021 à cet effet[4]. Mais ce putsch manqué risque de refroidir encore les relations entre les deux pays et faire monter d’un cran l’escalade de la violence entre les deux pays. Il en est de même des relations entre la RDC et le Burundi. Les deux présidents se sont rencontrés à Kinshasa où ils avaient signé le 13 juillet 2021 quatre mémorandums d’entente dont le premier consacré au développement, au maintien et au renforcement de la paix, de la défense et de la sécurité entre les deux pays[5]. Or la tentative de putsch manqué attribué aux Red Tabara installés dans les collines du Sud-Kivu voisin risque de crisper un peu plus les relations déjà froides entre les deux pays. Les dirigeants burundais se méfient de la politique accommodante de Félix Tshisekedi envers le Rwanda. Une posture diplomatique congolaise jugée partiale et hostile à l’égard du Burundi elon des sources diplomatiques et sécuritaires à Bujumbura[6].


Jean-Jacques Wondo Omanyundu 
Analyste politique et expert des questions militaires et de sécurité de l’Afrique médiane
Exclusivité AFRIDESK

Références

[1] https://www.iwacu-burundi.org/burundi-evariste-ndayishimiye-participera-a-la-76eme-session-de-lassemblee-generale-de-lonu/.

[2] JJ Wondo, Les armées au Congo-Kinshasa. Radioscopie de la Force publique aux FARDC, 2013. En vente sur Amazone : https://www.amazon.fr/Arm%C3%A9es-Congo-Kinshasa-Radioscopie-Force-publique/dp/1086972538.

[3] Burundi : Pierre Buyoya, entre coups d’Etat et compromis in Le Monde, 21 décembre 2020. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/12/21/burundi-pierre-buyoya-entre-coups-d-etat-et-compromis_6064128_3212.html.

[4] https://twitter.com/rbarwanda/status/1434485503114551297?s=21.

[5] http://french.xinhuanet.com/afrique/2021-07/14/c_1310059475.htm.

[6] JJ Wondo, Les sept raisons du fiasco du mini-sommet avorté de Goma, 14 septembre 2020. https://www.echosdafrique.com/20200914-les-sept-raisons-du-fiasco-du-mini-sommet-avorte-de-goma.

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