Brève analyse juridique des procédures de nominations au sein des FARDC
Par Alfred de Bambisho
De tout temps, les forces armées sont placées sous l’autorité supérieure du commandant suprême des forces armées. Cette dépendance a pour objectif d’associer dans un Etat démocratique l’autorité du civile sur le militaire. Un principe dont les prémices remonte à la République romaine en vertu duquel, dans un gouvernement civil, l’armée est séparée du pouvoir politique et est strictement subordonnée au pouvoir civil[1].
Dans un régime d’État de droit, l’État et ses institutions sont soumises au droit. En effet, l’Etat de Droit se définit sommairement comme étant un système dans lequel la puissance publique (c’est-à-dire les organes agissant au nom de l’Etat) doit obéir à l’ordonnancement juridique existant, autrement dit, aux normes juridiques existantes. En d’autres termes, il s’agit d’un Etat dont le pouvoir est encadré par le Droit. De ce fait, grâce à l’Etat de droit, les organes de l’Etat ne peuvent pas faire ce que bon leur semble car ils sont tenus de respecter cette hiérarchie des normes. C’est notamment cela qui permet de distinguer un Etat de Droit d’une dictature[2].
Plus particulièrement, dans un Etat de droit, le pouvoir exécutif n’est pas entièrement maître de son action : il est au contraire subordonné à des règles de droit, qui déterminent les modalités de cette action ou des contestations que les administrés peuvent opposer à cette action. Une telle subordination constitue, en droit administratif, le principe de légalité. Elle ne s’est pas imposée sans difficulté.
La République Démocratique du Congo se caractérise, pratiquement à tous les niveaux, par cette culture négative de récalcitrante permanente des autorités politiques au respect du droit et au contrôle juridictionnel des textes juridiques établis. Dans le domaine militaire, on constate que plusieurs décisions administratives prises par le ministre de la Défense et par le chef d’état-major général des FARDC, sont en violation flagrante de la Constitution, de la loi portant organisation et fonctionnement des forces armées et de la loi portant statut du militaire. La présente réflexion va tenter d’en analyser quelques-unes en rapport avec certaines nominations au sein de l’armée.
Quelques nominations illégales
Il s’agit notamment des décisions portant permutation des commandant des zones de défense et dans le secteur opérationnel Sukola 1 Nord-Kivu, des décisions portant affectation d’officiers supérieurs comme commandant des régiments, dans les directions des états-majors des régions militaires, des régiments et des secteurs opérationnels, de l’académie militaire, etc.
On peut également signaler d’autres décisions prises antérieurement par l’ancien chef d’état-major général des FARDC sur autorisation du Président de la République. C’est le cas des décisions de l’ancien ministre de la Défense nationale Crispin Atama Tabe nommant des Directeurs au sein du Secrétariat général à la Défense Nationale et aux anciens combattants. Il en était de même pour Michel Bongongo, alors ministre intérimaire à la Défense d’un gouvernement en affaires courantes, qui s’était permis de procéder à plusieurs nominations illégales.
La finalité de la présente réflexion est de vérifier si ces décisions sont bien conformes aux principes républicains de la séparation et de la subordination du pouvoir militaire au pouvoir civil propre aux régimes démocratiques dans le but d’implémenter, de consolider et d’institutionnaliser en RDC ce qu’il convient d’appeler « une culture du contrôle démocratique du secteur de la sécurité », base de la gouvernance sécuritaire indispensable à une gouvernance démocratique.
A ce jour, il est devenu universellement admis que la gestion d’un Etat se fonde sur les principes de clarification des missions de l’Etat et vise la construction d’une administration publique moderne, en tant que service rendu au public, pour l’efficacité du développement impliquant :
la séparation des fonctions politiques, des fonctions techniques et administratives au sein du ministère ;
la capitalisation des bonnes pratiques ;
la promotion des compétences ;
la rupture avec l’impunité[3].
C’est ainsi que la problématique posée par les récentes mises en place nous interpellent au plus haut point car elles violent la Constitution et les autres lois, consacre la violation intentionnelle et manifeste des textes juridiques dûment discutés, adoptés au Conseil Supérieur de la Défense et promulguées par le président de la République.
L’article 68 de la Constitution[4] précise que les institutions de la République sont :
le président de la République;
le parlement;
le gouvernement;
les cours et tribunaux.
L’article 78 précise que le président de la République nomme le Premier ministre au sein de la Majorité Parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.
L’article 79[5] d’ajouter que Le Président de la République convoque et préside le Conseil des ministres. En cas d’empêchement, il délègue ce pouvoir au Premier ministre.
L’article 21 alinéa 1er de la loi portant organisation et fonctionnement des FARDC stipule : « Les Forces Armées de la République Démocratique du Congo sont soumises à l’autorité civile et placées sous l’autorité du commandant suprême des Forces Armées. »
L’Article 81[6] quant à lui stipule que sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du gouvernement délibérée en conseil des ministres:
- le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, le conseil supérieur de la défense entendu.
Les ordonnances du président de la République intervenues en la matière sont contresignées par le Premier ministre.
Cette disposition légale est renforcée par l’article 9 de la loi portant organisation et fonctionnement des FARDC précisant que le président de la République est le commandant suprême des FARDC. Il nomme, relève de leurs fonctions et le cas échéant les officiers généraux et supérieurs des Forces Armées sur proposition du gouvernement délibérée en conseil des ministres, le conseil supérieur de la défense entendu.
L’article 92[7] de la Constitution précise que le Premier ministre assure l’exécution des lois et dispose du pouvoir réglementaire sous réserve des prérogatives dévolues au président de la République par la présente Constitution. Il statue par voie de décret.
Il nomme, par décret délibéré en conseil des ministres, aux emplois civils et militaires autres que ceux pourvus par le président de la République.
Quels sont les emplois concernés par l’article 92 de la Constitution ?
Il s’agit des directeurs au sein du ministère de la Défense, des chefs de départements, des chefs de divisions et de bureau au sein des unités des forces armées.
Les actes du Premier ministre en la matière sont contresignés, le cas échéant, par les Ministres chargés de leur exécution. Le Premier ministre peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres compétents. Or, le Premier ministre n’a jamais délégué un quelconque pouvoir de nomination.
Il en ressort que ni le ministre de la Défense ni le chef d’état-major général ont qualité de nommer ni même d’entériner en cas de décès ou d’invalidité d’un titulaire d’une fonction militaire tant au sein du ministère de la Défense que de l’état-major général, moins encore une force armée (terre, air, mer), une brigade, un bataillon, un régiment, l’intérim d’un adjoint.
Entendu que l’ordre constitutionnel et légistique établi est violé, il appartient aux magistrats du ministère public de se saisir de ces différents cas infractionnels, en collaboration avec les conseillers juridiques et administratifs des institutions concernées, afin de procéder aux poursuites judiciaires ad hoc pour violation manifeste des textes juridiques de la législation militaire et abus de pouvoir par des autorités, conformément à la procédure pénale appropriée en vue de mettre fin à ces décisions de nominations illégales.
Conclusion
La persistance de ce modus vivendi anticonstitutionnel et illégal risque de susciter un flux de mécontentements parmi les militaires lésés par ces décisions et provoquer un jour une obstruction militaire à l’exécution de ces décisions illégales que certains esprits ignorants et non-initiés au sein des FARDC pourraient vite qualifier de rébellion et d’indiscipline. Pourtant, une simple analyse légistique et juridique de cet état effet est éloquente de l’ordre pour se rendre compte de l’illégalité et de l’irrégularité de ces mesures.
Continuer à laisser persister cette pratique frauduleuse, discriminatoire et souvent empreinte de clientélisme consacrera un jour la rébellion et l’indiscipline dans les forces armées. Il suffit qu’une autorité refuse un jour de faire appliquer ou de se conformer à de telles décisions illégales et iniques, prises en violation du principe et administratif et général de droit confirmant que la compétence est d’attribution, pour que la situation implose dans les rangs.
Alfred de Bambisho
Conseiller juridique au sein des FARDC
Texte relu par Jean-Jacques Wondo
Références
[1] La réforme des institutions militaires en Turquie par Elise Boz-Acquin docteur en droit – chargée d’enseignement en droit public auditrice à l’Ihedn (211e session) septembre 2018.
[2] https://initiadroit.com/letat-de-droit-regles-de-droit-institutions-separation-des-pouvoirs-comment-fonctionne-letat-de-droit/.
[3] Charte universelle sur les valeurs administratives et de la fonction publique.
[4] Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour.
[5] Idem.
[6] Idem.
[7] Constitution du 18 février 2006.