Jean-Jacques Wondo Omanyundu
POLITIQUE | 19-11-2017 11:20
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Binja Yalala et la répression politique au Congo – B. Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

Binja Yalala et la répression politique au Congo

 Par Boniface Musavuli

L’affaire Binja Yalala est rapidement devenue emblématique de la répression politique qui fait rage au Congo-Kinshasa. C’est l’histoire de cette adolescente congolaise, brutalement arrêtée par huit policiers armés, menottée, emprisonnée et torturée sur l’Île d’Idjwi, dans le Sud-Kivu. Son tort ? Avoir participé à la manifestation pacifique du 15 novembre 2017 pour réclamer la tenue des élections et le départ de Joseph Kabila. La manifestation avait été organisée suite à l’appel du mouvement citoyen la LUCHA, fer de lance d’une jeunesse congolaise en lutte pour le changement. Ajoutant le mensonge à la bêtise, les policiers, comme des gamins de la maternelle, ont publié un communiqué accusant la jeune fille de les avoir violentés.

Si l’affaire a tourné au scandale, en raison du jeune âge de la victime, elle n’est pas pour autant isolée (I). Elle est surtout l’occasion de remettre sur la place publique la question de la répression et des prisonniers politiques au Congo (II), un pays pourtant élu membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU[1], en octobre 2017.

I. Yalala, Kavugho, Bashiya,… une jeunesse maltraitée

L’affaire Binja Yalala s’inscrit, en réalité, dans la continuation d’une politique hystérique de répression qui ne se fixe plus de limite et qui bafoue les règles élémentaires de la décence. La jeune Yalala n’a donc que 15 ans lorsqu’elle fait sa première expérience de prison, pour des raisons politiques. Avant elle, une jeune militante de la LUCHA, à Goma, Rebecca Kavugho, avait été arrêtée en février 2016 pour avoir manifesté pour le respect de la Constitution à l’approche de la fin du mandat de Joseph Kabila[2]. À seulement 21 ans, elle devint la plus jeune prisonnière politique du monde. Son cas suscita une mobilisation internationale[3], des internautes notamment, qui poussa le régime à concéder à sa libération cinq mois plus tard.

Il est aussi arrivé que cette répression, visant de très jeunes demoiselles, tourne au drame. C’est le cas de Mlle Sephora Astrid Bashiya Biduaya, vice-Présidente de la Ligue des Jeunes de l’UDPS du Nord-Kivu, arrêtée avec onze autres jeunes militants du Rassemblement dans la foulée des manifestations du 19 décembre 2016 marquant la fin du dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila. Selon un rapport médical du 10 mai 2017, la victime, qui était enceinte, avait été diagnostiquée des contusions thoraco-abdominale, causées par la brutalité des forces de sécurité au cours de son arrestation. Les médecins recommandèrent  sa remise en liberté en raison de la dégradation de son état de santé. Après plusieurs semaines de douleurs au ventre, la jeune fille perdit son fœtus, un drame malgré lequel elle continua d’être maintenue en prison. Elle sera finalement libérée en septembre 2017. Mais ils sont encore des dizaines à continuer de croupir dans les geôles du régime, en dépit des promesses de décrispation du climat politique.

II. Prisonniers politiques ou prisonniers personnels des hommes au pouvoir ?

Depuis les élections frauduleuses de 2011 qui ont vu Kabila l’emporter sur Tshisekedi, le Congo a sombré dans une crise de légitimité du pouvoir assortie d’une répression toujours plus féroce des opposants et des militants de la société civile. Cette répression a empiré des suites de la non tenue des élections au terme du second et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila en fin 2016, et du flou entretenu autour du processus électoral.

La violence de la répression politique au Congo est telle qu’il est quasiment impossible d’organiser un meeting de l’opposition ou une manifestation des mouvements citoyens. Les manifestations se terminent quasi-systématiquement dans la violence, avec des cas de blessés par balles, des morts et des enlèvements par les forces de sécurité. Les personnes kidnappées se retrouvent ensuite dans les cachots de l’ANR ou dans d’autres centres de détention où elles restent maintenues durant des mois, voire des années, en dépit des appels répétés pour leur libération.

Parmi les noms des prisonniers qui reviennent dans les discussions politiques, il y a le bâtonnier Jean-Claude Muyambo, fondateur du mouvement « Solidarité katangaise », en prison depuis le 20 janvier 2015 ; Firmin Yangambi, avocat à Kisangani et auprès de la Cour pénale internationale, en prison depuis le 27 septembre 2009 ; Eric Kikunda, arrêté en 2009 et maintenu en prison quoi que amnistié ; Eugène Diomi Ndongala du mouvement Démocratie chrétienne, en prison depuis avril 2013[4], après avoir subi un véritable acharnement : arrêté ou enlevé neuf fois en seize ans[5]. On estime à plus de 200 le nombre des prisonniers politiques qui croupissent dans les différentes geôles du régime, devenues, en plus, de sordides mouroirs[6].

Pendant ce temps, des criminels notoires comme les membres du M23, qui avaient bombardé Goma en août 2013 et pillé des régions entières ont été soit amnistiés, soit remis en liberté ou ne font l’objet d’aucun mandat d’extradition. Au Katanga, le plus effroyable criminel de la région, Gédéon Kyungu, condamné à mort en 2009 pour crimes contre l’humanité, dont des actes de cannibalisme, est libre comme l’air. Après s’être évadé de prison en 2011, l’homme a fait un retour triomphal à Lubumbashi où il a été accueilli les bras ouverts par les ténors de la famille politique de Kabila, en octobre 2016. Pire encore, ses miliciens ont été utilisés par le régime de Kabila pour commettre les massacres au Kasaï.

Tout cela n’a pas empêché le Congo d’être élu membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Mais ça, c’est un autre débat[7].

Boniface Musavuli

Coordonnateur DESC

Références

[1] Le Congo a été élu membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) à l’issue du vote de l’Assemblée générale le 16 octobre 2016 à New York. Il faisait partie d’un groupe de 15 pays, dont 4 africains, qui rejoignaient les 32 autres. L’élection s’était opérée malgré une forte mobilisation menée par 157 organisations de défense des droits de l’homme, opposées à cette candidature. Pour l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Nikki Haley, il est temps de réformer cet organe onusien pour éviter que des pays qui violent agressivement les droits de l’homme chez eux n’y décrochent un siège.  Cf. B. Musavuli, « La RDC au CDH : Une victoire encombrante », afridesk.org/fr/rdc-conseil-droits-de-lhomme-victoire-encombrante-b-musavuli/

[2] La police avait arrêté Rebecca Kavugho, Serge Sivya, Justin Kambale, John Anipenda, Ghislain Muhiwa, et Melka Kamundu, tous membres du mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA). Cf. https://www.hrw.org/fr/news/2016/02/23/rd-congo-de-jeunes-activistes-arretes-lors-dune-journee-ville-morte

[3]https://www.radiookapi.net/2017/03/30/actualite/societe/rebecca-kavugho-de-la-lucha-laureate-du-prix-du-courage-feminin-2017

[4] http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-la-condamnation-de-diomi-ndongala-est-politique/

[5] afrikarabia.com/wordpress/diomi-ndongala-une-affaire-detat-2/

[6] blog.lesoir.be/colette-braeckman/2017/10/31/les-prisonniers-oublies-du-congo/

[7] Cf mon article

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