Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DROIT & JUSTICE | 08-02-2018 06:15
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BENI : Après l’UE et l’ONU, les États-Unis sanctionnent le général Mundos – B. Musavuli

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu
Général Charles Akili Muhindo "Mundos"

BENI : Après l’Union européenne et l’ONU, les États-Unis sanctionnent le général Mundos

Par Boniface Musavuli

Le gouvernement américain a inscrit, le 05 février 2018, le général Mundos, officier des FARDC, sur sa liste des sanctions en raison de son rôle dans les massacres des populations civiles en territoire de Beni, dans l’est du Congo. Le général Mundos, officiers de la Garde républicaine et proche de Joseph Kabila, avait été auparavant inscrit sur la liste des sanctions de l’Union européenne, en mai 2017, et de l’ONU, le 04 février 2018. Accusé de façon récurrente par la population de Beni et plusieurs enquêtes indépendantes d’être à la fois le commandant des FARDC et des présumés ADF, Mundos, actuel commandant de la 32ème brigade des forces de défense principale, devient ainsi la confirmation qu’à Beni, c’est l’État congolais qui tuait sa propre population, sous couvert d’un terrorisme islamiste imaginaire.

Nous allons rappeler qui est le général Mundos (I), son rôle dans les massacres (II) et l’importance des sanctions internationales (III) qui, au passage, constituent un désaveu pour la justice congolaise, incapable de punir les criminels liés à la présidence de la République[1].

I. Qui est le général Mundos ?

Dans son ouvrage « Une armée irréformable », Jean-Jacques Wondo fait de cet officier la description ci-après : « Militaire au profil controversé, le général Akili Muhindo dit Mundos est un Hunde du Nord-Kivu. Il aurait été formé à l’EFO à Kananga. Il aurait suivi également une formation aux États-Unis. En avril 1998, Laurent-Désiré Kabila l’envoie en compagnie de Joseph Kabila en Chine pour y suivre une formation militaire. C’est sans doute là que les deux hommes se sont davantage rapprochés. La formation fut interrompue en août 1998 car ils seront rappelés au pays par Laurent-Désiré Kabila lorsque la rébellion du RCD-Goma commença ses attaques. Muhindo a fait partie des éléments formés par les Nord-Coréens au Katanga pour constituer le bataillon Simba, spécialisé dans le terrorisme d’État. Il en sera le commandant. C’est à la tête de ce bataillon qu’il va mener les opérations d’attaque de la résidence du sénateur Jean-Pierre Bemba en mars 2007. Il sera ensuite envoyé en Israël pour suivre une autre formation de six mois. À son retour, en 2008, il est nommé commandant de l’Opération Rudia visant à traquer les rebelles ougandais de la LRA de Joseph Kony dans la Province Orientale. (…). Plusieurs sources militaires lui attribuent la responsabilité de quelques exécutions sommaires et des massacres des militaires dans le secteur opérationnel du Haut-Uélé »[2].

En septembre 2014, le général Mundos prend les commandes de l’opération Sukola I contre les ADF à Beni après le décès, dans des conditions floues, du général Jean-Lucien Bahuma, qui lui-même avait remplacé le colonel Mamadou Ndala assassiné le 2 janvier 2014.

Le Gen Mundos et le Gen Didier Etumba, le chef d’état-major général des FARDC.

II. Une armée qui tue sa propre population

L’arrivée du général Mundos va coïncider avec le déclenchement des massacres. Ils avaient commencé le 02 octobre 2014, le jour-même où s’ouvrait le procès sur l’assassinat du colonel Mamadou Ndala, avec le général Mundos sur la liste des suspects. Les tueurs portaient des uniformes FARDC et tuaient à proximité des positions tenues par l’armée. Ils opéraient librement. Ils tuaient pendant des heures sans être inquiétés, malgré les cris de détresses des victimes et les appels à l’aide auprès des militaires FARDC, positionnés parfois à quelques centaines de mètres seulement. On n’arrêtaient pas ces tueurs. Les rares qui étaient appréhendés, notamment grâce au courage de la population, étaient systématiquement remis en liberté, comme s’il y avait une volonté d’État de les laisser « finir le boulot ». Les experts de l’ONU, malgré leurs insistances, ont affirmé que le gouvernement congolais n’a pas expliqué pourquoi les tueurs de Beni étaient systématiquement remis en liberté[3].

Le rôle du général Mundos, commandant des opérations, devint rapidement flagrant[4], quasiment dès les premières semaines des massacres[5]. Les experts de l’ONU, après l’avoir soupçonné, dans deux rapports, ont fini par l’accuser ouvertement dans leur rapport du 23 mai 2016 : « Le Groupe d’experts sait que huit personnes ont été contactées en 2014 par le général Mundos pour participer aux tueries. Trois membres des ADF-Mwalika lui ont fait savoir que des mois avant le début des tueries en septembre 2014, le général Mundos avait persuadé certains éléments de leur groupe de fusionner avec d’autres recrues. Selon eux, le général a financé et équipé le groupe en armes, munitions et uniformes des FARDC. Il est venu à plusieurs reprises dans leur camp, parfois revêtu d’un uniforme des FARDC et parfois en civil. (…) Les trois éléments des ADF-Mwalika ont finalement reçu l’ordre de tuer des civils »[6].

Des voix, notamment de la société civile, s’étaient élevées pour réclamer le départ du général Mundos et ses unités essentiellement issues des mécanismes de brassage, de mixage et de régimentation (les ex-CNDP). En juin 2015, le général Mundos fut remplacé par le général Marcel Mbangu Mashita à la tête de l’opération Sukola I et envoyé dans l’ex-Katanga, à Kalemie. Puis, lorsque la vigilance de la population a baissé, il a été discrètement ramené près de Beni, à Mambasa, dans la province voisine de l’Ituri, à la tête de la 32ème brigade mécanisée des Forces de défense principale, tout en cumulant les fonctions de commandant du secteur opérationnel FARDC Mambasa-Nyanyi-Komanda-Nyakunde, en Territoire d’Irumu. C’est justement de ce secteur, jouxtant le fameux « triangle de la mort »[7] que partiront les attaques contre la population du territoire voisin de Beni. Les massacres ont donc repris, les assaillants se repliant dans les zones sous contrôle des troupes de Mundos[8].

II. La liste noire

Après plusieurs démarches infructueuses auprès des autorités congolaises, pour les amener à prendre des mesures contre cet officier, des volontaires, dont DESC, se sont mobilisés auprès des instances internationales sur le sort des populations de Beni. La décision du gouvernement américain vient ainsi atténuer les ravages de la culture de l’impunité profondément enracinée dans le fonctionnement de l’État congolais vis-à-vis des criminels de guerre proches du pouvoir, généralement amnistiés, nommés à de hautes fonctions ou évadés des prisons lorsqu’ils sont appréhendés.

Le régime des sanctions adoptées par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers du Trésor américain (OFAC), consiste en des interdictions de voyager, des gels d’avoirs, et une interdiction de se livrer à des transactions financières avec les personnes sanctionnées. Ces mesures sont presque identiques à celles qui s’appliquent dans le cadre des sanctions de l’Union européenne, Bruxelles et Washington reprenant le plus souvent les listes du Comité des sanctions de l’ONU. Les différents régimes de sanctions adoptées par le Conseil de sécurité visent à assurer le maintien de la paix et de la sécurité et visent notamment les acteurs impliqués dans un conflit armé, le blocage d’un processus politique ou les activités terroristes[9].

Le général Mundos n’est pas la première personnalité impliquée dans des crimes au Congo à figurer sur les listes des sanctions internationales[10]. Sur la liste du gouvernement américain, il rejoint des criminels de guerre notoires comme Bosco Ntaganda, Laurent Nkunda, Sultani Makenga et autres Jules Mutebutsi qui ont semé la mort et la désolation dans le Kivu aux commandes des milices tutsi parrainés par le Rwanda et l’Ouganda (CNDP, M23). Figurent également sur la liste des sanctions quelques grands noms du régime Kabila comme l’ancien ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab ; le patron de l’Agence nationale des renseignements Kalev Mutond ; le général John Numbi, cerveau de l’assassinat du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya ; le général Gabriel Amisi dit Tango Four, commandant de la Première zone de défense qui couvre Kinshasa et les anciennes provinces du Bandundu, de l’Équateur et du Bas-Congo ainsi que le général François Olenga, chef de la maison militaire de Joseph Kabila[11].

Conclusion

Bien que ces mesures soient, le plus souvent, d’une efficacité limitée, elles sont vécues avec soulagement par les victimes qui éprouvent le sentiment d’avoir été écoutées quelque part dans le monde, alors que leurs propres autorités continuent de les méconnaître et de les priver de justice. Ces mesures, en outre, pèsent indéniablement sur la conscience des personnes sanctionnées et limitent leurs marges de manœuvre, même si un État s’obstine à les protéger. Dans le cas spécifique d’un haut gradé de l’armée congolaise, la Mission de l’ONU au Congo (MONUSCO), devra inévitablement réexaminer les conditions de sa collaboration avec les troupes sous le commandement de l’officier. En janvier 2015, la MONUSCO avait refusé de prendre part à une opération conjointe des FARDC contre les rebelles hutu rwandais des FDLR, exigeant au préalable le départ des généraux Fall Sikabwe et Bruno Mandevu, accusés par l’ONU de graves violations des droits de l’homme. Le chef de la mission onusienne à l’époque, l’Allemand Martin Kobler, avait affirmé que la MONUSCO ne peut pas collaborer avec les FARDC tant que les deux généraux étaient en poste.

Boniface Musavuli, Coordonnateur DESC

Auteur de l’ouvrage Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes, disponible sur Amazon, https://www.amazon.fr/dp/152170399X.

Références

[1] Le général Mundos, entendu comme simple « renseignant » devant la cour militaire opérationnelle de Beni, n’a finalement été ni poursuivi, ni même sanctionné par sa hiérarchie. Lire : afridesk.org/fr/massacres-de-beni-ils-vont-blanchir-le-general-mundos-b-musavuli/.

[2]  Jean-Jacques Wondo, Les Forces armées de la RD Congo : Une armée irréformable ?, Bilan – Autopsie de la défaite du M23 – Prospective, éditions www.afridesk.org, pp. 209-210.

[3] Plusieurs noms d’officiers FARDC sont cités dans les rapports onusiens pour leur rôle dans le recrutement de tueurs sous masque ADF, la remobilisation des anciens ADF qui avaient fui dans la brousse, la fourniture d’armes, de munitions et de renseignements. Voir notamment Rapport S/2016/466 du Groupe d’experts de l’ONU du 23 mai 2016, §§ 208-212.

[4] Jean-Jacques Wondo, « Joseph Kabila et le général ‘Mundos’ créent-ils des faux ADF/Nalu ? », afridesk.org, 13 mai 2015, http://afridesk.org/fr/joseph-kabila-et-le-general-mundos-creent-ils-des-faux-adfnalu-jj-wondo/.

[5] Par exemple, le 15 octobre 2014, le général Mundos  a retiré les soldats de leur position habituelle une demi-journée avant le massacre de Ngadi. Les assaillants sont arrivés tranquillement, ont regardé un match de football et bu de la bière dans un bar avant de commencer à tuer la population, pendant des heures, à seulement quelques distances des positions de l’armée qui laissa le massacre se commettre jusqu’au bout. Cf. Rapport GEC, « Qui sont les tueurs de Beni ? », Rapport d’enquête N°1, mars 2016, p. 22.

[6] Rapport S/2016/466 du Groupe d’experts de l’ONU du 23 mai 2016, §§ 208-212.

[7] Le triangle de la mort est le nom donné à une zone d’environ 30 km de côtés, au nord de la ville de Beni, entre les localités de Mbau, d’Eringeti et la rivière Semliki où 15 casques bleus ont été tués au cours de l’attaque du 7 décembre 2017. C’est dans ce « triangle » qu’on a enregistré le plus grand nombre de massacres depuis octobre 2014.

[8] Dans notre analyse du 30 octobre 2017, nous rapportons le témoignage d’une mère d’Oicha dont le fils, parti en formation militaire à Kamina et à Kananga, a été discrètement ramené dans les brousses de Beni avec ses camarades pour opérer en tant que « rebelles islamistes ADF ». Cf. B. Musavuli, « Attaques de Beni : L’ennemi se cache dans l’armée », https://afridesk.org/fr/beni-lennemi-se-cache-larmee-b-musavuli/.

[9]  Depuis 1966, le Conseil a mis en place 25 régimes de sanctions, en Rhodésie du Sud, en Afrique du Sud, en ex-Yougoslavie, en Haïti, en Iraq, en Angola, en Sierra Leone, en Somalie, en Érythrée, au Libéria, en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire, au Soudan, au Liban, en République populaire démocratique de Corée, en Iran, en Libye, en Guinée-Bissau, en République centrafricaine, au Yémen, au Mali, ainsi que contre Al-Qaida et les Taliban. Cf. https://www.un.org/sc/suborg/fr/sanctions/information.

[10] Lire : « RD Congo : L’UE et les États-Unis sanctionnent de hauts responsables », https://www.hrw.org/fr/news/2017/06/01/rd-congo-lue-et-les-etats-unis-sanctionnent-de-hauts-responsables. La liste complète de l’OFAC au 05 février 2018 : BOUT Viktor Anatolijevitch ; RUPRAH Sanjivan Singh ; POPOV Dimitri Igorevich ; MANDRO Khawa Panga ; MPANO Douglas ; NKUNDA Laurent ; MURWANASHYAKA Ignace ; OZIA MAZIO Dieudonné ; MUSONI Straton ; MUDACUMURA Sylvestre ; MBARUSHIMANA Calixte ; NTAWUNGUKA Pacifique ; MUJYAMBERE Léopold ; NZEYIMANA Stanislas ; NTAGANDA Bosco ; LUBANGA Thomas ; KATANGA Germain ; NGUDJOLO Matthieu Cui ; MUTEBUTSI Jules ; KAKWAVU BUKANDE Jérôme ; NSANZUBUKIRE Felicien ; ZIMURINDA Innocent ; IYAMUREMYE Gaston ; MUGARAGU Leodomir ; MUKULU Jamil ; SHEKA Ntabo Ntaberi ; MAKENGA Sultani ; NGARUYE Baudoin ; KAINA Innocent ; RUNIGA Jean-Marie Rugerero ; BADEGE Eric ; KANYAMA Celestin ; KUMBA Gabriel Amisi ; NUMBI John ; MUTONDO Kalev ; BOSHAB Evariste ; OLENGA François ; MUNDOS Muhindo Akili ; MWISSA Guidon Shimiray ; NZABAMWITA Lucien ; MUTANGA Gedeon Kyungu. Cf. http://sanctionssearch.ofac.treas.gov/.

[11] Sur la liste figure également le célèbre trafiquant d’armes russe, Victor Bout, surnommé « le marchant de la mort », aujourd’hui en prison aux États-Unis après une condamnation pour terrorisme. Victor Bout avait été accusé par les experts de l’ONU d’avoir acheminé des troupes rwandaises au Congo, notamment durant la bataille de Pweto, et d’avoir transporté des minerais de sang qui transitaient par le Rwanda. Cf. Rapport final du Groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République Démocratique du Congo ; Rapport S/2002/1146 du 16 octobre 2002, §§ 72 svts.

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