Jean-Jacques Wondo Omanyundu
DÉFENSE & SÉCURITÉ GLOBALE | 19-07-2020 09:38
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Baromètre sécuritaire du Kivu : LOURDES PERTES POUR LES FARDC – KST

Auteur : Jean-Jacques Wondo Omanyundu

RAPPORT MENSUEL N°31 – MAI 2020

Le nombre de meurtre de civils
commis par des acteurs armés a
nettement augmenté en mai
avec 125 tués contre 85 en avril.
Ce bilan est nettement au
dessus de la moyenne mensuelle depuis juin 2017 (92).

Près de la moitié de ces victimes ont été tuées lors d’attaques attribuées aux Forces
démocratiques alliées (ADF) dans le territoire de Beni, au Nord-Kivu. Ce groupe
armé confirme donc qu’il est toujours en mesure de commettre des exactions à
large échelle, cinq mois après le lancement de vastes opérations de Forces armées
de RDC (FARDC) contre lui.
Le deuxième territoire le plus endeuillé a été celui de Masisi, au Nord-Kivu, avec 19
tués. Une coalition conduite par l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et
souverain (APCLS) y mène une intense guérilla contre le Nduma defense of Congo –
Rénové (NDC-R), le groupe dominant dans la zone. Ce conflit a provoqué de
nombreux morts parmi les civils.
Un nombre relativement moins important de civils tués est recensé dans les
territoires de Fizi et Mwenga, au Sud-Kivu, mais des affrontements très violents ont
eu lieu entre les FARDC et les milices Twirwaneho (« défendons-nous » en
kinyamulenge). Cela fait craindre que les violences entre milices communautaires,
déjà fréquentes dans la zone depuis plus d’un an, entrent dans une phase plus aigüe
encore.
Enfin, les FARDC ont subi de très lourdes pertes au cours de ce mois : au moins 56
d’entre eux ont été tués lors de 37 affrontements enregistrés par le KST. Deux
incidents concentrent l’essentiel de ces morts : l’attaque des FARDC par les ADF à
Otokaka-Makembi, dans le territoire de Beni le 27 mai (23 soldats tués) et l’attaque
des Twirwaneho à Kakenge, Kalongi, Kabingo, Madegu le 23 mai (21 soldats tués).
Cinq FARDC ont par ailleurs été tués par leurs propres compagnons d’armes.

Beni : nouvelle vague de tueries

Le mois de mai a connu une nette recrudescence de meurtres de civils par des
acteurs armés sur le territoire Beni : 64 ont été tués, contre 23 le mois précédent.
C’est deux fois plus que la moyenne observée sur ce territoire depuis le début des
relevés du KST en juin 2017.
Une immense majorité des victimes (57) a été tuée lors d’attaques attribuées aux
ADF. Après trois mois de relative accalmie, ce groupe islamiste d’origine
ougandaise a donc repris les massacres à grande échelle.
Nombre

Une grande partie de ces massacres est survenue dans la région d’Eringeti, dans le
nord-est du territoire, près de la frontière avec l’Ituri, province dans laquelle au
moins une trentaines de civils ont également été tués lors d’attaques attribuées aux
ADF.

Cela suggère qu’une large partie des ADF a survécu à l’offensive des FARDC lancée
en octobre 2019 et est parvenue à se replier, notamment dans l’Ituri. Le ministre
congolais de la Défense, Aimé Ngoi Mukena, l’a en partie reconnu dans un
document adressé en réponse aux questions de parlementaires, daté du 4 juin
2020. « Les terroristes ADF en débandade se sont retranchés dans le parc national
de Virunga, d’où ils reviennent pour mener des actions de représailles contre les
populations civiles et les militaires isolés, notamment dans les localités d’Eringeti
(…) et Halungupa (…). Dans leur fuite, certains ADF ont rejoint la province de l’Ituri,
plus précisément (…) les territoires de Mambasa et d’Irumu ».
Bien que le ministre assure également encore « qu’il y a ni faiblesse, ni fatigue » des
FARDC , la recrudescence des attaques attribués aux ADF pourrait s’expliquer par le
relâchement des opérations de l’armée congolaise.

Sur les quatre affrontements entre les FARDC et les ADF enregistrés par le KST en
mai, un seul a été à l’initiative des FARDC. Les attaques des ADF ont, a contrario,
été très meurtrières : les FARDC ont par exemple perdu 23 hommes (contre sept
dans les rangs des ADF) à Otokaka-Makembi, le 27 mai. Une enquête interne des
FARDC a été ouverte pour analyser ce revers.
Selon plusieurs sources militaires sur place, le moral des troupes est faible,
notamment du fait du détournement de primes destinées aux FARDC . Selon le
ministère de la Défense, un conseil de discipline a été constitué pour juger le
« commandant de la troisième zone de défense », le général Fall Sikabwe et une
information judiciaire a été ouverte contre « l’officier comptable de la garnison de
Beni » pour éclaircir cette affaire.
Par ailleurs, une partie des FARDC présentes à Beni a été redéployée vers le
territoire de Djugu, en Ituri, où des miliciens de la Coopérative pour le
développement du Congo (Codeco) et de ses différentes factions commettent des
massacres à répétition depuis le début de l’année.

Butembo : record de criminalité

La ville de Butembo a connu un record de vols par des acteurs armés en mai avec
11 incidents de cette nature enregistrés . C’est inédit depuis le début des relevés du
KST en juin 2017 et c’est très au dessus de la moyenne constatée dans cette ville
(1,7 par mois).

Cette recrudescence pourrait s’expliquer en partie par la crise économique
engendrée par la riposte contre le coronavirus. Ce carrefour commercial, a
notamment vu les déplacements avec les autres villes du Nord-Kivu être
interrompus pendant plusieurs semaines en avril et les voyages vers l’Ouganda
voisin sont interrompus depuis mars.
Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a cessé début mars de
financer les forces de sécurité congolaises (FARDC, Police nationale congolaise et
Agence nationale de renseignement) qu’elle aidait dans le cadre de la Riposte
contre la maladie à virus Ebola. La recrudescence des vols à main armée pourrait
être une conséquence tardive de la fin de ces financements.
Au moins un civil a été tué lors des vols à main armée à Butembo. Des réactions
violentes de civils contre les présumés bandits armés ont également été constatées :
au moins deux d’entre eux ont été lynchés.

Masisi : guérilla contre le NDC-R

Les affrontements se sont nettement intensifiés dans le Masisi au mois de mai : le
KST en a enregistré 15, contre huit en avril.
L’immense majorité de ces affrontements ont opposé le NDC-R à une coalition
formée par l’APCLS et les Nyatura de l’Alliance populaire pour la revendication des
droits humains au Congo (APRDC), parfois rejoints par les Forces démocratiques de
libération du Rwanda (FDLR-Foca) et d’autres groupes Nyatura.
La coalition APCLS semble avoir adopté une tactique de type guérilla pour affaiblir
le NDC-R : ils ont régulièrement pris les NDC-R en embuscade et attaqué leurs
positions les plus vulnérables pour les incendier avant de se retirer.
Cette tactique a permis à cette coalition du tuer 30 combattants du NDC-R (contre
18 morts dans les rangs du côté des APCLS). Toutefois elle ne lui permet pas pour
l’instant de reprendre durablement des positions au NDC-R.
Ce conflit continue de provoquer de nombreuses victimes civiles, tuées soit lors des
combats, soit car soupçonnées de collaborer avec l’ennemi. Le KST a ainsi
enregistré la mort de 19 civils en mai, contre 16 en avril.

Lubero – Rutshuru : vraies-fausses redditions

Une douzaine de groupes armés, parmi lesquels les forces patriotiques populaires,
Armée du peuple (FPP-AP) de Kabido, et représentant, selon leurs chefs, 2 500
combattants, a annoncé leur reddition le 18 mai à Lubero . Aucun de ces groupes ne
s’est toutefois rendu.
De manière similaire, le général autoproclamé Kakule Sikuli Lafontaine, un vétéran
des mouvements armés dans le Lubero, et « Je t’aime », un commandant Mai-Mai
opérant dans le Rutshuru, ont officiellement déposé les armes à Goma le 4 mai.
Mais Lafontaine, était décrit comme « sur le déclin » et disposant de « peu de
troupes » dans un récent rapport du Groupe d’études sur le Congo . Quant à Je

t’aime, il s’était déjà rendu en mars 2020 avec officiellement 200 hommes. Près de la
moitié étaient en réalité des adolescents enlevés quelques jours plus tôt ( voir le
rapport mensuel de mars ).
Par ailleurs, plusieurs hommes de Je t’aime sont restés près de Nyamilima et
Buramba (Rutshuru) sous le commandement de Roger Magumu.

Kalehe : vide sécuritaire

Seize incidents ont été enregistrés au mois de mai, en nette hausse par rapport à
avril (9). Les rebelles hutu rwandais du Conseil national pour le renouveau et la
démocratie (CNRD) ont notamment refait surface en commettant plusieurs meurtres
de civils (quatre tués à Chinono le 5 mai) pour la première fois depuis le mois de
janvier. Ceci démontre que le groupe n’a pas été intégralement démantelé, malgré
la grande opération des FARDC et de l’armée rwandaise de décembre et janvier
dernier .
La fin de ce grand mouvement, puis le redéploiement d’une partie des FARDC vers
les territoires de Fizi et Uvira en avril semblent avoir donné le champ libre à plusieurs
autres groupes tels que les Raia Mutomboki Bipopa, Butachibera, Hamakombo et
Blaise, pour qu’ils occupent de vastes territoires. Blaise, semble notamment avoir
récupéré une partie des troupes de Maheshe qui ne l’ont pas suivi dans sa reddition.

Walungu : Maheshe se rend

Le chef Raia Mutomboki Maheshe s’est rendu le 20 mai à Chishadu avec 120
hommes. Cette reddition semble avoir été facilitée par le nomination du général de
brigade Kabi Kiriza Ephraïm au poste de chef d’Etat-major de la Garde républicaine
à Kinshasa le mois précédent. Les deux hommes sont issus de la communauté Bashi.
Le Mwami (chef coutumier) de Ngweshe Pierre Ndatabaye Weza 3, également
mushi, a joué un rôle de médiateur dans cette reddition. La Monusco y a participé
en désarmant les combattants notamment .

Kabare : fin de partie pour Chance

Chance Mihonya, un leader de groupe armé qui affirme défendre les intérêts de la
communauté Batwa (Pygmées), a été arrêté avec quatre de ses hommes le 23 mai à
Kabushwa par les gardes de l’Institut congolais de conservation de la nature (ICCN).
Le groupe de Chance exploitait illégalement des mines dans le parc de
Kahuzi-Biega. Il avait été affaibli, au mois d’avril , par une scission au sein de son
groupe.

Shabunda : forces du désordre

La situation sécuritaire a été globalement stable en mai (4 incidents enregistrés
contre 3 en avril). Mais les forces de l’ordre se sont illustrées par leurs violations. Des
FARDC du 3403e régiment, notamment, auraient usé de la force pour taxer des
civils, les forcer à transporter des biens et leur faire bâtir des abris.

Par ailleurs, dans la chefferie de Wakabango, des éléments de la Police nationale
congolaise (PNC) ont collaboré avec les Raia Mutomboki de Makindu pour
rançonner les voyageurs sur la route vers Kamituga (territoire de Mwenga). Six
policiers ont été arrêtés.

Mwenga – Fizi : dangereux engrenage

La situation sécuritaire s’est dégradée sur les hauts-plateaux de Fizi et Mwenga en
mai et cela pourrait marquer un tournant dans cette crise qui dure depuis plus d’un
an .
Jusque-là, la plupart des affrontements opposaient des groupes armés issus de la
communauté Banyamulenge à des groupes armés issus des autres communautés
vivant sur les hauts-plateaux (Babembe, Bafuliru et Banyindu), avec de nombreuses
exactions contre les civils. Les FARDC étaient surtout accusés de passivité.
Mais l’affrontement du 24 mai, à Kakenge, Kalongi, Kabingo et Madegu, semble
avoir changé la donne : à la suite d’un incident impliquant des FARDC, accusés de
piller les champs de civils Banyamulenge, 21 soldats ont été tués par des miliciens
Banyamulenge.
Le commandement des FARDC y a vu l’implication du colonel Michel Rukunda, alias
Makanika, qui avait fait défection en janvier dernier pour participer à
« l’autodéfense » de la communauté Banyamulenge. Le groupe de ce militaire de
carrière est, de fait, de plus en plus visible dans les combats et semble relativement
bien structuré.
Cet événement semble avoir fait de Makanika et, avec lui, les milices Banyamulenge,
l’adversaire prioritaire des FARDC. Par ailleurs, les milices mai-mai Biloze
Bishambuke continuent de prendre pour cible le groupe de Makanika. Treize
membres de ce dernier ont ainsi été tués dans une embuscade tendue par les
Mai-Mai le 31 mai à Kangwa, Cakira, Kamombo, Karunga et Kabara.
Au total, 14 incidents ont été enregistrés dans les territoires de Fizi et Mwenga en
mai (contre 11 le mois précédent), dont 9 affrontements (contre 5 en avril),
essentiellement sur les hauts plateaux.

Site web : https://kivusecurity.org
Twitter : @kivusecurity
Facebook : https://www.facebook.com/KivuTracker/
Email : info@kivusecurity.org
Le KST est un projet mené conjointement par le Groupe d’Étude sur le Congo
(GEC), basé au Centre sur la coopération internationale de l’Université de New York,
et par Human Rights Watch. Human Rights Watch assure la formation et toute autre
assistance aux chercheurs du KST, mais ne vérifie pas de façon indépendante tous
les incidents recensés et ne soutient pas nécessairement tous les arguments avancés
par le KST.

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One Comment “Baromètre sécuritaire du Kivu : LOURDES PERTES POUR LES FARDC – KST”

  • YaNseka

    says:

    Bonjour,
    Merci de vos efforts pour nous tenir informés. Je pensais que les FDLR avaient rendu les armes mais ils restent visiblement actifs malgré la campagne en fanfare de leur désarmement.
    Par ailleurs, je suis étonné que vous utilisiez la langue kinyamulenge alors qu’on a cesse de dire qu’il n’existe pas une langue comme ça mais plutôt le kinyarwanda. Y a-t-il une erreur de rédaction ou de vocable?

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