Samy Badibanga dame le pion à Vital Kamerhe :
Épilogue d’une saga politique à la congolaise
Par Jean-Jacques Wondo Omanyundu
« C’est la douche froide, M. Wondo », m’écrit un cadre de l’UNC, dépité, qui a requis l’anonymat. Et d’ajouter : « Nous avons pris tout ce risque pour rien ! ». C’est ainsi que l’on peut résumer l’épilogue du dialogue politique convoqué par Kabila à la Cité de l’OUA dont l’ancien Premier ministre togolais, Edem Kodjo, a assuré la facilitation. Un dialogue et ses prolongations qui ont tenu la RDC en haleine pendant plus de 70 jours suite au revirement politique spectaculaire à 180° de Vital Kamerhe, le tonitruant président de l’UNC. Ce dernier était un des fers de lance des luttes populaires contre toute prolongation du mandat du président Joseph Kabila au-delà du 19 décembre 2016, date ultime de son tout dernier mandat présidentiel à la tête de la RDC.
En cause ? Le président Kabila a jeté son dévolu sur le député Samy Badibanga Ntita, ancien président du groupe parlementaire de l’UDPS et alliés dans l’Assemblée nationale.
Oui, les lampions de la Cité de l’OUA se sont éteints. Celui qui a crié victoire avant la fin de la bataille, VK pour ses intimes, voit son rêve de porter le costume de Premier ministre qu’il convoite depuis les élections de 2006 s’envoler plus que probablement définitivement. Mokolo tonga (« le faiseur du roi Kabila » comme il aimait le dire) babotoli ye tonga (s’est fait rouler dans la farine), commente un internaute.
Surprise pour les uns, grand coup politique de Kabila pour les autres, erreur de stratégie et de casting pour d’autres encore. Système ya Kungfu diront les Kinois, obimisi gauche (Kamerhe), obombi droite Badibanga (technique de diversion de Kabila, donnant l’impression de consacrer Kamerhe pour sortir le joker Badibanga). En tout état de cause, la première leçon que Kamerhe devra tirer de cette saga est que la vengeance est un plat qui se mange froid ! Il l’a appris à ses dépens. Et la deuxième leçon est que ce coup de massue creuse davantage la tombe politique de Kamerhe dont le parti tarit peu à peu depuis les défections de Jean-Bertrand Ewanga et de Claudel Lubaya. On nous parle d’une UNC en débandade, avec des membres prêts à braver les consignes futures du parti juste pour se retrouver dans le gouvernement du glissement. Wait and see!
Comment interpréter le choix de Samy Badibanga ? Telle est la tâche que nous nous assignons dans cette analyse compréhensive. Dans notre démarche, nous essayons de ne pas nous enfermer dans une seule grille de lecture. Il s’agit surtout, pour nous, de tenter d’ouvrir d’autres angles d’analyse permettant de décrypter la stratégie derrière cette nomination surprise, au-delà de son caractère inconstitutionnel relevé par les juristes[1] et de son inefficacité postérieure.
Qui est Samy Badibanga Ntita ?
Samy Badibanga Ntita est un opposant politique issu de l’UDPS, le plus grand parti politique de l’opposition congolaise. Ancien conseiller stratégique d’Etienne Tshisekedi, Samy Badibanga a joué un rôle majeur dans le financement de la campagne pour l’élection présidentielle de M. Tshisekedi en 2011. C’est un homme d’affaires établi en Europe avant de regagner Kinshasa en 2011. Il dispose d’un bon réseau de contacts en Europe et a permis à l’UDPS de sortir de l’isolement diplomatique en Occident et d’avoir accès aux médias internationaux tels que TV5, France 24, Jeune Afrique. C’est Badibanga qui a introduit Etienne Tshisekedi au Palais de l’Elysée et au quai d’Orsay, les Affaires étrangères françaises. En 2011, il a été aux côtés de Tshisekedi au département d’Etat américain et lors de la rencontre avec le Secrétaire général de l’ONU sortant, Ban-Ki- moon.
Badibanga a été élu député national en 2011 à Kinshasa, dans la circonscription du Mont-Amba, sur la liste de l’UDPS. Il est l’un des députés les mieux élus de la capitale, bénéficiant de la sympathie populaire des Kinois envers le leader charismatique du parti, l’inoxydable Etienne Tshisekedi. Ayant bravé la consigne du président national de son parti, qui avait intimé à ses partisans de boycotter toutes les institutions, Samy Badibanga et un groupe d’une quarantaine de députés vont siéger dans l’Assemblée nationale. Il y occupera les fonctions de président du groupe parlementaire UDPS & Alliés, le plus important groupe parlementaire de l’opposition au Parlement. C’est là sans doute qu’il faut d’abord aller chercher l’explication du choix de Badibanga en lieu et place de Vital Kamerhe, dont on dit inconsolable, dont le parti préside le troisième groupe à l’Assemblée nationale, derrière le groupe MLC et alliés.
Joint au téléphone, son grand ami d’enfance, Michel Gallet, dresse depuis Bruxelles le portrait assez flatteur de « SamBady », pour les intimes. Il le décrit d’un tempérament calme, non conflictuel mais audacieux, et d’un homme de culture. Sur cet aspect, lors de notre rencontre à Gorée, la première question que M. Badibanga m’a posée c’était de vouloir se procurer notre ouvrage Les Armées au Congo-Kinshasa. Espérons, malgré tout, que cet opus lui servira dans l’élaboration et l’implémentation du programme de défense et de sécurité de son éphémère futur gouvernement. Et Gallet de nous préciser que Samy Badibanga est né à Kinshasa en 1962, sixième enfant d’une grande fratrie dont il porte le nom complet de son défunt père, Samy Badibanga. Un ancien notable et « évolué » du Grand Kasaï, connu à l’époque postindépendance pour posséder plusieurs biens immobiliers à Kinshasa et à Mbuji-Mayi.
Originaire du Kasaï-Oriental, Samy Badibanga est un ressortissant du groupement de Bakwa-Kanda de la chefferie de Bakwanga, dans le territoire de Katanda, près de la ville de Mbuji-Mayi (appelée Bakwanga jusqu’en 1966) dans le Kasaï-Oriental. La ville de Mbuji-Mayi est la deuxième ville la plus peuplée du pays, devant Lubumbashi. Elle est notamment connue pour être la capitale congolaise du diamant et l’un des principaux fiefs de l’UDPS. Étienne Tshisekedi est originaire de la région. Ces deux caractéristiques auront un impact direct sur la carrière socioprofessionnelle et politique du dernier Premier ministre du président Kabila. Michel Gallet précise que c’est vers le début des années 1980 que Badibanga quitte Kinshasa pour poursuivre ses études supérieures en Europe où il obtiendra quelques diplômes dont le Diplôme des Hautes études en diamant d’Anvers et de l’ Institut international de gemmologie de la capitale économique belge. Businessman, Badibanga a fait ses premiers pas dans le secteur du diamant à Anvers. Expérience acquise, il sera repéré en 2001 par la multinationale minière BHP Billiton, issue du joint-venture entre l’australienne Broken Hill Proprietary Company (BHP) et la britannique Billiton, le premier groupe minier mondial implanté dans presque 30 pays et employant plus de 100.000 personnes. La multinationale est cotée dans les grandes bourses du monde, dont le New York Stock Exchange (NYSE), la London Stock Exchange (LSE) et surtout la Toronto Stock Exchange (TSX), la bourse des matières premières de Toronto. BHP exploite notamment le fer, le diamant, le zinc, le charbon, les hydrocarbures et la bauxite. Son chiffre d’affaires est de 28 293 700 000 €[2] et sa capitalisation boursière s’élève à 31.067.875.800 €[3]. Samy Badibanga évolue comme consultant auprès de BHP Billiton, tout en étant également associé avec la même société sur ses propres permis miniers. Il était également Directeur général de la société LUMI (Lubi Mining), créée à la suite d’un joint-venture entre BHP Billiton et la MIBA[4]. C’est donc en expert international du secteur minier, actuellement en dépression en RDC, que Badibanga troque le costume de Premier ministre. Or, BHP Billiton s’était retirée en 2012 du financement du projet de construction du barrage hydroélectrique d’Inga III, après avoir signé avec le gouvernement congolais un protocole d’accord pour la fourniture de 1 600 à 2 000 MW. Ce retrait plomba tout espoir de voir Inga III être construit sous la présidence de Kabila[5].
L’enjeu minier et énergétique étant au cœur de l’enjeu géostratégique des grandes puissances en RDC, la nomination de Badibanga pourrait également être interprété comme un signal d’assurance lancé par Kabila aux multinationales minières. Ces dernières, assez nerveuses actuellement contre le régime de Kabila, se livrent à la guerre de prédation sans état d’âme en Afrique dont la RDC est devenue l’épicentre. Précisons aussi que Samy Badibanga, selon son ami Gallet, est également souvent consulté par la puissante multinationale sud-africaine De Beers Group, le leader mondial du diamant. De ce fait, il entretient d’excellents rapports avec le monde économique de cette puissance émergente d’Afrique devenue de plus en plus boulimique en RDC, notamment dans le Katanga cher à Moïse Katumbi. Voilà le paysage politico-stratégique minier en voie de sa recomposition par un subtil jeu de redistribution des cartes. Or, sur les plans économique, politique, diplomatique, géopolitique et sécuritaire, l’Afrique du sud est actuellement et constamment présente et active dans tous les changements qui se sont opérés en RDC. Elle le sera encore plus active, sinon décisive, dans cette période de haute tension politique liée à la fin du mandat de Kabila.
Toutefois, un autre haut cadre de l’UDPS décrit dans l’anonymat Samy Badibanga comme un affairiste. Il est « prêt à tout pour de l’argent, propre ou sale », précise-t-il. Concluons sur ce portrait que Samy Badibanga, qui possède également la nationalité belge, est marié et père d’une grande famille dont Beni Badibanga, 20 ans, évoluant au club de football de Standard de Liège.

Comment en est-on arrivé là ? Tout s’est joué après la conférence de Gorée en décembre 2015
Pour ceux qui suivent de très près la tumultueuse actualité politique congolaise, Samy Badibanga était connu pour être un fervent défenseur de Tshisekedi et de l’UDPS non institutionnelle au sein du parlement. Et jusqu’il y a six mois, il était un des fervents adversaires du glissement. Que s’est-il donc passé ?
Son statut de président du groupe parlementaire UDPS et alliés lui a valu la participation à la conférence de Gorée axée sur le processus électoral, organisée par la Fondation allemande d’appui à la démocratie, Konrad Adenauer, dont nous avons assuré la modération.
Au lendemain de la conférence de Gorée et après la création du Front Citoyen 2016 – court-circuité par les égos surdimensionnés de certains acteurs politiques – Badibanga se rapproche de Félix Tshisekedi et surtout du nouvel opposant politique Moïse Katumbi. Ce dernier vient de faire défection du camp présidentiel en septembre 2015 pour rallier l’aile dure de l’opposition radicale congolaise. C’est alors que grâce au Front Citoyen 2016, Moïse Katumbi, Vital Kamerhe, Félix Tshisekedi et Samy Badibanga vont tenter de mutualiser leurs efforts[6]. Cette nouvelle « radicalisation de Badibanga » va mécontenter l’ANR. Cet organe de la police politique congolaise va utiliser ses agents au Parlement, dont le président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku, pour initier une sorte de chasse à l’homme contre ce cadre de l’opposition radicale qui a accepté de jouer le jeu institutionnel.

C’est alors qu’après la sortie officielle du Front Citoyen 2016 en janvier à Bruxelles, que Samy Badibanga va connaitre un moment exil politique forcé en Belgique. Sa tête est mise à prix par le procureur général de la république (PGR). En agent répressif du régime, le PGR l’a menacé de lever son immunité parlementaire en mars 2016 pour une affaire de fausse signature à l’Assemblée nationale[7]. Lors d’une rencontre à Bruxelles, Badibanga me confiera en janvier 2016 que sa vie est en danger. Il est sérieusement menacé s’il rentre au pays et risque son poste parlementaire et ses affaires. C’est plus que probablement à ce moment précis que l’on peut situer son revirement politique et son rapprochement avec le camp présidentiel et Kamerhe, en échange d’abandon des poursuites et menaces contre lui.
Mais la lune de miel tourne donc court. En cause ? Un conflit latent de leadership entre Moïse Katumbi et Vital Kamerhe[8], mais aussi entre l’UDPS et Kamerhe après le Conclave de Genval qui donna naissance au Rassemblement[9]. Fait curieux, Samy Badibanga qui accompagnait les Tshisekedi dans les rendez politiques officieux, notamment avec les émissaires de Kabila à Paris, se fait absent à Genval. L’autre grand absent de Genval c’est Vital Kamerhe.
La suite c’est sa participation au dialogue de la cité de l’OUA contre le mot d’ordre de son parti. Cette violation de consigne lui vaudra le 10 octobre 2016 le désaveu des députés membres du groupe parlementaire UDPS et alliés qui n’ont pas digéré le fait que leur collègue se soit écarté totalement de la ligne tracée par le parti. Ils vont décider son exclusion du groupe parlementaire et le démettre comme président de ce groupe parlementaire[10].
Pourquoi SamBady et pas VK ?
Alors qu’au départ c’est Vital Kamerhe qui était pressenti pour occuper ce poste, des sources présidentielles nous ont rapporté des difficultés à le faire accepter par l’opinion nationale et internationale. Selon une source, Vital Kamerhe ne fait pas l’unanimité ni au sein de l’opposition encore moins dans son ancien camp politique. Il est entré en conflit très violent avec le reste de l’opposition réunie au sein du Rassemblement. Sa nomination aurait été interprétée par le Rassemblement comme une déclaration de guerre ouverte et un acte de rupture totale. Or Kabila sait que sa survie politique dépend de la posture que prendra le Rassemblement dans le mois qui l’amène à la fin de son mandat. Par ailleurs, Vital Kamerhe compte aussi beaucoup d’ennemis dans le camp présidentiel, parmi lesquels les piliers du régime comme Evariste Boshab (ministre de l’Intérieur), Lambert Mende (ministre des Médias et communications) ou Tryphon Kin-Kiey wa Mulumba qui n’auraient pas vu d’un bon œil son retour aux affaires. Sur ce dernier point, pour s’en rendre compte, il suffit de lire attentivement l’article écrit par Le Soft Online intitulé : « Comment la Majorité pourrait se parer et gagner »[11] (sans Kamerhe NDLR). Un article très virulent qui dresse le portrait très peu flatteur de Vital Kamerhe. En voici quelques extraits :
« Si Kamerhe revendique le poste de Premier ministre et conditionne la signature de l’accord négocié avec le facilitateur Edem Kodjo à l’obtention de ce poste, il oublie qu’à l’origine, il n’avait jamais voulu de ce Dialogue, ne s’était jamais rendu aux consultations du Palais du Peuple – à l’initiative du Président de la République – prétextant d’un Dialogue incluant des jeunes et des syndicats dont ce n’était pas la place. » (…) « Depuis, le discours a muté. Kamerhe réclame la Primature. Toute la Primature. Rien que la Primature. Comment la MP feindrait-elle d’oublier l’affront de 2009 lorsqu’un certain 21 janvier, alors président de l’Assemblée nationale, il vînt à critiquer publiquement des décisions du Haut-Commandement de l’Armée sur des opérations conjointes délicates entre les FARDC et l’armée rwandaise au Nord-Kivu, prétextant n’en avoir jamais été informé, ce qui était inexact, invoquant un article de la Constitution ? ».
D’autre part, dans un pays fortement marqué par un antagonisme géopolitique Est-Ouest, la nomination de Kamerhe n’allait rien apporter en termes de consolidation de la cohésion nationale, de légitimation du glissement de Kabila et de préservation de la stabilité politique. Au contraire, cette nomination allait exacerber la fracture nationale et polariser la tension politique. Enfin, Kamerhe ne faisait plus l’unanimité au sein des autres camps des opposants qui ont pris part au dialogue dont certains l’ont récusé après la signature de l’accord, l’accusant de faire cavalier seul en décidant sans consulter les autres. C’est le cas du député ex-UNC Justin Bitakwira et de Steve Mbikayi ou Ne Mwanda Nsemi.
La difficulté de nomination de Vital Kamerhe au poste de Premier ministre nous a été évoquée par une source présidentielle en ces termes : « Kamerhe avait l’air déçu à sa sortie du Palais de la Nation après sa rencontre avec Kabila. Le Président lui a fait savoir qu’il ne serait pas facile de le nommer Premier Ministre car il y a trop de pressions (internationales) ».
Enfin, pour choisir Badibanga, Kabila a eu recours à la traditionnelle recette du confessionnal. Il s’est entretenu individuellement en tête-à-tête avec les potentiels candidats à la primature, nous confie une source présidentielle. En habile négociant du diamant, Samy Badibanga a joué à fond sa carte personnelle. Il a tiré son épingle du jeu en vendant ses qualités, ses mérites et des opportunités qu’il peut offrir au régime en fin de mandat. Il semble qu’il a séduit le « raïs » et ça a marché, affirme notre source.
La nomination de Badibanga Ntita est un signe que Joseph Kabila redoute l’UDPS et le Rassemblement
On peut avancer que la nomination de Samy Badibanga s’inscrit d’abord dans une éternelle stratégie de débauchage des opposants. Elle vise également à déstabiliser et à diviser l’UDPS qui reste la force politique qui contrôle Kinshasa la frondeuse, le siège des institutions nationales, mais aussi à diviser l’hinterland Luba acquis quasi naturellement au Sphinx de Limete.
Par ailleurs, la nomination de Samy Badibanga indique que Kabila cherche plus à séduire ses adversaires politiques qu’à conduire la RDC vers les élections apaisées. Il se focalise davantage sur sa survie politique que sur le bon fonctionnement des institutions. C’est d’ailleurs ce que Kris Berwouts, expert du Congo, a écrit dans un tweet : « By appointing Badibanga, Kabila proves that he is not interested in elections. Only wants to avoid sanctions and violence on 19/12 #congo ».
Quelle marge de manœuvre pour le dernier Premier ministre de Kabila : Badibanga peut-il réussir là où personne n’a fait mieux auparavant ?
La nomination surprise de Samy Badibanga procède d’un subtil jeu de calcul de Kabila qui sait que pour survivre, mieux vaut avoir l’UDPS avec soi que contre soi. Par ce coup politique, Kabila tente une dernière manœuvre d’appâter des opportunistes de l’UDPS qui ont vu le gâteau leur échapper à Ibiza et à Venise au moment du spectaculaire revirement de Vital Kamerhe. Il s’agit aussi de continuer de feindre de tendre insidieusement la main au Rassemblement pour soi-disant montrer à la face du monde sa bonne volonté et son esprit d’ouverture. Et on l’a vu avec la naïveté belge dont le ministre des Affaires étrangères – le même qui en 2011 était le premier diplomate occidental à plébisciter Kabila – déclarer « prendre acte » de cette nomination[12]. Je dis bien « prend acte » et non pas « prend note ».
L’expression vaut bien son pesant d’or en langage diplomatique. La subtilité du langage diplomatique tient à différencier les nuances entre les expressions « prendre note » et « prendre acte », même si le ministre belge s’abstient de « féliciter » officiellement l’heureux promu. Ces concepts ne revêtent pas le même poids de reconnaissance en relations internationales. En effet, prendre note est une rhétorique diplomatique polie de ne pas reconnaitre officiellement un acte. Par contre, prendre acte signifie « retenir formellement une information, dans le but de pouvoir s’en prévaloir plus tard ». Il s’agit ni plus ni moins d’une acceptation tacite d’une situation de fait. Et Larousse est encore beaucoup plus clair : « Prendre acte de quelque chose, c’est entériner, valider : Acter une décision ». Dont acte !
Cependant, nous sommes enclin d’avancer que cette stratégie qui a montré ses limites sous Mobutu ou encore récemment après la mise en place du Gouvernement dit de cohésion nationale issu des concertations nationales, risque vite de tourner court si Etienne Tshisekedi maintient son refus de toute collaboration avec Kabila et jette son anathème sur Samy Badibanga, déjà en disgrâce car il ne représente plus que l’ombre de lui-même.
Comme expliqué dans une analyse prospective antérieure, l’UDPS est un parti qui fonctionne plus par dogmatisme que par rationalité. L’attachement au parti est plus d’ordre dogmatico-religieux que rationnel[13]. C’est-à-dire, les militants manifestent une loyauté quasi viscérale au leader du parti, Etienne Tshisekedi, considéré comme un « Mulopwe », un empereur indétrônable, détenteur d’un pouvoir exclusif décrété divin, d’où le pseudonyme de « Moïse », car appelé à libérer le Congo de la dictature et de l’occupation, selon ses partisans. Selon le professeur Ngoma Binda, analysant les pouvoirs africains, il s’agit d’une autorité de type royal et sacré. Le « roi est à vie ». Il ne peut être écarté du pouvoir de son vivant. Selon les coutumes africaines, il lui est même interdit de démissionner. De plus, son pouvoir ne peut être transmis qu’au sein de la famille biologique. Enfin, le roi ne peut être ni interpellé ni contesté sans tomber dans le crime de lèse-majesté[14] ou subir la loi de la fatwa. C’est ce qui est arrivé à tous les anciens cadres de l’UDPS dont la seule excommunication du parti prononcée par le lider maximo signifie la mort politique.
Ainsi, en s’engageant dans un deal politique sans la bénédiction d’Etienne Tshisekedi, Samy Badibanga vient de signer là sa mort politique. D’autant qu’aucun ancien cadre exclu de l’UDPS n’a connu une carrière politique fulgurante. Tous sont pratiquement tombés dans les vestiges de l’histoire. De plus, la popularité d’Etienne Tshisekedi reste incontestée et ne souffre d’aucune rivalité en RDC, malgré les sondages complaisants de ces derniers jours qui nous rappellent les élections américaines ou les primaires de la droite française. Plus qu’une icône, Étienne Tshisekedi est une sorte de patrimoine national qui n’appartient plus seulement à sa seule famille politique du fait de la constance de son combat pour la démocratie depuis plus de 35 ans[15]. Comme le souligne M. Jean-Bosco Kongolo : « Jusqu’à nouvel ordre, la force et le charisme de Tshisekedi réside dans le fait d’être considéré par toutes ces composantes et par la majorité des Congolais comme le leader qui incarne incontestablement leur combat et leur idéal »[16].
Par ailleurs, cette nomination présente les allures d’un remake des années 1990 lorsque Mobutu tenta en vain à plusieurs reprises de débaucher des cadres de l’UDPS et de l’USORAL (Union sacrée de l’opposition et alliés : l’équivalent du Rassemblement des années 1990) en nommant en vain des transfuges de l’UDPS ou de l’USORAL comme Birindwa ou Jean Nguz Karl-i-Bond. Tous les analystes sérieux sont quasi unanimes sur cet aspect.
De ce fait, sur le plan politique interne, aussi longtemps qu’il sera contesté par Etienne Tshisekedi, qui symbolise à lui tout seul l’UDPS, Samy Badibanga ne disposera pas de poids politique suffisant pour permettre de calmer les ressortissants de l’hinterland du Grand Kasai. Il ne pourra pas non plus désamorcer la bombe populaire que constitue l’ouest du pays resté constamment très hostile à un Kabila qualifié d’agent de la cinquième colonne rwandaise en RDC. C’est ce qu’avance d’ailleurs le juriste-criminologue et analyste Jean-Bosco Kongolo dans un échange : « Kabila pense qu’en nommant Samy Badibanga, les Congolais et le monde entier vont croire que l’UDPS a souscrit à l’accord issu du dialogue[17] ou que la popularité de Tshisekedi sera entamée dans les deux Kasaï et au Congo. Que pourra faire Badibanga qui n’aura d’ailleurs pas les mains libres pour gouverner, car on lui imposera des ministres ».
En réalité, le cynisme politique de Joseph Kabila est tel qu’il veut profiter de la guerre très agressive vécue ces derniers mois entre Vital Kamerhe – Rassemblement pour attirer de nouveau le Rassemblement dont certains membres étaient frustrés par le fait de voir VK devenir Premier ministre et avoir part au gâteau qui leur a échappé à Ibiza et Venise.
Ainsi donc, il nous semble que la marge de manœuvre politique de Samy Badibanga Ntita reste très réduite, pour ne pas dire nulle. L’homme est sans charisme politique. Ni son discours encore moins son action ne permettront de calmer Kinshasa la frondeuse et rebelle.
Par ailleurs, il faudra attendre quelques jours d’âpres tractations pour le voir constituer son gouvernement où plusieurs personnes (opportunistes) espèrent se retrouver. Un gouvernement où il faudrait rester attentif sur la mainmise de « l’opposition » pro-dialogue sur les ministères régaliens et stratégiques comme la Défense nationale, les Affaires étrangères, la Justice, l’Intérieur, les Finances ainsi que les Mines et les Hydrocarbure. Ce, d’autant plus qu’à la sortie de sa rencontre avec Kabila ce 13 novembre 2016, Kamerhe avait déclaré que l’opposition va cogérer le pays avec Kabila. Comment cette opposition, qui est à la merci du Raïs et dans une posture de profil bas, pourrait-elle avoir la prétention de cogérer le pays alors que la nomination du Premier ministre dépend totalement du bon vouloir de Kabila qui s’est montré au-dessus de l’accord en le violant sciemment par le non-respect de l’échéance de 21 jours prévus pour la nomination d’un Premier ministre ?
Pour conclure, le choix porté par Joseph Kabila sur Samy Badibanga procède d’un calcul politicien lié à la géopolitique antagoniste est-ouest du pays dans une stratégie de séductions de la partie occidentale du pays restée hostile à Kabila depuis son accession au pouvoir en 20101. Il est Luba originaire du Kasai, tribu de Tshisekedi. Alors qu’un premier ministre issu de l’Est, comme Kamerhe, n’allait pas apporter une valeur ajoutée politique à Kabila.
D’autre part, le retard pris dans la nomination d’un Premier ministre illustre en soi le fait que Kabila lui-même ne croit pas vraiment au gain politique que lui apporte l’accord de la Cité de l’OUA. Un accord qui in fine ne lui a pas permis d’attirer les « gros poissons politiques » qu’il recherche en vain depuis les concertations nationales de 2013, malgré la participation du MLC à l’époque.
Par ailleurs, Kabila n’avait pas d’autre option politique pertinente que de se rabattre sur Samy Badibanga car il a une fixation viscérale sur l’UDPS qui reste sa vraie bête noire. De ce fait, ce choix n’est que la concrétisation stérile des négociations échouées d’Ibiza et de Venise où le camp présidentiel et l’UDPS étaient à deux doigts de signer l’accord du siècle qui aurait permis à Kabila de glisser pour trois ans en contrepartie de la primature et de la gestion de la Banque centrale pout l’UDPS, nous confiait un haut cadre du Rassemblement. Mais cette fois-ci, c’est un deal a minima sans la bénédiction du lider maximo, donc un accord nul, qui plus est inconstitutionnel[18].
L’assessment que l’on peut faire de cette nouvelle donne est que la nomination de Badibanga ne va en rien améliorer le climat politique très tendu en RDC. Elle ne peut que polariser la crise politique. Par ailleurs, dans une stratégie vicieuse du fait accompli, Kabila pourrait profiter de la nouvelle majorité mécanique dont il va disposer au parlement suite au ralliement des groupes parlementaires de l’UDPS, l’UNC et leurs alliés respectifs, pour initier une procédure de changement de la constitution par référendum. Il l’a d’ailleurs évoqué aux délégués du Conseil de sécurité de l’ONU.
Enfin, le blocage politique qui se profile en RDC ne laisse aux forces du changement que la seule option de la confrontation armée. Celle-ci devient une évidence à l’approche du 19 décembre 2016. Le discours à la Nation de Kabila la laisse sous-entendre. L’entourage sécuritaire présidentiel en est d’ailleurs convaincu suite aux informations transmises par leurs infiltrés au sein du Rassemblement. Ces taupes rapportent de manière détaillée les activités des principaux leaders de cette plateforme politique. A cet effet, pour faire face à toute éventualité, le régime de Kabila s’apprête à boucler complètement Kinshasa et Lubumbashi par les éléments des FARDC et de la GR aux environs du 15 décembre 2016 sous couvert des exercices militaires baptisés « Marteau d’acier ». Question d’étouffer toute velléité d’insurrection populaire dans l’œuf qui donnerait prétexte à une action subversive de l’opposition, nous rapporte une autorité sécuritaire congolaise.
Jusqu’à présent, le régime semble garder la main, à en croire l’échec des manifestations des 5 et 19 décembre derniers. Mais l’avenir nous en dira plus.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu / Exclusivité DESC
Références
[1] Selon le sénateur MLC Jacques Djoli, la nomination du Premier ministre Samy Badibanga viole la constitution de la RDC. « La désignation du nouveau Premier ministre obéit au cahier des charges de l’accord politique, plus particulièrement son article 17. Mais, un accord politique, sur le plan du droit élémentaire, ne peut pas être au-dessus d’une constitution. Et d’ailleurs l’article 17 dit clairement que l’installation du nouveau gouvernement doit se faire sans préjudices des dispositions constitutionnelles. » in http://www.radiookapi.net/2016/11/19/actualite/politique/la-nomination-de-samy-badibanga-viole-la-constitution-de-la-rdc-selon. Lire aussi Boniface Musavuli : « Pour rappel, l’article 78 de la Constitution dresse le profil du Premier ministre en tant que personnalité dont le pouvoir repose sur plusieurs bases de légitimité. Il doit être issu de la coalition majoritaire au parlement, ce qui n’est pas le cas du nouveau Premier ministre. Ensuite, il doit être nommé conformément à la Constitution. C’est-à-dire une ordonnance dûment signée par le Président de la République à qui la Constitution impose de choisir uniquement dans les rangs de la majorité parlementaire. La nomination d’un opposant est un acte ouvertement anticonstitutionnel » See more at: http://afridesk.org/fr/rd-congo-badibanga-vers-un-etat-anticonstitutionnel-b-musavuli/#sthash.f5qGGswZ.dpuf. Le juriste et criminologue Jean-Bosco Kongolo embraye également dans le même sens. Il rappelle l’illégitimité et l’illégalité de cette nomination. Se basant à la violation flagrante de l’article 78 alinéas 1 et 2 de la Constitution, il relève que la nomination de Samy Badibanga s’inscrit plutôt dans le schéma de la primauté du dialogue sur la Constitution… A moins de reconnaitre qu’il fait désormais partie de la nouvelle majorité présidentielle – See more at: http://afridesk.org/fr/nomination-de-samy-badibanga-une-strategie-issue-des-archives-de-feu-mobutu-jb-kongolo/#sthash.CbJ9RRhV.dpuf.
[2] http://www.boursorama.com/bourse/profil/resume_societe.phtml?symbole=1uBLT.L.
[3] http://bourse.lefigaro.fr/indices-actions/cours-bhp-billiton-bil-gb0000566504-gat/societe.
[4] http://www.onewovision.com/actu-rdc/Candidat-Porte-parole-de-l-opposition-UDPS-Samy-Badibanga-officiellement-investi,004b0367479479003123241?intro_autostart=0.
[5] http://www.lecongolais.cd/inga-3-bhp-billiton-se-retire/.
[6] http://www.jeuneafrique.com/285994/politique/rdc-moise-katumbi-felix-tshisekedi-sunissent-a-paris-depart-de-joseph-kabila-2016/.
[7] http://www.courrierdesafriques.net/2016/03/rd-congo-assemblee-nationale-levee-dimmunites-des-opposants-samy-badibanga-mohindo-nzangi-et-fabien-mutond-la-democratie-est-en-danger.
[8] http://afridesk.org/fr/de-genval-au-dialogue-dynamiques-et-crispations-sein-de-lopposition-en-rdc-grip/.
[9] http://afridesk.org/fr/opinion-la-rencontre-de-tous-les-enjeux-a-genval-vers-lunite-de-lopposition-congolaise-jj-wondo/.
[10] http://www.adiac-congo.com/content/groupe-parlementaire-udps-et-allies-samy-badibanga-desavoue-par-ses-pairs-56775 .
[11] http://www.lesoftonline.net/articles/comment-la-majorit%C3%A9-pourrait-se-parer-et-gagner.
[12] https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_rdc-reynders-prend-acte-de-la-designation-de-badibanga-comme-premier-ministre?id=9457809.
[13] See more at: http://afridesk.org/fr/ma-lecture-2-rdc-2016-equations-et-les-hommes-en-vue-jean-jacques-wondo/#sthash.aWefNyEL.dpuf.
[14] P. Ngoma Binda, Démocratie, Femme et Société civile en Afrique, L’Harmattan, Paris, 2012, p.48.
[15] http://afrique.lepoint.fr/actualites/rdc-tshisekedi-est-l-homme-indique-pour-donner-une-orientation-claire-a-la-population-26-09-2016-2071338_2365.php.
[16] http://afridesk.org/fr/nomination-de-samy-badibanga-une-strategie-issue-des-archives-de-feu-mobutu-jb-kongolo/.
[17] C’est ce que fait d’ailleurs propager fallacieusement et insidieusement sans preuve l’APARECO d’Honoré Ngbanda. Ce, du fait de sa haine ethno-maladive contre Etienne Tshisekedi, dans une stratégie vicieuse de combattre toute opposition à Kabila, qui profite en réalité à ce dernier qu’au combat pour le changement en RDC.
[18] Boniface Musavuli, « Badibanga : Vers un gouvernement anticonstitutionnel », in DESC, 21 novembre, 2016. http://afridesk.org/fr/rd-congo-badibanga-vers-un-etat-anticonstitutionnel-b-musavuli/.
2 Comments on “Badibanga dame le pion à Kamerhe : Épilogue d’une saga politique à la congolaise – JJ Wondo”
Cyrille
says:Une analyse profonde qui dit tout dans la sincérité et l’impartialité! Chapeau bas à DSC-WONDO
Roger Massamba
says:Merci beaucoup papavJean Jacques Wondo pour une nouvelle information tres importante de l’operation Marteau d’acier , c’est un signale que vous donnes dans Notre champs , maintenant c’est à nous que nous nous pouvons en profiter , Que le ciel vous proteges nuits et jours grace à vous et autres membres de la desc.org Mr. Joseph Kabila sera captuler le 19 DECEMBRE 2016.Inch’Allah amen